Juin 2000, le mois décisif pour le syndicalisme
étudiant en France

O pater, o patria, o Priami domus,
Saeptum altisono cardine templum! […]
Haec omnia vidi inflammari

Qui appuya le premier sur la gâchette ?
Qui recassa le vase de Soissons ?
Bref, qui donna le premier coup de pied au cul ?

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Préalables 1- Pourquoi deux UNEF ? 2- Crise 3- Prémices : le CNOUS

I- Illusion lyrique 1- Le collectif national du 3 juin 2- Chasse aux candidats, en chambre 3- Le lundi décisif

II– Tranchées 1- Défendre la liste face au ministère 2- Défendre l’UNEF contre les liquidateurs 3- Défendre notre unité contre la division

III— Ce que j’ai cru comprendre,… 1- Pourquoi ont-ils tué l’UNEF ? 2- Pourquoi avons nous été trahis ? 3- Pourquoi avons-nous été ridicules ?

Conclusion

Le vingtième anniversaire de ce qui fut le mois à la fois le plus exaltant et le plus désespérant de ma carrière syndicale m’a conduit à me replonger dans les vieux papiers, les vieux fichiers, les vieux souvenirs, et à inciter mes camarades, à ce jour avec succès, à relancer le site historique unef.org .

Ça a été aussi l’occasion de constater que la partie consacrée à la fin de l’UNEF, la plus lourde du site pour des raisons évidentes[1], était également très incomplète puisque, à la petite introduction près, elle ne faisait que reprendre nos publications d’alors. Nous disions la vérité, bien sûr, mais pas toute la vérité, et l’ensemble reflète uniquement le point de vue, ou les points de vue successifs d’ailleurs, car nous n’avons pas brillé par notre constance, que nous souhaitions diffuser.

Je crois pouvoir dire que pendant tout ce mois de juin, je n’ai fait que ça (sauf un jour : j’y viendrai), pensé qu’à ça (même ce jour). J’étais alors, à vingt-six ans, en quatrième année de thèse d’histoire romaine à Paris IV. J’avais un poste d’ATER à Valenciennes, ce qui me permettait de gagner presque correctement ma vie contre huit heures de cours par semaine sur deux jours (et aussi d’être syndicaliste étudiant à Paris en étant prof en province). L’année universitaire était terminée, et je n’ai pas touché ma thèse en un mois.

Ce texte est donc un témoignage d’un acteur, je crois pouvoir dire du principal acteur (ce ne pourra être jugé immodeste, vue la fin lamentable) de ces événements. Cet acteur étant historien d’une tout autre période, il a des habitudes d’écriture qu’on y retrouvera. Il s’appuie aussi sur un stock considérable d’archives, ce qui est publié sur le site, qu’il a de bonnes raisons de maîtriser, mais aussi tout ce qui a passé par sa boite mail. Il y a aussi des souvenirs qui n’ont jamais été écrits.

Le titre de ce texte aurait pu être « le mois décisif pour la fin du syndicalisme étudiant en France ». Ce fut la fin de ce que je considérais alors, que je considère encore aujourd’hui comme le syndicalisme étudiant[2], tel qu’il a existé après 1968 avec en particulier les deux UNEF (Je ne prétends pas que notre UNEF était la seule à faire du syndicalisme. J’affirme qu’après sa disparition, et ses derniers soubresauts, plus personne n’en a fait). J’ai renoncé à ce titre pour ne pas rebuter a priori des lecteurs qui croient en avoir fait depuis.

Je m’en tiens à ce mois, parce qu’il est évident avec le recul qu’à sa fin tout était joué, et perdu pour nous et pour, donc, le syndicalisme étudiant. Se demander pourquoi nous avons persévéré après le soir du 28 (moi en particulier) revient à se demander pourquoi la Wehrmacht a continué à se battre après Stalingrad et le Sud après Gettysburg.

Ce sera long. Ce sera d’autant plus long que, puisqu’il n’y a à ce jour aucune étude publiée sur l’histoire globale de notre UNEF (Il faudrait changer ça. Ce sera long et compliqué), il faut commencer par rappeler le contexte, ce qui est indispensable aux lecteurs (que j’espère nombreux) qui n’ont pas vécu tout ça, et peut être utile aussi à ceux qui l’ont vécu pour se rappeler des choses qu’ils ont oubliées, voire ne savaient pas à l’époque .

Préalables

1- Pourquoi deux UNEF ?

Il y avait donc alors deux UNEF, depuis aussi longtemps que la mémoire étudiante pouvait remonter, officiellement depuis 1971 mais en germe depuis la fin de l’année 1968 [3]. Disons pour faire très vite (c’est passionnant, mais ce n’est pas notre sujet) que l’UNEF de 1907 ou de 1946 (dont on fait, bien à tort à mon avis, un mythe sous l’appellation « grande UNEF ») était de fait morte, après avoir fonctionné au moteur à explosion depuis 1956, et que deux groupes, qui n’y étaient venus que tardivement, d’un côté les lambertistes (dont l’appellation était alors OCI, AJS pour l’orga de jeunesse), de l’autre les communistes (ils n’étaient pas seuls au départ, mais comme ça n’a guère duré, nous passons) ont voulu relever le flambeau, et leur cohabitation dans la même étant évidemment impossible, ont fini par fonder chacun leur UNEF, prétendant continuer la précédente (d’où le numéro 59 donné à chacun des deux congrès fondateurs)[4]. On les désignait couramment par le nom des deux anciennes tendances, Renouveau pour l’UEC, Unité Syndicale pour l’AJS, parfois par les localisations de leurs sièges nationaux, variables. On précise que bien sûr, c’étaient leurs directions qui étaient communistes et lambertistes, qu’elles avaient le but affiché de syndiquer tous les étudiants, et avaient des adhérents d’autres obédiences politiques, ou sans.

En 1980, l’UNEF lambertiste, dans un processus qu’elle a comiquement appelé « réunification partielle » a récupéré la LCR, et quelques socialistes mitterrandistes et rocardiens, et a pris le nom d’UNEF-ID (Indépendante et Démocratique), renonçant donc de fait à la revendication de continuité (mais la maintenant en interne). Ce choix correspondait au rapport des forces à l’époque : l’hégémonie de l’autre UNEF, la nôtre, était écrasante. Après avoir un temps tenté de jouer sur la confusion, l’UNEF devenue ID a choisi de s’en distinguer clairement. Ce fut le début de l’inversion du rapport des forces, parce que l’UNEF-ID eut dès lors le soutien total du PS, (que rejoignirent rapidement la majorité des LCR de 1980, derrière Julien Dray, puis celle des lambertistes, derrière Jean-Christophe Cambadélis), donc de 81 à 86 puis 88 à 93 celui du gouvernement, tandis que l’influence du PCF déclinait, encore plus sur les facs que partout ailleurs.

Il faut préciser, aussi, ce qu’on entend par rapport des forces. Il est évident, ou devrait l’être, que le nombre d’adhérents officiellement revendiqués par chacune relevait de la blague (deux blagues très différentes d’ailleurs), que leurs nombres réels étaient (et sont donc d’autant plus aujourd’hui) impossibles à estimer. Le critère était, avec les réserves d’usage et faute de mieux, les résultats électoraux. Dans les années 1970, l’UNEF (Renouveau) dominait largement les élections, l’UNEF (Unité syndicale) les boycottait et tirait de l’abstention la preuve de sa plus grande force, ce qui ne trompait que ceux qui voulaient être trompés. L’UNEF désormais ID a renoncé au boycott des élections quand elle a pu les gagner. Il faut cependant noter que, pour des raisons trop longues à détailler ici, ce critère électoral avantageait évidemment l’U-ID, et que sa domination n’était pas aussi écrasante qu’il semblait l’indiquer.

L’UNEF a connu un mieux, qui s’est manifesté électoralement, au début des années 1990. On peut lui attribuer deux causes : d’abord, l’allégeance de l’U-ID au gouvernement, totale du moment que Jospin a été ministre de l’Éducation nationale, commençait à se voir un peu trop (et s’est vue ensuite en interne, d’où son changement d’obédience de Camba à Juju, mais ça n’est pas notre sujet) ; ensuite (c’est en partie lié), des militants de la LCR, et d’autres trotskistes et trotskisants l’ont rejointe, ce qui lui a permis de regagner en extension (en perdant, certes, en cohésion).

Il y avait donc, encore en juin 2000, deux UNEF, dont une était indépendante et démocratique. Elles étaient aussi différentes que peuvent l’être deux sœurs (certes ennemies). Leur structure apparente était la même, héritée de l’ancienne UNEF[5] : une union d’Association générale étudiantes (AGE), qui élisaient en congrès un Bureau national comprenant un président, un secrétaire général et un trésorier. Ce point est d’autant plus essentiel qu’il a souvent été oublié, même par des responsables nationaux : il n’y avait pas d’étudiant adhérent à l’UNEF, mais des étudiants adhérant à une AGE, laquelle était elle-même adhérente de l’Union. Complication supplémentaire, elle aussi héritée de l’UNEF d’avant : à Paris, les AGE correspondaient chacune à une université, en province à une ville universitaire, où il y avait éventuellement plusieurs universités. Elles avaient eu des évolutions fort différentes, dont les germes étaient certainement présents au départ, mais que des événements variés de part et d’autre avait accentuées. L’UNEF-ID avait en fait perdu tout caractère fédéral pour devenir une organisation extrêmement centralisée, où les responsables d’AGE étaient totalement subordonnés aux membres du BN, ce que la structuration par tendances (figées et centralisées) aggravait. Le caractère fédéral avait été maintenu à l’UNEF (où il n’y avait pas de droit de tendance) et plutôt approfondi avec le temps. Le BN n’intervenait en principe dans une AGE qu’à sa demande. Un président d’AGE non membre du BN (beaucoup l’étaient) avait plus de poids qu’un membre du BN non président d’AGE. On peut d’ores et déjà noter que, rien que pour cela, l’idée de les « réunifier » (elle n’avaient jamais été unies d’ailleurs, ayant poussé séparément sur le cadavre de l’ancienne UNEF) était totalement saugrenue, et ne pouvait conduire qu’à la disparition totale de l’une des deux, au maintien de l’autre à l’identique.

On savait bien sûr laquelle disparaitrait dans ce cas. Alors que l’UNEF-ID, dirigée (et verrouillée) par le groupe Dray (dit alors Gauche socialiste) avec une opposition de droite rocardienne, une opposition de « gauche » LCR, était devenue une machine qui, si elle n’avait plus grand-chose à voir avec le syndicalisme étudiant, était redoutablement efficace, l’UNEF allait très mal. Il nous faut repartir en arrière pour essayer de comprendre pourquoi.

2- Crise

Je crois pouvoir dater de 1997 le début de la crise finale de l’UNEF (L’année où j’y ai adhéré. J’ai parfois l’impression de porter la poisse). Il y avait eu dans les années précédentes bien des crises, bien des drames, que d’autres pourraient raconter beaucoup mieux que moi (je souhaite qu’ils le fassent), mais aucun n’avait mis en cause son existence même[6]. Là, il s’agissait du lien structurel, bien qu’évidemment non formel, de l’UNEF avec le PCF, sans lequel elle ne pouvait exister.

On doit pouvoir, après vingt ans, renoncer aux hypocrisies et aux euphémismes pour dire clairement ce qui est vrai : l’UNEF était, depuis 1971, le syndicat étudiant du PCF. Cela ne signifiait absolument pas qu’elle fût une organisation communiste dans sa doctrine, ni bien sûr ne comportât que des communistes. C’était un syndicat, un vrai syndicat vraiment étudiant, que le PCF finançait (indirectement bien sûr), structurait, auquel il fournissait de fait sa direction nationale, ce parce qu’il estimait avoir intérêt à le faire. Depuis 1971 (et bien avant d’ailleurs), le PCF avait été, hors la parenthèse de 1981/84 (qui n’avait pas fait du bien à l’UNEF), hostile à tous les gouvernements qui s’étaient succédé. Comme tous ces gouvernements étaient résolument nuisibles aux intérêts des étudiants, le lien structurel entre le Parti et le syndicat était sain et mutuellement profitable. En 1997, le Parti a décidé de participer (avec la ferme intention de s’y maintenir à tout prix, que la suite a illustrée) au gouvernement Jospin, dont il est apparu rapidement qu’il était anti-étudiant comme ses prédécesseurs, plus que ses prédécesseurs même. Le hiatus était inévitable. Les dirigeants communistes de l’Union nationale, pour concilier leurs fonctions syndicales et leur devoir de Parti, en ont été réduits à parler de combattre les réformes à partir de leurs aspects positifs, puis d’exiger des moyens pour appliquer les réformes, finissant par quasiment refuser de prononcer ou d’entendre le mot réforme, en arguant que l’UNEF n’avait pas à prétendre imposer son opinion aux étudiants et devait se borner à demander la leur, et ont été confrontés à une opposition de plus en plus nombreuse et de plus en plus agressive, sur un clivage très différent de tous les précédents (mais ne les abolissant pas totalement, ce qui n’a pas simplifié les choses). La tension commença quand la direction renonça à son opposition à la réforme Bayrou. Le rapport Attali, et le mouvement qu’il provoqua dans de nombreuses universités fin 1998, mit le feu aux poudres.

1997 a été aussi (je ne vois pas de rapport) l’année du départ de l’UNEF de presque tous les militants de la LCR, principalement pour SUD Étudiants, apparu en 1995 mais qui n’a véritablement existé qu’à ce moment là. Il est à peu près certain que c’était l’effet d’une décision prise au niveau politique, mais je n’en sais pas plus. En tout cas, ce fut massif : les AGE de Nancy, Poitiers, Reims, Tours (au printemps 98 seulement), Angers (encore un peu plus tard), des minorités de Paris I et Orléans passèrent à SUD, Strasbourg un an plus tard à l’U-ID. Seules Jussieu, Nanterre (nous en reparlerons) et quelques militants isolés restèrent. Ce fut un affaiblissement considérable pour l’UNEF (aucune des AGE perdues ne fut jamais sérieusement reconstituée, et Paris I resta très faible), mais aussi un bouleversement total de la notion d’opposition, puisque jusque alors la LCR était la principale force oppositionnelle, se prenait volontiers pour l’opposition à elle toute seule (et était souvent prise comme telle par la direction). Son retrait laissait le champ libre à d’autres, sur un autre clivage, sortant (même si certains ont été longs à le comprendre) du schéma communistes contre trotskistes.

Il faut ici ouvrir une parenthèse, une de plus, pour décrire ce qu’était alors le fonctionnement de l’UNEF. Je ne l’ai pas placée plus haut parce que je ne peux parler que de ce que j’ai connu, et ne peux garantir que c’était déjà comme ça auparavant, faute de sources. L’UNEF était, on l’a déjà dit, une fédération d’AGE (de villes en province, d’universités à Paris, sauf Jussieu, commune à Paris VI et Paris VII) élisant librement leurs directions (en principe, en assemblée générale de leurs adhérents). Elles se réunissaient en congrès tous les deux ans (le congrès avait cessé d’être annuel après celui de 1991) pour décider de l’orientation de l’Union nationale et élire son bureau national de trente et un membres, dont, comme tels, le président, le secrétaire général et le trésorier, chacune y étant représentée par un nombre de délégués qui était fonction de son nombre d’adhérents déclaré, élus par elle en assemblée générale au scrutin majoritaire de liste non bloquée. Le BN était élu par le congrès de la même manière : une commission des candidatures proposait une liste de 31 noms, suivis de ceux des candidats qu’elle n’avait pas retenus ; chaque délégué pouvait rayer certains des noms proposés, et entourer des refusés, voire rajouter des non candidats (À la fin, la liste proposée était toujours élue, mais on pouvait mesurer les cotes d’amour aux écarts de voix. Ci-contre, le bulletin pour le 78^e congrès (Toulouse, 1997) avec les résultats proclamés). Le BN élisait ensuite quatre ou cinq secrétaires nationaux, qui formaient avec le président, le secrétaire général et le trésorier élus par le congrès le secrétariat national. Entre deux congrès, l’organe principal était le collectif national, qui réunissait un peu moins d’une fois par mois hors vacances, sur un ou deux jours, les membres du Bureau national et deux représentants par AGE (sans tenir compte donc du nombre de leurs adhérents).

Ce système assurait, jusqu’à la crise finale, une large majorité systématique à la direction communiste au congrès et au CN, de deux façons différentes. Au congrès, cette majorité était à l’époque presque donnée par la monstrueuse délégation de Paris VIII (quarante à cinquante délégués) qui votait unanimement. J’ignore si Paris VIII a vraiment été l’AG de loin la plus importante de l’UNEF par le passé[7]. A l’époque, c’était caricatural : ces délégués étaient donnés par huit cents à mille adhérents revendiqués par une AG qui obtenait deux cents voix aux élections aux conseils de l’Université (On a pu dire méchamment que si l’UNEF avait vécu, il y aurait fini par avoir plus de délégués de Paris VIII que d’électeurs). J’ai déjà dit que les nombres d’adhérents étaient une blague. On voit ici à quel point. L’UNEF avait cette particularité amusante que la cotisation y était facultative, ce qui permettait ce genre de plaisanterie. Mais le jeu n’était évidemment pas égal : si les cartes étaient gratuites, les places de délégués au congrès étaient payantes (on appelait ça mandat), et chères, censément pour couvrir les frais d’organisation. C’était en fait la seule contribution financière de la plupart des AGE à l’Union nationale. Quand Paris VIII payait ses mandats à la direction, cela revenait à faire passer l’argent d’une poche dans une autre de la même veste. Pour les autres AGE, c’était une dépense importante, et gratuite. Une direction d’AGE peu soucieuse de n’avoir que des vraies cartes (On dit que certaines l’étaient) calculait donc d’abord combien elle voulait payer de mandats, puis faisait des cartes en fonction (en se donnant éventuellement une marge).

Au CN, cela ne jouait pas puisque les AGE étaient représentées à égalité, mais le poids du BN élu au scrutin majoritaire par le congrès (où quelques places étaient néanmoins données généreusement à des contestataires, quatre ou cinq) suffisait à assurer la majorité de la direction, d’autant plus que très peu d’AGE envoyaient une délégation à chaque CN, moins encore une délégation complète. C’était d’ailleurs la fonction principale du BN, qui se réunissait la veille du CN (Il ne le faisait que très rarement entre deux CN) où ses membres n’avaient que le privilège d’entendre avant les autres le rapport préparé par le secrétariat, qui était la vraie direction de l’Union nationale (et ne comprenait jamais d’oppositionnel).

La situation était donc totalement figée : à chaque fois, les opposants repartaient furieux d’avoir vu voter des choses qui leur semblaient aberrantes, mais sans la moindre intention d’en tenir compte sur leurs universités, puisque le caractère de plus en plus fédéral leur permettait d’y faire ce qu’ils voulaient (Le matériel de propagande de l’UNEF Paris IV, intégralement publié sur le site web, l’illustre).

Tout esprit raisonnable se demandera certainement comment cela a pu durer, comment les opposants ont pu rester dans une Union nationale où ils étaient condamnés à être minoritaires, comment la direction a pu tolérer des opposants qui ne tenaient aucun compte de ses décisions. C’est très simple, en fait. Les opposants qui sont restés étaient convaincus (la suite a montré, contre eux, à quel point ils avaient raison) que, s’ils pouvaient faire de belles choses localement, ils n’avaient absolument aucun moyen de monter une Union nationale concurrente, faute d’appui politique conséquent, et qu’il valait mieux rester dans celle-là, en espérant, sans trop y croire, que les choses s’arrangeraient. La direction aurait eu toute raison et toute possibilité de les exclure, mais savait (si parfois, dans le feu de l’action, elle l’oubliait, elle se le rappelait rapidement, ou on le lui rappelait de plus haut) qu’elle ne pouvait maintenir l’UNEF du PCF sans eux, en particulier parce que c’étaient leurs voix qui permettaient de conserver l’unique élu au CNESER (on y arrive). Cela a pu l’inciter à parfois faire des concessions : ainsi le communiqué adopté (à l’unanimité, si ma mémoire est bonne et si mes papiers ne mentent pas) par le CN du 6 décembre 1998, en plein mouvement contre le rapport Attali, s’il n’allait pas jusqu’à appeler à amplifier le mouvement, lui était assez favorable. Il a été publié sur le site web de l’UNEF Paris IV, où il est toujours dans la version désormais historique[8]. Je ne suis pas sûr qu’il ait jamais été publié ailleurs. Ce fut la dernière fois, en tout cas.

C’est alors qu’on commença à parler de « réunification » (mot idiot, décidément). Je ne crois pas qu’il en ait jamais été sérieusement question avant, à ma modeste échelle en tout cas (j’ai vaguement entendu parler d’un projet avorté vers 1990, mais je n’en sais rien de plus). Evidemment, il fallait être pour l’unité, et tout le monde l’était. Mais il me semble clair que jusque là, les appels à l’unité lancés de part et d’autre n’avaient d’autre but que montrer que celui d’en face était méchant, puisqu’il la refusait. Ça a changé brutalement, en quelques semaines.

La question des relations avec l’U-ID se posait bien sûr. L’UNEF avait deux bonnes raisons de la traiter en ennemie, au-delà de la concurrence naturelle entre deux boutiques s’adressant aux mêmes clients. La première était la différence de structures, signe manifeste de deux conceptions différentes du syndicalisme. La seconde était le soutien désormais constant de l’U-ID aux réformes gouvernementales. Quand Jospin était ministre, ça allait de soi mais, les bonnes habitudes prises, et malgré son passage de Camba à Juju, elle avait aussi soutenu la réforme Bayrou en prétendant que c’était une grande victoire à elle. Elle soutenait allègrement (je ne pouvais pas l’éviter, celle-là) celles du gouvernement Jospin, bien que le groupe Dray fût alors dans l’opposition au PS. Pour la direction nationale de l’UNEF, le second point n’existait plus, alors qu’il était de plus en plus crucial pour ses opposants. Il était donc beaucoup, beaucoup trop pour notre goût, question d’unité, mais pas d’unification, dont la différence de structures suffisait à faire, répétons le, une aberration.

Le premier pas fut la liste commune pour les élections à la MNEF déposée le 20 janvier 1999 après d’âpres discussions dans tous les sens et de nombreux retournements. Il est hors de question que je parle de MNEF ici, ce qui serait long, et loin du sujet auquel je ne désespère pas d’arriver. Ça apparaît du moins rétrospectivement comme le premier pas. Sur le coup, nous ne l’avons pas du tout vu venir. Paris IV (Philippe Lieutaud et moi-même) était, contrairement aux autres AGE oppositionnelles, favorable au principe de la liste commune (pas à ses modalités : nous avons fini par appeler, discrètement mais fermement, au boycott), faute d’autre solution raisonnable. Nous croyions à une parenthèse, à refermer au plus vite, et mon souci était que la question de la MNEF ne pourrît pas le congrès à venir aux dépens du débat que j’espérais y voir sur les réformes. Et la réunification nous est soudain tombée dessus, à notre grande surprise et grande fureur.

Je ne me rappelle pas exactement quand, ni comment (Je n’ai pas conservé mes mails de l’époque, n’ayant pas alors d’ordinateur à moi. Ils étaient d’ailleurs peu nombreux sur le sujet, faute d’interlocuteurs). J’ai sous les yeux mes comptes-rendus pour l’AGE des deux CN préparant le congrès, des 30 et 31 janvier et du 21 février[9] : il n’en est pas question. Je ne vois pas non plus de réunification ni de fusion dans le texte adopté par notre congrès d’AGE du 20 mars, dont j’avais rédigé cette partie, qui parle seulement (avec une hypocrisie certaine) de la question de l’unité d’action avec l’U-ID[10]. Au congrès de Pantin, du 2 au 5 avril, on n’a parlé que de ça. C’était vraisemblablement un appel de l’UNEF-ID dans la suite des élections de la MNEF, auquel la direction de l’UNEF a répondu favorablement, à ceci près qu’elle hésitait sur « réunification » et préférait parler de nouvelle organisation qui aurait été beaucoup plus vaste que l’addition des deux UNEF.

Ce congrès, le 79e (on comptait toujours en commençant à 59), et le dernier régulièrement convoqué, tenu à Pantin dans des locaux prêtés par la CGT, fut un cauchemar de bout en bout, hors un bref (et vain) rayon de soleil le dimanche 4 en fin d’après-midi. Il fut marqué par le départ surprise, le dimanche matin, de l’AGE de Limoges qui annonça sa sortie de l’UNEF, lourde de conséquences[11] (Peu après le congrès, l’AGE de Pau, celle de Grenoble et l’association de Toulouse Mirail annonceront qu’elles quittent l’UNEF pour la rejoindre et former avec elles Solidarité étudiante).

Je ne le raconterai pas en détail, m’en tenant à ce qui est indispensable pour comprendre la suite des événements. L’organisation des débats par la direction nationale fut désastreuse, rendant toute discussion sérieuse impossible, sans qu’il soit possible de faire la part de l’incompétence et celle du choix délibéré. Il n’y avait pas de texte, pas d’amendements, on votait à la volée des propositions variées déposées à la tribune par n’importe quel délégué (ça a permis le rayon de soleil, mais empêché toute discussion sérieuse sur les réformes). Il y avait une hostilité incroyable entre délégations des deux camps en présence (Il faut souligner au passage une différence fondamentale, et dommageable entre congrès et CN. Les CN étaient une affaire de bureaucrates, qui savaient tous ce qui allait se passer, savaient aussi les très bonnes raisons qu’ils avaient de se détester, mais ne se fâchaient que quand ils estimaient y avoir intérêt, donc très rarement, sauf bavure provoquée par la présence inopinée d’un ingénu remplaçant un bureaucrate indisponible. Au congrès, il y avait une grande majorité de militants de base (sans doute au moins la moitié des adhérents réels de l’UNEF) dont c’était le premier contact avec l’Union nationale, et qui étaient horrifiés, les oppositionnels par ce qu’ils entendaient, les autres qu’il y eût une opposition si virulente). Nous étions venus sans illusion sur la direction nationale, moins encore sur sa reconduction, mais avec l’espoir de pouvoir discuter profitablement avec les délégués de province de réformes et de « réunification ». Nous nous sommes heurtés à un mur de haine. Les choses ont été compliquées par le grand retour de la LCR, absente de tous les CN précédents (sauf un), avec vingt à vingt-cinq délégués menés par Gaël Quirante, venant tous de Jussieu (seule AGE tenue par eux alors, où nous savions qu’il n’y avait plus d’activité UNEF visible) ou Nanterre (ou ils étaient minoritaires, mais devaient un grand nombre de délégués à la bienveillance de la majorité), votant et agissant en bloc, faisant beaucoup de bruit, insultant la direction, contestant tout mais prônant à grands cris la « réunification » (en reprochant à la direction de n’en point faire assez), et bénéficiant de la complaisance de la présidence de séance pour faire tout ça (des temps de parole démesurés, une indulgence certaine pour leurs chahuts). Il est clair que beaucoup de délégués de province nous ont assimilés à eux, et donc d’autant plus détestés, convaincus que nous étions d’affreux trotskistes pour la « réunification » (comme ils n’écoutaient pas nos interventions, elles ne risquaient pas de les convaincre). Il nous était difficile de ne pas conclure que c’était le but de l’opération, concertée entre direction et LCR (je n’ai pas changé d’avis sur ce point).

J’en viens au rayon de soleil, qui concerne directement notre sujet. Usant du système absurde d’organisation des votes, un délégué avait déposé la proposition « Contre toute forme de réunification ». J’ai entendu ensuite tantôt que c’était Thomas Stezicki, de Lille, tantôt Guillaume Cavé de Nantes (Ils l’ont sans doute fait l’un et l’autre). Aucun bureaucrate de notre camp n’aurait osé déposé un tel truc, qui paraissait aberrant : nous tergiversions sur la nécessité de construire l’unité dans les luttes, en laissant entendre que notre lutte préférée était celle contre l’U-ID. Karine Delpas, qui présidait la séance, met ça aux voix (il y a dû avoir avant le vote une intervention pour, une intervention contre, selon la procédure suivie, mais je n’en ai pas de souvenir). Surprise ! Dans toute la salle, presque tous les bras se lèvent. À la tribune, Karine regarde la salle, regarde ses assesseurs, puis lève son mandat, eux aussi. Nous nous regardons, Philippe et moi, les autres bureaucrates de notre camp se regardent, et nous nous disons que nous n’avons aucune raison de nous gêner dans ces conditions : nous sommes à peu près les derniers à lever la main (tout ceci s’est bien sûr passé en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire). Finalement, seule la LCR vote contre. Quelques dirigeants nationaux s’abstiennent. D’après mes notes de l’époque, 111 pour, 25 contre, 10 abstentions, 24 « NPPV ». Nous avons l’impression d’avoir assisté à un miracle. La preuve est faite que la base des AGE soutenant la direction ne veut pas de réunification, et n’avait pas compris que c’était là qu’on l’emmenait : ce vote inattendu a fait tomber les masques, et Karine a dû suivre.

La délégation de Paris IV va dîner (au Chinois en face de l’église, excellent), avec la conviction que l’UNEF est sauvée, et que la nuit sera longue puisqu’il s’agit de faire enfin le congrès qui n’avait pas vraiment commencé, bloqué sur la question de la « réunification ». Au retour dans la salle, c’est la douche froide. La direction s’est reprise (ou a été reprise par une intervention d’en haut) et choisit de casser le congrès : votes à la chaine, verrouillés (dont l’officialisation du ralliement à la réforme Bayrou), puis dispersion autoritaire vers minuit sous prétexte de dernier métro. Même jeu le lendemain.

Les manœuvres réunifiantes se sont poursuivies malgré le vote du congrès (avec l’argument qu’il ne s’agissait pas de « réunification » mais de construire une nouvelle organisation) puis (je ne rentre pas dans le détail) se sont enlisées progressivement. Il n’en a plus été question après l’automne, jusqu’au 2 juin 2000 auquel nous allons finir par arriver. J’ignore si la direction nationale a finalement pris peur devant le rejet par la base, si elle était divisée sur ce point depuis le début et que le contre ont provisoirement gagné, si c’est l’UNEF-ID qui s’est lassée.

3- Prémices : le CNOUS

Nous arrivons enfin non au mois de juin 2000, mais à ses derniers prémices. Le cadre du désastre fut le renouvellement, qui avait lieu toutes les années paires entre mai et juillet des conseils nationaux, le CNOUS et le CNESER, vital car la loi scélérate de Jospin (pléonasme) y attachait la reconnaissance comme organisation nationale représentative. C’était tout ou rien : une organisation ayant au moins un élu dans un des deux conseils était reconnue, d’où de nombreux avantages dont une subvention très confortable (proportionnelle au nombre d’élus), celle qui n’en avait pas (même à quelques voix près) n’avait aucun droit. Les deux étaient élus au scrutin indirect, avec deux procédures particulièrement tordues, dont l’une nuisait particulièrement à l’UNEF telle qu’elle était devenue.

Les huit représentants étudiants au CNOUS, qui gère l’aide sociale, sont élus par ceux aux CROUS de chaque académie (R comme régional). La particularité est qu’il y en a le même nombre, sept, dans chacune quel qu’y soit le nombre des étudiants, et que leur élection a lieu au niveau de l’académie (ou, dans quelques cas, d’une ville) par vote de tous les étudiants sans distinction d’établissement. Dans les académies n’ayant qu’une université (Dijon, Limoges, par exemple) ça revient presque au même. Dans les grandes, c’est très différent, et il faut bien sûr beaucoup plus de voix pour avoir un élu. Complication supplémentaire : dans certaines académies où on a créé des universités très loin de la ville rectorale (Pau pour Bordeaux, Le Mans et Angers pour Nantes), on a créé des CLOUS (L comme local), avec un seul représentant étudiant (ou deux), qui est compté dans les sept de l’académies (Il n’y a donc que six élus au CROUS de Bordeaux, cinq à Nantes et il faut un plus fort pourcentage qu’à Limoges ou Dijon pour en avoir un) alors qu’il est élu au scrutin majoritaire à un tour. Ce système était injuste, et mortel pour ce qu’était devenue l’UNEF, du fait du recul de son implantation : dans de nombreuses petites académies, elle n’existait plus, dans les grandes rarement dans toutes les universités. Il convenait en revanche parfaitement à la machine à faire voter itinérante de l’UNEF-ID (Les élections avaient lieu sur trois jours différents selon les académies pour permettre son plein rendement).

Pour le CNESER, qui a compétence (consultative, bien sûr) sur tout le reste, le système est au contraire fondé sur les établissements : les électeurs sont les élus étudiants de ceux-ci, pour les Universités, l’essentiel, à l’époque ceux des trois conseils dits centraux établis par la loi Savary (CA, CEVU, CS), pour les écoles des choses plus variées selon des critères obscurs. Ça n’était pas plus juste, puisque le nombre d’élus dans chaque établissement était sans rapport avec le nombre d’étudiants, fixé arbitrairement par ses statuts, ça favorisait particulièrement les écoles, donc les corpos « apolitiques » (Rions !), mais c’était bien meilleur pour l’UNEF qui, là où elle existait encore, pouvait faire face à la machine à faire voter de l’U-ID et avoir un nombre d’élus rarement majoritaire, mais souvent significatif. Qu’il y ait onze élus facilitait aussi relativement l’obtention d’un siège. Les conditions pour présenter une liste étaient drastiques : il fallait vingt-deux noms, onze titulaires et onze suppléants, élus dans vingt-deux établissements différents, ce qui excluait tout amateurisme. Pour l’UNEF alors, ce n’était (quand même) pas un problème. Ça a été le nôtre le 3 juin.

Puisque nous nous approchons du moment décisif, il semble bon de s’arrêter pour faire un tableau de l’ordre de bataille de l’UNEF durant cet hiver. J’essaie de faire bref. La difficulté est que je sais fort bien ce qui se passait à Paris IV, forcément, très bien aussi ce qu’il en était de Paris I et d’Evry (la nouvelle venue), assez bien chez ceux qui étaient nos amis, fort mal ailleurs, dans le climat de guerre froide qui régnait depuis le congrès.

Il est difficile de parler de la direction nationale, le secrétariat donc, sans manquer à la plus élémentaire charité. Sauf sur la présidente, Karine Delpas, sur laquelle on a dit tant d’horreurs (moi comme les autres), qu’on ne peut avec le recul que les atténuer. Etudiante en biologie à Toulouse, elle avait été une des vedettes du mouvement étudiant de novembre 1995 et s’était trouvé propulsée à la direction nationale, puis à la présidence en mai 1997, par la volonté de Marie-Pierre Vieu, à qui elle succédait. Tout le monde pensait et disait qu’à travers elle, c’était toujours Mapie qui dirigeait (c’est probable, mais on ne peut savoir à quel point). Il est clair qu’elle n’était pas à la hauteur du rôle, ce qui la condamnait à servir de cible, mais contrairement à ce que beaucoup croyaient, elle ne manquait pas d’une certaine finesse, qui se manifestait en particulier dans une habileté redoutable pour mener les réunions, laquelle a souvent joué des tours à ceux qui la sous estimaient. Elle avait le défaut majeur (à l’U-ID, c’était depuis longtemps normal, et ça ne s’est pas arrangé depuis, mais ça n’avait pas toujours été le cas à l’UNEF), comme tous les autres à une exception près, de ne pas faire d’études du tout (J’ignore si elle en faisait à Toulouse. En tout cas, ça avait cessé dès son arrivée à Paris, très tôt donc) et donc d’avoir très peu d’idées sur les Universités et, hors quelques slogans, sur les étudiants. Silvère Magnon, le secrétaire général, était très effacé : je ne peux aujourd’hui dire ce qu’il avait éventuellement dans la tête. Presque tous les autres, venus principalement de Montpellier étaient de lamentables bavards, sans aucun fond ni syndical, ni politique. Le plus présentable était Stéphane Paturey, à l’origine en STAPS à Toulouse : ce n’est pas par hasard qu’il a été choisi un an plus tard pour être (en partie au moins contre son gré), en tant que vice-président, la seule trace de l’ancienne direction de l’UNEF dans la prétendument réunifiée. La seule exception était Cécile Cukierman, élue au CNESER depuis 1998, étudiante (pour de vrai) en histoire à Paris I après une Khâgne, mais qui n’y militait plus depuis qu’elle était secrétaire nationale, n’y avait donc milité en fait qu’un an (comme présidente). Elle était d’un sectarisme féroce envers tout ce qui n’était pas communiste, les opposants de l’UNEF comme l’UNEF-ID, mais totalement dévouée aux autres (qui pourtant ne l’aimaient manifestement pas) comme la suite l’a confirmé. Il n’est pas excessif de parler globalement d’un affaissement intellectuel total de la direction de l’UNEF alors. Il n’est pas inutile d’indiquer aussi que d’anciens dirigeants (pas les meilleurs) s’agitaient par derrière, avec manifestement l’intention de nuire à Karine (ce qui nous intéressait) mais dont on ne savait pas ce qu’ils voulaient vraiment, ni s’ils voulaient quelque chose. Raphaël Aulas était le plus visible, mais il était clair qu’il n’était pas le seul, et pas le chef. Un mystérieux Redstar, qui n’était pas Raphaël, envoyait un peu partout des mails sur un ton très prétentieux, avec quelques révélations et beaucoup de méchanceté.

Soutenaient encore cette direction, parmi les grosses AGE qu’on voyait régulièrement en CN, Paris VIII bien sûr, Orléans, Clermont-Ferrand (très influencée cependant par Raphaël Aulas, qui en était issu), la FAEB de Bordeaux[12], et en outre quelques autres à la solidité moins évidente, l’AGEO d’Orsay, l’AGEUR de Rennes, Paris XIII (j ‘en oublie peut-être). L’UNEF Lyon, un de ses plus solides soutiens au congrès de Pantin, nous avait fait à l’automne la bonne surprise de rompre avec elle en se prononçant violemment contre la réunification, mais n’avait plus donné de nouvelles par la suite.

La LCR avait alors totalement disparu du paysage. Elle tenait toujours son AGE de Jussieu, mais n’y avait aucune activité syndicale connue. Elle avait pris aux communistes (selon leur version officielle, par surprise) celle de Nanterre, où elle ne semble pas avoir été plus active.

Le bloc oppositionnel post LCR, établi depuis le congrès de 1997, avait perdu l’AGET de Toulouse, par deux scissions successives[13], et l’AGEL de Limoges. Trois AGE, l’AGER de Rouen, l’UNEF Caen (qui a renoncé à ce moment au nom ACE), l’AGEL de Lille, auxquelles s’était ajoutée l’UNEF Paris IV (AGEPS) avec quelques ambigüités (aucune de moi, qui étais secrétaire à l’orga, pas mal de Philippe Lieutaud, qui était président).

L’AGER-UNEF était solidement tenue par la Gauche révolutionnaire, une scission de la LCR qu’on a bien oubliée depuis (elle existe pourtant encore aujourd’hui), mais qui avait alors un rôle capital dans le syndicalisme étudiant. Sa présidente était au début de l’année Leila Messaoudi, membre du BN depuis le congrès de 1997, ses autres représentants au CN très variés depuis qu’Émilie Picot (qui n’était pas de la GR) avait disparu. Elle semble avoir eu alors des difficultés, Leila voulant se retirer mais ne trouvant pas de successeur, ce qui peut expliquer bien des choses (mais pas toutes).

L’UNEF Caen était au départ sa sœur jumelle (d’abord aînée, d’ailleurs), mais les choses s’y étaient compliquées. Son chef, vu de Paris (était-il président ?) restait Olivier Ruet, de la GR, qui en était apparemment le seul survivant, depuis peu membre du BN. Olivier venait au CN avec des camarades que nous n’avons plus vus ensuite, qui n’étaient pas ceux que nous voyions avant. A ce que j’ai cru comprendre, il y avait eu à Caen après le congrès une forte poussée pour rejoindre Limoges dans la scission (menée par Fabien Guillot, que nous retrouverons incessamment), réprimée par Olivier, d’où l’abandon du nom ACE-UNEF pour UNEF Caen, mais sans exclusion des partisans de la scission (c’est essentiel pour comprendre la suite).

Les choses étaient beaucoup plus compliquées à l’AGEL de Lille. Si j’ai bien compris (mais William Roger aura certainement des compléments, voire des rectifications, à apporter), il y avait alors deux forces politiques fortes, mais non hégémoniques, la coordination communiste (les opposants fermes à la mutation du PCF) et, comme à Caen et Rouen, la GR, et un marais plutôt porté vers les communistes, mais pas forcément vers la coordination. La coordination et la GR se détestaient et aimaient se détester, mais finissaient toujours par s’entendre sur leur détestation commune du gouvernement Jospin, de l’UNEF-ID et de la direction nationale de l’UNEF. Toujours d’après mes impressions, l’accord toujours précaire revenait en général à une présidence GR, tandis que la coordination contrôlait la cafétéria de Lille I, ressource principale. Il a sauté pendant l’hiver quand une GR très affaiblie a contribué, faute de candidat possible à elle, à faire élire président d’AGE, contre la coordination, un gars qui s’est révélé une calamité ambulante, un vert (chose jusque là heureusement inconnue dans le syndicalisme étudiant). Ça s’était logiquement terminé par un massacre, et à la fin du printemps la coordination contrôlait seule, avec Gilles Andriès pour président, une AGEL bien affaiblie (La GR ayant disparu sans laisser d’adresse, je n’ai qu’un seul point de vue sur lequel m’appuyer).

Je vais essayer de ne pas être trop long sur Paris IV. Ce sera difficile. Philippe Lieutaud et moi-même avions récupéré l’AGE début 98 dans des circonstances tout à fait acrobatiques (Philippe la voulait. Moi, je n’ai vraiment pas fait exprès, mais j’y ai rapidement pris goût). Philippe était à Paris IV, en histoire, après avoir raté une année à Sciences-Po. Il était au PS, poperéniste (ça pullulait alors à Sciences-Po), inféodé à Emmanuel Maurel, et à l’UNEF parce qu’à Sciences-Po beaucoup de[14] socialistes étaient à l’UNEF (Je ne peux décemment dire pourquoi ici. Trop compliqué, et hors sujet). L’AG-UNEF de Sciences-Po était alors dans l’opposition, au sens LCR (La suite est également compliquée, et hors-sujet). Il a atterri à l’UNEF Paris IV, et s’y est trouvé bien. Il était aussi le socialiste de service dans l’UNEF, tous les autres ayant disparu, ce qui a contribué, avec son statut de président d’une grosse AGE, à le faire élire au BN à l’automne 1998. Je venais quant à moi d’adhérer à l’UNEF, en janvier 1997, bien tardivement puisque j’étais en première année de thèse (encore une histoire trop longue à raconter dans ce cadre). J’étais alors chevènementiste, au Mouvement des citoyens depuis 1993, et, après bien des péripéties, le numéro deux officieux de son secteur jeunes (je précise que ça n’était vraiment pas grand-chose, pour éviter toute erreur sur mon importance). J’ai été défenestré par Jean-Pierre Chevènement en personne à l’automne 97 mais ai encore essayé de m’accrocher jusqu’en janvier ou février. De ce moment, j’étais, monstruosité logique, un fieffé bureaucrate sans aucune allégeance politique, ce qui était à la fois périlleux et très pratique. J’étais résolument dans l’opposition à la direction nationale de l’UNEF depuis le congrès de Toulouse, à cause principalement du ralliement de fait à la réforme Bayrou. Notre union dialectique (sauvagement dialectique, souvent) nous a permis de réussir un truc grandiose, partie parce que nous étions très doués et très travailleurs, partie parce que nous avons eu une veine de cocus : faire de l’UNEF Paris IV le premier syndicat de l’Université, même aux élections (victoire écrasante sur l’UNEF-ID aux centraux de janvier 1999). Localement, nous étions clairement contre toutes les réformes, passées, présentes et à venir. Dans l’Union nationale, ça nous plaçait naturellement dans l’opposition mais Philippe y était beaucoup moins fermement que moi. Nous étions dans l’AGE, miraculeusement surpeuplée, les deux seuls politiques, la LCR évaporée : tant que nous étions d’accord, les autres suivaient. Les choses se sont malheureusement compliquées en cette année 1999/2000. Nous étions d’accord pour laisser la place à des successeurs, car nous étions bien vieux (moi surtout), et d’accord pour mettre à la présidence d’AGE Sancia De Cooman, la seule de nos jeunes militants qui semblât avoir une tête politique, (la suite a montré que c’était une erreur)[15]. Il semble que Philippe ait voulu en profiter pour m’éliminer. Le résultat fut un hiver de massacres, sur lequel je ne m’étends pas. J’ai fini par reprendre la main, à la suite de manœuvres douteuses, puis Philippe est revenu aussi. En juin, nous étions de fait, unis comme naguère, la direction de l’AGE, en l’absence de direction élue.

Ce bloc avait été rejoint par de nombreuses AGE à propos d’Allègre et de réunification.

Le CEN de Nantes reste pour moi mystérieux. Il est apparu soudain avec Manuel Canévet, sans appartenance politique connue alors, qui s’était fait désigner pour le BN par la direction nationale à l’automne 1998, apparemment en lui faisant croire qu’il était de son côté, avant de s’afficher comme opposant. On a vu ensuite avec lui Matthieu Lavois, écologiste (très rare à l’époque dans un syndicat étudiant), et Romain Bessonnet, présenté comme communiste. On a connu aussi Guillaume Cavé, l’ennemi de toujours de Manuel. Il semblait très faible, mais a tiré un prestige nouveau de son relatif succès aux élections du CROUS de mars 2000 (un élu inespéré, quand on en perdait tant qu’on croyait acquis).

L’UNEF Paris I était passée clairement dans l’opposition, à propos de réformes et, surtout, de réunification, après le congrès où sa position était ambiguë. Elle était à peu près alignée sur Paris IV (la cohabitation dans notre local de la Sorbonne aidait), mais très faible. Paris I avait été autour de 1993 le champ principal de l’affrontement entre communistes et LCR, avant une réconciliation au profit de celle-ci voulue par la direction nationale d’alors (celle de Marie-Pierre Vieu), en 1997, qui avait écœuré beaucoup de militants de l’autre camp. Le départ massif de la LCR vers SUD avait laissé l’AGE presque vide entre les mains de Cécile Cukierman (qui venait d’y arriver), qui l’avait finalement laissée (après une étape intermédiaire) à Jihad Wachill, à peu près le seul communiste restant, après être devenue secrétaire national. Jihad avait été élu au BN sans problème par le congrès de Pantin parce que chaque camp croyait pouvoir compter sur lui. Il a été par la suite vis à vis du bloc oppositionnel sur une position assez comparable à celle de Philippe Lieutaud (ce qui n’empêchait pas que, déjà, ils se détestassent). Le secrétaire à l’orga, Sylvestre Roth, alors de gauche sans affiliation politique précise, était clairement dans l’opposition. Le reste de l’AGE était, comme à Paris IV, fort peu politique, mais beaucoup plus agité et très peu contrôlable.

L’UGEM de Montpellier, après avoir été un des principaux soutiens de la direction nationale avec un peu de LCR dedans, était après le mouvement de l’automne 98 passée à l’opposition, en tout cas les Lettres, majoritaires. Elle était dirigée par Cédric Sudres et Gaétan Alibert, sans affiliation politique, et manifestait en particulier une forte hostilité aux ex Montpelliérains devenus secrétaires nationaux.

L’UNEF Evry (ou AGEE) était notre dernière et miraculeuse acquisition. De ce que j’en sais, elle avait été créée (ou recréée) en 1996 par des militants de la LCR qui avaient quitté l’U-ID parce qu’ils n’avaient pas aimé ses méthodes contre le mouvement de novembre 1995, et en restaient très hostiles, contre la ligne de leur organisation, à toute idée d’unité avec elle. Ils ont apparemment résolu la contradiction en arrêtant progressivement le syndicalisme. Juste avant, avait adhéré, à son entrée en première année de Droit, Guirec Manceau, qui s’est ainsi trouvé président de l’AGE, qu’il a rapidement développée. Nos relations furent d’abord informatiques (Je renvoie à l’historique du site unef.org sur ce site, où tout est dit avec une sincérité désarmante, parce que déjà en 2007 je n’avais plus aucune raison de cacher quoi que ce fût). L’AGE avait alors, avec Guirec et Natacha Sommer, une direction solide, et un nombre relativement important de jeunes militants efficaces. Guirec et Natacha (la plus politique des deux, incontestablement) étaient tous les deux communistes, peu enthousiasmés par la mutation mais pas ouvertement opposants. Je n’ai aucune raison de cacher qu’ils avaient l’extrême bon goût de me faire confiance, ce qui évitait que leur grande jeunesse fût un inconvénient. Ça ne signifie absolument pas que je dirigeais en fait l’AGE. Je crois n’avoir jamais mis les pieds à Evry (sauf une fois, à la cathédrale, longtemps avant et pour un tout autre motif) avant le mois de juin. Guirec m’appelait quand (rarement) il avait un problème local, et je pouvais compter sur eux dans l’Union nationale.

Deux autres AGE, avaient voté avec nous le plus souvent au congrès, l’UNEF Créteil et l’UGED de Dijon, avec qui nous n’avions plus de contact et que nous ne voyions pas aux CN. Nous les retrouverons bientôt (En revanche, l’UNEF Besançon, dans le même cas, avait totalement disparu).

Enfin, nous avons appris en ce printemps 2000, à quelques semaines d’intervalle la recréation d’une UNEF au Havre (apparemment assez inspirée depuis Caen), dans le cadre d’un mouvement étudiant, puis son passage à SUD.

Nous avions eu le souci de maintenir des liens avec les scissionnistes de 1999, regroupés dans Solidarité étudiante (Limoges, Le Mirail, Pau, Grenoble ayant rapidement disparu), et d’en retrouver avec ceux de 1997, l’AGET-ASL. C’était un des buts de l’intersyndicale Ensemble contre les réformes Allègre, créée en deux réunions à Limoges en février et mai 1999. Certains voulaient faire un nouveau syndicat national, d’autres une tendance (sans le mot, bien sûr) dans l’UNEF : le centre, dont j’étais, avait réussi à obtenir qu’on restât ambigu, pour laisser les événements trancher. Ça n’avait pas été un succès : l’intersyndicale, après plusieurs réunions de plus en plus désastreuses était de fait morte. Ça avait aussi permis des contacts, dont certains resserviront. Ça avait surtout permis le contact avec le SEUL (syndicat étudiant unitaire et laïque) de Montpellier, une scission de l’UNEF-ID créée et dirigée par Nathan Balsan-Duverneuil, du groupe trotskiste La Commune, scission des lambertistes, dont le rôle fut essentiel dans la suite. Il était le seul participant à n’avoir aucun lien avec l’UNEF, hors l’UNEF-ID Amiens, tenue par la GR, animatrice d’un des plus forts mouvements locaux contre le rapport Attali, qui apparaissait comme une sœur de l’AGER de Rouen. Le rapprochement avec le SEUL avait été facilité, dans un premier temps, par la surprenante (on ne pouvait imaginer trotskistes plus différents) fusion entre la GR et La Commune en 1999 : ses dirigeants et ceux de nos AGE de Rouen et Caen étaient donc théoriquement dans la même organisation. Mais la fusion n’a jamais, autant que je sache, été effective, et a explosé à l’été 2000 (Ce qui a forcément eu une influence, que je ne puis mesurer sur nos affaires). Le SEUL était pour la création d’une nouvelle organisation nationale, et nous prêchait la sortie immédiate de l’UNEF. Nathan, qui n’était plus étudiant depuis la rentrée mais restait le dirigeant réel du SEUL, venait, au printemps 2000, de créer un site web appelé Luttes étudiantes, se présentant (faussement certes) comme national, très agressif contre l’UNEF (nous compris), d’où des tensions (Nathan et moi étions alors au bord de la rupture).

Un dernier détour va nous amener aux élections du CNOUS, prélude de celles du CNESER. Celles aux CROUS, autour du 29 mars, avaient été catastrophiques pour l’UNEF, pour les raisons déjà dites, qui ne conservait que onze élus, dans neuf académies, Caen, Nantes, Orléans, Bordeaux, Montpellier, Clermont (2), Lyon, Dijon, Créteil (2). Les seules satisfactions étaient à Clermont et Nantes (un élu de plus). Partout ailleurs, nous reculions, passions en-dessous du score nécessaire pour avoir un siège à Rouen et Versailles, perdions les deux de Lille, échouions à reconquérir celui de Paris déjà perdu en 1998. L’échec était commun aux AGE soutenant la direction et aux oppositionnelles. Quelques succès électoraux dans nos universités (le plus beau à Paris IV), tandis que le reste de l’UNEF reculait, nous avaient donné l’impression que la ligne que nous défendions avait le vent en poupe : les sièges perdus à Lille et Rouen, l’échec à Paris, nous ramenaient sur terre.

En 1998, l’UNEF avait 22 élus aux CROUS (dont au moins 3 à Limoges, perdus par scission, donc), et le siège au CNOUS allait de soi. Là, il était évidemment perdu, et de beaucoup : on ne pouvait pas l’envisager à moins de 18 voix. Le CN des 7 et 8 mai, censé faire le bilan des élections au CROUS et adopter la liste pour le CNOUS commence dans une ambiance lamentable, avec une direction totalement dépassée, et des AGE ne sachant qu’accuser la direction, ses soutiens habituels même exprimant des doutes. Mais le dimanche, quand on en vient à la liste, tout change. La direction accepte ce que Paris IV, sur ma proposition, préconisait : rechercher l’union avec nos ex camarades de l’AGET ASL de Toulouse, qui ont une élue, et de l’AGEL SE de Limoges, qui en ont gardé deux, sur une plate-forme négociée avec eux, avec une tête de liste acceptable pour eux, et en leur proposant la deuxième place, soit le suppléant au cas improbable où la liste ait un élu. La victoire est improbable car, même avec ces trois là, on serait, à quatorze, très loin du compte : il faut espérer un miracle, rare dans de genre d’élection. Mais le symbole est beau. La tête de liste proposée est (après le refus de Manuel Canévet) Julien Zloch, de Dijon, que nous ne connaissons pas, mais qui est d’une AGE qui, on l’a vu, a voté avec nous au congrès, sans venir aux CN ensuite, et était également signataire d’Ensemble contre les réformes Allègre. Nous n’avons de toute façon personne d’autre à proposer après les désastres de Lille, Rouen et Paris, et le refus de Nantes. Je deviens soudain, et très provisoirement, fréquentable, car la direction compte sur moi pour convaincre les partenaires que nous venons de choisir.

Ça marche sans problème avec l’AGET-ASL (où Yves Croguennec et Wilfried Pennetier étaient des amis du temps où nous étions au MdC). Pour Limoges, j’appelle Frédéric Dauger : ça commence très mal (Il est vrai que c’est difficile : la direction de l’UNEF avait trouvé subtil de monter, contre l’AGEL, une liste avec les Étudiants musulmans de France), mais j’ai l’impression d’arriver à l’intéresser ; quand il me dit « Mais de toute façon ça ne nous fait que quatorze voix », je me dis qu’il commence à mordre. Il me promet de présenter la chose à ses camarades, mais en étant très pessimiste sur le résultat, car me dit-il, il reste le seul qui ait connu le temps où l’AGEL était à l’UNEF (Au bout d’un an seulement, c’est très surprenant, et explique bien des choses pour la suite). Effectivement, ils refuseront, et il n’y aura donc que douze candidats sur la liste, avec Mina Amirat de Toulouse en deuxième place. Reste l’espoir que les deux Limougeauds votent quand même pour elle, et qu’il y en ait d’autres. Je bombarde de mails la liste ecra où je répète qu’il ne s’agit pas de ce que nous pensons les uns et les autres de l’UNEF, mais de la possibilité d’avoir un élu au CNOUS et sa suppléante. J’envoie un mail privé à l’adresse que j’ai pour l’UNEF-ID Amiens pour suggérer que, cela étant, leurs quatre élus pourraient peut-être se tromper de bulletin (Pas de réponse. J’avais intitulé mon courrier « Question aberrante »). J’essaie aussi d’obtenir un soutien officiel du SEUL à la liste, qui ne servirait à rien arithmétiquement, puisqu’ils n’ont pas d’élu (ils n’ont même pas présenté de liste à Montpellier) mais serait de poids pour la suite. Je ne réussis pas, mais c’est l’occasion d’un contact pour une fois positif avec Nathan, qui laisse quelques espoirs.

Un point est à souligner : il n’a jamais été question, dans toute cette phase, de liste commune avec l’UNEF-ID, ni de processus d’unification. Bien au contraire, la direction avait accepté, pour tenter de sauver l’UNEF, de céder sur tout à ses opposants. En même temps, elle prenait sur la question de la MNEF en train de devenir LMDE (j’ai déjà dit que je ne parlerai pas de mutuelle) des positions radicalement anti U-ID, au point d’effrayer même moi. Vous comprenez maintenant pourquoi la suite nous a totalement surpris.

On a logiquement enchaîné sur le CNESER, avec une situation totalement différente puisque, pour les raisons dites également plus haut, l’UNEF était certaine d’y conserver son élu (sans bien sûr aucun espoir d’en gagner un second) pourvu que tous ses élus dans les conseils centraux votassent (le rapport introductif du CN du 3 juin en revendiquera 184), ce qui ne posait pas vraiment de problème. Contrairement à ceux de l’UNEF-ID, qui complétait ses listes n’importe comment là où elle n’avait pas de véritable organisation, c’étaient presque tous de vrais militants. Il y avait quelques disparus en cours de route bien sûr, mais on pouvait globalement compter sur leur loyauté, si on faisait l’effort de leur rappeler qu’on comptait sur leur vote. Les voix des AGE contestataires (une bonne moitié des élus) étaient indispensables, mais elles n’avaient pas de raison de les refuser, seulement l’envie pour certaines d’obtenir des concessions sur la plate-forme présentée. Il aurait été assez logique de revendiquer, dans la suite du CNOUS et parce que nos élus étaient très certainement les plus nombreux alors, la tête de liste, mais c’était inacceptable pour la direction, et il n’y avait d’ailleurs pas vraiment de candidat de notre côté : c’était un travail de permanent, et aucun des nôtres ne l’était ni n’envisageait de l’être. Il pouvait s’agir aussi d’obtenir le maintien de la ligne d’alliance du CNOUS, moins évidente puisque arithmétiquement inutile en recherchant la participation, du moins le soutien, du moins les votes, de l’AGET-ASL, de SE et du SEUL, sans avoir rien à leur offrir qu’une plate-forme satisfaisante pour eux. En relisant mes mails à la liste ecra de l’époque (souvenirs largement balayés par la suite des événements), je vois que j’était d’humeur assez belliqueuse, allant même jusqu’à parler de chantage au boycott.

Deux événements n’ont pas contribué à détendre l’atmosphère. Le plus grave a été le résultat du CNOUS : 9 voix seulement pour la liste UNEF - ASL, ce qui signifiait que trois au moins de ses candidats n’avaient pas voté pour elle, certainement parce que la ligne adoptée ne leur plaisait pas. La réaction officieuse (pas d’officielle bien sûr) de la direction anticipait sur ce que sont aujourd’hui les plus belles heures de Sibeth N’Diaye « Mais non, ce n’est pas un boycott, ce sont des erreurs malheureuses. C’est compliqué le vote par correspondance, il y a deux enveloppes, il faut signer, ils se sont trompés » et refusait de donner les noms des non votants, qu’elle connaissait. Si le CN suivant avait eu lieu normalement, la question aurait certainement été posée en termes peu aimables.

D’autre part, Sud Étudiants, dont nous avions à peu près oublié la regrettable existence, avait publié le 14 mai dans un appel adressé à l’ « oppo UNEF », dont nous, que je ne retrouve pas[16], son intention de faire sa liste, en invitant les syndicats « de lutte » à les rejoindre. J’avais répondu, avec copie sur le forum unef.org, au nom de l’UNEF Paris IV, en me réclamant d’un mandat du collectif d’AGE du 23 (je ne me rappelle plus du tout à quel point c’était vrai) en rappelant notre attachement de toujours au rassemblement syndical, concrétisé par la liste du CNOUS, contre l’UNEF-ID et les corpos et notre souhait d’une liste unitaire allant dans ce sens, ce qui revenait à leur suggérer aimablement de venir plutôt sur la liste de l’UNEF (texte en note[17]). J’ai su plus tard que le bruit avait couru rue Pailleron que je leur répondais que Paris IV voulait bien venir sur leur liste. J’ignore quelle est y était la part de la perversité, quelle celle de l’analphabétisme, et ne sais pas non plus si ce bruit a eu une influence sur la suite.

En fin de compte, la direction nationale a fait (sans que j’y fusse associé : j’étais naturellement redevenu infréquentable) à Philippe Lieutaud et Oliver Ruet (principalement) des propositions assez raisonnables, auxquelles nous ne pouvions qu’acquiescer, n’ayant aucune alternative : la tête de liste pour Cécile Piétu, la camarade lyonnaise qui avait été la plus virulente contre la réunification à l’automne précédent (Nous avons su ensuite par les autres Lyonnais, puis constaté, qu’elle avait été retournée depuis, et que donc nous nous faisions avoir sur ce point), la première suppléance à Olivier Ruet, de Caen, et un accord sur les réformes, en particulier la semestrialisation qui était alors (à juste titre) notre principale préoccupation. Il n’était pas question d’accord avec les syndicats cités plus haut, mais ça laissait l’espoir de les convaincre de voter.

Ce n’était certes pas de l’enthousiasme, mais il n’y avait absolument aucune autre possibilité. Le collectif national convoqué pour le samedi 3 à Nanterre n’avait plus, tout étant bouclé en amont, aucun enjeu, il n’y aurait presque personne vue cette absence d’enjeu, et la période, examens encore pour les uns, vacances pour les autres. Nous râlerions un peu par habitude, puis voterions pour, ou nous abstiendrions, voire peut-être voterions contre, mais donnerions à la fin nos actes de candidature, et voterions pour la liste, la seule chose qui comptât. Nous repartions pour deux ans dans l’UNEF, en espérant des événements qui lui permettraient ou nous permettraient de rebondir. L’événement qui nous est tombé dessus très vite a eu, après un temps d’illusions, un effet radicalement inverse. J’en arrive enfin, après tous ces détours, au début. Tempus est iam, Ti. Caesar Germanice, detegere te patribus conscriptis, quo tendat oratio tua : iam enim ad extremos fines…

I- Illusion lyrique

Le vendredi 2 juin 2000, vers vingt-deux heures, alors que j’étais dans ma chambre en train de me préparer à m’embêter le lendemain à un collectif national sans enjeu, et presque sans participants puisque c’était la période des examens, le téléphone a sonné. Il me semble que c’était Sancia. Je n’en suis pas tout à fait certain (les coups de fil ne laissent pas de traces, contrairement aux mails), puisque j’ai eu dans la soirée et elle, et Philippe, qui étaient tous les deux au BN précédant, comme habituellement le CN, mais je crois que c’est elle qui a appelé la première. En tout cas, il s’agissait de m’annoncer que le BN était en train de décider de proposer au CN la réunification, avec comme première étape une liste commune avec l’U-ID pour le CNESER, à trois jours de la date du dépôt, fixée le lundi 5 à dix-huit heures au plus tard.

J’envoie immédiatement, à 22h08, à la liste ecra, plus Cédric et Gaétan de l’UGEM qui n’y étaient pas, plus Manuel Blasco de Paris VIII avec qui nous causions gentiment depuis un moment (La suite a montré que c’était une erreur. Du moins n’a-t-il jamais apparemment révélé ce message très compromettant), un mail intitulé Alerte rouge,

(secret défense, merci) Je viens d'apprendre qu'il est question au BN de l'UNEF en ce moment de liste commune avec l'Ennemi pour le CNESER. Il est évident que ça change tout. Si une telle liste se fait, il y a un boulevard pour une liste alternative, qui pourrait rassembler des AGE de l'UNEF bien au-delà de celles d'ECRA.

Problème: la monter en 48 heures. Problème annexe: que faire de SUD ? Il me semble qu'ils y auraient toute leur place, mais pas en tête. D'autre part, pour la crédibilité même d'une telle démarche, il faut que nous défendions jusqu'au bout notre position à nous demain: que l'UNEF soit à l'initiative d'une liste véritablement alternative à l'U-ID et aux corpos, contre les réformes. Souci: si ça marche, aurons-nous plus de succès que pour le CNOUS auprès des syndicats sollicités ? En tout cas, il est clair pour moi:

‹ que si nous avions le choix entre une liste U-ID/Brejnev et l'abstention, ce serait une occasion manquée pour nous

‹ que si nous avions le choix entre cette liste et une liste SUD, ce serait bien pire.

J'attends de vos nouvelles Mon portable (06- [comme c’est toujours le même, je coupe]) restera branché durant le CN. Salut, EL

Un nouveau coup de fil (de Philippe donc, si mes souvenirs sont bons) m’ayant appris que le BN venait de se terminer sur l’adoption de cette monstruosité, j’envoie aux même (moins Manuel Blasco, quand même. Avais-je appris qu’il était pour ? Je ne sais plus. Il n’était pourtant pas censé être au BN) un nouveau mail, à 23h22, intitulé Confirmation du précédent.

Le BN s'achève sur l'idée d'une liste commune avec l'U-ID. Message a tous ceux de l'UNEF qui pensaient légitimement avoir autre chose à faire demain: Rappliquez !!!!!! AVEC PHOTOCOPIE DES CARTES D'ETUDIANT (recto-verso) d'au moins un élu par fac. La nuit sera noire et blanche.

À 0h19, j’envoie à toutes les adresses du forum unef.org (mais non sur le forum : il était trop tôt pour que ce fût public), peut-être à d’autres ramassées subrepticement (c’était en cci, et je n’ai pas conservé la version d’envoi), avec copie au mystérieux Redstar (qui essaiera de l’utiliser contre nous et recevra une réponse publique qui l’a apparemment définitivement dissuadé de se mêler de nos affaires), un texte plus élaboré, intitulé Le feu est aux poudres (URGENT).

Le Bureau national de l'UNEF, réuni ce soir, vient d'envisager la constitution d'une liste commune, chose horrible à écrire, avec l'UNEF-ID pour les élections du CNESER. La décision sera prise par le CN aujourd'hui, samedi de 9 heures à 18 heures, à l'Université de Paris X Nanterre. Nous appelons donc tous ceux qui sont disposés à refuser cette infamie

‹ à venir à Paris X, si possible avec un mandat de leur AGE, à défaut comme auditeurs.

‹ à défaut, à prendre contact avec nous (portable 06****, qui restera allumé pendant le CN de demain)

Il s'agit:

‹ de tout faire pour que cette proposition soit minoritaire.

‹ d'envisager, si elle est imposée, le dépôt d'une liste qui continue l'UNEF pour le CNESER. Dépôt des listes ce lundi avant 17 h [apparemment une erreur : partout ailleurs, je trouve 18h]. Besoin de 22 candidats, élus aux conseils centraux de 22 établissements différents, qui fournissent photocopie recto-verso de leur carte d'étudiant et acte de candidature signé (ceux qui viendraient au CN feraient bien de se munir des cartes ou des photocopies, pour parer à toute éventualité). Emmanuel Lyasse, représentant de l'UNEF Paris IV au CN.

Il faut souligner, pour comprendre la violence des échanges qui ont suivi, que c’était une abominable trahison. J’ai délibérément fait monter pendant tout ce mois de juin la tension (on m’a même accusé d’avoir parlé de pendaisons), parce que je pensais que c’était de notre intérêt (Ça l’aurait été, si nous avions été capables d’assumer notre position), mais aussi parce que ça correspondait également à mes sentiments d’alors, en toute sincérité. Il y avait trahison du vote miraculeux du congrès de Pantin, comme nous l’avons dit et répété sur tous les tons. Ce n’était pas la première. Il y avait surtout trahison de tous ceux qui avaient participé directement ou indirectement à l’élaboration de la liste UNEF, de toutes les AGE qui pensaient n’avoir qu’à voter pour elle ensuite, pour qui c’était une horrible déclaration de mépris.

C’était aussi, comme on nous le présentait, parfaitement absurde. Même si on croyait, à supposer qu’il fût possible d’y croire, à la « réunification », commencer par la liste pour le CNESER n’avait strictement aucun sens. On présente des listes communes quand on pense en retirer un bénéfice, soit, par la dynamique ainsi créée, en termes de voix, soit, par la bête arithmétique, en nombre d’élus. Sur le deuxième point, on savait que l’U-ID aurait cinq élus, l’UNEF un : la liste commune ne pouvait qu’en espérer six, qu’elle n’a d’ailleurs pas eus, en partie par nos bons soins. Le bénéfice était nul. Sur le premier, il ne pouvait pas être question de dynamique dans le cadre d’une élection indirecte par correspondance, où ne votaient en principe que des militants. Si le but avait été une fusion loyale, chacun aurait alors pris son bénéfice, avant de discuter gentiment de ses conditions ensuite. Là, il s’agissait clairement de supprimer la représentation de l’UNEF, donc son existence en tant qu’organisation nationale représentative, pour rendre la « réunification » inéluctable. Aucune garantie n’était donnée sur le partage de la subvention en cas d’échec du processus. Pour corser la plaisanterie, Lise Pastor, la seule de l’UNEF en position éligible sur la liste commune, avait déclaré en BN qu’elle quitterait l’UNEF s’il n’y avait pas de « réunification », sans que cela remît en cause son investiture. On remarque bien sûr que l’U-ID n’avait pas proposé de liste commune pour le CNOUS, où l’UNEF avait perdu d’avance son élu, mais le faisait pour le CNESER, où elle était sûre de le garder, sans rien lui offrir de plus.

La version officielle était que Carine Seiler, présidente de l’U-ID, avait appelé in extremis Karine Delpas pour lui proposer ça, laquelle, frappée d’une grâce réunifiante à la fois efficace et suffisante, avait décidé d’accepter. Il est évident que la décision a été prise au niveau politique. Le PCF était depuis l’année précédente décidé à se débarrasser de l’UNEF, qui lui coûtait un peu et ne lui rapportait plus rien, sinon quelques ennuis avec Jospin. J’ignore totalement pourquoi l’U-ID, c’est à dire son maître Julien Dray, a décidé de recevoir ce cadeau à ce moment-là.

Autant qu’il m’en souvienne, j’étais alors sans illusion sur la décision, vues ses circonstances, du CN du lendemain. Le lecteur aura noté la différence de ton entre les mails envoyés à ecra, et celui destiné à tous, mais la similitude de fond : faire, pour être crédible, tout pour empêcher la ratification par le CN, mais en sachant que ce serait inutile, et qu’il faudrait monter une liste contre celle de la trahison. Je suis incapable de dire aujourd’hui si je m’en réjouissais ou m’en navrais alors, tant j’ai souvent changé sur ce point en quelques jours : il y avait d’un côté la possibilité de faire ce dont nous rêvions depuis plus d’un an sans y croire vraiment, avec les meilleures chances de succès si la liste était déposée, de l’autre la difficulté de la monter en trois jours.

J’ai certainement aussi donné des coups de téléphone cette nuit là qui, contrairement aux mails (bis) n’ont pas laissé de traces. Un en tout cas, à William Roger, qui, alors que Lille n’avait pas prévu d’être au CN, a pu nous envoyer Fabienne Yung, qui est arrivée juste à temps pour voter (Il s’est trouvé ensuite des salauds pour lui reprocher d’avoir voté sans avoir assisté au « débat ») et nous donner ensuite le soutien de l’AGEL à notre projet de liste.

1- Le collectif national du 3 juin

Je n’ai que peu de souvenirs du CN de ce samedi, tant tout cela était vain, tant je pensais déjà à autre chose. J’ai trois sources écrites, qui sont toutes sur le site unef.org : le texte du rapport, qui nous a été envoyé ensuite par mail, un « compte-rendu » qui l’accompagnait, qui ne rend absolument pas compte des débats, et le communiqué que j’ai envoyé de chez moi à 21h32. C’est le seul qui donne le résultat du vote, 19 pour, 14 contre, une abstention, qui doit être exact, peut-être à un ou deux près, puisque écrit à chaud. Nous étions donc 34, un effectif ridicule (On rappelle ici que le CN comprenait les 31 membres du BN, plus deux représentants par AGE). Mon communiqué donne un détail des votes approximatif, qui ne me permet pas de retrouver exactement qui était là. Sancia De Cooman et moi-même représentions Paris IV. Guirec Manceau est arrivé au dernier moment pour Evry, après avoir été abondamment réclamé par télephone, qui avait déjà quelqu’un pour l’AGE, et sans doute Hugues Lévécot qui était du BN[18]. Jihad Wachill était là en tant que membre du BN, je ne me rappelle plus s’il y en avait d’autres de Paris I. Même chose pour Olivier Ruet et pour Caen. Fabienne Yung est donc arrivée in extremis pour Lille. Il y avait une camarade de Montpellier (Naouel Nefissi me dit que ce n’était pas elle). Il y avait aussi une camarade de Bordeaux, Cécile Delhoume, et une Aurelia dont j’ignore le nom pour Orléans (nous n’avons jamais revu ni l’une ni l’autre), qui ont dit très fort leur indignation, et voté contre. Il y en a là onze sûrs, qui font quatorze s’il y en avait plus de Paris I et de Caen, ou d’autres dont j’ai tout oublié. L’abstentionniste était Sébastien Lantenois, d’Orléans, membre du BN. Sur les dix-neuf pour, j’écrivais « 13 étaient membres du bureau national, les autres étant les deux représentants de Paris VIII, celui de Cergy, ceux des AGE fantômes de Paris X et Jussieu, et un de ceux de Montpellier, qui semble ne pas s'être conformé à la ligne de son AGE ». Le vote de Paris VIII était logique, et prouvait que les espoirs que nous avions placés en Manuel Blasco étaient vains. Je ne me rappelle plus qui était le Montpeliérain. Le gars de Cergy avait été trouvé récemment par la direction nationale (peut-être parce qu’il était au PCF, peut-être même pas) et proclamé à lui tout seul AGE d’une université où l’UNEF n’apparaissait pas[19]. Jussieu et Nanterre, c’était le grand retour, comme au congrès de Pantin, de la LCR, totalement absente, et avec qui nous-mêmes pour l’une, les camarades d’Évry pour l’autre, avions vainement cherché le contact pour les élections du CROUS, leur inaction expliquant au moins en partie les échecs de Paris et Versailles. Ils revenaient pour nous donner de nouvelles leçons de « radicalité »… et apporter leur renfort à la direction nationale dont ils prétendaient être l’opposition pour liquider une organisation qu’ils avaient abandonnée depuis au moins un an, peut-être deux (d’où mon expression « AGE fantômes », qui n’a pas plus à tout le monde). J’avais délibérément cité les membres du BN en bloc, pour montrer ce qui était vrai, que c’étaient eux qui faisaient la majorité contre presque toutes les AGE réellement existantes (en comptant bien sûr ceux du BN qui étaient à nous parmi les AGE). Je ne peux plus dire aujourd’hui qui étaient les treize : tout le secrétariat national, bien sûr, et quelques supplétifs à lui assimilables. Je crois me rappeler qu’il y avait aussi Joël Pascal, d’Orsay.

Le rapport (dont le texte est donc sur unef.org) avait été lu par Cécile Cukierman, dont j’ai déjà dit le dévouement sans faille à la direction. Une camarade, Sancia je crois, m’a dit qu’elle lui avait confié immédiatement après qu’elle n’avait pas du tout aimé lire ça. Vues son orthographe et sa syntaxe, je préfère penser qu’il avait été écrit par d’autres, et que Cécile ne faisait que porter le chapeau. Après le baratin habituel sur les luttes qui montent partout dans le monde, il abordait le CNESER en présentant trois possibilités, une liste de l’UNEF seule, une liste (hypothèse aberrante et gratuite) avec SUD, une liste avec l’U-ID, signalait la proposition faite en BN par Olivier Ruet d’une liste avec le SEUL. Il discutait assez longuement l’hypothèse aberrante, pas du tout celle d’une liste UNEF (la seule envisagée encore 24 heures avant), et concluait fermement pour l’UNEF-ID. L’argument était que le congrès de Pantin avait dit que nous étions pour l’unité, que l’UNEF-ID avait bien changé et était venue sur nos positions puisqu’elle était maintenant pour l’unité aussi[20], que d’ailleurs nos positions triomphaient parmi les étudiants. Comme preuve que l’UNEF-ID ne voulait pas désormais d’une simple « addition d’appareil », mais bien l’unité du mouvement étudiant, on nous disait qu’elle avait, miracle, accepté que la liste fût composée à parité de militants syndicaux et d’ « élus associatifs ». C’était risible : l’U-ID n’avait pas attendu d’être convertie par la direction de l’UNEF pour créer toutes sorts d’associations totalement bidon (Association des étudiants chercheurs pour ses élus de troisième cycle, Association nationale des étudiants en médecine, pour ses quelques médecins, par exemple) qu’elle affichait comme soutien de ses listes « UNEF-ID et associations étudiantes ». Les onze « associatifs » étaient onze élus UNEF-ID, s’ajoutant à ses « syndicaux ».

Dans la version écrite du rapport, il n’est pas question de places, ni de noms. Je crois me rappeler que nous savions qu’il y avait trois places sur vingt-deux pour l’UNEF (le coup des associations servant à cacher le rapport de dix-neuf à trois), la première suppléance pour Marion Brun, la troisième de titulaire (éligible à coup sûr) pour Lise Pastor, la huitième pour Boris Bouchet (garantie inéligible), de Clermont-Ferrand, récemment élu au BN (absent ce jour là).

La suite envisagée était claire (sauf quant à la syntaxe)[21] : congrès de fondation de la nouvelle organisation à l’automne, vente sur les chaines d’inscription de juillet d’un coupon de participation à ce congrès « indépendamment des cartes UNEF », ce qui ne pouvait signifier bien sûr qu’à la place de celles-ci, puisqu’on ne pouvait envisager de placer deux cartes différentes. Le congrès de l’UNEF annoncé pour octobre tombait là au milieu, sans qu’on envisageât qu’il put revenir sur la chose.

Dans les collectifs nationaux de l’UNEF, on votait à la fin sur le rapport, sans possibilité d’amendement. Curieusement, rien n’était prévu sur ce qui serait fait en cas de rejet, ce qui n’était jamais arrivé, pour des raisons dites plus haut, et n’arriverait pas non plus ce jour là.

Je n’ai plus le moindre souvenir de ce que j’ai dit en séance ce jour là. Ce fut certainement violent : j’ai dit plus haut que les bureaucrates habitués du CN ne se fâchaient que quand ils estimaient y avoir intérêt. C’était évidemment le cas. Je me suis surtout agité dans les coulisses, dans la perspective d’une liste refusant cette trahison, et n’ai laissé ignorer à personne qu’une telle liste serait montée.

J’ai eu en fin de matinée un appel sur mon téléphone portable (allumé en séance, comme annoncé), de Christelle Munch, que je connaissais comme le bras droit de Nathan au SEUL, qui voulait savoir ce qui se passait, suite à mes mails de la nuit. Je le lui dis, que la direction de l’UNEF va avec l’UNEF-ID (le vote final ne faisait déjà aucun doute), que nous ferions tout ce que nous pourrions pour déposer une autre liste, en espérant leur soutien.

Il faut ici un retour en arrière. Dans le cadre de mes manœuvres pour que la liste UNEF fût ouverte, j’avais demandé publiquement, sur le forum unef.org, quelles seraient les conditions du SEUL pour y participer, et obtenu (au bout de quelques sommations) une réponse de Nathan le 1^er juin au même endroit

Deux conditions minimales (le reste peut être discuté: Qu'il soit EXPLICITEMENT indiqué dans le texte que la liste

1/ "combat pour la constitution d'une structure syndicale d'ampleur nationale pour la défense réelle des intérêts des étudiants et contre la privatisation de l'université entreprise par les gouvernements qui se succèdent depuis 30 ans".

2/"exige l'abrogation pure et simple des réformes Bayrou et Allègre de l'Université (Arrêté Bayrou, U3M, loi sur l'innovation, Edufrance)".

Je lui avais répondu (en privé, sur la liste ecra), que le deux me semblait possible et souhaitable, que le un posait problème puisqu’on ne pouvait pas demander à l’UNEF de combattre pour une nouvelle structure, donc sa disparition, que d’autre part, si j’approuvais la mention « depuis trente ans », je ne pensais pas qu’il fût possible d’y amener l’UNEF en une semaine[22]. Il avait précisé (sur le forum) « As-tu lu quelque part dans la phrase "et que cette structure ne soit surtout pas l'UNEF" ? », ce qui, de sa part, était un pas énorme, en ajoutant qu’il ne serait pas question pour eux de voter SUD, que ce serait UNEF ou abstention[23].

J’ai alors dit à Christelle qu’évidemment, dans la situation nouvelle, notre liste reprendrait leurs deux exigences. Je ne me rappelle plus si elle s’est engagée immédiatement. J’ai un mail lapidaire de Nathan, indiqué comme envoyé à 15h23, que j’ai donc dû avoir en revenant du CN (s’il n’y a pas d’erreur sur l’heure[24]), « D'accord pour une liste alternative incluant tous les syndicats de luttes (y compris SUD) »

Après le vote et la dispersion du CN, nous nous sommes retrouvés, Olivier Ruet et moi, sur le quai de la gare de Nanterre (Je ne sais plus s’il y en avait d’autres, et lesquels. Pas Guirec, puisqu’il était venu en voiture. En tout cas, la chose s’est faite entre lui et moi). Je me rappelle fort bien les premiers mots. Je dis « Donc, nous faisons une liste », il répond « Oui », j’enchaine « Le premier point est de trouver la tête de liste ». Il répond « Moi ». C’était la réponse que j’attendais, parce que j’étais convaincu qu’il était l’homme de la situation[25]. La suite a prouvé que cette opinion était partagée puisque personne de ceux que nous avons contactés pour en être, qu’ils acceptent ou refusent, n’a émis d’objection sur son nom. Nous verrons que la fin ne nous a pas donné raison.

Nous avons certainement ensuite causé des choses à faire, rapidement puisqu’Olivier descendait à Saint-Lazare pour revoir sa Normandie, et que je rentrais dans ma chambre du Quartier latin.

Ce que nous entreprenions était quasiment impossible. Nous étions certains que si nous déposions une liste, Olivier serait élu, parce que tous les élus de nos AGE, et une bonne partie des autres élus UNEF, voteraient pour elle, et aussi des élus hors UNEF, du SEUL, des scissionnistes, d’autres éventuellement. Mais pour la déposer, il nous fallait trouver en quarante-huit heures, sans aucune préparation puisque nous étions pris totalement par surprise, vingt-deux candidats élus dans vingt-deux universités (ou écoles éventuellement, mais c’était très éventuel pour nous) différentes. Nous avions alors des candidatures assurées de Caen, Paris IV, Paris I, Evry, et, par Fabienne Yung, de Lille I (Sciences) et Lille III (Lettres) (L’AGEL n’avait personne en droit à Lille II). Le soutien du SEUL nous en donnait une de Montpellier III (Lettres), son nid, et une autre de Montpellier II (Sciences) où une opération parachutiste lui avait permis de ramasser au moins un élu. Il en manquait quatorze. Nous comptions sur Nantes, et Manuel Canevet, avec qui j’étais alors en contact quotidien par mail. Treize. L’UGEM de Montpellier devait logiquement nous soutenir, mais ne nous apportait rien en termes de candidatures puisqu’elle faisait double emploi avec le SEUL. Treize toujours.

Côté UNEF, le premier souci était de retrouver le contact avec l’AGER de Rouen, silencieuse depuis le dernier CN. Il y avait aussi l’UGED de Dijon, que nous n’avions plus revue depuis le congrès, mais avec qui j’avais un contact par mail depuis l’affaire du CNOUS[26], et Paris XII, dont nous n’avions aucune nouvelle. Il y avait ensuite Lyon, dont nous ne savions rien depuis la bonne surprise qu’ils nous avait faite à l’automne, et Bordeaux et Orléans, qui soutenaient jusque là la direction nationale, dont le CN venait de montrer qu’elles pouvaient se joindre à nous, Rennes, absente, qui devait logiquement réagir de la même façon. Mais avec celles-là nous n’avions aucun contact sûr : pas de téléphone personnel, parfois des mails qui traînaient, toujours douteux, les numéros de leurs locaux syndicaux, non utilisables le week-end, pas forcément un lundi de juin.

Hors UNEF, le SEUL était acquis. Pour l’AGET-ASL, j’avais le fil utilisé pour le CNOUS. Le contact avec Solidarité étudiante était plus compliqué, mais leur soutien nous semblait alors aller de soi. Quant à SUD… leur appel donnait des numéros où les appeler. Il fallait essayer. J’y reviendrai longuement.

Je crois pouvoir dire, même si bien sûr il est toujours compliqué d’avoir un regard rétrospectif sur ce qu’on pensait à un moment précis, que je savais alors exactement où je voulais en venir. Il était évident que deux options allaient s’affronter, ceux qui voudraient continuer l’UNEF comme avant, en changeant une direction manifestement scélérate, ceux qui voudraient constater sa mort pour créer la nouvelle organisation de leur rêves, dont il était question depuis le rapport Attali, que préconisaient le SEUL et, moins vigoureusement, Solidarité étudiante.

Ces deux options me paraissaient également des impasses. J’étais bien convaincu que l’UNEF telle qu’elle avait existé depuis 1971 était morte ce samedi, après une longue et pitoyable agonie, et que nous ne pourrions la faire revivre en en changeant la direction, pour une raison simple : la direction nationale de l’UNEF n’existait que par le PCF, qui venait de décider de se retirer, et ne soutiendrait évidemment pas une direction alternative à notre goût. Nous n’aurions pas les moyens de le faire par nous-mêmes : les millions du CNESER, sur lesquels nous commencions à fantasmer, étaient beaucoup plus d’argent que nous n’en avions jamais eu, mais ne pourraient suffire.

Il me semblait d’autre part que ce serait folie de renoncer à l’héritage de l’UNEF, au moment où nous en étions clairement la majorité réelle, pour créer un machin dont la nouveauté serait le seul argument, que nous y perdrions des camarades, et beaucoup plus en termes de cohérence. D’ailleurs, bien des fantasmes sur la nouvelle organisation miraculeusement surgie rejoignaient l’erreur précédente, en ce qu’ils semblaient fondés sur la croyance qu’il suffirait d’annoncer la rupture avec l’UNEF pour avoir une direction nationale comparable (mais pure, évidemment).

Mon idée, que je gardais largement pour moi car le premier souci était de regrouper sur la liste du CNESER les deux options contradictoires, était que nous ne pouvions avoir une direction nationale comme avant, bureaucratique, pour employer le mot juste, ce que je regrettais bien sûr (J’étais, vous l’avez compris, un bureaucrate, et le reste en esprit, en esprit seulement faute de bureaucratie à laquelle m’affilier), qu’il fallait partir de ce qui existait, les AGE de l’UNEF encore solides qui refusaient la liquidation, et celles qui l’avait quittée pour de bonnes raisons, plus éventuellement des syndicats extérieurs comme le SEUL, pour reconstituer une Union nationale dont la direction serait nécessairement faible, assurant seulement dans la mesure du possible leur coordination et leur représentation au niveau national. La formule que j’adoptais (je ne saurais dire si c’était déjà, ou seulement ensuite), mais en la disant rarement et l’écrivant encore moins, pour éviter des ennuis, était la troisième UNEF (oui, il y avait aussi une allusion à tout à fait autre chose) : de même que notre UNEF s’était bâtie sur les ruines de l’ancienne, celle de 1907 modifiée 1946, à partir de ses AGE saines, pour faire tout à fait autre chose, mais qui avait été incontestablement utile aux étudiants, en faire sur son cadavre une troisième. Il fallait pour cela garder précieusement le nom UNEF (en lui ajoutant éventuellement un suffixe quelconque), que personne ne pouvait nous refuser sérieusement, puisque nos AGE l’avaient dans leurs statuts, puisque surtout la justice bourgeoise avait constaté vingt ans plus tôt qu’il n’appartenait à personne, en conclusion du conflit sur le terrain judiciaire des deux UNEF d’alors[27]. Je reste convaincu aujourd’hui que c’était la moins idiote des options possibles. Je ne suis plus sûr du tout qu’elle n’ait pas été, quoique moins, idiote.

L’obstacle majeur était l’absence de soutien politique conséquent. J’ai retrouvé dans mes archives en 2007, et publié sur unef.org parmi les textes internes de Paris IV[28], une note très confidentielle que j’avais écrite avant le congrès de l’année précédente. J’y disais, entre autres choses « nous avons pu construire des syndicats forts localement, nous n'avons pas les moyens d'assumer la direction d'une fédération nationale de ces syndicats, qu'elle soit l'UNEF reconquise ou une troisième UNEF[29]. La raison en est simple, et il est inutile de tourner autour: on n'a jamais vu, en trente ans, et on ne verra pas de sitôt, une organisation étudiante qui ne s'appuie pas sur un soutien politique de poids (en gros, un parti ou une tendance représentés à l'Assemblée nationale) ». C’était pourtant ce que j’entreprenais quinze mois plus tard. Ma position constante avait été, même si j’aimais agiter, toujours très dialectiquement, l’idée d’une scission possible, la politique du coucou dans l’UNEF du PCF. Le PCF venait de détruire le nid. Quand il n’y a plus qu’une option envisageable, on considère, si on ne veut pas tout arrêter, que c’est forcément la bonne. Ensuite, c’est toujours la même histoire : mettez vous à genoux, priez et implorez…

2- Chasse aux candidats, en chambre

Pour le moment, la priorité était de faire la liste, et il était évident que la seule ligne pour réussir était « L’UNEF, trahie par sa direction scélérate, continue, pour défendre les étudiants contre le méchant ministre et la très méchante UNEF-ID ». Tous ses initiateurs semblaient alors d’accord sur ce point, quelles que fussent leurs idées sur la suite des évènements.

C’est à ça que j’allais m’atteler en rentrant chez moi, comme les autres déjà impliqués de chez eux, avec comme seules armes, le week-end, mon ordinateur et mon téléphone. Il est sans doute utile de rappeler qu’en ce temps là, Internet était encore peu répandu, surtout à domicile (et sans haut débit, avec des modems qui faisaient longtemps tut tut avant de donner une connexion très lente). J’étais alors le seul des dirigeants de Paris IV et Paris I à avoir une adresse électronique (ça a changé à la rentrée, parce que c’était le mouvement général, parce que notre situation particulière incitait les camarades à s’équiper). Guirec était notre champion informatique. Nathan venait de s’y mettre spectaculairement, comme on l’a dit. Manuel Canévet, de Nantes, utilisait le compte de ses parents, abondamment. Olivier Ruet avait un mail, mais je n’ai jamais su s’il pouvait le consulter de chez lui (en tout cas, il l’utilisait peu, et pas du tout ce week-end). Les téléphones portables commençaient seulement à proliférer (avec des forfaits assez chers, et très limités), le téléphone fixe coûtait très cher dès qu’on appelait en interurbain, ou un portable. Beaucoup de camarades habitaient chez leurs parents et n’avaient même pas de téléphone personnel. J’ajoute pour être complet que dans ma chambre sous les combles rue Pierre Nicole, je n’avais ni pigeonnier, ni moyen de faire des signaux de fumée. Beaucoup de choses étaient donc remises au lundi, dernier jour, où nous pourrions rentrer dans les Universités et utiliser nos locaux syndicaux.

Mon premier coup de téléphone en rentrant fut pour Philippe Lieutaud, qui n’était pas au CN, ce qui m’avait surpris puisqu’il était au BN la veille, et m’avait appelé ensuite. Je n’en ai su la raison que beaucoup plus tard. J’avais alors pensé qu’il ne voulait pas s’impliquer, puisque son courant politique, poperéniste rappelons le, était en principe pour la « réunification », ce que la suite a immédiatement démenti. Bien sûr, je ne lui ai pas posé de questions. Il m’a avoué bien des années après qu’il avait une partie d’un jeu qui le passionnait alors, auquel je n’ai jamais rien compris (Évidemment, sa présence à Nanterre n’aurait rien changé). Je l’ai mis au courant du déroulement du CN, et de notre décision de monter une liste. Je lui ai dit que j’étais prêt à donner ma candidature s’il le fallait, mais que pour des raisons évidentes, je préférais que ce fût lui pour Paris IV. Les raisons évidentes, inutiles à préciser alors avec lui, étaient d’affichage universitaire, puisqu’il était vice-président étudiant et moi seulement membre du CS, et surtout politique, parce qu’un socialiste connu comme tel ferait très bien dans le décor. Philippe m’a répondu qu’il était d’accord, mais pensait devoir demander son autorisation à Emmanuel Maurel, et m’a rappelé quelques minutes après pour me dire qu’il n’avait pas rencontré d’objection, mais reçu le conseil de demander une des premières places non éligibles de la liste (ce qui ne posait pas de problème, bien au contraire).

J’ai envoyé le communiqué sur le forum à 21h30 (son texte est sur unef.org[30]). J’ai certainement donné plusieurs coups de téléphone avant, mais ne me rappelle plus lesquels (probablement à Nathan, pour confirmer notre accord), sinon un, que mon texte évoque, à Yves Croguennec, de l’AGET-ASL. Yves était assez embêté, parce qu’ils s’étaient engagés auprès de SUD, après la plaisanterie du CNOUS où ils avaient eu l’impression de se faire avoir par l’UNEF (J’ai commenté « Et donc, vous avez décidé de vous faire avoir par SUD, pour changer »). Evidemment, il nous préférait, mais hésitait à trahir l’engagement pris. J’ai tenté de le convaincre que la situation nouvelle le rendait caduc. Il a fini par me dire que Wilfried Pennetier était à Paris, et ne nous refuserait certainement pas sa candidature. Je n’en demandais pas plus, puisque l’urgence était d’avoir un candidat par université. Dans le communiqué, ça devient « Des contacts, assez positifs, ont déjà été pris avec le SEUL et l'AGET-ASL » (Avec le SEUL, je suis à peu près certain que l’accord était déjà fermement conclu. J’ai dû ne pas vouloir distinguer entre les deux).

Le communiqué s’appelle Résistons à la liquidation de l'UNEF. Il commence par le fait, hallucinant pour tous ceux qui n’étaient pas encore au courant : le vote par le CN de l’UNEF de « la participation à une liste pour le CNESER avec l'UNEF-ID, aux conditions de l'UNEF-ID dans la perspective d'une réunification à l'automne ». Il enchaîne sur l’absence de plate-forme connue (ce sera finalement mot pour mot celle de l’UNEF-ID), « Sur la plate-forme, rien ne nous a été dit, sinon que la "révolution pédagogique" prônée par l'U-ID correspondait exactement à la ligne de l'UNEF », avec un grand coup sur les réformes. Je rappelle l’opposition de l’avant-dernier congrès à la réforme Bayrou, du dernier au 3/5,8[31], en omettant soigneusement de dire que la direction n’a rien fait, avec l’approbation de toutes les AGE autres que les nôtres, pour appliquer ces décisions, et a même obtenu du congrès de Pantin un vote refusant de renouveler la condamnation de Bayrou. Je ne dis rien du plan U3M, que la direction et sa majorité ont toujours refusé de condamner malgré nos efforts.

Suit le détail du vote, déjà cité, la mention de l’absence de quatre des principales AGE, Nantes, Rouen, Lyon et Clermont, et du fait qu’aucune n’a pu débattre de cette décision surprise, puis vient la première conclusion « Il s'agit d'une liquidation de l'UNEF par la direction issue du congrès de Pantin, par surprise, sans les AGE ayant des élus en nombre important ou malgré elles. Une certaine UNEF vient de mourir à Nanterre. L'UNEF doit vivre ! Elle doit vivre pour défendre et représenter les intérêts des étudiants de France (ce que l'UID ne fait certes pas), dans la fidélité à ce qu'il y a eu de meilleur en elle depuis le renouveau de 1971. Ceux qui se sont opposés à la trahison d'aujourd'hui, ceux qui n'ont pu venir à Nanterre faute d'avoir été prévenus à temps de l'enjeu, sont l'UNEF, la vraie, celle qui est présente sur les facs. » Je m’avance beaucoup dans le sens de ma position personnelle sur l’avenir, longuement expliquée ci-dessus, mais de façon suffisamment obscure pour que seuls les initiés s’en aperçoivent, et que le sens principal soit que nous voulons maintenir l’UNEF.

J’en viens à l’annonce que nous faisons une liste dans ce but,

Ils doivent manifester leur volonté de continuer l'UNEF, et d'abord en faisant tout, malgré la brièveté des délais, pour que soit déposée, contre ceux qui prétendent nous avoir bradé à l'U-ID, une liste qui soit celle de la fidélité à l'UNEF et au syndicalisme étudiant.

De cette liste, Olivier Ruet (Caen, BN), Jihad Wachill (Paris I, BN), Sancia De Cooman, Philippe Lieutaud (BN), et moi-même pour Paris IV [J’avais oublié Guirec, erreur rectifiée à minuit. Je ne me rappelle pas pourquoi je ne citais pas de Lillois alors que Fabienne nous avait donné leur accord de principe, probablement confirmé par William au téléphone (parce que c’était soumis à une ratification formelle ? parce que le président d’AGE était Gilles Andries et que je n’avais pas encore eu de contact avec lui ?).] venons de décider d'en prendre l'initiative. [une vilaine rupture de construction : j’avais manifestement oublié le début de la phrase quand j’en ai écrit la fin, et n’ai apparemment pas relu avant d’envoyer] Olivier Ruet s'est déclaré prêt à prendre la tête. Cette liste doit être celle de tous ceux qui, dans l'UNEF, refusent la dissolution de l'UNEF dans l'U-ID.

Elle doit, comme nous le prévoyions pour la liste UNEF avant la trahison, être ouverte, mais ouverte à tous ceux qui veulent un vrai syndicalisme vraiment étudiant et refusent donc le monopole de l'U-ID. Des contacts, assez positifs, ont déjà été pris avec le SEUL et l'AGET-ASL. Nous souhaitons bien sûr que les camarades de SUD et des syndicats Solidarité étudiante s'associent à notre démarche.

Je termine en appelant à me contacter d’urgence, en précisant qu’il nous faut 22 élus aux centraux de 22 établissements différents.

J’envoie vers minuit et demi un message complémentaire, L’UNEF continue, pour rectifier l’oubli de Guirec, et donner deux nouvelles. La première est que Manuel Canévet, de Nantes, m’a téléphoné pour me promettre sa candidature (confirmée par mail personnel dimanche au réveil, qu’il a transmis sur le forum douze heures plus tard). La deuxième est que nous avons le soutien de l’Union nationale des étudiants du Maroc, partenaire historique de l’UNEF. J’avais appelé Khalid Pijous, son responsable parisien, et notre allié constant à Paris IV où il partageait notre local, qui me l’avait donné (J’avais depuis longtemps renoncé à comprendre quelle était la structure de l’UNEM, et si même il y en avait une. Je savais que Khalid pouvait parler en son nom à Paris et éventuellement en France, et ça me suffisait). Ça ne nous rapportait rien en termes d’élus, puisqu’ils n’en avaient que sur nos listes, mais c’était un beau symbole, propre à embêter l’UNEF-ID et la direction nationale de l’UNEF.

Je suis incapable de me rappeler dans l’ordre ce que j’ai fait la journée du dimanche. Je n’ai certainement fait que ça, sinon que j’ai dû aller à la messe (Les fois où j’ai raté la messe pour raisons bureaucratiques, je m’en souviens), sans doute à Saint Jacques du Haut Pas à 18h15, où j’ai probablement continué (à ma grande honte) à penser à ça. Je sépare donc le recueil des candidatures et les discussions avec des partenaires potentiels, étant incapable de reconstituer comment cela s’est chevauché.

Outre le SEUL et l’AGET-ASL, nous avions deux partenaires possible, SUD Étudiants, et Solidarité étudiante.

Le SUD, donc. Il était clair que nous ne les aimions pas (c’était un point d’accord avec le SEUL, même si les raisons n’étaient pas tout à fait les mêmes). SUD avait été crée dans le dos de l’UNEF, largement contre elle, et pratiquait ce qui nous semblait (je n’ai pas changé d’avis à ce jour) une activité délibérément groupusculaire, fière de l’être car elle y voyait la preuve de sa vertu, fort éloignée de ce que nous pensions être (je n’ai pas changé non plus sur ce point), le syndicalisme étudiant (Nous, nous n’étions pas très gros, plus cependant, mais prétendions néanmoins représenter les intérêts de tous les étudiants de nos universités). Les tentatives de contact lors du mouvement contre le rapport Attali, et de ses suites contre Allègre en général, n’avaient rien donné. Il paraissait évident qu’il y avait une alliance objective contre nous entre l’UNEF-ID et SUD qui, par l’étalage de ses vertus gauchistes, retenait un certain nombre de militants et d’électeurs, sans jamais parvenir à rien. Quelques incidents, que je vous épargne, nous avaient conduits à penser que l’alliance n’était pas seulement objective. Quand SUD avait à choisir ente l’U-ID et nous (nous l’UNEF, mais nous aussi les AGE contestataires de l’UNEF) il choisissait systématiquement l’U-ID. La présence de la LCR dans ces deux organisations (nous avons vu ce qu’il en était alors dans l’UNEF) donnait l’idée d’un canal possible.

Nous ne les aimions pas parce qu’ils ne nous aimaient pas, et c’était notre seul point d’accord. Il n’en était pas moins clair que nous avions intérêt à essayer de nous entendre avec eux, d’abord parce que nous prônions le rassemblement syndical, ensuite pour de bêtes raisons arithmétiques. SUD était présent dans des universités où nous n’étions pas, et y avait ramassé quelques élus. Pour l’élection elle-même, ça ne pesait pas grand-chose : ils étaient très peu nombreux. Mais pour pouvoir présenter la liste, avec le système des vingt-deux élus de vingt-deux établissements différents, ça valait de l’or. Si nous avions la liste, nous étions à peu près sûrs d’un siège, puisque derrière chaque élu UNEF d’une vraie AGE, il y en avait plusieurs autres. Eux n’avaient aucune chance d’obtenir un siège, mais leurs élus dispersés pouvaient nous donner l’appoint indispensable pour atteindre les vingt-deux candidats.

L’ennuyeux était que nous n’avions à peu près rien à leur offrir, puisque si le siège était presque certain, un deuxième était impossible. En cas d’accord, la suppléance leur revenait naturellement, mais la suppléance n’a d’intérêt que si le titulaire et le suppléant font un travail commun, ce à quoi le titulaire n’est nullement obligé. Nous étions bien sûr prêts à leur promettre ce travail commun, et même peut-être à essayer de tenir cette promesse ensuite, mais il était douteux que cela les intéressât. Nous pouvions aussi leur promettre une part généreuse de la subvention, bien supérieure à leur apport réel à la liste. Ils étaient malheureusement sur cette question d’un désintéressement total : SUD PTT les arrosait si somptueusement que cette somme, qui était indispensable à l’UNEF du PCF tant qu’elle avait voulu vivre, était pour eux une broutille. Il est donc inutile de vous dire que mon optimisme à leur sujet était très modéré (Ma conversation avec Yves Croguennec vous l’aura déjà indiqué).

Le seul espoir, très faible, était que nous parvinssions à les contraindre à prendre, ou du moins faire semblant de prendre, leur appel à l’unité syndicale contre les réformes au sérieux, et donc à contribuer à l’élection au CNESER d’un élu, le seul possible, clairement contre ces réformes. Il était manifestement vain. J’ai eu au téléphone ce dimanche matin Élise Allard, une des trois signataires de l’appel qui nous avait été adressé[32]. Là, j’ai un trou de mémoire. Je ne sais plus lequel de nous deux a appelé l’autre. Logiquement, c’était à moi de prendre l’initiative. Mais je ne vois pas pourquoi je l’aurais appelé elle, que je ne connaissais pas, et non Jean-Luc Delauney, d’Orléans, un autre des trois, qui était venu en touriste à notre réunion de Limoges de mai 1999 et avec qui j’avais causé gentiment dans le train du retour. Avais-je laissé un message à Jean-Luc, qui m’a fait rappeler par Elise ? C’est possible. Je vois que j’avais envoyé à Elise (certainement parce qu’elle était la seule à avoir donné une adresse électronique) copie de mon communiqué Résistons de la veille. M’a-t-elle appelé à sa suite ? C’est également possible. Le fait est que nous nous parlâmes au téléphone, et que ce fut violent (Je retrouve dans un communiqué ultérieur qu’il y a eu deux conversation, une le matin, une en début de soirée. Je ne peux aujourd’hui distinguer l’une et l’autre). Élise considérait faire une grande faveur à ce qu’elle appelait « l’oppo UNEF » (ce qui sentait très fort la LCR) en « rouvrant » la liste SUD pour lui faire une petite place. Elle a hurlé plusieurs fois dans mon téléphone « Ma liste est complète » (la suite des événements montrera pourquoi j’insiste sur ce point). La tête de la liste n’était pas négociable, ni le nom (Je ne me rappelle plus ce que c’était, et ça n’a jamais été publié. C’était forcément grotesque), ni la plate-forme (aussi mystérieuse que celle de la liste U-ID/Direction de l’UNEF).

La question de la tête de liste était un point d’achoppement suffisant. Nous étions alors la moitié de l’UNEF, la plus grosse vraisemblablement, et savions pouvoir compter, si la liste était déposée, sur la majorité des voix de l’autre moitié. Eux n’étaient rien à côté, et nous avaient abondamment prouvé qu’il était impossible de leur faire confiance pour porter une ligne syndicale. Il aurait donc fallu être parfaitement idiot pour accepter de leur servir de supplétif. Ce jour là, j’étais convaincu qu’il était impossible d’être idiot à ce point. La suite m’a prouvé que je me trompais. Je suis allé jusqu’à proposer, en plus de la première suppléance qui allait de soi, la deuxième place de titulaire, certes symbolique, mais qui donnait à SUD une position sur la liste sans rapport avec son importance réelle. Comme la fillette hurlait de plus en plus fort, et que je tenais à lui montrer ce que je savais faire à ce jeu là, la conversation s’est terminée dans une extrême violence.

J’ai été rappelé tard dans la soirée, voire au milieu de la nuit (après mon communiqué de minuit. J’ignore bien sûr s’il y avait un rapport), par Nadia Benhelal, la troisième des trois signataires de l’appel initial. Très bien élevée, beaucoup plus aimable. Elle m’a répété « La camarade n’a pas été raisonnable », à chaque fois que j’évoquais mes justes griefs contre l’affreuse Allard. Malheureusement, si elle était d’humeur à causer gentiment, elle ne voulait pas non plus céder sur la tête de liste. Je ne sais toujours pas, et ne saurais vraisemblablement jamais, si elle voulait sincèrement un accord, mais était bloquée par l’intransigeance de ses camarades, ou si elle était aussi hypocrite que moi. Nous nous sommes quittés, très tard, aimablement, sur un constat d’échec.

Autant je n’avais pris contact avec SUD que pour qu’on ne pût pas me reprocher de ne point l’avoir fait, autant le soutien de Solidarité étudiante (Limoges, Toulouse Le Mirail, Pau, peut-être encore un ou deux élus restant à Grenoble) me semblait aller de soi. C’étaient nos amis, ils avaient quitté l’UNEF à notre grand regret, mais sans désaccord essentiel avec nous, sinon sur l’opportunité d’une scission, nous nous étions alors juré de maintenir le contact même si nous ne l’avions pas fait autant que nous l’aurions voulu (ils étaient particulièrement peu portés sur Internet). Leur refus de notre proposition pour le CNOUS était parfaitement compréhensible, puisqu’ils l’avaient interprétée, pas forcément à tort, comme celle d’un retour au bercail qu’ils avaient quitté. Là, la scission était faite, par la direction de l’UNEF, et nous devions logiquement nous retrouver.

J’ai appris, certainement par le SEUL, qu’ils étaient en réunion « nationale » à Limoges ce week-end là. Ça aurait dû être notre chance. J’ai appelé au local (Je ne sais plus si c’était avant ou après le SEUL. Nous avons essayé par les deux bouts) et eu, en leur nom à tous, Matthias Lambert, du Mirail, que je connaissais bien du congrès et des réunions Ensemble contre les réformes Allègre de l’année précédente, un anarchisant (assez modéré dans son genre pour avoir adhéré à l’UNEF, et dans une association particulièrement communiste, voire stalinienne selon certains). Il m’a rappelé, ce qui était vrai, qu’un an auparavant, lors de notre réunion de Limoges après le congrès (au moment où la « réunification » était prévue pour décembre) il parlait déjà de faire une liste pour le CNESER, et que nous avions trouvé ça prématuré, et a conclu qu’il était trop tard et que nous ne pouvions faire ça en trois jours. J’avais quelques arguments alors pour lui dire qu’il était possible d’y arriver. Il a conclu « Rappelle moi quand vous aurez dix-huit candidats ». J’ai voulu prendre ça positivement. Nous verrons la suite.

Il y avait aussi le cas très particulier de l’UNEF-ID Amiens, qui devait être de cœur avec nous, mais n’avait sûrement pas envie de se lancer, nous l’avions vérifié sans surprise pour le CNOUS, dans une aventure menant à son exclusion de l’U-ID. Nathan, avait apparemment réussi à les convaincre de nous aider, puisqu’il a publié sur le forum vers minuit, sous le titre Bonne nouvelle « L'UNEF-ID Amiens nous prête un de ses élus. Je répète l'UNEF-ID Amiens nous prête un de ses élus. » C’était inespéré, mais pas impossible. Ce sont des choses qui peuvent se faire : on demande à un élu de se dévouer, puis on explique à la direction nationale qu’il s’agit d’une regrettable initiative personnelle, que le coupable sera sévèrement puni mais pas trop quand même pour ne pas perdre sa voix pour la liste officielle. Mais publier ça avant le dépôt de la liste sur un forum que tout le monde pouvait lire, et que, dans ce contexte, l’Ennemi ne pouvait que surveiller, menait droit au désastre. Il n’est pas difficile d’imaginer ce que les camarades d’Amiens ont pris sur la tête le lundi. Comme il était logique, la candidature promise n’est jamais arrivée. J’ai quand même appelé, dans la journée de lundi, la présidente d’AGE, Carla Hodeika, qui m’a dit sèchement que le nécessaire avait été fait, que l’heureux élu aurait dû faxer. Je lui ai demandé, ce qu’elle pensait de ce qui se passait. Elle m’a répondu fermement « Rien ». Ce fut notre dernier contact.

Je ne comprends toujours pas, vingt ans après, pourquoi Nathan a fait ce qui semble ne pouvoir être qu’une énorme sottise ou un acte de sabotage délibéré. Les sottises de cette taille, ce n’était pas son genre. Il nous a abondamment prouvé avant et après que le sabotage délibéré pouvait l’être, mais je ne vois pas quel intérêt il aurait pu y trouver à ce moment précis, puisqu’il a par ailleurs tout fait pour que la liste fût déposée. Il était bien dans ses méthodes de compromettre les camarades d’Amiens plus qu’ils voulaient l’être, mais il était décidément idiot de le faire avant le dépôt de la liste, avec un résultat aisément prévisible. Mystère.

Côté UNEF, les choses allaient beaucoup mieux. Nous avons ramassé sept candidatures dans cette journée, trois par mails, quatre par téléphone apparemment. Un de mes premiers soucis a été Paris XII dont, je l’ai déjà dit, nous n’avions plus de nouvelles depuis le congrès. J’y avais alors un contact, Frédéric Blot, que je connaissais, comme Yves et Wilfried, du MdC (ça avait beaucoup simplifié la liaison pendant le congrès). Je n’en avais pas de nouvelles non plus depuis lors, et me suis mis en chasse, ce qui fut compliqué, car il n’était plus à Paris XII, et, si je me rappelle bien, poursuivait ses études très loin de Paris. J’ai eu ses parents, puis lui, qui m’a donné le contact avec Julien Giral, qui a marché sans problème.

Dijon, avec qui j’avais repris contact au moment du CNOUS est mentionné dans mon communiqué de minuit comme nous donnant une candidature. Je n’ai pas de traces de mail. Je n’ai pas souvenir de coup de téléphone, ni même d’avoir eu un téléphone où les joindre. Peut-être l’ai je oublié, peut-être est ce venu d’un autre camarade (Jihad ?).

Nous avons récupéré une candidature, que le communiqué ne cite pas, de Paris III, où il n’y avait plus d’UNEF depuis longtemps, mais où Camille Marquès, parce qu’elle était au PCF, en tenait lieu aux yeux de la direction nationale. Elle avait été élue à un des conseils centraux, sur liste commune avec l’UNEF-ID (ce qui était paradoxal, mais plutôt drôle. Et il nous fallait des élus, d’où qu’ils vinssent) négociée depuis la rue Pailleron. Jihad et moi la connaissions assez bien. Comme elle était devenue résolument anti mutation, elle a répondu volontiers à notre sollicitation (de Jihad ou de moi, je n’en sais plus rien).

Le problème était l’AGER de Rouen, qui était naguère la tête de l’opposition, mais ne donnait plus de nouvelles depuis le dernier CN (Officiellement, Leila Messaoudi, son ex présidente, passait le CAPES, et n’avait trouvé personne pour la remplacer). Je n’ai eu ce dimanche aucun contact avec Leila (Je ne me rappelle plus si c’est parce que je n’avais pas son numéro personnel, ou parce qu’elle ne répondait pas). J’ai fini par joindre, sur son numéro personnel, que j’avais donc, Émilie Picot, qui avait été son adjointe (sans être de la GR), était à peu près retirée, mais restait élue. Émilie approuve évidemment notre démarche, mais hésite à nous donner sa candidature sans autorisation de l’AGE. Je lui prêche, contre tous mes principes, d’avant et d’après (salus populi suprema lex esto), les vertus de l’indiscipline dans les circonstances exceptionnelles. Je crois l’avoir convaincue. Elle obtiendra le lendemain l’accord de Leila, et nous aurons sa candidature[33].

Nous avons eu aussi trois bonnes surprises, trois candidatures spontanées reçues par mail suite à la diffusion de l’appel. La première vint à quinze heures vingt de Besançon, d’un nommé Jérôme Christin, en DEA de biologie cellulaire et physiologie, élu au Conseil scientifique, si j’ai bien compris d’une association d’étudiants de troisième cycle, qui me disait qu’il suivait notre forum depuis un moment, et était d’accord avec nous. Il a précisé ensuite qu’il voulait bien être candidat, mais non élu. Je lui ai répondu que ça m’arrangeait, puisqu’il n’y a avait qu’une place éligible. Sancia De Cooman, qui avait gardé contact avec un délégué de feue l’UNEF Besançon rencontré au congrès (elle était de là-bas), l’a appelé le lendemain, et m’a dit qu’il pensait que c’était un gars bien. J’en ai été heureux, mais plus encore de recevoir son acte de candidature et sa carte d’étudiant par mail. Je n’ai plus eu de nouvelles de lui après la fin du mois.

Le second fut à dix-sept heures dix un Messin, Claude Maillot, en deuxième année de DEUG d’Histoire élu au CEVU, avec un discours tout à fait sainement anti UNEF-ID, mais qui ne nous disait pas comment il avait été élu. Ce n’était certes pas le moment de le lui demander. Je n’ai pas eu non plus de nouvelles de lui par la suite. Beaucoup plus tard, Fabrice Chambon, de l’U-ID, s’est vanté auprès de Philippe Lieutaud, qui avait alors ce genre de mauvaise fréquentation et me l’a répété longtemps après, de nous avoir refilé un sous-marin comme candidat. Si c’est vrai, ce ne peut être que lui. Mais j’ai du mal à y croire, car je ne vois pas quel aurait pu être l’intérêt de l’Ennemi de nous offrir, même pour nous espionner, une candidature quand le succès de notre liste pouvait dépendre d’une de plus ou de moins. Un espion non candidat, certes. Avec un peu de perversité (mais ces gens là manquaient d’imagination), de faux candidats qui nous lâchent au dernier moment, oui, bien sûr. Mais un vrai candidat, qui nous a envoyé son acte dans les délais (ce ne fut pas de sa faute si nous l’avons reçu trop tard), je n’y crois vraiment pas. Mon impression est que Fabrice s’est trompé en parlant de candidat, ou que Philippe l’a mal compris : j’ai eu ensuite, alors qu’il n’était plus question de candidatures, un message d’un autre Lorrain (de Nancy) très intéressé par ce que nous faisions et demandant à être tenu au courant, avant de ne plus donner de nouvelles, qui me paraît un sous-marin beaucoup plus crédible.

La dernière bonne surprise vint d’Arras, de Mélanie Bourdrel, présidente d’une AGE de l’UNEF dont nous n’avions jamais entendu parler, et élue, qui avait eu mon message Résistons (parce qu’elle était sur le forum, ou parce que j’avais ramassé son adresse dans les mails envoyés par Cécile aux élus qu’elle en jugeait dignes, que me transmettait Manuel Canévet), et y répondit dimanche à 22h20 en me proposant sa candidature et en me donnant son numéro de portable (message partiellement transmis sur le forum, avec son autorisation, deux heures plus tard).

Avec les huit de départs, celles de Nantes et de l’AGET-ASL, et ces sept là nous arrivions dimanche soir à dix-sept promesses de candidatures (dix-huit avec celle d’Amiens). C’était inespéré, mais il en manquait encore au moins quatre. Nous avions logiquement échoué avec SUD, fait le plein des AGE qui s’opposaient aux réformes et à la « réunification » depuis le congrès de Pantin, connu avec celles qui avaient fait scission après ce congrès un échec que nous pouvions espérer provisoire. Il restait à trouver le contact, que nous n’avions pas, dans la situation de guerre froide de l’année écoulée, avec les AGE qui soutenaient la direction à Pantin et (sauf Lyon) jusqu’à la veille encore. Il nous faillait aussi récupérer les actes promis. J’avais envoyé par mail à dix-huit heures le modèle prévu pour la liste de l’UNEF (sans doute récupéré dans les mails de Cécile Cukierman), en précisant qu’il fallait laisser le titre (encore à discuter) en blanc.

Dans ce mail, je proposais pour ce titre « Contre les réformes libérales, pour une Université publique de qualité ouverte à tous, liste de rassemblement syndical » en ajoutant prudemment « A débattre ». Le deuxième point était un assez vieux slogan de l’UNEF, bien oublié alors de la direction nationale, mais toujours utilisé à Paris IV. Il nous mettait clairement du côté de l’UNEF qui continue contre une direction trahissant. Le premier était une garantie pour nos partenaires actuels et éventuels, dont la formulation caractérisant ces réformes n’était pas très heureuse. Nous ne pouvions pas dire (ce que je fais constamment dans ce texte, et ce qui est vrai) que nous étions « contre les réformes », toutes. Nous ne pouvions non plus les énumérer : ça aurait été très long. S’en tenir à Allègre aurait été trahir (en soi, et d’après les conditions du SEUL remontant à Faure, que nous avions acceptées). Je me dis aujourd’hui que la bonne formule aurait été « Contre les réformes de casse de l’Université ». Elle ne m’est pas apparemment venue à l’esprit. Peu importe, puisque le titre a finalement été, bien meilleur « Ensemble, pour une Université publique de qualité ouverte à tous, liste de rassemblement syndical », sans réformes à l’horizon. Je ne sais plus du tout comment il a changé (Rien dans les mails : tout s’est fait par téléphone, donc). Apparemment, nos partenaires n’ont pas estimé avoir besoin de cette garantie. Pour moi, il était évident que parler d’« Université de qualité » impliquait le rejet des réformes depuis… depuis très longtemps.

À minuit et quart, mon communiqué sur le forum, poétiquement intitulé Montez de la mine, descendez des collines (Oui. C’était ça, l’ambiance, alors), fait le bilan des deux journées et envisage la troisième :

Vingt-quatre heures après notre appel pour que l'UNEF, trahie par sa direction, vive, nous pouvons constater son succès.

Outre les soutiens manifestés sur ce forum [Soient les initiateurs, Caen, Paris IV, Paris, I, Évry, plus Nantes et les trois bonnes surprises de Besançon, Metz et Arras], nous avons déjà recueilli les candidatures sur la liste de rassemblement syndical pour une Université publique de qualité ouverte à tous [Ce sera finalement son titre. Je ne me rappelle plus s’il était alors décidé, ou si c’était une anticipation] d'élus de Lille I et Lille III, de Paris XII et de Dijon.

Le SEUL a confirmé son soutien à la démarche, et la candidature de ses élus de Montpellier II et III.

L'AGET-ASL est favorable à la démarche de rassemblement et à la proposition d'Olivier Ruet comme tête de liste. Elle se prononcera demain sur sa participation. [Je ne parle évidemment pas de la promesse d’une candidature spontanée de Wilfried quoi qu’il arrive. Pas des choses à dire]

De nombreux autres camarades élus ont manifesté leur intérêt et nous donneront leur réponse demain. [Pas tant que ça, Rouen, Paris III dont il ne fallait pas parler…]

Une seule déception: le refus brutal opposé par SUD étudiants, qui nous a aimablement proposé de nous faire une petite place sur sa liste. [Je préférais ne pas parler de Solidarité étudiante, gardant alors espoir, mais ne voulant pas l’afficher]

Manifestement, les camarades de SUD n'ont pas mesuré l'enjeu, et préfèrent s'en tenir à une démarche d'auto-affirmation de leur organisation par une liste qui ne peut pas avoir d'élus plutôt que saisir la chance qui s'offre à nous d'avoir un élu qui soit celui du rassemblement et du renouveau de toutes les forces véritablement syndicales. Puissent-ils changer d'avis d'ici à demain. [Hypocrite. C’est certainement ça qui m’a valu une heure au téléphone avec Nadia]

Notre pari de monter une liste en 48 heures pouvait sembler fou. A l'heure qu'il est, il est clair qu'il peut être gagné.

Il le serait à coup sûr si nous avions une semaine devant nous Nous avons 24 heures. Ceux qui ont attendu le dernier moment pour publier leur trahison savaient ce qu'ils faisaient.

Que chacun prenne ses responsabilités. Nous savons que vous êtes beaucoup à avoir pensé, en lisant notre appel, que vous voteriez pour notre liste. Cela ne sera possible que si nous avons demain matin les dernières candidatures qui nous manquent.

Ce sera aux AGE de se déterminer sur le vote pour la liste. Mais pour qu'elles puissent le faire, il faut qu'elle existe, et donc que des élus prennent l'initiative d'y figurer.

[Tentative acrobatique de débauchage. Je savais très bien que presque tous les camarades des AGE ayant jusque là soutenu la direction étaient contre la liste de la trahison, mais diraient qu’ils ne pouvaient soutenir une autre liste tant qu’ils ne se seraient pas réunis. J’inventais donc la participation sans soutien. Ça n’a pas marché. Ça aurait pu marcher, si plus d’élus UNEF avaient eu Internet]

Nous attendrons vos appels au local de l'UNEF Paris IV en Sorbonne, 01-40-46-32-27.

La liste doit être déposée à 17 heures [toujours la même erreur]. Si elle est déposée, il est presque certain qu'elle aura un élu.

Nous avons besoin de vous.

Nous comptons sur vous.

J’ai fini par me coucher. Nous avions rendez-vous au local UNEF de la Sorbonne, le lendemain.

3- Le lundi décisif

Quelques mots sur les lieux s’imposent. Nous avions obtenu, grâce en partie à notre triomphe électoral, un local merveilleux, dans la Sorbonne, de huit mètre carrés environ, donnant sur une des petites cours intérieures (si vous pensez que c’était commode pour sortir pour fumer, c’est que vous n’avez pas encore compris qu’à l’époque nous vivions encore un peu dans un pays libre. C’était pratique pour tenir des réunions à plus de six, quand il faisait beau), au pied de l’escalier H, dans la partie haute, côté rue Saint Jacques, au-delà de la galerie Gerson qui reliait l’entrée Cousin et l’entrée Saint-Jacques Nord (Si vous n’avez rien compris, le plan ci-dessus vous confirmera que c’était incompréhensible). Il devenait ce jour-là ce qu’il allait rester pendant un an, le quartier général de la rébellion.

Techniquement, c’était globalement mieux que ma chambre, parce que nous pouvions y tenir à plusieurs, d’abord, parce que nous y avions, ensuite, un téléphone branché sur le standard de l’Université et dont les communications (Nous en avons souvent abusé. Jamais autant que ce jour là) étaient payées par elle, province et portables compris. C’était aussi le bon endroit pour attendre les actes de candidatures avec photocopie de carte d’étudiants promis : nous avions demandé qu’ils fussent faxés (en ce temps, le scanner était un objet très rare, surtout pour nous autres littéraires, ce qui excluait leur envoi par mail. Il y en eut cependant deux, des scientifiques de Besançon et Metz) « à l’attention de l’UNEF » à l’Université Paris IV (nous n’avions pas de fax) dont le centre administratif était de l’autre côté de la galerie Gerson. Nous n’avions pas non plus de connexion internet : Paris IV venait d’être enfin câblée, il y avait une prise dans notre local, mais l’ordinateur fourni bien avant par l’Université (Un très beau Mac, comme on n’en fait plus) n’avait pas de port Ethernet (Si vous pensez qu’il suffisait que l’un de nous vînt avec son ordinateur portable et un câble, c’est que vous n’avez pas encore tout compris). S’il y avait déjà des salles informatiques pour les étudiants de Paris IV (je ne me rappelle plus quand elles sont apparues), elles étaient minuscules, et bondées. Notre seule connexion possible était dans le bureau des relations avec les IUFM, très loin, hors de la Sorbonne, de l’autre côté de la rue (Il était voisin de notre ancien local, d’avant notre triomphe, et nous avions fraternisé avec sa responsable, non sans arrière-pensées douteuses de sa part, puisqu’elle était de la CFDT. Ce jour-là, c’était utile). Ça explique qu’il n’y ait qu’une seule intervention de moi dans la journée sur le forum unef.org. Nous avons donc dû courir toute la journée, à côté pour voir si des fax arrivaient, très loin pour voir les mails.

Il y avait donc, dans le local, Philippe, Sancia, Jihad et moi. Nous avions un premier souci, qui surprendra le lecteur qui a subi tant de subtilités bureaucratiques : comment fait-on, au juste, pour déposer une liste au CNESER ? C’est pourtant la triste vérité : jusque là, il était clair que ces choses là étaient l’affaire de la direction nationale, que notre rôle se bornait à râler, obtenir quelques promesses dont certaines seraient peut-être tenues, puis donner notre acte de candidature en pleurnichant, la suite ne nous concernant plus. Nous avons donc appelé Sophie Grosjean la seule camarade appartenant à la direction (de fait) de l’AGE ayant internet chez elle, pour l’assigner à résidence jusqu’elle eût trouvé ça (Il n’y avait pas de Google à l’époque, mais des moteurs de recherche merdiques, et bien sûr pas de Légifrance non plus). Sophie préparait l’agrégation de Lettres, mais a su trouver les vertus bolchéviques pour l’oublier. Elle nous a rejoints plus tard, mission accomplie : une adresse, rue Dutot, dans le XVe, derrière la gare Montparnasse, et une limite, dix-huit heures, une heure de plus que ce que nous croyions jusque là.

Je suis bien sûr incapable de me rappeler dans l’ordre qui j’ai eu au téléphone dans cette journée, et à plus forte raison qui mes camarades ont eu. Nous avons forcément eu contact avec Olivier Ruet pour faire le point, mais je ne crois pas lui avoir parlé. Pour le SEUL, j’ai plusieurs fois parlé à Dominique Buttay, un des jeunes qui le dirigeait depuis que Nathan n’était plus étudiant (Lui n’est pas intervenu ce jour. Sans doute était-il pris par son travail), dans une ambiance pour une fois cordiale. Il me semble que nous nous étions répartis le travail : le SEUL se consacrait à convaincre Solidarité étudiante, toujours réuni à Limoges, nous nous occupions des AGE jusque là non contestataires de l’UNEF (Nous étions les moins mal placés pour se faire, car pas du tout trotskistes, et, à part moi, moins marqués comme oppositionnels que les Caennais ou les Lillois) et Caen cherchait ailleurs. Nous avions des espoirs du côté de SUD Le Havre, qui venait, comme je l’ai dit de quitter l’UNEF et semblait pouvoir être ramené au bercail du moment que c’était contre la direction.

Nous avons trouvé le contact avec Lyon vers quinze heures. J’avais envoyé dans la nuit un mail personnel à Cécile Piétu : j’ai appris ainsi que ce n’était pas le bon fil. Entre 14h10 et 14h30, Nicolas Pailleux, de l’INSA, que nous ne connaissions pas mais qui était inscrit sur la liste, a envoyé trois mails successifs (que j’ai dû avoir un peu plus tard, en traversant la rue), dont un sur le forum, pour annoncer sa candidature, réclamer un acte à nous faxer, et me donner le numéro de téléphone de Sylvain Henry, de Lyon II (que nous voyions au CN mais qui jusque là ne nous parlait pas) que j’ai aussitôt appelé. L’affaire a été réglée très vite et très cordialement. Il m’a dit que Lyon n’avait rien contre une prise de position contre les réformes en général et la semestrialisation en particulier, et m’a promis des candidatures de Lyon II et Lyon I (pas d’élus UNEF à Lyon III). Il a été assez surpris que je suggérasse que celle de Lyon II fût Cécile Piétu, et m’a appris qu’elle avait changé depuis l’automne.

J’ai aussi eu au téléphone Sébastien Lantenois, d’Orléans, membre du BN, qui s’était abstenu au CN. Vraisemblablement, c’est lui qui a pris l’initiative d’appeler notre local. Il approuvait chaleureusement ce que nous faisions, souhaitait notre succès, nous promettait la plupart des voix d’Orléans, mais ne pouvait pas nous donner sa candidature à cause de sa position dans l’UEC. Je pouvais le comprendre, mais ça ne m’arrangeait pas du tout. J’ai insisté en lui disant que nous serions certainement à une près. Il a fini par me dire « Je vais te mettre en contact avec le plus sectaire d’entre nous ».

J’ai appelé Hélène Galmiche, de Nice, dont j’avais gardé le portable depuis le mouvement contre Attali. Elle était de tout cœur avec nous, mais ne pouvait s’engager à cause de son organisation politique. Elle, c’était la LCR.

J’ai parlé avec deux camarades de Rennes, Yann Renault et un Arnaud dont je n’ai pas retenu le nom, totalement surpris et désespéré par la trahison de la direction nationale, ravis de ce que nous faisions, mais qui m’ont dit qu’il n’y avait plus d’élus UNEF à Rennes.

Nous avons été appelés par David Dumas, de Montpellier Sciences, qui m’a proposé sa candidature. C’était une grande et belle nouvelle, mais qui ne nous apportait rien pour l’instant puisque nous avions déjà un élu du SEUL. J’ai donc expliqué à David, après l’avoir remercié, que si j’avais seulement 24 heures devant moi, j’aurais entrepris de convaincre le SEUL, qui aurait certainement accepté de lui laisser la place, car l’UNEF Sciences avait beaucoup plus de poids, mais que là nous n’avions pas le temps. J’ai eu l’impression qu’il comprenait.

Je n’ai pas de souvenir précis d’un contact avec Bordeaux ce jour là. Il y en a certainement eu, soit par moi, soit par un autre camarade. Leur position était claire : ils réprouvaient la liste avec l’U-ID, mais estimaient ne pouvoir s’engager avec nous avant d’en avoir délibéré, soit beaucoup trop tard. Ce n’était pas une surprise pour nous, et nous avons dit comprendre leur position, pour préserver l’avenir (ce fut d’ailleurs vain), mais c’était bien dommage, puisqu’ils avaient des élus dans les quatre universités bordelaises et auraient pu résoudre, d’un coup, tous nos problèmes.

J’avais aussi essayé de recruter, par un mail envoyé dès le vendredi 2 au soir[34], parmi les élus de l’École normale qui, par une étrange aberration (dont je n’aurais pas songé à me plaindre si ça avait marché) étaient électeurs et éligibles au CNESER, que je connaissais de nom au moins parce qu’il avaient été impliqués dans la lutte contre un machin visant à détruire le concours (qui paraît aujourd’hui ridicule, vu ce qu’il a subi depuis) nommé ENS Europe, lutte d’ailleurs victorieuse, pour une fois, pas pour longtemps. J’ai eu au téléphone (je ne me rappelle plus quand) un nommé Charles Guérin, qui m’avait assez somptueusement léché les bottes alors, à qui j’ai surtout parlé, bien sûr, de réformes, qui m’a répondu qu’il était tout à fait d’accord, mais ne pouvait s’engager sur notre liste, puisqu’il était à peu près adhérent à FO, et ne pouvait donc se présenter pour une autre organisation. Étant prêt à toutes les bassesses pour compléter notre liste, je ne lui ai pas dit ce que je pensais exactement de FO, mais lui ai signalé, ce qui d’ailleurs était vrai, qu’il s’agissait ici d’une élection étudiante, où FO, syndicat enseignant, n’avait pas la moindre part, et que ce n’était donc pas une raison de nous refuser sa candidature. Il a demandé à réfléchir, Je n’en ai plus eu de nouvelles. Quand j’ai eu la réponse de Déborah Cohen, par mail le lundi à midi, qui me disait qu’elle comprenait bien ma position, l’approuvait entièrement mais, étant syndiquée FO ne pouvait participer à la liste , j’ai compris qu’il s’agissait d’un coup (ni le premier, ni le dernier) de Ludovic Hetzel, la pire ordure (j’en ai connu, pourtant, des ordures) que j’aie jamais connue, manifestement favorable à la « réunification », comme il seyait à une ordure[35].

Côté Solidarité étudiante, ce fut un désastre. J’espérais encore qu’ils marcheraient avec nous en constatant que notre coup était sérieux. Point du tout. J’ai appris par Dominique Buttay qu’ils étaient injoignables cet après-midi, car en manif (une manif à Limoges, dont je n’ai jamais su quel était l’objet). J’ai dit à Dominique qu’on voyait bien les syndicalistes « de lutte », qui savaient mépriser les contingences électorales pour aller manifester pour on ne savait pas quoi au juste.

Il y eut une exception, Pau, dans des circonstances compliquées que je ne parviens pas à me rappeler exactement. Apparemment, Dominique Buttay avait réussi à avoir Vincent Labatut au téléphone et à le convaincre. Ne recevant pas l’acte, nous avons fini par apprendre qu’il l’avait faxé à SUD parce qu’il croyait que nous marchions ensemble. Il a été question des moyens de le récupérer. Finalement, il nous a été faxé, et interdiction a été faite à SUD d’utiliser celui qu’il avait reçu. Notre communiqué du soir mentionne le soutien de l’USEP SE, et leur candidat est sur la liste définitive pour laquelle nous avons votée malgré sa non validation. Mais je retrouve un communiqué daté du mardi 6 à 19 heures, en Sorbonne, envoyé de chez moi à 23, dont j’avais oublié l’existence qui dément le précédent[36]. Pour que je publiasse ça, qui nous ridiculisait, il fallait que les cloches eussent sonné très fort. Je me rappelais pourtant avoir, lors d’une conversation téléphonique tenue en début de soirée au local, convaincu de haute lutte Vincent, en lui promettant, si la liste était validée, un vingt-deuxième de la subvention, ce qui n’était pas prévu du tout, et n’a pas plu au SEUL qui comme nous, mais encore plus que nous, pensait que l’argent ne devait pas être partagé mais servir à faire vivre une organisation nationale (Je m’en suis tiré en invoquant la nécessité, et en soulignant qu’il en resterait 95%). Il faut croire que c’était mercredi 7.

Nous avions donc, avant le démenti palois, atteint vingt-deux promesses de candidatures, les dix-sept du dimanche soir, les trois de Lyon, celle d’Orléans, celle de Pau. Malheureusement, « le plus sectaire » des Orléanais était en virée à la campagne, injoignable, et Sébastien ne pouvait décidément nous en donner un autre. De même, le seul élu de Lyon I, Cédric Udréa, n’a pu être touché à temps, et nous n’avons eu son acte que mardi matin. L’acte de Pau a été également faxé trop tard. Le mystérieux Messin a envoyé le sien à temps, à dix-sept heures, mais par mail, et nous ne l’avons pas récupéré avant le soir (ça n’aurait d’ailleurs rien changé) parce que nous avions alors autre chose à faire que traverser la rue.

En effet, c’est à peu près à cette heure là, alors que nous cherchions désespérément où trouver des candidats pour remplacer au moins le Lyonnais et l’Orléanais manquant, que le ciel nous est tombé sur la tête. Nous avons appris, sans doute par le SEUL (ils n’ont même pas eu la décence de nous appeler) que les Caennais avaient repris dans notre dos les négociations avec SUD et accepté la première suppléance pour Olivier Ruet, avec un accord sur le partage du fric. Olivier comptait sur nous pour remettre à SUD les actes de candidature que nous avions reçus, dont le sien. Je crois que c’est Philippe qui a demandé si nous pouvions accepter ça. Nous avons hurlé en chœur, Sancia, Sophie, Jihad et moi « Jamais ! », à sa grande satisfaction.

Il n’était dès lors plus question de chercher des candidatures, mais d’avoir rapidement une explication avec Olivier Ruet. J’appelle donc le local de Caen. Je trouve dans mon mail confidentiel du soir que je l’ai eu à 17h15 après avoir dû essayer pendant plus d’une heure. Nous n’avions alors que quelques minutes si nous voulions être au CNESER à dix-huit heures. Je tombe sur Fabien Guillot, que je n’avais pas vu depuis un an (il avait élu au BN par le congrès de Pantin, mais avait rapidement disparu), à qui j’essaie d’expliquer que le but de l’opération est de continuer l’UNEF, pas de servir de supplétifs à SUD, et qui me répond en ricanant « Mais l’UNEF est morte, Emmanuel ! » et enchaîne sur la reprise de tous ses discours de l’année précédente. Je dois supplier pour obtenir qu’il me passe Olivier. Celui-ci se retranche derrière la décision démocratique prise, contre son avis, par une réunion de l’UNEF Caen à midi. Nous l’entendrons souvent par la suite, celle-là : la démocratie consiste à ce qu’une demi douzaine de Bas-Normands décident pour toute la France. Comme je n’arrive à rien, Philippe me prend l’appareil et pose le problème urgent : nous avions sollicité et obtenu des actes pour une liste de rassemblement syndical autour des AGE de l’UNEF refusant sa liquidation, menée par lui. Il nous était donc absolument impossible de les donner, sans l’accord de nos mandants, pour une liste SUD. Bien évidemment, s’il nous le demandait, nous remettrions, à notre grand regret, son acte aux sudistes, mais celui-là seulement (Je ne sais plus s’il a été nécessaire de préciser où nous préférions nous mettre les actes de Paris IV et Paris I plutôt que les donner aux salopards, ou si c’est allé de soi). Olivier lui a répondu qu’il ne voulait pas aller seul chez SUD, et donc restait avec nous. Affaire réglée, mais plus aucune chance de compléter la liste.

Nous partons en catastrophe prendre le métro pour le XVe, Sancia, Jihad, Philippe et moi (Sophie s’était apparemment rappelé qu’elle était agrégative), avec les dix-huit actes de candidature que nous avions, pour les déposer, symboliquement croyions nous, avant dix-huit heures. Le site de la RATP m’apprend que le trajet dure une demi heure. Dans un communiqué ultérieur, je dis que nous sommes arrivés à 17h55 et avons attendu les sudistes avec qui nous avions rendez-vous pour l’entrevue de la dernière chance jusqu’à 17h59. Nous leur disons qu’Olivier nous a demandé de ne donner son acte que pour la première place. Ils refusent. L’un d’eux demande « Qu’est-ce qu’on fait, alors ? » Je réponds « Vous nous avez dit que vous aviez une liste complète. Déposez la ». Ils tournent les talons. Ils nous mentaient donc depuis le début en nous disant qu’ils n’avaient pas besoin de nous et ne nous accueilleraient que par pure bonté.

Ils ont publié le lendemain à 20h50 un communiqué odieux, où ils accusaient l’UNEF Paris IV d’avoir empêché le dépôt de la liste en retenant les actes de candidature, alors que tous les autres de ce qu’ils appelaient « l’oppo UNEF » étaient d’accord. Dans l’après-midi, j’avais subi alors que j’étais seul dans le local de la Sorbonne, l’irruption de cinq nervis de SUD Paris I très agressifs et passé un très mauvais moment avant que l’arrivée d’autres camarades permît de les mettre dehors. Je réponds point par point dans la nuit, en soulignant qu’aucun des camarades nous ayant confié leur acte ne nous a reproché de ne pas le leur avoir donné, et en concluant J'ajoute qu'à titre personnel, au vu des méthodes employées par SUD avant pendant et après le dépôt des listes, et après l'invasion de notre local par cinq nervis de SUD en début d'après-midi, je n'ai aucune raison de regretter de ne pas avoir accepté de contribuer à l'élection au CNESER d'un membre de cette organisation.

Nous avons constaté qu’ils ne déposaient pas de liste. Je me demande toujours si leur but était vraiment d’en déposer une, ou seulement de faire obstacle à la nôtre. Nous ne savions que trop qu’ils avaient un accord au moins objectif, peut-être pas seulement objectif, avec l’U-ID, facilité par la présence de la LCR dans les deux organisations : à elle les élections, à eux l’agitation gauchiste stérile, l’UNEF étant donc leur ennemi commun. Dans cette perspective, leur opération CNESER ne se comprenait pas si elle avait pour but de disputer des voix à l’U-ID, et fort bien si elle avait pour but de tuer la nôtre, but qui aurait été également atteint si nous avions été assez stupides pour accepter ce qu’ils nous proposaient.

Nous rentrons à dix-huit heures tapantes. Je dis au Monsieur qui nous reçoit que nous savons que la liste est incomplète mais voulons la déposer quand même symboliquement (parole imprudente). C’est Jihad Wachill qui signe pour nous quatre, et reçoit récépissé (apparemment, nos montres et celles de Monsieur Guédon n'étaient pas synchronisées, puisqu'il indique 17h55). Mais là, alors que nos ex amis, bientôt ex camarades, nous battent froid, nous sommes abordés par des gens charmants, qui ne sont pas de nos amis, puisqu’ils sont de l’UNI et de la FAGE, mais ont manifestement un attachement tout à fait désintéressé au respect des procédures démocratiques, puisqu’ils tiennent à nous apprendre, ce que nous ignorions totalement, qu’il est possible de rectifier après coup une liste jugée invalide. L’espoir renaît. Nous terminons au bistrot pour nous consoler et pour passer des coups de téléphone à certains camarades, dont les Caennais, pour leur expliquer la situation.

Rentré chez moi, je rédige un communiqué que je publie à minuit et demi, sous triple signature UNEF Paris IV (AGEPS), UNEF Paris I, AGEE UNEF (Evry), sur le forum, et à la une du site web, en direct sans souci de mise en page (image ci-contre)

Aujourd'hui, lundi 5 juin, à 18 heures mandatés par des élus étudiants de toute la France, Sancia De Cooman, Jihad Wachill, Philippe Lieutaud et Emmanuel Lyasse, responsables de nos syndicats, ont déposé au CNESER une liste de dix-sept noms, de 18 élus étudiants dans 18 établissements différents [Un lapsus particulièrement idiot. Recomptage fait, le bon chiffre était 18], intitulée "Ensemble, pour une Université publique de qualité ouverte à tous, liste de rassemblement syndical". Cette liste, ne remplissant pas les conditions fixées par la loi, devrait être invalidées. Nous tenterons néanmoins, en usant du droit de rectification prévu également par la loi, d'y ajouter les deux candidatures reçues depuis, et les deux qui devraient nous parvenir dans la journée de demain [de Lyon I et Orléans].

Cette liste, montée en 48 heures, est issue du refus par des responsables de l'UNEF de la trahison ouverte par la direction issue du 79e congrès (Pantin, avril 1999) du mandat reçu par ce congrès et des précédents, qui l'a conduite à s'engager sur la liste de l'UNEF-ID sur une ligne anti syndicale. Ils ont pris l'initiative d'une liste de rassemblement syndical, qui a trouvé le soutien immédiat du SEUL, de l'Union Nationale des Etudiants du Maroc, de l'USEP-SE (Pau), de responsables de l'AGET ASL (qui n'a pu se réunir à temps pour se prononcer en tant que telle.) Elle a à sa tête Olivier Ruet, de l'UNEF Caen. Elle comprend des élus de Paris IV, Paris I, Evry Montpellier II, Montpellier III, Rouen, Nantes, Lille I, Lille III, Lyon II, l'INSA Lyon, Toulouse I, Dijon, Paris III, Paris XII, Besançon, et Arras. Les deux candidatures parvenues après 18 h sont de Pau et de Metz. Parmi les candidats figurent quatre membres du Bureau national de l'UNEF.

Pour la compléter, il nous a manqué 24 heures. Elle n'en prouve pas moins que c'est l'écrasante majorité des AGE de l'UNEF qui refuse la trahison par une direction désormais illégitime de tout ce qui a caractérisé l'UNEF depuis le renouveau de 1971. Elle prouve aussi que sur cette base a été possible un large rassemblement de toutes les forces véritablement syndicales, sans volonté hégémonique d'aucun côté. Nous déplorons que SUD étudiants ait refusé de s'associer à ce rassemblement et ait tout fait, avec un succès certain, pour le saboter, en allant jusqu'à répandre les mensonges les plus odieux, et nous interrogeons sur les motivations réelles de cette organisation que nous ne pouvons désormais qualifier de syndicale.

Si la liste était finalement invalidée, nous appellerions tous les élus étudiants de France à refuser de choisir entre quatre listes d'organisations qui ont prouvé leur absence de volonté de défendre les intérêts des étudiants. Quoi qu'il en soit, ce que nous avons réussi en deux jours augure bien de ce que nous pouvons faire en un mois, d'ici aux chaînes d'inscription et durant la prochaine année universitaire, pour développer un véritable syndicalisme véritablement étudiant. Nous appelons tous les responsables, élus et militants des AGE de l'UNEF à refuser avec nous la liquidation de leur syndicat par une soi-disant direction qui s'en est exclue d'elle-même en trahissant tout ce qui l'a fondé.

Nous appelons tous les responsables, élus et militants d'autres organisations syndicales, nous appelons tous les étudiants de France à prendre contact avec nous pour construire ensemble l'indispensable rassemblement syndical pour une Université publique de qualité ouverte à tous, contre les réformes qui vont dans un sens inverse.

Nous sommes l'UNEF.

L'UNEF vivra !

Je tape très fort sur SUD, omets bien sûr le désaccord avec Caen, oublie Solidarité étudiante, et affiche mon optimisme pour l’avenir. Mais, une heure et demie plus tard, j’envoie à la liste ecra un message intitulé L’envers du décor

(message confidentiel, vous l'aurez compris)

Mes camarades,

Vous avez eu notre communiqué.

Vous savez tout, ou presque.

Nous avons tenté un truc extraordinaire, et l'avons raté, de peu.

De quoi être fier somme toute. Pas de cette bête fierté des vaincus qui ont vocation à l'être toujours. Mais parce que cette démarche, vaine aujourd'hui, est porteuse d'avenir.

Ce que j'ai écrit dans notre communiqué, je le pense.

Mais je n'ai pas tout dit.

Nous avons échoué parce que nous avons manqué de temps, certes. Mais même dans ces conditions, nous aurions pu et dû réussir.

Si quelqu'un m'avait dit en mai 99, à Limoges, quand nous envisagions vaguement les possibilités d'une liste anti réunification pour le CNESER 2000:

"Dans moins de treize mois, tu essaieras désespérément de bricoler une telle liste. Tu auras le soutien inconditionnel du SEUL. Tu recevras des candidatures spontanées par mail. Tu rallieras l'UNEF Lyon en un coup de fil. Mais tu te planteras parce que manqueront au dernier moment les réponses de Limoges et du Mirail", ,je ne l'aurais pas cru. Et voilà...

Certes, nous avons été victimes de salopards, dont la fin a prouvé qu'ils étaient moins déterminés à présenter leur liste qu'à faire échouer notre démarche de rassemblement. Mais il y a surtout là de quoi pleurer sur notre propre naïveté, sur notre incapacité flagrante à réagir à des provocations pourtant prévues et analysées de très longue date.

Leurs propositions n'étaient même pas discutables, et n'auraient pas dû être discutées, d'autant plus qu'ils n'ont cessé de nous mentir. L'odieuse Elise Allard a hurlé dans mon téléphone dimanche matin que de toute façon leur liste était complète, et qu'ils nous faisaient une grande faveur en acceptant de la rouvrir. Ce soir, nous avons déposé une liste incomplète, d'autant plus incomplète que ce sont leurs mensonges qui ont empêché la déclaration de Pau d'arriver à temps. Eux n'ont rien déposé du tout. Le dernier élu de la liste U-ID/Marion Brun/ Lise Pastor leur devra beaucoup. Tout comme le 5e élu U-ID du CROUS de Paris.

Pas de quoi être surpris, direz-vous. Certes. Ce n'est pas ça qui m'a surpris.

Ce qui m'a surpris et navré, c'est de voir les camarades de Caen, au moment où, à Paris comme à Montpellier, nous cherchions désespérément des élus pour compléter la liste, et en trouvions, mener des négociations avec SUD hors des bases sur lesquelles nous étions partis. Nous avions convenu sur le quai de la gare à Nanterre de participer à une liste de rassemblement sur la ligne "nous continuons l'UNEF". Olivier, avec une fermeté impressionnante, avait dit qu'il en prendrait la tête, ce que je ne pouvais qu'approuver avec enthousiasme. Après avoir échoué à joindre Caen pendant près d'une heure, au moment décisif, j'ai réussi à avoir leur local à 17 h 15, et ai dû écouter pendant dix minutes les sottises proférées par un triple connard nommé Fabien Guillot, dont les méfaits antérieurs sont connus, qui me hurlait que l'UNEF était morte et qu'il était beau d'accepter une place de premier suppléant pour que SUD triomphât, avant de pouvoir parler à Olivier. Beaucoup trop tard.

S'il n'y a pas ce soir de liste SUD avec supplétifs de l'UNEF déposée, c'est du fait de Paris IV et Paris I. Nous n'avons pas jugé utile de céder à un odieux chantage dans le seul but de faire élire un menteur contre d'autres menteurs. Ma part dans cette décision a été importante, et je l'assume. Mais les salopards ont réciproquement réussi à tuer notre liste (ce qui ne pourra qu'améliorer leurs rapports déjà excellents avec l'U-ID). Cela n'est pas dû à leur force, mais à notre inqualifiable faiblesse.

Je ne doute pas que les camarades de Caen et de Limoges sauront s'expliquer en reconnaissant d'éventuelles erreurs. Je suis à peu près sûr de commettre ici des erreurs aussi, que je saurais reconnaître demain, quand j'aurai, enfin, dormi. J'espère de tout cour que nous travaillerons à nouveau et plus que jamais ensemble. Mais en cette nuit qui aurait pu être celle d'une victoire historique, je suis amer.

Pas une raison pour oublier que ce que nous avons fait est néanmoins formidable et que la lutte continue.

Dans deux ans, le CNESER....

J’aurais vraisemblablement écrit ça différemment sans l’effet de la fatigue et, probablement, de la boisson. Mais je tenais à crever l’abcès immédiatement (ce ne fut pas un succès). Je suis incapable de dire si la restriction finale était sincère ou hypocrite. Si elle était sincère, j’avais tort : relecture faite vingt ans après, je ne commettais aucune erreur (Sauf sur Fabien Guillot. Vous lirez mon autocritique plus bas). On voit aussi que je ne croyais alors pas du tout à la possibilité d’une validation de la liste (Méfiez vous de la première impression…) malgré ce que j’en disais dans le communiqué officiel. Je n’avais pas encore mis la main sur l’arrêté et le décret sur ses élections, qui m’ont prouvé qu’elle était possible, et prouvent que le refus qu’on nous a opposé était illégal.

II– Tranchées

Pour les trois semaines qui suivirent, il est impossible de poursuivre un exposé chronologique, car nous avons lutté simultanément sur trois fronts distincts : pour faire valider la liste pour le CNESER, contre la direction nationale de l’UNEF et ses rares soutiens, pour défendre la légitimité de notre démarche et nier la leur, et enfin sur la question qu’il n’aurait surtout pas fallu poser alors, qui a provoqué le désastre final, celle de l’avenir. Nous avions aussi, et de plus en plus, une quatrième préoccupation, dont il ne sera pas question ici : la préparation de ce que nous appelions poétiquement les chaines d’inscription, soit les permanences pour s’adresser aux nouveaux bacheliers venant s’inscrire en juillet, pour faire connaître notre existence à tous, et recueillir les dossiers de ceux à qui on refusait l’inscription pour les défendre (nous appelions ça SOS Inscriptions). Mes lecteurs pensent sans doute qu’il y a dans ce récit beaucoup de bureaucratie, et bien peu de syndicalisme. C’est en partie parce que juin était la morte-saison, après les examens, avant les chaînes. Le reste de l’année, mes préoccupations étaient sans doute principalement bureaucratiques, mais pas dans la même proportion.

Nous verrons donc successivement ces trois fronts.

1- Défendre la liste face au ministère

Je ne me rappelle plus quand et comment nous avons pu mettre la main sur les textes officiels (Était-ce par internet ? Pas sûr qu’il s’y soient trouvés. Peut-être par nos nouveaux amis de l’UNI) sur les modalités de l’élection des représentants étudiants au CNESER, l’arrêté du 14 mars 2000 convoquant les élections, dont l’article 4 disait « Les listes de candidats peuvent être rectifiées, dans les conditions prévues par le quatrième alinéa de l'article 6-1 du décret du 2 janvier 1989 susvisé, dans un délai d'un jour franc à compter de la notification de la demande de rectification »[37], lequel article 6-4 disait, dans la version alors en vigueur « Les listes de candidats doivent être déposées auprès du ministre chargé de l'enseignement supérieur au plus tard le vingtième jour avant l'ouverture du scrutin. Le ministre fait procéder à la vérification des conditions d'éligibilité des candidats et de la conformité des listes aux dispositions du présent décret. Il recueille l'avis de la commission nationale prévue à l'article 6-3 et demande, le cas échéant, la rectification des listes non conformes dans un délai fixé par arrêté. A l'expiration de ce délai, le ministre refuse, le cas échéant, par une décision motivée prise après avis de la commission nationale, l'enregistrement des listes qui ne remplissent pas les conditions énoncées ci-dessus »[38].

Nous avions de quoi être surpris, puisque cette possibilité philanthropique de rectification n’existait pas pour les élections universitaires que nous connaissions bien (ni d’ailleurs, à ma connaissance, pour aucune autre élection). Nous avons bien sûr décidé de la saisir. Nous nous étions entre-temps rabibochés avec Olivier Ruet et les Caennais, en considérant de part et d’autre apparemment que l’incident SUD était clos, non que nous n’eussions pas envie d’en faire des tripes à leur mode, mais parce que nous étions dans le même bateau sans possibilité alternative, et étions d’accord pour défendre ensemble la liste (la suite montrera ce que valait cet accord).

Le mercredi 7 en fin d’après-midi, nous avons donc envoyé Sancia et Sophie porter au CNESER les quatre actes que nous avions reçus lundi soir et dans la journée de mardi, de Metz, de Pau, d’Orléans et de Lyon I, et la liste des candidats dans l’ordre. Surprise ! Jean-François Guedon, secrétaire général du CNESER, leur a déclaré ne rien pouvoir accepter de notre liste. Comme elles lui demandaient des explications, il a invoqué un « ordre venu de très-haut ». Il a également refusé de leur donner un écrit attestant qu’elles s’étaient présentées en vain (mais leur a cependant déclaré, sur question de leur part, que si l’affaire venait devant les tribunaux, il témoignerait en bon citoyen. Nous verrons pourquoi elle n’y est pas venue). Quand elles ont essayé de laisser du moins l’enveloppe à l’accueil, on leur a répondu qu’on n’y acceptait jamais de courrier. Elles y avaient pourtant vu à l’instant déposer un courrier, dont elles ont noté qu’il était adressé à Francine Demichel. J’ai envoyé le soir un communiqué de presse intitulé Une liste étudiante indésirable au CNESER ? , rapportant cela et concluant « Est-ce cela la démocratie étudiante que l'institution du CNESER est censée promouvoir ? La représentante d'une liste régulièrement enregistrée, venant déposer des rectifications dans les délais légaux refoulée sans contestation aucune de ces deux points, mais par l'invocation d'un ordre mystérieux ? Nous savions que notre liste gênait. Nous venons de voir jusqu'où étaient capables d'aller certains au moins de ceux qu'elle gêne Nous sommes décidés à utiliser tous les recours possibles contre cette décision scandaleuse. Nous appelons les candidats sur les autres listes, toutes les organisations étudiantes, les syndicats de salariés, les parlementaires et les élus locaux, tous les étudiants de France, tous les citoyens attachés au respect par l'Etat des principes qu'il fixe lui-même à nous manifester leur soutien. »

J’ai ensuite envoyé un message privé à tous les camarades impliqués dans notre liste, via une nouvelle adresse collective liste-cneser@unef.org sous le titre La bourgeoisie viole sa propre légalité[39]

Voilà. Vous avez eu le communiqué, vous connaissez l'histoire. A chacun de réagir. Une liste utile journaux@unef.org, toutes les adresses que j'ai pu récupérer (à placer en copie cachée seulement, sinon ça la grille) D'autre part, faites jouer toutes vos relations (presse, politique (députés surtout), syndicats) Il y a là de quoi faire un énorme scandale, même sous le gouvernement répressif de Jospinochet.

Je sous estimais le dit gouvernement, et son caractère répressif. Ce communiqué envoyé à toutes les adresses de journaux que j’avais pu récupérer n’a suscité, comme le précédent, aucun intérêt. La police était bien faite.

Nous avons appris, sans doute par nos nouveaux amis de l’UNI, que la commission électorale s’était réunie le jeudi 8, et qu’on s’y était étonné de notre absence, apparemment sans que personne précisât que nous n’y avions pas été invités. Le vendredi 9, nous sommes donc allés, Sylvestre Roth, de Paris I, et moi, remettre au CNESER l’enveloppe qui avait été refusée le mercredi, accompagnée d’une lettre signée de Jihad, adressée à Monsieur le Président de la Commission nationale chargée des élections étudiantes au CNESER, que nous avions également postée en recommandé. Cette fois ci, l’enveloppe a été acceptée. Nouveau communiqué de presse : La liste étudiante indésirable au CNESER s'obstine, avec copie à toutes les organisations présentant des listes, l’U-ID, la FAGE, PDE et l’UNI. Le texte de la lettre était

Monsieur le Président,

Nous apprenons que la commission réunie hier matin jeudi 8 juin s'est étonnée de l'absence de représentants de notre liste, et a constaté qu'il lui manquait le récapitulatif des noms des candidats dans l'ordre préférentiel.

Je tiens donc à vous signaler par la présente d'une part que nous n'avons pas été prévenus de l'heure et du lieu de cette réunion, d'autre part que deux de nos camarades, Sancia De Cooman et Sophie Grosjean se sont présentées au CNESER mercredi en fin d'après-midi, porteuses d'une enveloppe comprenant le récapitulatif en question, ainsi que les quatre actes de candidature qui nous manquaient lundi.. Monsieur Guédon leur a alors déclaré ne rien pouvoir recevoir de notre liste et, comme elles insistaient, a invoqué un ordre venu "de très haut" lui interdisant même de leur remettre un écrit certifiant qu'elles s'étaient présentées devant lui porteuses d'une enveloppe. Elles ont alors tenté de déposer l'enveloppe à l'accueil en l'adressant à Monsieur le Ministre, et se sont heurtées à un nouveau refus.

Bien entendu, nous voulons rester persuadés qu'il s'agit d'une malheureuse erreur, laquelle pourrait néanmoins avoir des conséquences graves sur le déroulement du processus électoral.

L'article 4 de l'arrêté du 14 mars 2000 (JO du 21 mars, p. 4362) prévoit que les listes peuvent être rectifiées "dans un délai d'un jour franc à compter de la notification de la demande de rectification". Ne doutant pas de recevoir cette notification, nous l'anticipons en vous adressant par ce courrier, que nous déposerons dans un instant au 61-65 rue Dutot, et dont nous envoyons également copie par recommandé avec accusé de réception, les pièces qui nous semblent manquantes.

Nous ne doutons pas que ce courrier sera reçu et transmis à la commission. S'il ne l'était pas, nous nous verrions obligés de saisir nos conseillers pour envisager tous les recours et poursuites possibles, devant les juridictions administratives et éventuellement, s'il se confirme qu'il y en a, comme on nous l'a dit, possibilité, au pénal.

Convaincu que nous ne n'aurons pas besoin d'en arriver là et que les élections des représentants étudiants au CNESER pourront se dérouler conformément à la loi, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

Pour les candidats sur la liste de rassemblement syndical Ensemble, pour une Université publique de qualité ouverte à tous.

Jihad Wachill, président de l'UNEF Paris I

Le lendemain, Cécile Cukierman a publié sur le forum un mail particulièrement odieux intitulé (curieusement) Elément de la commission électorale (où elle siégeait, apparemment en tant qu’élue UNEF sortante), manifestement en réponse à notre communiqué, où elle disait que notre liste n’était pas une liste (essai de surréalisme), et soulignait lourdement que c’était l’UNI qui nous avait défendus. Je lui ai répondu point par point, sous signature UNEF Paris IV, avec à l’appui le texte de l’arrêté qu’elle déformait scandaleusement, en concluant bien sûr que je ne doutais pas que sa bonne foi eût été abusée, et savais que nous pourrions compter sur son soutien à l’avenir, comme sur celui des représentants de toutes les listes concurrentes. Contrairement à ce que disait Cécile, ce n’était pas seulement l’UNI qui nous avait défendus, mais tout le monde (FAGE et PDE, donc) sauf l’U-ID et elle. Cela, nous l’avons su, apparemment après, puisque ma réponse n’en fait pas mention… par l’UNI.

Nous avons en effet reçu dans notre local de la Sorbonne, à sa demande, un responsable national de l’UNI. Je ne me rappelle plus la date de cette rencontre, et n’en ai aucune trace dans mes archives (cela fait aussi, encore plus d’ailleurs, partie des choses qui ne s’écrivent pas). Je crois me rappeler qu’il s’appelait Arnaud Legros (si je me trompe, toutes mes excuses à celui-ci et celui-là). Il était en tout cas très sympathique. Nous avons évoqué ensemble notre hostilité commune à Maastrikt, et même le pacte De Gaulle - Staline de décembre 44 (après son départ, c’est un autre pacte, de quatre ans antérieur, que nous évoquions). Il nous a donné beaucoup d’informations très utiles sur la procédure, et sur la commission électorale, nous a appris en particulier qu’une liste (dont je n’ai jamais rien su de plus) comportant seulement deux noms avait été, au contraire de la nôtre, examinée par la commission, et invitée à fournir les candidatures manquant dans le délai d’un jour franc après notification (ce qu’elle n’a pas fait). Il est allé jusqu’à nous demander si, au cas où l’invalidation de notre liste serait confirmée, nous ne pourrions pas envisager de voter pour l’UNI, puisque nous étions les uns et les autres contre Maastrikt. J’ai pris l’air navré pour répondre que non, quand même, nous ne pouvions pas. Ça n’était pas d’ordre moral : j’aurais, pour ma part, été fort capable de l’envisager, non à cause de Maastrikt, mais pour nuire plus sûrement à la liste de l’Ennemi et des traîtresses (vieux truc connu : quand on peut mettre deux coups, pourquoi n’en mettre qu’un seul ?) si le vote avait été secret. Il ne l’était pas, de fait, puisqu’on dépouillait université par université, et que, si l’UNI avait fait plus que les voix de ses élus à Paris IV, tous les scrutateurs s’en seraient aperçu. J’ai pensé après que j’aurais dû lui dire que c’était possible, si bien sûr la profession de foi de la liste mentionnait cette opposition, et revendiquait la pendaison de tous ceux qui avaient voté oui, à commencer par Chirac. Ce sont des choses auxquelles on ne pense jamais qu’après[40].

Nous avons également parlé d’un sujet sur lequel l’accord entre nous était beaucoup plus large encore que sur Maastrikt, l’UNEF-ID, et en particulier de la récente annulation des élections de 1998 au CNESER, suite à une manœuvre particulièrement amusante de sa part. Les enveloppes pour le vote par correspondance étaient envoyées aux élus par le ministère aux adresses fournies par leurs établissements, mais ceux-ci avaient la possibilité, après publication des listes, de faire rectifier la leur s’ils en avaient changé. En 1998, 376 élus, répartis sur toute la France, avaient ainsi fait savoir au ministre qu’ils habitaient désormais à Paris, 46 rue Albert Thomas… le siège national de l’U-ID. Celle-ci a soutenu, sans rire, qu’elle avait choisi de réunir ses élus à Paris pour qu’ils votassent tous ensemble, afin de montrer leur belle unité. C’était évidemment idiot : qui pouvait croire qu’on avait payé tant de trajets vers Paris, en pleines vacances, seulement pour un symbole, aussi beau soit il (et clandestin bien sûr, puisque cette prétendue réunion était restée secrète jusqu’à ce qu’il y eût contestation) ? Il était évident que le but de la manœuvre était de réunir non les élus, mais les enveloppes, et ainsi de voter à leur place puisqu’il n’y avait aucun contrôle, sinon la signature sur l’enveloppe (qui ne pouvait, lors du dépouillement, être comparée à aucun modèle). On comprenait fort bien son intérêt quand on savait ce qu’était l’UNEF-ID, c’est à dire une équipe de professionnels des élections tournant en fonction du calendrier, à peu près dépourvue de structures locales : pour composer les listes, les professionnels prenaient à peu près n’importe qui, souvent en racontant n’importe quoi (Grand classique : « si tu ne nous donnes pas ta candidature, les fascistes risquent d’être seuls et de gagner tous les sièges ». En général, bien sûr, il n’y avait pas de fascistes, ou qui n’avaient aucune chance d’avoir des élus). Bref, au moment du vote pour le CNESER (plusieurs mois, voire plus d’une année après), beaucoup de ces « élus » avaient totalement oublié, s’ils l’avaient jamais su, qu’ils l’étaient, et risquaient fort de mettre l’enveloppe à la poubelle sans l’ouvrir, comme n’importe quelle publicité… ou comme les courriers de la fac à propos du conseil dans lequel ils étaient censés siéger. Bien évidemment, on ne voit pas pourquoi des « élus » qui risquaient de ne pas voter, faute d’en avoir seulement l’idée, auraient eu celle de faire spontanément une demande de domiciliation rue Albert Thomas. L’explication était assez évidente. Notre interlocuteur nous a dit savoir que, devant la condamnation de son opération de regroupement familial, l’U-ID avait changé de méthode, et envoyait ses nervis récupérer les enveloppes puisqu’elle ne pouvait plus se les faire envoyer directement par le ministère (Cette pratique semble, d’après des aveux de repentis, s’être intensifiée par la suite jusqu’à nos jours, jusqu’à devenir une des principales activités de ses cadres).

Il nous a fait aussi une proposition très sérieuse, puisqu’il s’agissait d’argent : l’UNI était prête, si l’invalidation de notre liste était confirmée, à envoyer à ses frais à tous les électeurs du CNESER (dont elle avait les adresses personnelles par des manœuvres douteuses, comme d’ailleurs les autres organisations) un courrier que nous écririons librement pour expliquer la situation et appeler à ne pas voter pour la liste prétendument commune de l’U-ID. Nous lui avions répondu que nous devions consulter nos camarades. Nous n’avons consulté qu’Olivier Ruet, à qui ça a fait si peur qu’il a été inutile de s’adresser aux autres. J’étais naturellement partisan d’accepter, en observant que de toute façon l’Ennemi nous accuserait d’être financés par l’UNI (ça n’a pas raté) et qu’il était donc bien bête, ne pouvant échapper aux inconvénients, de se priver des avantages. Je crois que c’est un peu plus tard que j’ai dit que même si, en août 39 (toujours la pactomanie) nous n’avions pas ajouté de protocole secret sur le partage de la Pologne, on nous aurait accusés de l’avoir fait. Quand notre interlocuteur m’a relancé par téléphone à ce sujet, je n’ai pu que bafouiller lamentablement. Il a eu l’air déçu. Je crois qu’il nous a pris pour des pitres. La suite a montré à quel point il avait raison.

Nous avons appris, toujours par l’UNI bien sûr, que la seconde réunion de la commission électorale aurait lieu le mercredi 14, à dix heures. Olivier Ruet, venu spécialement à Paris pour ça, et Sancia De Cooman, porteurs de notre bulletin de vote (ci-contre) ont essayé d’y entrer, pendant que nous les attendions dehors. Nous n’avons pas eu à attendre longtemps : on leur a refusé l’entrée, et, comme le 7, on a refusé de leur remettre un document attestant qu’ils avaient essayé d’entrer. Nouveau communiqué de presse, avec cette fois ci appel à tous les parlementaires[41]. Je l’envoie en copie à toutes les adresses pêchées sur le site de l’Assemblée nationale. Nous n’avons eu aucune réponse[42], et toujours aucune de la presse, hors un contact, à notre initiative, qui fut instructif.

Olivier Ruet connaissait Emmanuel Davidenkoff, alors à Libération, rencontré à l’occasion d’une campagne de l’UNEF Caen pour exiger des transformations permettant aux aveugles et mal-voyants d’assister au cours. J’étais sceptique, car s’il était naturel que Libé s’intéressât aux droits des aveugles, il l’était moins qu’elle prît partie pour nous contre le gouvernement et l’U-ID, d’autant moins que ce journaliste défendait fanatiquement les réformes que nous combattions, mais ça ne coûtait rien d’essayer. À ma grande surprise, le premier contact fut cordial. Il était très intéressé, scandalisé par ce qu’on nous faisait. Il m’a même dit qu’il y en avait marre du monopole de l’UNEF-ID. Je lui ai donc envoyé tout le dossier par mail (ce qui me donne la date de la conversation : le 14 juin). Fin de la bonne surprise au bout de quelques heures seulement : Davidenkoff me rappelle, manifestement embêté, pour me dire que le ministère, interrogé par lui, lui répondu que notre liste n’étant pas une liste (deuxième attestation de ce qui était en train de devenir le mensonge officiel) le refus de nous donner le droit de la rectifier était parfaitement légitime, et que dans ces conditions il ne pouvait pas faire d’article. Je lui ai demandé s’il trouvait surprenant que le ministère ne reconnût pas spontanément qu’il agissait illégalement, et me suis étonné de la conception qu’il manifestait de son métier de journaliste. Il m’a répondu fermement qu’il n’avait pas à prendre parti entre le ministère et nous. Je l’a reconnu volontiers, mais ai observé qu’il pourrait, par exemple, présenter impartialement les deux points de vue. Il m’a fait une réponse tout à fait épatante : il n’était pas journaliste politique mais « société ». La police était décidément bien faite. Nous nous sommes quittés gentiment. Il m’a même souhaité bonne chance. (Je ne me souviens plus à quel moment de cette conversation je lui ai dit qu’on nous avait donné le lundi 5 un récépissé. Il m’a dit alors « S’il y a dessus le mot liste, vous gagnez ». Je l’ai laissé pour appeler Jihad, qui l’avait reçu et conservé, et m’a confirmé que le mot y était. J’ai rappelé Davidenkoff. Mais ça ne lui semblait plus suffisant).

Sancia a voulu appeler le Canard enchaîné. Là, pas de surprise. Elle a eu un gars à qui elle a raconté l’histoire, qui a dit qu’il transmettrait. Aucune suite bien sûr.

J’avais publié dans la journée, ou le lendemain, sur le site unef.org, une version ordonnée de l’ensemble du dossier. Elle y est toujours, telle quelle[43] (celles des annexes qui n’étaient qu’annoncées parce qu’il fallait scanner les documents sont toujours absentes), avec seulement une ligne rajoutée un peu plus tard, à laquelle je viens.

Il ne nous restait donc plus qu’à attaquer en justice, non que nous eussions beaucoup d’illusions, mais parce que nous avions menacé de le faire. Ce fut logiquement Jihad Wachill, notre juriste, qui s’en chargea. Il trouva pour ce faire une amie avocate (je ne me rappelle plus si c’était bénévolement, ou à prix d’ami) qui lui donna les formules pour attaquer en référé, la première chose à faire bien sûr, vue l’urgence, pour obtenir la suspension du vote par correspondance.

Voici le texte de la demande, déposée le 20 juin, que j’ai immédiatement publiée sur le forum sous la signature de Jihad :

Jihad Wachill, 1 rue Lefèbvre 75015 Paris, agissant en tant que déposant de la liste Ensemble pour une Université publique de qualité ouverte à tous pour l'élection des représentants étudiants au CNESER. à Monsieur le Président du Tribunal de grande Instance de Paris

objet: demande de référé d'heure en heure pour voie de fait.

Monsieur le Président,

Je vous écris par la présente pour une requête en référé d'heure en heure, étant donnée la situation d'urgence, pour voie de fait à l'encontre de Monsieur le Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, responsable des actes de ses subordonnés exercés dans le cadre de leur fonction.

En effet, certains de ceux-ci ont agi de manière grossièrement irrégulière, commettant des actes insusceptibles de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir de l'administration

Le secrétaire général du CNESER, Monsieur Jean-François Guedon, après avoir reçu la liste Ensemble pour une Université publique de qualité ouverte à tous, et m'en avoir donné récépissé le lundi 5 juin, a refusé de recevoir nos représentantes venues lui remettre les pièces qui semblaient suffisantes à sa validation, sans nier la possibilité prévue par les textes d'exercer un droit de rectification, mais en évoquant des "ordres venus de très haut". Il a refusé de leur remettre un document attestant qu'elles s'était présentées à lui en vain.

Le personnel de l'accueil du CNESER a refusé immédiatement après de recevoir les mêmes documents sous enveloppe adressée à Monsieur le Ministre, et refusé de donner à nos représentantes un document attestant leur demande et leur refus.

La Commission nationale consultative sur les élections du CNESER semble avoir refusé par deux fois d'examiner la conformité de notre liste, et ne nous a en tout cas fait parvenir aucune notification, à ce sujet, en contradiction flagrante avec l'article 4 de l'arrêté du 14 mars 2000 fixant les modalités d'élections au CNESER.

Ces actes portent atteinte à une liberté fondamentale, le droit d'éligibilité qu'avaient souhaité exercer activement les candidats de notre liste en se présentant, dans les conditions prévues pour ce faire.

De plus, ces faits perturbent l'exercice du droit de vote des électeurs à ces élections en restreignant arbitrairement leurs possibilités d'expression, situation qui doit être réparée.

Enfin, ces décisions sont, sans aucun doute possible, discriminatoires, comparées au traitement dont ont bénéficié les autres listes, et donc contraires au principe d'égalité. La commission nationale semble en particulier avoir accepté lors de sa réunion du jeudi 8 juin, d'enregistrer sous réserve qu'elle soit complétée une liste ne comportant que deux noms.

Nous avions déposé le lundi 5 une liste de 18 noms, où manquait l'ordre des candidats et quatre actes de candidatures. Malgré l'absence de notification de non-conformité, qui laisse courir le délai d'exercice de notre droit à rectification de la liste déposée, a été, après le refus déjà cité de Monsieur Guédon, adressé par courrier recommandé avec accusé de réception au président de la commission, reçu par lui le mardi 13 juin. Nous n'avons à ce jour reçu aucune réponse, alors que le processus électoral est commencé.

Le ministère semble prétendre que ce n'est pas une liste que nous avons déposée, en contradiction avec le récépissé qui m'a été remis par Monsieur Guedon le lundi 5 juin. Surtout, rien dans l'arrêté déjà cité ne permet de dénier la qualité de liste à des documents déposés au lieu prévu dans le délai prévu.

Pour ces motifs, constatant la voie de fait (atteinte à une liberté fondamentale et actes manifestement insusceptibles de se rattacher à un pouvoir de l'administration), nous vous prions d'ordonner l'interruption des opérations de vote en cours pour l'élection des représentants étudiants au CNESER, le report de ces élections dans l'attente d'une décision sur le fond,, le versement d'astreintes significatives en cas de continuation du processus électoral et la mise sous séquestre des bulletins de vote retournés par voie postale si le ministère persistait jusqu'à la date prévue de clôture du scrutin.

Le lendemain, 21, nous avions l’ordonnance nous autorisant à assigner Jack Lang pour le 22 à seize heures (communiqué sur le forum à 10h30). Là se posa un problème imprévu : l’assignation devait lui être remise par un huissier, à notre initiative (et à nos frais) avant 21 heures, et nous avons découvert que ces choses là ne poussaient pas sur les arbres. Pas moyen d’en trouver un disponible. Nous avons donc dû (après avoir pris la précaution de trouver préalablement l’huissier) demander une nouvelle date, qu’on nous a donnée presque immédiatement, mais pour le mardi suivant, 27 juin (communiqué sur le forum à 17 heures).

Nous attendîmes donc, en nous disant qu’avec un juge unique, il y avait une petite chance que ça marchât, même si le plus probable était qu’il gobât le grossier mensonge officiel contre notre juste cause. Le juge n’a pas gobé, mais ça n’a pas marché : il s’est, courageusement, déclaré incompétent. Après vingt ans, cette décision me paraît toujours, si elle n’est que trop compréhensible politiquement, juridiquement aberrante. Nous étions dans le cas typique pour lequel on a inventé les référés, et les juges de ceux-ci. Il y avait évidemment urgence, puisqu’un processus électoral était commencé, que nous disions entaché d’irrégularité. L’affaire était très claire : nous produisions un récépissé attestant que nous avions déposé une liste dans les délais requis, citions l’arrêté qui donnait un droit de rectification après notification à quiconque avait déposé une telle liste, si elle était jugée invalide, constations que nous n’avions reçu aucune notification (ce point n’a jamais été contesté) et que le processus électoral avait commencé sans nous ; en face, le ministère soutenait, contre toute vérité, que puisqu’il ne s’agissait pas d’une liste, faute de récapitulatif, nous n’avions aucun droit à rectification. Le juge pouvait donc choisir, souverainement puisque telle est la loi, entre la vérité, qui aurait donc entrainé le report de l’élection, et provoqué le scandale que nous essayions de susciter depuis le 7, et le mensonge manifeste. Il n’a apparemment pas osé assumer le mensonge, mais pas non plus choisir la vérité, et toutes ses conséquences.

Nous aurions dû bien sûr attaquer ensuite au fond, devant les juges administratifs sur la validité de l’élection, et au pénal sur ce qu’on nous avait fait. Il n’y avait bien sûr pas grand-chose à en attendre : nous avons parlé de l’annulation des élections précédentes pour fraude massive de l’UNEF-ID ; il ne vous aura pas échappé qu’elle avait été prononcée précisément à l’échéance du mandat, ce qui la rendait sans effet concret, de telle sorte qu’il était difficile de ne pas croire que les juges bourgeois n’avaient pas voulu nier une fraude évidente, mais avaient soigneusement attendu la fin du mandat pour la constater. Une annulation de cette sorte était ce que nous pouvions espérer de mieux. Nous n’aurions pas moins dû poursuivre, si nous avions voulu montrer de quel bois nous nous chauffions. Mais les événements que nous allons incessamment voir nous en ont empêchés, puisque le collectif qui avait des raisons légitimes de se plaindre n’existait plus.

Il n’a pas été question de cette absence de jugement sur le forum, et je n’en ai aucune trace dans mes mails privés non plus. C’est que nous étions alors, comme on va le voir, occupés à d’autres choses, puis que le résultat nous a conduit à oublier cela.

Les candidats sur notre liste ont reçu bien tard, pendant l’été (J’ai conservé un mail de Guirec du 8 août, « Au fait, je viens de recevoir par lettre recommandée avec AR un courrier de A.PERITAZ expliquant que ma candidature pour les élections n'avait pu être prise en compte car elle n'était pas jointe en annexe à une liste, et que conformément à l'article 3 de l'arrêté du 14 mars 2000 cette candidature ne pouvait donner lieu à aucune régularisation au delà du lundi 5 juin 2000, à 18 heure, date limite de dépôts des listes de candidats. ». J’ai aussi un mail de Wilfried du 9 août m’indiquant qu’il avait reçu le même), un courrier du ministère expliquant, que leur candidature n’était pas recevable car elle n’était pas d’une liste. Il aurait évidemment fallu attaquer ce courrier devant les juridictions théoriquement (ceci vue l’expérience précédente) compétentes. Nous n’en avions plus les moyens, ni la volonté.

Comme l’affaire n’est jamais venue devant les tribunaux au fond, nous n’avons jamais pu solliciter le témoignage promis à Sancia et Sophie par Jean-François Guedon, et savoir qui était ce « Très-Haut » qui lui avait ordonné de ne rien recevoir de nous. On ne peut qu’émettre des hypothèses. Une telle altitude semble indiquer qu’il s’agissait au moins du ministre, en tout cas de son cabinet que dans ce monde là on lui assimile volontiers. Il faut rendre cette justice à Jack Lang qu’il n’a jamais rien compris au syndicalisme étudiant, ni essayé de faire semblant. Y avait-il à son cabinet quelqu’un pour faire ça à sa place ? C’est possible. On ne peut éviter de se rappeler aussi qu’il avait un ministre délégué à tout à fait autre chose, qui a depuis acquis une notoriété relative, un nommé Mélenchon, qui avait été de la maison d’en face, et s’il n’avait plus de lien direct avec elle, en avait un très fort avec son camarade de courant Julien Dray, alors son véritable patron. Il est également possible que « Très-Haut » ait été plus haut encore, à Matignon (Si un lecteur ne voit pas le rapport entre Jospin et l’UNEF-ID, qu’il nous écrive).

Entre-temps, le résultat des élections avait été publié. La liste de l’UNEF-ID et des traîtresses obtenait 684 voix, soit moins que le nombre des élus revendiqués par la seule UNEF-ID (715 selon le rapport de Cécile au CN du 3 juin). Il était clair qu’il y avait eu fort peu d’élus de l’UNEF pour voter pour ça, ce qui confirmait tout ce que nous avions dit sur l’imposture de la « réunification ». Les voix manquantes de l’U-ID s’expliquaient aisément, ce qui confirmait ce que nous avons dit plus haut sur l’annulation de l’élection de 1998, et justifiait en un sens le coup de la domiciliation rue Albert Thomas : certains de leurs élus étaient si bidon qu’ils n’avaient même pas l’idée de renvoyer le courrier officiel. Nous n’avons pas eu de décompte par université. Il n’existait pas officiellement, mais comme on l’a dit, on dépouillait ainsi. D’habitude, l’UNEF-ID le publiait officieusement : elle ne l’a pas fait cette année. Personne de ceux qui étaient présents au dépouillement ne s’est soucié de nous faire savoir combien de nos bulletins étaient apparus. La liste U-ID et compagnie a obtenu cinq élus (autant que les sortants de l’U-ID) sur onze, alors que les deux UNEF avaient toujours eu jusque là la majorité. L’élu perdu est allé à l’UNI, ce qui était, somme toute, moral.

2- Défendre l’UNEF contre les liquidateurs

Parallèlement à ce combat juridique honteusement truqué, nous en menions un autre pour défendre la légitimité de notre démarche à l’intérieur de l’UNEF. Le forum du site unef.org a été, en l’absence de réunion nationale jusqu’au 28 juin, le seul théâtre public des affrontements, ce qui a montré à quel point l’idée qu’avait eue Guirec de le créer un an plus tôt était géniale.

Quelques précisions techniques semblent s’imposer. Il s’agissait d’un service offert par altern, alors notre hébergeur. C’était une liste d’adresse électroniques : tous les messages envoyés à l’adresse discussions@unef.org parvenaient à tous ceux qui s’y étaient inscrits (ou que nous avions inscrits) avec le préfixe [discussions]. Les messages étaient aussi lisibles sur le site unef.org, sur une pages d’archives qui était en fait une page mail d’altern, pourvue par une adresse archives-discussions ajoutée à la liste. Nous avons, manuellement, à mesure que les messages s’accumulaient, créé plusieurs pages d’archives, en modifiant l’adresse sur la liste. Vous pouvez voir aujourd’hui ces pages d’archives sur le site unef.org. Si vous les trouvez moches (Il y a en particulier un problème sur les caractères accentués dans les titres. Manifestement, il y avait dans l’affaire une machine angle ou saxonne qui ne voulait pas les reconnaître, et mettait des abominations à la place), sachez qu’elles sont le résultat d’un bricolage ultérieur, et qu’elles l’étaient encore plus alors. Nous n’en avons malheureusement pas conservé de copie.

S’est posé rapidement le problème de la censure, dite « modération ». Au tout début du forum, il n’y en avait pas du tout, à un moment où presque personne ne lisait ce que fort peu de gens écrivaient. Quelques messages regrettables, genre provocation de fascistes assumés, nous avaient conduits à mettre en place un système où les messages des abonnés passaient automatiquement, les autres étaient soumis à l’autorisation de deux « modérateurs » désignés démocratiquement par Guirec, lui et moi bien sûr. L’inscription sur la liste était aussi soumise à notre autorisation, ce qui ne servait pas à grand-chose puisque la plupart des noms ou pseudos des candidats ne nous disaient rien (mais permettait cependant d’empêcher les indésirables de se réinscrire avec la même adresse après avoir été exclus). Au début des hostilités, je tenais à maintenir le système de liberté totale de publication pour les inscrits, avec l’argument que tous ceux qui étaient concernés avaient le droit de s’exprimer comme ils le souhaitaient (ce qui n’a pas empêché beaucoup de gens n’ayant aucune envie de s’exprimer sur le forum de répandre qu’on ne les y voyait pas parce qu’ils étaient censurés). L’idée était qu’il y avait des gentils, nous et les nôtres, qu’il fallait laisser parler (Il était aussi bien pratique, quand certains allaient jusqu’aux insultes, de répondre aux vertus indignées que nous n’y pouvions rien, puisque nous nous refusions à censurer), et des méchants qui, n’ayant aucun argument valable, nous serviraient en le montrant (beaucoup en étaient malheureusement conscients). Il a vite fallu constater que ce plan ne valait rien, parce qu’il y avait des tireurs dans le dos qui prétendaient s’exprimer au nom de certaines de nos AGE (un des premiers censurés a été Hugues Lévécot, d’Evry, sur décision de Guirec qui ne voulait voir qu’une seule tête), et surtout parce que certains ont commencé à poser la question à éviter de l’avenir (on en parlera en troisième partie). Dans un premier temps, nous avons maintenu le système en virant de la liste quiconque publiait un message indésirable, ce qui était doublement mauvais : d’une part, ça nous privait de lecteurs, et parfois de contributeurs utiles sur d’autres sujets, d’autre part nous ne pouvions intervenir que quand le mal était fait. Nous avons fini par adopter (à la fin de l’été) le seul système raisonnable : liberté d’inscription à la liste, censure préalable de tous les messages.

Les messages sont sur le site. Il est donc inutile de les reprendre ici. Ils ne manquent pas d’intérêt, mais sont impossibles à résumer ou analyser dans un espace raisonnable

Cas particulier, le forum a reçu, dès lundi 5 au soir, des prises de position officielles d’AGE (nous les avons regroupées sur une page du site unef.org, où elles sont toujours), de la FAEB de Bordeaux (bureau le 5 juin, assemblée générale le 20), de l’UNEF Arras (AG le 5), de l’UGED de Dijon (AG le 6), de l’AGEUR de Rennes (bureau le 6), de l’UNEF Caen (AG le 7), de l’UGEM de Montpellier (bureau le 7), de l’UNEF Lyon (collectif de ville le 9), du CEN de Nantes (AG le 19) et enfin de l’UNEF Paris VIII (collectif le 21), la seule à approuver le processus engagé. Toutes les autres le condamnent fermement, exigent en général la démission du BN, parfois un congrès extraordinaire, soutiennent parfois explicitement notre liste, à l’exception de Bordeaux qui prend une position très balancée, déplorant la liste avec l’U-ID, rejetant le processus de « réunification », mais ne voulant pas non plus de notre liste et réservant sa position pour l’avenir[44]. Ni Orléans, ni Clermont, ni Orsay ne se sont exprimées.

Pour le reste, le débat a été limité à quelques personnes. Comme on l’a déjà vu, l’usage d’internet était alors très peu répandu. Je n’ai jamais su qui nous lisait exactement (même si j’ai pu mesurer que nous avions un impact certain), ni, parmi les camarades inscrits sur la liste qui ne s’exprimaient pas ou très peu quels étaient ceux qui ne souhaitaient pas le faire, quels étaient ceux qui avaient une adresse mais non les moyens de la consulter régulièrement. Le seul théâtre public était donc, de fait, très peu représentatif, même si la plupart des intervenants prétendaient parler au nom de beaucoup d’autres, parfois à raison.

De notre côté, il y a eu quelques interventions de Gaétan Alibert, de Montpellier, de Jean-François Mazert, de Lyon, un peu plus de Nicolas Pailleux, de Guirec aussi (qui, prudent, préférait me laisser faire), mais trois intervenants principaux, presque exclusifs sur la fin, Nathan Balsan-Duverneuil, du SEUL, Manuel Canévet, de Nantes, et moi-même. Comme cela ne faisait pas beaucoup, j’ai essayé de varier mes signatures, en m’appelant UNEF Paris IV quand il s’agissait de choses pouvant engager l’AGE, Webmestre quand il s’agissait du site et du forum, et en prenant une adresse spéciale, déjà citée, pour les communiqués officiels. J’ai aussi créé, avec leur accord, deux adresses @unef.org pour Jihad et Sancia, qui n’avaient aucun accès à internet, pour y publier certaines choses à leur demande, d’autres à mon initiative avec leur autorisation, parfois sans quand je trouvais ça urgent.

En face, un seul membre de la direction nationale de l’UNEF s’est impliqué, Stéphane Paturey (à part une tentative particulièrement ridicule de Rémi Lacapère), qui a tenté de défendre ce qui était indéfendable, que la décision du CN était légitime, et qu’il ne s’agissait pas du tout d’une liquidation de l’UNEF dans l’U-ID, alors qu’il n’avait manifestement pas les capacités pour ce faire. Il en a pris plein la tête, ce qui est un peu injuste : il a payé pour tous les autres, qui n’ont même pas essayé. Cécile Cukierman n’est intervenue que sur la question de la validité de notre liste, comme on l’a vu. Tous les autres ont été très discrets, pas pour des raisons techniques, Internet fonctionnant très bien rue Pailleron (c’était la seule chose qui y fonctionnât), mais apparemment parce qu’ils avaient compris (ou qu’on leur avait fait comprendre) qu’il vaut mieux, quand on n’a aucun argument, se taire. Le seul soutien de Stéphane a été un nommé Laurent Mély, trésorier de l’AGE d’Orsay, tout à fait grotesque.

Le débat aurait pu tourner court (à notre grand regret, car nous pensions y avoir intérêt), si n’étaient pas venus des soutiens tout à fait inattendus à la direction. Ce fut d’abord le mystérieux Redstar, se présentant désormais comme « réseau » et utilisant la première personne du pluriel, qui, surprise, employait désormais la méthode baveuse dont il usait naguère contre Karine Delpas et son équipe pour défendre leur décision de liquider (ce qui expliquait bien des choses) et nous accuser de nombreuses turpitudes. J’ai répondu fermement point par point, et « Redstar » n’est plus revenu (Il est à peu près certain qu’il a continué à baver ailleurs, en évitant soigneusement mon adresse et celles des camarades qui m’auraient transmis ses crachats). Lionel Benharous, ancien président de l’UNEF Paris IV (jusqu’en 1997) et membre du BN (jusqu’en 1998) est intervenu pour prêcher l’unité, le seul qui l’ait fait avec intelligence, et courtoisie. Je lui ai répondu avec la même courtoisie pour conclure qu’il devrait être de notre côté. Il n’a pas insisté. En revanche, nous avons assisté à un déchainement de Raphaël Aulas, ancien secrétaire national dont il a déjà été question, sans intelligence ni courtoisie, pour insulter tout le monde, moi particulièrement, et défendre le « processus » en prétendant qu’il ne s’agissait pas du tout de réunification. C’était, comme dans la phase précédente, quand il bavait sur Karine, le ton, la ligne et les arguments de « Redstar » la syntaxe en moins (Raphaël n’était donc pas l’anonyme, mais un de ses laquais).

L’UNEF-ID ne s’est absolument pas mêlée à nos débats. Alors que nos contradicteurs nous disaient qu’il ne s’agissait pas du tout de réunification, mais de l’amorce d’un processus beaucoup plus large d’unité du mouvement étudiant, dans lequel rien n’était joué (en ayant commencé par la renonciation unilatérale à l’élu UNEF au CNESER, il fallait avoir un culot d’acier ou être très con. Je suis incapable, aujourd’hui encore, de dire qui avait un culot d’acier), elle affichait paisiblement, dans la presse bourgeoise et sur son site web (avec à la une un logo animé où le leur et le nôtre se rapprochaient pour fusionner, avec la conclusion « Une seule UNEF, la grande UNEF »)

que la « réunification » était faite[45]. Il y eut une seule exception, dans son « opposition », la LCR (son blase alors était TUD, mais commençait déjà à devenir Tous ensemble). Est arrivée sur le forum, le 14 en soirée, une « contribution de camarades de l’UNEF Paris X », signée bizarrement Julien Dutripon (secrétaire à l’organisation de l’unef Paris X), Marie Quinot (membre du Bureau d’AGE de l’unef Paris X) et Gaël Quirante, sans attribution (le bizarre était qu’il n’y eût pas de président d’AGE, et que le Chef fût sans attribution) qui se consacrait à dénigrer l’UNEF (en la limitant à sa direction nationale) pour laisser entendre qu’il était donc très chouette d’aller dans l’U-ID, sans en dire du bien cependant, mais parce que l’unité c’était beau. Ce mail avait la particularité d’être envoyé par Karel Yon, le chef LCR dans l’U-ID, ce que j’ai fait remarquer immédiatement, en signant « Sancia » pour changer, et parce que ça convenait mieux à un étonnement naïf, sous le titre Le monde est tout petit « Signalons à tous les gentils militants de l'UNEF lecteurs de l'intéressante contribution de "camarades de l'UNEF Paris X" que Karel Yon, sous l'adresse de qui le mail est envoyé au forum, est membre du BN de l'U-ID au titre de la TUD. En somme, c'est l'U-ID qui veut se réunifier avec l'U-ID... Instructif ». Karel a répondu à « Sancia » en lui disant que voilà, il y avait beaucoup d’étudiants pauvres qui n’avaient pas Internet, et qu’il avait fait preuve de charité en leur prêtant son adresse, puis en recopiant un appel à l’unité syndicale datant de mars, pour lutter contre les réformes bien sûr. J’ai réagi, sous mon nom cette fois ci, pour lui demander ce qu’il faisait quand il y avait deux listes pour le CNESER, une de l’U-ID et de la direction de l’UNEF (dont il pensait tant de mal) soutenant les réformes, une de rassemblement syndical s’y opposant. J’attends toujours sa réponse.

Il y avait aussi un Nantais nommé Vincent Charbonnier, qui publiait de très longues tartines dans un jargon ayant fort peu à voir avec la langue française (il paraît qu’il a fait depuis une belle carrière universitaire : il avait toutes les qualités pour cela) dont il semblait ressortir que nous étions tout très méchants, et que l’unité c’était beau. Nous avons pris renseignements auprès de Manuel Canévet, dont nous avons tiré que c’était un garçon qui avait quitté l’U-ID au moment du congrès de Clermont de 1993, qui aspirait paradoxalement à y retourner, était seul de son espèce dans le CEN, bref, un pitre inoffensif. La suite des événements fait douter de son caractère isolé et inoffensif, non du reste.

Si la direction nationale de l’UNEF s’exprimait peu en public, elle était très active en coulisses. Aucun de ses membres ne s’est adressé à moi pendant ces semaines : j’étais devenu, définitivement, infréquentable. En revanche, Philippe Lieutaud et Manuel Canévet, sans doute également Olivier Ruet, ont eu des coups de téléphone pour leur parler apaisement, baisse de la tension, nécessité de s’entendre entre gens raisonnables (pas comme moi). Nous n’avons guère eu le temps de nous réjouir de ces intentions iréniques, car nous avons rapidement appris par des camarades qu’avec tous les autres que les têtes d’affiche, la méthode était plutôt l’intimidation et le chantage à l’exclusion. Julien Giral, de Paris XII, a été ainsi averti qu’il serait chassé de l’UNEF et de son local de Créteil s’il persistait. Guirec a été menacé à propos du site unef.org. A Lyon, la direction cherchait des adhérents à dresser contre Sylvain Henry et Nicolas Pailleux. Gaétan Alibert, de Montpellier, a également été menacé. Une affaire particulièrement grotesque a été montée contre Jihad Wachill qui avait observé dans le débat du CN que la poussée réunificatrice revenait à chaque printemps et s’était demandé (c’était sa façon à lui d’être subtil) si ce n’était pas hormonal. Ça a été transformé en propos sexistes contre les filles du secrétariat (ces conneries commençaient alors seulement) justifiant une procédure d’exclusion. Rémi Lacapère a fini par écrire sur le forum « Les propos de Jihad lors du collectif national ; "peut-être cette décision soudaine est dù au cycle hormonal des personnes qui ont rencontré les autres organisations" ne peuvent être banalisé. NON Jihad, les femmes peuvent prendre des décisions importantes même pendant leurs périodes de règles, elles ont une âme et méritent d'être traitées à égalité! La Direction du Medef n'aurait pas fait mieux pour argumenter qu'une femme ne peut pas être à un poste important d'une entreprise. Ce discours des plus réactionnaires doit s'arrêter trés vite, avant que les dérapages ne se généralisent (homophobie, antisémitisme peut-être ?). C'est sur ce point qu'a été saisie la Commission de contrôle de l'Unef. » De gros efforts ont été déployés pour convaincre les accusateurs que les hommes avaient aussi des hormones, en vain. Puis il n’en a plus été question.

Je ne sais si ces manœuvres d’intimidation ont eu quelque succès. Fatalement, nous n’avons eu connaissance que de celles dont les victimes n’ont pas été impressionnées. Le fait est que des camarades d’abord très excités contre la direction nationale ont soudain disparu de la circulation.

Nous avons eu aussi des indices d’un mouvement d’évacuation sanitaire de cadres communistes opposés à la « réunification » vers des responsabilités dans l’UEC, le Parti, ou vers des municipalités.

Sur ce front là, du moins, tout allait bien pour nous. Il était clair que la direction nationale n’avait que l’intimidation pour défendre une décision indéfendable, qu’une nette majorité des AGE était de notre côté, que quelques-unes hésitaient, mais qu’aucune hors Paris VIII n’approuvait la liquidation. Nous n’aurions pas les millions du CNESER mais pouvions, pour la première fois, espérer raisonnablement être majoritaires à un collectif national, la quasi unanimité des AGE, si toutes envoyaient des délégations complètes, pouvant compenser le poids du secrétariat et de ce qu’il lui restait du bureau national. En gardant notre cohésion, et en évitant tout excès gauchiste, nous pouvions récupérer la quasi totalité de ce qu’il y avait de syndical dans l’UNEF pour reconstruire une Union nationale.

Nous n’avons pas gardé notre cohésion, du fait d’excès gauchistes.

3- Defendre notre unité contre la division

Les ennuis ont commencé dès le mardi 6 juin, avec l’apparition sur le forum d’un message de Guillaume Cavé, de Nantes (où il était l’éternel opposant à Manuel Canévet) qui disait tout ce qu’il ne fallait pas dire, et lançait, pour la première fois, le nom de Fédération Syndicale Étudiante.

A tous les aveugles qui s'attachent au nom et à la structure de l'unef, je demande d'après eux comment va s'appeler la grande organisation qui va sortir de cette belle réunification? L'Unef! Vous voulez garder cela, il ne vous reste plus qu'à fonder l'Union Nantaise (ou Noyotée) des Etudiantes Frivoles. Trêve de baliverne, le nom importe peu, ce qui compte véritablement c'est le syndicalisme que nous défendons, que nous faisons chaque jour dans nos villes respectives. Vous voulez désespérément un nom, Fédération (ou Union) Syndicale Etudiante. L'Unef est morte, définitivement, profitons en pour achever les méthodes qui l'on amenée là ou elle est. Le renouveau de 1971 est le moment de la mise en place de ces pratiques, je trouve plus que douteux de vouloir s'y référé. Oui, c'est bien une révolution. Tout va très vite, et personne ne peut dire de quoi demain sera fait. Moi, j'espère que demain ne sera pas sous l'ombre de l'Unef, car on n'aura vraiment fait une révolution, un grand tour sur nous même. Guillaume du Collectif des Etudiants de Nantes (la suite je ne sais plus)

Une telle position n’était pas surprenante de la part de Guillaume, qui avait été partisan de la scission d’avec l’UNEF après le congrès de Pantin, avait fondé (presque seul) le CEN PSL (Pour un Syndicalisme de Lutte) à l’automne, et était revenu au CEN UNEF la queue entre les jambes après son échec. Elle tombait mal, puisqu’elle soulignait les contradictions que nous efforcions de taire en attendant de pouvoir les résoudre, s’en prenant même à mon slogan, pourtant inoffensif, du deuxième renouveau et, à travers lui, à notre ligne de défense de l’héritage de l’UNEF. Il a reçu le soutien immédiat et enthousiaste de Julien Chuzeville (que nous ne connaissions pas alors) du SEUL, avec un message intitulé Créons la Fédération syndicale étudiante, puis de Gauthier Chomel, l’un de nos deux jeunes interlocuteurs dans celui-ci. Ce n’était pas tout à fait surprenant, puisque la ligne du SEUL avait toujours été d’appeler ce qu’il nommait syndicats « de lutte » à rompre avec l’UNEF pour faire un syndicat national pur, mais nous croyions qu’elle avait changé avec les derniers événements. Un coup de téléphone à Nathan a permis apparemment de mettre fin au malentendu : il avertirait ceux de ses militants qui n’étaient pas au courant du changement. Le mail de Julien était passé. J’ai pu intercepter (avec l’accord de Nathan) celui de Gauthier, qui, n’étant pas inscrit sur la liste, passait par la censure. Si Guillaume restait seul, il ne faisait que désordre.

Mais les gros ennuis sont rapidement venus de Caen. Guillaume Hédouin, le seul Caennais à s’exprimer régulièrement sur le forum, y a publié dès le mercredi 7 au soir une Position de l’UNEF Caen, tout à fait correcte de notre point de vue[46]

Entendu que les décisions prises lors du collectif national de l'UNEF du 3 juin 2000 n'ont pas été portées à l'ordre du jour et que les délégués n'ont pu avoir de mandat clair de leurs AGE ; que le résultat des votes est contraire aux décisions du 79ième Congrès de l'UNEF réuni à Pantin :

L'UNEF-Caen, réunie en AG le 7 juin 2000, décide de refuser catégoriquement la décision du collectif national du 3 juin 2000 concernant la participation de l'UNEF à une liste avec l'UNEF-id au CNESER, et le processus de réunification.

Elle propose aux Associations Générales d'Étudiant-e-s qui refusent-elles aussi cette décision de se rencontrer le 17 et 18 juin pour entamer une réflexion ainsi qu'une démarche collective.

Nous ne voulons pas aujourd'hui que chacun décide de quitter, ou de rester, à l'UNEF de manière isolée. Nous refuserons dans tous les cas une réunification contre nature avec l'UNEF-id et nous quitterions l'UNEF le cas échéant.

UNEF-Caen, Le 7 juin 2000.

Mais avec un « Post Scriptum » redoutable, malgré une heureuse restriction : Nous organiserons au plus pressé la tenue de cette rencontre, mais si d'autres AGE posent candidature, nous examinerions ensemble la solution la plus à même d'être satisfaisante

Encore plus inquiétant, dans un message du lendemain, Guillaume précisait que les débats avaient été « houleux », et que la motion publiée la veille « était opposée à une proposition d'organisation dès la semaine prochaine d'une AG extraordinaire ayant pour ordre du jour le départ dans les délais les plus bref de l'UNEF. Ce texte a été repoussé à une voix près en faveur de l'organisation d'une rencontre des AGE s'opposant à la réunification. ». La suite était beaucoup mieux « L'ensemble de l'AGE de Caen est persuadée que nous ne pourrons pas "refaire" l'UNEF à l'heure actuelle. Mais nous ferons tout ce qui nous paraît possible pour empêcher que les AGE qui ne se reconnaissent pas dans le BN se dispersent "dans la nature" ou disparaissent par manque d'alternatives et d'avenir. Nous préférons les actions collectives à une logique "d'appel d'air". », et pouvait nous rassurer. Pourtant, tout ce qu’ils disaient ne pas vouloir s’est produit, de leur fait, ce qui lui donne un caractère prophétique.

Une réunion entre nous était évidemment nécessaire. La tenir à Caen était absurde géographiquement, car on pouvait difficilement imaginer plus excentré. C’était aussi toxique politiquement, d’une part parce que c’était l’AGE la plus marquée comme oppositionnelle, ce qui n’était pas un tort en soi mais pouvait rebuter certaines vocations récentes, d’autre part, surtout, en raison de son instabilité manifeste, que le vote à une voix près illustrait.

J’ai immédiatement répondu à Guillaume que nous préférerions la faire en Sorbonne « plus central, plus symbolique ». Lyon avait déjà proposé d’organiser des « États généraux de l’UNEF », ce qui était à peine moins bien géographiquement, et beaucoup mieux politiquement. Manuel Canévet, pour Nantes, trouvait qu’il fallait faire ça plus tard, sans proposer de lieu (mais ne voulait manifestement pas de Caen non plus). Nous n’avons eu aucune réponse, mais, dès le vendredi 9, une invitation unilatérale pour la réunion à Caen, avec un ordre du jour non discuté entre nous. Nous étions mis devant un fait accompli, et n’avions d’autre choix que céder, ou rompre avec eux, ce qui ne paraissait certes pas opportun. J’ai répondu (le 13) à Nicolas Pailleux qui voulait relancer la proposition lyonnaise « Ces temps-ci, chacun semble d'humeur à convoquer une grande réunion unitaire chez lui: ça va faire beaucoup de grandes réunions. Caen a pris une initiative en postant des convocs pour le week-end prochain sans crier gare. Ce n'était peut-être pas la meilleure méthode, mais il me semble difficile de ne pas répondre à l'invitation. ».

Je voulais rester optimiste, puisque les Caennais affirmaient qu’ils ne prendraient pas de décision unilatérale, et que j’étais certain qu’il n’y aurait pas de majorité parmi nous pour annoncer la sortie de l’UNEF et la création d’une nouvelle organisation. Je me trompais.

Il faut ici expliquer l’enjeu. La rupture immédiate avec l’UNEF pour créer une FSE quelconque était évidemment une sottise qui n’aurait jamais dû être envisagée dans ce contexte où c’était la quasi totalité de l’UNEF qui s’opposait à la trahison de la direction, où il s’agissait donc de maintenir la cohésion de cet ensemble sur ce point (ce qui aurait dû être facile) et de lui en donner une suffisante sur les autres pour assurer sa survie (ce qui n’allait certes pas de soi). Rompre officiellement avec l’UNEF pour créer un nouveau truc sur la ligne qui était jusque là celle des AGE oppositionnelles, c’était se couper de toutes les autres qui n’en étaient pas, qu’on ramenait à la situation de guerre froide qui avait existé depuis le congrès de Pantin. Précisément, les tenants de cette position étaient restés bloqués sur ce congrès. La question de la scission de l’UNEF était alors une question sérieuse, tant toute discussion y était impossible. Ça avait été le choix, nous l’avons vu, de Limoges, du Mirail et de Pau, qui faisaient de fortes pressions, fortement appuyées par le SEUL, pour que d’autres AGE suivissent. Partout ailleurs, les amateurs de scission se sont heurtés à des gens vieux et se pensant raisonnables, qui, ne pouvant nier qu’il n’y eût alors plus rien à faire dans l’UNEF, les ont convaincus par la persuasion quand c’était possible, par le fer et par le feu à défaut, qu’il n’y avait pas non plus de perspective crédible dehors, et que la sagesse était d’attendre les événements. Ceux-ci venaient de leur donner raison spectaculairement, puisque la désertion unilatérale de la direction de l’UNEF rendait désormais possible la discussion entre toutes les AGE. La ligne « Ils s’en vont. Nous restons » était incontestablement la seule efficace pour permettre de mener cette discussion sur l’organisation que nous voulions, et arriver à une position acceptable par tous contre la politique anti étudiante du gouvernement. Le SEUL, via Nathan, disait l’avoir compris (je reviendrai sur ce point). D’autres ont été incapables de le comprendre, les battus du débat précédent, qui s’étaient totalement désintéressés depuis un an de l’UNEF, nationalement en tout cas (localement, je ne peux savoir ce qu’il en est), n’y revenaient que parce qu’ils ne voyaient dans les événements qui changeaient tout que l’occasion de prendre leur revanche.

Nous avons déjà parlé de Guillaume Cavé. À Caen, le débat sur la scission post congrès avait été très rude (A la réunion Ensemble contre les réformes Allègre de Limoges en mai 99, il y avait autant de positions que de Caennais, presque toutes scissionistes) mais Olivier Ruet avait réussi à imposer le maintien dans l’UNEF, et même, pour enfoncer le clou, l’abandon du nom ACE-UNEF (Association caennaise des étudiants) pour UNEF Caen. Il n’est pas difficile de reconstituer ce qui s’est passé le lundi 5 juin, et ensuite : alors qu’Olivier s’était engagé avec nous pour une liste sur la ligne L’UNEF continue, ses adversaires d’alors, Fabien Guillot en tête, que nous croyions totalement disparu, lui sont tombés dessus pour lui imposer une ligne du genre Aidons joyeusement l’UNEF-ID à détruire l’UNEF, derrière SUD, puis une scission immédiate. Il est plus difficile de comprendre pourquoi Olivier n’a pas eu cette fois ci la volonté de leur résister, l’argument « C’est la démocratie » qu’il a parfois sorti étant de nature à faire rire un chat, si ce chat a la moindre expérience du syndicalisme étudiant. Il est assez facile de comprendre, très difficile d’accepter, qu’Olivier, au lieu de nous dire qu’il ne contrôlait plus rien, se soit constamment payé notre tête, et ce, comme on va incessamment le voir, jusqu’à la fin du mois.

La réunion de Caen a tourné au guet-apens. J’ignore encore quelle fut la part des intentions délibérées, de circonstances malheureuses, de la maladresse. Je ne pouvais y être le samedi, parce que nous fêtions les soixante-dix ans de mon père, une grande fête comme ma mère aimait les organiser, avec toute la famille, chez moi, à l’autre bout de la France, plus exactement à l’hôtel Le Fartoret à Éloise qui appartenait à un de nos cousins, et que je ne pouvais décemment être ailleurs (c’est le jour où j’ai fait autre chose dont j’ai parlé en introduction). Je vois en retrouvant un mail à Manuel Canévet que je prévoyais d’y être le dimanche : je l’avais oublié. Je ne me rappelle plus pourquoi Philippe, Jihad et Sylvestre n’y étaient pas non plus. Il n’y avait personne de Paris XII. Pour les quatre AGE de la région parisienne, la délégation se réduisait à Sancia et Guirec, ce qui semblait être suffisant. Manuel Canévet, qui commençait à branler dans le manche (mais ça, je ne l’ai compris qu’après) m’avait dit par mail que cette réunion ne l’intéressait pas (mail conclu par « frite bien du gauchiste ») ne venait pas, et n’envoyait personne de Nantes. Il y avait pour l’AGEL de Lille son président, Gilles Andriès, pour l’UGEM de Montpellier Gaétan Alibert, pour Lyon son tout nouveau président, Matthieu Piquemal, dont c’était la première réunion nationale, pour l’UGED de Dijon Julien Zloch, pour Arras Mélanie Bourdrel, tout aussi inexpérimentés. Les organisateurs caennais avaient demandé qu’il n’y eût pas plus de deux délégués par AGE, précaution manifestement inutile, vue la distance à parcourir. Il n’y avait personne de Rouen, pourtant proche.

J’étais au bord de la piscine de l’hôtel, le samedi soir en fin d’après-midi (si j’avais vraiment eu l’idée d’aller à Caen le lendemain, j’y avais en tout cas renoncé) quand j’ai eu un appel sur mon portable de Guirec, qui m’a appris qu’ils étaient en train de fonder la FSE, que tout le monde était d’accord sauf Gilles, pour Lille, que Guillaume Cavé, qui était là, avait garanti que l’AGE de Nantes le suivrait, que Sancia avait dit qu’à Paris IV tout le monde serait pour, sauf Philippe et moi. Je dois à la vérité historique de dire que lui-même n’était pas clair : il m’appelait aussi pour me demander s’il devait réserver le nom de domaine fse.org.

Je ne sais plus si ses explications m’ont suffit pour comprendre ce qui se passait, ou si je l’ai compris le lendemain seulement. Je le place ici quand même. C’était très simple. On s’attendait à ce que les Caennais, qui avaient demandé deux délégués par AGE, mandatassent deux des leurs pour parler en leur nom. Point du tout : ils étaient tous là. Dans un mail ultérieur, je parle de sept, auxquels s’ajoutaient Guillaume Cavé et un copain qu’il avait amené, qui ne représentaient pas le CEN de Nantes mais faisaient comme si. Il n’était donc pas étonnant que cette majorité écrasante dans la salle eût convaincu Gaétan, dont c’était la pente naturelle, et les trois délégués totalement inexpérimentés de Lyon, Dijon et Arras. Il était en revanche scandaleux pour moi que Sancia saisît l’occasion de nous faire un enfant dans le dos. Ce n’était certes pas le premier, plutôt un des cadets (non le benjamin) d’une nombreuse famille. Mais elle semblait avoir compris que ça ne lui réussissait pas, et paraissait, la veille encore, sûre sur la ligne L’UNEF continue.

J’ai dit à Guirec ce que j’en pensais, puis ai cherché une voiture pour redescendre à Bellegarde, attrapé le dernier TGV pour Paris (Je me rappelle vaguement avoir essayé de passer des coups de téléphone du train, à Matthieu sans doute, Mélanie peut-être, voire Sancia, sans grand succès en tout cas), dormi dans ma piaule rue Pierre Nicole, et, le lendemain matin, pris à Saint-Lazare le train pour Caen.

J’ai été accueilli à l’entrée de la fac par deux camarades, Guillaume Hédouin, et un Nicolas dont je n’ai jamais su le nom (pas Gosselin, donc, l’autre), très cordiaux, souriants, mais un peu gênés quand même, qui m’ont conduit à la salle de réunion. Il devait alors être assez tard dans la matinée. Je suis incapable de reconstituer le déroulement de cette journée. J’ai deux documents écrits. Le premier est l’Appel de Caen (j’y viens). Le deuxième est un mail que j’ai envoyé dimanche soir de ma piaule à Manuel Canévet, avec copies à Guirec, à Nathan, à Wilfried (de Toulouse) puis à William Roger (de Lille) comme compte-rendu officieux et strictement confidentiel, peu sobrement intitulé Enfer sans purgatoire, totalement négatif où il est question d’écarteler et de pendre. Avant de le citer, je dois préciser qu’il ne correspond pas à mes vagues souvenirs sur un point : il me semble qu’il y a eu deux phases distinctes, la première le matin, où il était possible sinon de s’entendre du moins de discuter gentiment, et de présenter mon point de vue, et l’après-midi, avec l’arrivée de Fabien Guillot (qui n’était manifestement pas de ceux qui se lèvent tôt) où ça a tourné au massacre, avec la menace de coup de boule au final.

J’ai défendu le maintien au moins provisoire dans l’UNEF, avec les raisons que je viens d’exposer. J’ai parlé de la liste pour le CNESER, que tout le monde semblait avoir oubliée, et de la nécessité de faire campagne pour elle (Elle n’était pas encore totalement invalidée, puisque nous attendions le jugement. Nous avions décidé de diffuser quoi qu’il en fût notre bulletin de vote), de rédiger pour elle, ce que nous n’avions pas encore trouvé le temps de faire, ce qu’on appelle, curieusement, une « profession de foi ». Là aussi, il y a un eu un avant et un après Fabien Guillot, lequel a entrepris de rédiger tout seul ladite profession, et s’est arrêté après trois lignes ridicules.

Je ne me rappelle plus du tout quand et comment on en est arrivé à l’Appel de Caen, la seule publication officielle de la réunion, si contradictoire avec son ambiance générale. Le voici, tel qu’il a été envoyé au forum sous le titre En direct de Caen, par Guillaume Hédouin, dès 17h06 ce dimanche d’après l’heure conservée par ma machine

Appel

Réunis aujourd'hui, 18 juin 2000, à Caen, dans un processus de réflexion face aux changements radicaux en marche dans le paysage syndical étudiant, nous tenons à vous faire part de notre analyse et de nos réactions face à la situation actuelle.

Le 3 juin, le collectif national de l'UNEF réunit à Nanterre s'est positionné pour une liste commune avec l'UNEF-id pour les élections au CNESER. Cette proposition n'était pas à l'ordre du jour et il nous semble inacceptable qu'une décision aussi importante ait été imposée par le secrétariat national sans discussion préalable au sein des AGEs.

De même, nous refusons le processus d'unification en marche qui ne correspond en rien à notre volonté de pratiquer un syndicalisme unitaire. Là encore, la mise en route de ce processus nous a été imposée par un secrétariat national qui semble de plus en plus déconnecté de la réalité militante de l'UNEF.

En conséquence, nous ne reconnaissons plus la légitimité de la direction nationale et surtout du secrétariat national dont nous exigeons la dissolution.

Face à une situation réellement critique, nous exigeons la tenue d'une réunion décisionnelle de type collectif national avant l'échéance des tables de juillet pour une réorganisation complète de notre direction nationale et l'élaboration d'une orientation réellement syndicale.

Nous appelons donc toutes les AGEs militantes de l'UNEF à envoyer, à la rencontre nationale des 28 et 29 juin, non seulement des délégués mandatés sur ces questions mais aussi et massivement leurs militants qui doivent aujourd'hui prendre toute la mesure de la situation nationale de notre organisation.

Ce faisant, toutes les AGEs de l'UNEF pourront affirmer leur existence et leur refus d'un processus inacceptable en imposant que cette "rencontre nationale" se constitue en collectif national, tenu en public, devant les militants.

Nous appelons aussi toutes les AGEs à rejoindre notre démarche en signant cet appel.

Paris I, Paris IV, Evry, Montpellier, Arras, UGE Dijon

Post scriptum Pour tous problèmes financiers, contactez nous, nous pouvons vous aider.

Je l’ai déjà dit plus haut : je n’ai aucun souvenir de la façon dont a été rédigé cet appel, auquel j’ai en tout cas donné la signature de Paris IV avant de quitter Caen. Je ne l’ai évidemment pas rédigé : ce n’est pas du tout mon style. Mais le fond correspond tout à fait à ma position alors. Cela demande quelques explications.

La direction nationale de l’UNEF avait convoqué (par mail signé de Silvère Magnon envoyé le 15 juin[47]) une réunion nationale pour préparer les chaînes d’inscription à laquelle pouvaient participer tous les adhérents pour les 28 et 29 juin à Saint Denis, sans pouvoir de décision. L’idée était de la subvertir en y venant massivement, pour la transformer de force en un CN abolissant les décisions du précédent, et remplaçant la direction faillie.

Ce n’était pas a priori une bonne idée. Il devait y avoir un CN à la rentrée, pour préparer le congrès de liquidation programmé, où nous étions sûrs, si nous venions tous, d’être majoritaires. Il aurait donc été plus sage de l’attendre. Si la direction ne l’avait pas convoqué, nous aurions eu alors beaucoup plus de légitimité à le faire à sa place, qu’à en constituer un de façon manifestement putschiste fin juin, ce qui risquait de rebuter certaines AGE qui étaient contre la « réunification », mais n’avaient pas encore tout compris. Je ne me rappelle plus si j’ai avancé ces arguments, ou jugé que c’était inutile. Face à l’urgence de la menace de scission, il fallait agir vite, quitte à casser un peu plus de vaisselle qu’il aurait été souhaitable.

Les camarades caennais, s’ils s’engageaient à venir en masse, présentaient clairement ça comme l’opération de la dernière chance, dont l’échec entrainerait leur retrait de l’UNEF. Il fallait absolument éviter la scission immédiate. Un putsch où nous proclamerions ce qui était vrai, que nous étions l’UNEF et laissions une direction faillie et illégitime aller à l’UNEF-ID était la meilleure solution. Mais il y avait quelques raisons de douter de leur sincérité.

[Il y a d’ailleurs une bizarrerie dans la liste des signataires. Lille (Gilles était parti le samedi soir) signera par mail plus tard. Matthieu n’avait pas voulu engager Lyon, qui décidera en assemblée générale, le lundi 26, de signer. Nous aurons ensuite l’accord de Paris XII. La présence de Paris I dans la première liste me surprend, puisque je n’ai aucun souvenir qu’ils aient été présents (Avais-je un mandat explicite d’eux ? L’aurais-je usurpé ? Ai-je oublié un délégué ?). Mais Caen n’apparaît pas parmi les signataires de l’appel du même nom. Je l’ai signalé dans un mail ultérieur, sans avoir de réponse. Oubli, ou aveu ?]

C’est ce que j’exprimais dans le mail confidentiel déjà évoqué, dont voici le texte. Je dois préciser, en ces temps où personne ne veut en général entendre ce que parler veut dire, que je le publie en tant que document historique, que la façon dont je qualifiais certaines personnes, dans un courrier alors strictement privé, ne m’engage évidemment pas aujourd’hui, et ne vise certes pas ce qu’elles sont éventuellement devenues depuis vingt ans que je ne les ai pas rencontrées, que les intentions meurtrières que je manifestais sont clairement, qu’elles aient été ou non suivies d’effet, prescrites.

Enfer sans purgatoire

Ce fut pire que tout ce qui pouvait être imaginé.

Sept brutes bas-normandes menées par le quintuple connard Fabien Guillot (Je tiens ici à exprimer une autocritique solennelle pour m'être trompé et avoir tenté d'induire en erreur le prolétariat mondial: Fabien Guillot n'est pas un triple connard) appuyé par le répugnant Cavé et l'odieuse Sancia De Cooman ont lancé par acclamation la FSE, en préparant du matériel FSE pour les chaînes (!).

En même temps, on prévoit de tenter de renverser la direction de Pailleron à l'occasion de la rencontre nationale (cf appel que tu as dû recevoir). C'est contradictoire, d'autant plus que Caen annonce son intention de voter en AG sa sortie de l'UNEF... le 28 au soir. En somme, pour eux, il s'agit de se donner bonne conscience en faisant semblant d'agir dans l'UNEF pour prouver que c'était impossible.

J'ai tout essayé, dramatisé au maximum. Rien à faire. Gaétan déconne, bien sûr. Le Dijonnais et le Lyonnais, qui n'avaient pas les éléments pour juger, s'interrogent et attendent pour voir.

Pour l'instant, je pense qu'il faut calmer le jeu et tout jouer sur l'opération des 28-29, ce qui enverrait la ridicule FSE dans les poubelles de l'Histoire. Mais nous devons être conscients que l'UNEF Caen est une branche pourrie et Olivier Ruet un jean-foutre.

En prime, il paraît que le répugnant Cavé a dit samedi qu'il allait être majoritaire à votre AG de demain, et l'odieuse Sancia qu'à Paris IV tout le monde serait partant pour la FSE sauf deux (Philippe et moi). Je crois qu'il ne serait pas excessif que nos deux AGE écrivent à Caen pour rappeler que le travail en commun entre AGE exclut l'activité fractionnelle en direction des AGE avec qui on travaille.

Enfin, je signale qu'à la fin le quintuple connard m'a menacé de coup de boule. Le jean-foutre était là, n'a rien dit, et quand je l'ai interpellé, m'a donné tort.

Mais tout ceci est top secret.

Rester calme. Manger des pommes...

PS: je compte sur vous pour écarteler Cavé et nous envoyer ce qui en restera pour que nous nous en servions pour pendre Sancia.

PS2: Evidemment, il ne fut pas question des moyens de faire campagne pour la liste, malgré mes demandes répétées. Le quintuple connard a simplement fini par entreprendre de rédiger sa profession de foi. J'espère que les représentants de la juste ligne prolétarienne sur la liste sauront la rejeter avec éclat. Rester calme...

(NB: cela veut dire pas question de tirer les premiers sur le forum. Pour le moment, on fait comme si cette désastreuse réunion n'avait pas existé)

Pour une fois, la consigne de silence jusqu’au 28 a été respectée. N’est sorti en public de la réunion de Caen que le fameux appel. Au collectif d’AGE de Paris IV, nous n’avons eu aucun mal à montrer à Sancia qui était majoritaire (comme elle avait l’air calmée, nous ne l’avons pas exclue, ce qui nous a coûté cher dans la suite). L’assemblée générale de Nantes a été compliquée, et a regrettablement débordé sur le forum. Alors que Manuel avait répondu à mon mail qu’il allait anéantir Guillaume, lequel n’avait jamais su gagner un débat, l’affaire s’est jouée entre eux par apparemment quatre voix contre trois, deux abstentions et un « NPPV » (chiffres donnés par Guillaume, non démentis par Manuel). Il est vrai qu’elle s’était jouée de façon bizarre, puisque ce vote ne portait pas sur la FSE, mais sur l’appel de Caen, auquel la (courte) majorité a opposé un autre texte (encore) beaucoup moins précis, qui ne demandait que la démission du BN (une vieille obsession nantaise) et sa réélection lors d’un CN extraordinaire, alors que l’appel constatait l’illégitimité de la direction et prenait l’initiative du CN pour les 28 et 29. Nous avons voulu croire que c’était la même chose, mais ne comprenions pas tout. La suite semble avoir donné l’explication.

J’avais rédigé et fait adopter par le collectif d’AGE de Paris IV du mardi 20 un projet de déclaration ayant pour but de préciser l’Appel de Caen, que j’ai envoyé le soir même sous signature UNEF Paris IV à liste-cneser, avec copie à Julien De Benito de Bordeaux et Yann Renault de Rennes, précédé de cette introduction

Ci-dessous, texte adopté par le collectif d'AGE de Paris IV à l'instant. CONFIDENTIEL DEFENSE. Le but serait de le publier au début de la rencontre du 28 juin avec le maximum d'AGE et de membres du BN signataires. Envoyez-nous vos signatures et / ou vos remarques. PAS QUESTION QU'IL PARAISSE AVANT. Nous souhaiterions organiser une rencontre préparatoire à Paris le 27 au soir [J’ai précisé trois jours plus tard que nous proposions 18h30 en Sorbonne] pour mettre la tactique au point (un représentant par délégation seulement).

Le voici, avec quelques commentaires entre crochets :

Considérant que la décision prise le 3 juin par le collectif national d'engager l'UNEF dans un processus de soi disant réunification avec l'UNEF-ID commençant par la participation de trois membres du BN à la liste de l'UNEF-ID pour les élections du CNESER ne va dans le sens du rassemblement du syndicalisme étudiant, mais de sa disparition,

Considérant qu'elle est contraire au vote du 79e congrès contre toute forme de réunification,

Considérant que la plate-forme de cette liste est en contradiction flagrante avec les positions jusque là adoptées par l'UNEF, en particulier celles du 79e congrès refusant le 3/5,8 (reprise dans son appel final à l'unité) et du 78e congrès condamnant la réforme Bayrou, [même argument et mêmes omissions que dans les précédents]

Constatant que cette décision a été soumise à un CN réuni en période d'examens, où beaucoup d'AGE étaient donc absentes, alors que 24 heures avant sa réunion il n'en avait jamais été question, et que la majorité à ce CN a été obtenue grâce aux voix du secrétariat national, contre presque toutes les AGE présentes, [argument également souvent utilisé, strictement vrai celui-là]

Constatant qu'une très large majorité des AGE de l'UNEF a déjà condamné cette décision [pas de précision de leur nombre, tant les formulations variaient],

Constatant que dix-sept élus UNEF [Seize en fait, une erreur que personne n’a relevée[48]] ont participé à la constitution d'une liste de rassemblement syndical alternative à celle de l'UNEF-ID, et que cette liste a à ce jour reçu le soutien de douze AGE de l'UNEF [voir liste plus bas], celui de l'AGET-ASL, partenaire de l'UNEF pour les élections du CNOUS, de l'Union nationale des Etudiants du Maroc et du SEUL.

Déduisant logiquement des six points qui précèdent que la direction nationale issue du 79e congrès a perdu toute légitimité et doit être remplacée, [La nouveauté, reprise de l’Appel de Caen]

Les membres du Bureau National et les Associations Générales Étudiantes signataires du présent texte appellent les participants à la rencontre nationale convoquée par Silvère Magnon [Comme nous ne reconnaissions plus la direction, il était logique de faire comme s’il agissait à titre personnel] les 28 et 29 juin à se constituer en Collectif National extraordinaire [L’énormité, que nous imposaient les circonstances] pour

– constater la nullité des décisions prises à Nanterre le 3 juin

– reconnaître la liste de rassemblement syndical Ensemble pour une Université publique de qualité ouverte à tous comme celle de l'UNEF pour le CNESER, soutenir les poursuites judiciaires engagées contre son invalidation, appeler tous les élus UNEF à utiliser, malgré cette invalidation, son bulletin de vote.

– élire une direction nationale provisoire pour coordonner l'action des AGE sur les chaînes d'inscription et organiser à l'automne un 80e congrès qui engage l'UNEF dans la voie de la rénovation et du rassemblement syndical. [La scission assumée, logiquement déduite de tout ce qui précédait]

Notons que dans ce même mail, j’ajoutais : Enfin, nous recherchons actuellement activement les statuts de l'UNEF, cet objet si secret. Nous les avons demandé à la Préfecture, mais ça peut prendre du temps. Donc, si vous les détenez (les statuts, pas le règlement), signalez-vous vite, ce qui montre bien dans quel flou nous agissions. Nous n’avons pu mettre la main dessus qu’à l’automne. Je renvoie sur ce point à la rubrique Statuts du site unef.org, déjà citée, qui publie les trois textes concurrents avec une note explicative.

Je n’ai conservé aucune réponse par mail à cette proposition, et ne me rappelle plus dans quelle mesure on en a discuté par téléphone. En tout cas, la réunion prévue a eu lieu le 27 à 18h30, dans la cour devant notre local puisqu’il faisait beau et s’est fort bien passée, puisque notre proposition de texte a été adoptée sans problème, à une nécessaire modification près : comme il apparaissait que de nombreux membres provinciaux du BN censés nous soutenir ne pouvaient être contactés, et qu’une liste presque uniquement parisienne aurait fait désordre, nous nous en sommes tenus à des signatures d’AGE. Je ne saurais dire exactement qui était là. On devrait logiquement pouvoir déduire le nombre des présents de la liste des AGE signataires publiée le lendemain soir, Arras, Caen, Dijon, Évry, Lille, Lyon, Montpellier, Nantes, Paris I, Paris IV, Paris XII, Rouen, mais il n’est pas impossible que des signatures aient été données par téléphone, voire sur place le lendemain juste avant la lecture en séance.

Nous avions limité la réunion à un délégué par AGE, pour éviter de refaire le coup du guet-apens caennais (ça aurait été cette fois au profit des Parisiens, mais nous serait certainement retombé sur le nez d’une façon ou d’une autre). J’y étais, donc Philippe n’y était pas. Il y avait probablement Jihad (ou peut-être Sylvestre) pour Paris I, certainement Guirec et Julien pour Évry et Paris XII. Gilles devait être là pour Lille, Matthieu pour Lyon, Mélanie pour Arras. Il y avait peut-être un Dijonnais, sans doute un Nantais (Manuel, ou un de ses deux acolytes, Matthieu Lavois ou Romain Bessonnet ?). Je me rappelle fort bien qu’Élise Lemercier représentait Rouen, dont c’était le grand retour. J’ai un gros doute sur la présence de Caen.

Quoi qu’il en soit, l’accord a été total sur le texte, et sur la façon de s’en servir : le lire en début de séance dès que nous pourrions avoir la parole, exiger un vote qui serait bien sûr refusé par la direction, discuter un peu dans l’espoir d’en convaincre d’autres, puis quitter la salle et aller ailleurs nous proclamer CN extraordinaire. C’était la scission assumée, mais se revendiquant (à juste titre) comme majoritaire et affirmant continuer l’UNEF en prétendant que les scissionnistes étaient les autres (ce qui ne serait faux que formellement). Vous savez, puisque vous connaissez déjà la fin de cette triste histoire, que les choses ne se sont pas du tout passées comme cela.

Première surprise, en arrivant à Paris VIII pour la « réunion convoquée par Silvère Magnon » : alors que les Caennais s’étaient engagés solennellement, lors de la réunion tenue chez eux, à venir en masse jouer ce qui était pour eux la dernière chance avant scission unilatérale, nous voyons venir Olivier Ruet, seul (C’est pour ça que je doute qu’il ait été à la réunion de la veille : il n’aurait pu nous cacher ce coup là, quand même), qui nous explique que ses aimables camarades n’ont finalement pas jugé utile de se déplacer, et se réuniront le soir même en assemblée générale pour décider de leur avenir au vu des résultats que nous aurons obtenus sans eux.

Pour Rouen, il n’y avait pas Élise, mais Leila Messaoudi, avec deux petits jeunes. Je ne sais plus si Élise nous en avait prévenus la veille, ou si ce fut une autre surprise. Cela n’avait en tout cas rien d’inquiétant a priori, notre expérience de l’AGER nous conduisant à croire que la parole d’une valait pour tous.

Pour le reste, la mobilisation en masse de la province n’était évidemment pas celle que nous rêvions, nous n’étions pas non plus très nombreux de Paris (la date ne facilitait pas les choses), mais comme en face il n’y avait, hors la direction nationale, ses supplétifs et la LCR, presque personne, le rapport des forces semblait en notre faveur.

Le plan a été appliqué. Après un rapport introductif de Karine dont personne n’a rien retenu, certainement parce qu’il n’y avait rien dedans[49], Jihad a lu notre déclaration. A suivi un débat sans intérêt, où nous répétions les mêmes choses à des gens qui, n’ayant manifestement rien à dire, parlaient quand même, dans lequel nous nous sommes enlisés un moment avant de prendre la décision qui s’imposait, sortir.

Les représentants des douze AGE signataires de la déclaration se sont donc réunis à l’extérieur. L’air était pur, la route large, et nous allions faire ce pour quoi nous étions venus. Surprise (la deuxième, donc, également normande) : dès que nous parlons de nous constituer en CN extraordinaire, Leila hurle que nous n’avons pas de légitimité pour faire ça. C’était tout à fait vrai, et c’est précisément pour cela que c’était la chose à ne pas dire, qui a suffit à nous paralyser. Leila avait une grande autorité naturelle. Cela n’en montrait pas moins la faiblesse de notre détermination. À ce moment là, elle était la seule de Rouen : j’avais remarqué qu’elle avait, tout de suite après notre sortie, parlé très fermement à ses petits jeunes, qui ne furent plus ensuite parmi nous.

Alors que nous flottions lamentablement, nous avons été rejoints par la LCR, son chef Gaël Quirante en tête, venue nous expliquer combien il était nécessaire de tous s’unir contre les méchantes réformes du méchant gouvernement, et comme cette union avait pour préalable que nous adhérassions tous sans conditions à une organisation qui les soutenait avec constance, dont la structure garantissait que nous y serions toujours minoritaires. Il y avait là de quoi nous réveiller. Malheureusement, à chaque fois que l’un d’entre nous parlait de les mettre dehors (dedans, plutôt, puisque nous étions dehors), Leila hurlait. Tout cela s’est terminé dans la plus grande confusion. Nous avons néanmoins pu convenir de nous retrouver en Sorbonne le lendemain pour tenter de recoller les morceaux. J’ai envoyé dans la soirée la déclaration au forum, sans commentaire bien sûr.

L’événement de la nuit, que j’appris le lendemain en arrivant le lendemain en Sorbonne, était normand, mais n’était pas une surprise : les Caennais restés chez eux avaient voté leur sortie de l’UNEF pour créer la FSE, à l’unanimité moins la voix d’Olivier Ruet, qui participait à l’assemblée générale par téléphone depuis l’appartement de Philippe Lieutaud, qui l’hébergeait. Olivier m’a dit qu’il n’avait rien pu faire, qu’il était même allé jusqu’à leur mentir sur nos exploits de la veille, en vain. Il se confirmait que l’ « Appel de Caen » était un affreux mensonge. L’ambiance était donc plutôt fraiche ce jeudi 29 au matin au début de notre réunion, dans un amphi (facile à prendre en cette saison où il n’y avait plus ni cours ni examen) Bachelard sauf erreur de ma part. Je suis incapable aujourd’hui de dire qui était là, hors ceux que je vais citer (Je retrouve dans un mail d’insultes adressés aux Nantais un an plus tard qu’il n’y en avait pas).

Il n’y eut pourtant pas de règlement de comptes sanglant, ce qui paraissait alors une bonne chose. Très vite, se dessina un accord quasi général pour tourner la page de la scission avortée, et se consacrer à préparer le congrès de l’UNEF de l’automne, prévu par les autres pour la dissoudre et permettre la « réunification » en décembre, avec pour but d’y être majoritaires, et de rejeter la liquidation. C’était ce que voulait Leila, que soutenaient les Lillois toujours partisans de la lutte interne. Philippe et Jihad ne demandaient que ça. De façon plus surprenante, Olivier Ruet était aussi vigoureusement pour. J’ai été le dernier à m’y opposer, en soutenant que nous ne pouvions pas sérieusement, après avoir déclaré que nous ne reconnaissions pas la direction, revenir la queue entre les jambes pour reprendre le jeu habituel. J’ai fini par rappeler ce qui était vrai, que j’avais été d’abord contre cette déclaration qui me semblait prématurée, m’étais rallié à la position majoritaire, et me trouvais le seul à la défendre et à demander qu’on fît preuve de cohérence, avant de céder puisque tous les autres étaient d’accord. Nous décidâmes de nous constituer en tendance (décision jamais suivie d’effet concret), ce qui plaisait naturellement aux trotskistes et socialistes, mais aussi pour une fois aux communistes, si la référence était la tendance Renouveau des dernières années de la première UNEF.

Le coup paraissait jouable, si nous concentrions nos efforts sur le CN de rentrée, qui déciderait des modalités du congrès, et validerait l’effectif des délégations. En y étant majoritaires, nous pourrions rejeter (les arguments ne manqueraient pas) la délégation pléthorique de Paris VIII (voir plus haut) qui nous garantissait d’être minoritaires au congrès. Nous avions toutes les raisons de penser que nous le serions. Olivier s’était engagé spontanément à maintenir une UNEF fictive à Caen, et à venir avec deux camarades. Ce n’était pas très glorieux, c’était même exactement ce que nous reprochions à la LCR et ses AGE « fantômes » de Jussieu et Nanterre, mais c’était pour la bonne cause, et c’était aussi un moyen de ramener après le succès la FSE à une simple parenthèse, puisqu’elle ne semblait pas devoir s’étendre au-delà de Caen.

Le 29 au soir, un communiqué signé Jihad Wachill (parce qu’il ne pouvait être question de signature collective, et qu’il avait une légitimité pour s’exprimer au nom de tous, ayant lu la déclaration, ayant été auparavant le dépositaire officiel de la liste), mais rédigé et publié par moi, tentait de mettre une cohérence là où il n’y en avait certes pas :

En Sorbonne, jeudi 29 juin 2000,

A toutes les AGE et à tous les militants de l'UNEF

Chère camarade, cher camarade

Au début de la rencontre nationale à Paris VIII, hier, mercredi 28 juin j'ai lu la déclaration suivante au nom des douze AGE signataires: [ici, le texte déjà publié ci-dessus]

Un débat assez long a suivi au cours duquel il est apparu clairement que cette position était majoritaire parmi les participants et parmi toutes les AGE de l'UNEF, mais que l'obstruction de la minorité, dont le secrétariat national, empêchait qu'il fût fait droit à la demande de tenue d'un collectif national.

Nous avons donc décidé de quitter cette rencontre sans intérêt.

Réunis en Sorbonne aujourd'hui, nous appelons toutes les AGE de l'UNEF

— à affirmer publiquement leur refus du processus dit d'unification

— à demander à leurs élus de voter pour la liste de rassemblement syndical Ensemble pour une Université publique de qualité ouverte à tous, malgré son invalidation (bulletin ci-joint)

— à refuser de vendre sur les chaînes d'inscription les coupons de participation au prétendu congrès d'unification

— à affirmer au contraire sur les chaînes leur volonté de faire vivre l'UNEF comme un syndicat de lutte utile aux étudiants,

— à préparer avec nous le 80e congrès pour y faire triompher cette volonté et y adopter une orientation syndicale digne de ce nom.

Nous préparons ensemble un matériel commun pour les chaînes d'inscription. Nous invitons toutes les AGE intéressées par ce matériel à nous contacter.

Nous sommes l'UNEF !

L'UNEF vivra !

Jihad Wachill, président de l'UNEF Paris I, membre du bureau national

Le coup paraissait jouable : il ne l’était pas. Il y avait une condition nécessaire à ce qu’il le fût : qu’Olivier Ruet tînt ses engagements, qu’une UNEF fantôme fût maintenue à Caen, que la FSE restât un phénomène local. Je me demande encore aujourd’hui comment nous avons pu l’envisager, alors que deux précédents récents nous montraient que tenir une promesse était manifestement contraire à ses principes. Il n’a jamais été question d’UNEF Caen maintenue ensuite, et les Caennais, Olivier Ruet compris, qui publia le 4 août un appel abominable sur le forum intitulé Syndiquez-vous, en une phrase, La Fédération Syndicale Etudiante est lancée. Que tous ceux qui veulent agir comme des militants syndicaux nous contactent à Caen pour que le regroupement syndical devienne effectif[50], ont consacré leur été à tenter de convaincre des camarades de rejoindre la FSE, en s’adressant non aux directions d’AGE, mais à des individus pour leur prêcher que la « réunification » était faite, leur machin la seule alternative, et les inciter à le rejoindre quitte à fractionner leurs AGE, en mentant délibérément quant à des ralliements imaginaires d’autres. Leur seul succès fut Dijon qui, après un engagement contraire solennellement pris sur le forum le 28 août, rejoignit leur FSE en septembre, ce qui nous privait d’une AGE de plus pour le CN et le congrès. Mais dans bien d’autres leurs agissements créèrent du désordre, et conduisirent au départ ou à l’exclusion de militants. Nous devions désormais lutter sur deux fronts, contre les liquidateurs, et contre la FSE, officiellement ennemis mais qui avaient pour point commun de proclamer que la « réunification » était inéluctable, et qu’il était vain de s’y opposer. Cela nous condamnait inéluctablement.

La comédie dura cependant encore tout l’année universitaire 2000/2001, pour rien. Au CN du 23 septembre, il n’y avait donc ni Caennais, ni Dijonnais, et pas de Montpelliérains non plus. Nous avons néanmoins été 21 à voter pour le report du congrès en décembre, ce qui était la simple application du règlement intérieur qui exigeait deux mois de préparation, et condamnait élégamment la sauterie « réunificatrice » prévue en ce même mois. La direction a décrété que nous étions battus par 20 voix (Pourquoi ? Mystère) contre 22 (dont trois faux mandats, un de Montpellier, un de Caen, un démissionnaire du BN, et trois de la LCR que nous considérions comme faux. S’il y avait eu trois Caennais, deux Dijonnais, deux Montpelliérains, ou au moins une partie d’entre eux, le truquage aurait été beaucoup plus difficile). Nous avons alors fait ce que nous avions tenté en vain en juin, sortir et nous déclarer majoritaires et seuls légitimes, en affichant notre intention d’organiser le congrès.

Mais après une conférence nationale où nous fûmes peu nombreux, qui avait bien commencé mais s’est enlisée, nous nous sommes résignés à aller au « congrès » organisé illégitimement à Orsay, en partie parce que nous avons appris que l’AGE d’Orsay, et, surtout, celle de Clermont se prononçaient désormais contre la « réunification », résultat d’une réaction venue de l’intérieur du PCF, d’anciens de l’UNEF dont la tête d’affiche était (surprise !) Raphaël Aulas, ce qui nous donnait de grands espoirs. C’était une erreur : j’ignore s’ils étaient sincères et à quel point (j’y reviendrai), mais leur manque total de cohérence et d’efficacité a contribué à accélérer notre perte.

Ce « congrès » fut grotesque de bout en bout, à tout point de vue. Mais, malgré un festival de faux mandats, une délégation massive de Paris VIII, la très sale trahison des Nantais qui passèrent à la LCR, Karine Delpas et son équipe, devant l’importance de l’opposition (plus celle de membres du PCF non suspects d’opposition à la mutation que la nôtre, vraisemblablement), firent marche arrière et renoncèrent à faire voter la dissolution de l’UNEF, l’Ennemi étant prié de transformer le congrès de « réunification » pour lequel il avait déjà loué la Mutualité en une rencontre bidon de plus.

A suivi un hiver particulièrement horrible, marqué par l’effondrement de l’activité de la plupart de nos AGE, Paris IV, Lyon et Rouen en particulier, partie parce qu’on passait beaucoup de temps à faire des calculs bureaucratiques, beaucoup moins à faire du syndicalisme (c’était, je l’ai dit, normal en juin : pendant l’hiver, c’était un suicide), partie parce que beaucoup de militants, désorientés par les sollicitations contradictoires et les nombreux renversements, préféraient laisser tomber, mais surtout pour des raisons structurelles sur lesquelles je reviendrai.

Au printemps, l’UNEF-ID a lancé son congrès, le 77e selon son décompte officiel, qui semblait tirer les conséquences de l’échec de sa « réunification » et lui tourner le dos, en l’affirmant comme la seule UNEF (ce qui était hélas de moins en moins faux). La LCR jusque là officiellement dans l’UNEF tirait les mêmes conséquences en passant à l’ID, Gaël Quirante en tête (finalement élu au BN), sa récente acquisition nantaise en queue, Manuel Canévet étant élu à sa commission administrative. La page semblait tournée, ce qui ne résolvait pas tous les problèmes de l’UNEF, moribonde, mais paraissait régler celui de la « réunification ».

Elle est pourtant revenue, avant même la fin du congrès de l’U-ID. Les rares participants aux réunions du BN ont appris qu’il fallait dissoudre l’UNEF pour faire une « nouvelle organisation » puis que celle-ci se ferait par une « constituante » avec l’UNEF-ID. Un CN grotesque, le 13 mai, où partisans et adversaires de la chose étaient à peu près à égalité, malgré un nouveau festival de faux mandats (de part et d’autre, mais pas dans les mêmes proportions), et la présence de militants LCR et apparentés déjà passés à l’U-ID (huit, d’après mes pointages d’alors) fut décrété, après de nombreux cafouillages dus à nos nouveaux amis d’Orsay et de Clermont, avoir convoqué un congrès de dissolution, où personne ne fut assez idiot pour venir (ils furent une trentaine le 23 juin). Le 25 juin, la fameuse constituante accoucha d’une UNEF « réunifiée » dont le président, la secrétaire générale et le trésorier étaient ceux élus par le récent congrès de l’U-ID. Pour ajouter une note comique, le communiqué triomphal précisait qu’un vice-président « issu de l’UNEF-SE » serait prochainement désigné. On a su ensuite que c’était parce qu’il avait fallu plusieurs jours pour convaincre Stéphane Paturey d’accepter de jouer ce rôle. Les opposants étaient déjà depuis longtemps occupés à s’entre-massacrer, chacun accusant l’autre (le plus souvent à raison) d’être responsable du désastre (Vous aurez compris tout seul qu’à ce jeu là, j’étais assez doué). Notre UNEF avait vécu et, avec elle, le syndicalisme étudiant, puisqu’il ne restait plus que des groupuscules gauchistes occupés à se prouver mutuellement leur vertu, et l’UNEF désormais ex ID qui n’avait désormais plus aucune raison de faire semblant. Répétons le : tout cela était déjà écrit le 29 juin 2000 au matin, et n’a traîné un an que par l’obstination, certes déraisonnable, de certains, et l’incurie d’autres.

III— Ce que j’ai cru comprendre, et ce que je n’ai toujours pas compris

Après ce laborieux exposé quasi chronologique, un bilan des positions des uns et des autres, et de ce qu’on peut en comprendre rétrospectivement, est nécessaire.

1- Pourquoi ont-ils tué l’UNEF ?

S’agissant de la direction Delpas, on a déjà dit abondamment que son choix réel n’était pas une unification évidemment impossible, moins encore une refondation fantasmatique, mais la liquidation pure et simple, « on ferme et on s’en va ». Il est tout aussi évident que ce choix ne venait pas d’elle, mais lui était dicté du PCF, qui ne voyait pas l’intérêt de maintenir une UNEF qui, fatalement, malgré tous les efforts en sens contraire, finissait par dénoncer la politique anti-étudiante d’un gouvernement qu’il soutenait alors servilement. Cela est clair, mais n’explique pas les nombreux rebondissements entre les premières pulsions « réunificatrices », début 1999, jusqu’à l’effondrement final, plus de deux ans après. Était-ce en raison du refus de la base de l’UNEF (Pas nous, bien sûr, qu’ils passaient volontiers par pertes et profits. Mais celle des AGE, dont pas mal de militants du PCF, qui soutenaient la direction mais ne voulaient pas entendre parler de « réunification ») ? Était-ce parce qu’il y avait des réticences dans la direction même du PCF ? Mystère. Ce point nous est toujours resté obscur.

Le fait est que la direction Delpas, après avoir soutenu avec zèle la « réunification » au congrès de Pantin, pris dans la figure le vote miraculeux « contre toute réunification », s’être assise dessus, a reculé à l’automne 1999, que pour le CNOUS elle a choisi la solution la plus sectaire, celle que nous voulions, bien qu’elle fût sans espoir, avant le grand renversement de juin pour le CNESER. C’est un autre fait qu’il n’y a eu alors aucune opposition venant du PCF, hors des camarades déjà dans l’opposition, et quelques autres à titre personnel, et que ceux qui montaient dans les semaines précédentes des complots contre Karine Delpas, comme Raphaël Aulas et le mystérieux Redstar, ont été les plus bruyants soutiens de cette décision objectivement indéfendable. C’est également un fait qu’à l’automne, ceux-là même (hors le mystérieux Redstar mystérieusement disparu) et quelques autres qu’on n’avait pas entendus, tous anciens de l’UNEF, anciens membres de sa direction ou attachés à elle, Raphaël Aulas en tête, Pierre-Henri Lab pas loin derrière, Alan Pirrotina et Olivier Liaigre dans les bagages, tous connus pour être du PCF, et pas dans une des nombreuses oppositions, ont soudain découvert qu’ils étaient radicalement contre la « réunification », entrainé derrière eux les AGE de Clermont et Orsay, les seules réunifiantes en juin hors Paris VIII, et contribué à son échec à l’automne avant de disparaître ensuite (sauf Allan Pirotina, qui était réunifiant à la réunion du 28 juin 2000, et l’est redevenu en juin 2001).

Le seul effet concret de cette fronde tardive a été de nous convaincre d’aller au « congrès » d’Orsay, pour être encore un peu plus ridicules, un peu plus longtemps. Je ne crois pas que c’ait été son but. On ne peut exclure que ces camarades aient été sincères. Nous avions vu dans les positions de la direction de l’UNEF sur les réformes gouvernementales, « Nous n’avons pas à dire aux étudiants ce qu’ils doivent en penser », et sur l’unité qui ne devait pas être une addition d’appareils mais une chose tout à fait merveilleuse et totalement inédite des dérobades pour masquer ce qu’était son but, la liquidation. Je n’ai évidemment pas, expérience faite, changé d’avis sur ce point. Mais si certains avaient pris ces fadaises au sérieux, les plus conséquents d’entre eux avaient de bonne raisons d’être surpris quand on leur proposait soudain d’adhérer à l’UNEF-ID sans conditions, et ce pour expliquer aux étudiants que les réformes gouvernementales étaient merveilleuses, et qu’il en fallait encore plus du même genre. Mais ces camarades ne pouvaient malheureusement vouloir que le maintien en l’état de l’UNEF du PCF, ce qui aurait sans doute été souhaitable, mais n’était pas possible, puisque le PCF n’en voulait plus.

Il resterait à savoir, mais nous ne le saurons pas, ce qu’était « le PCF » dans ce cas, à quel niveau et par qui, après quels débats éventuellement, la sentence de mort de l’UNEF a été rendue. Il est certain que cette décision correspondait à la ligne d’alors du Parti, de soutien inconditionnel à Jospin (et les fadaises sur les formes nouvelles d’organisation qui émergeraient miraculeusement dès qu’on aurait saboté les anciennes au discours de la « mutation »). J’ouvre ici une parenthèse de plus, à l’intention de qui douterait que la décision a été prise au niveau de la direction du Parti. J’ai joué à un colloque organisé en janvier 2001 en Sorbonne par la section PCF du Ve arrondissement, à laquelle j’avais fini par adhérer en septembre 2000 (il serait très long, et tout à fait hors-sujet d’expliquer ici pourquoi), le rôle de l’étudiant de service, pour parler de précarité. Je ne sais plus comment j’avais été amené à parler d’UNEF-ID. Forcément, comme je dis toujours la vérité quand je n’ai pas une bonne raison de mentir, ce n’était pas en bien. J’ai été agressé très grossièrement par un nommé Alain Hayot, professeur de sociologie dans une université quelconque, conseiller d’une région quelconque et membre de la direction du PCF, qui a péroré sur la beauté de la « réunification » et, comme je lui faisais observer que ce n’était plus d’actualité suite au « congrès » d’Orsay (c’était vrai, à l’époque), m ‘a aboyé à la figure qu’il avait des informations que je n’avais pas, et que la « réunification » se ferait (ce que la suite a tristement confirmé). J’ai été très surpris par son ton : on m’avait élevé dans un monde où, dans ce genre de colloque rigolo, l’universitaire de service n’insultait pas l’étudiant de service, et, s’il estimait devoir le contredire, le faisait courtoisement. La mutation vers de nouvelles formes beaucoup plus démocratiques avait manifestement changé cela, au point d’autoriser le moindre pitre à jouer à la mauvaise caricature de mandarin. Rétrospectivement, on ne peut qu’en conclure que la décision était prise de liquider au niveau de la direction du PCF, et le « congrès » d’Orsay considéré comme un contretemps de peu d’importance. Il est bien évident que ce con de compétition n’était pour rien dans cette décision. Mais qu’il me la braillât à la figure à un moment fort peu opportun (il prouvait là qu’il était de compétition) suffisait à prouver qu’au niveau de la direction du PCF on considérait qu’elle était faite, au point de la diffuser même à des subalternes incapables de fermer leur grande bouche. Refermons la parenthèse.

Restent deux questions qui n’auront pas de réponse. La direction du PCF nous est apparue comme un bloc, mais il faut bien que quelqu’un ait pris une décision, à un moment où, au sommet, on trouvait surtout des gens n’ayant aucune expérience du syndicalisme étudiant, et un intérêt très relatif pour lui (Il est vrai que ça commençait à changer. Marie-George Buffet est devenue précisément à ce moment là le premier dirigeant communiste de haut niveau à être passé par l’UNEF). On a beaucoup attribué à Marie-Pierre Vieu, qui a incontestablement beaucoup agi pour pousser la direction Delpas dans cette voie, et pour couvrir ses arrières (On sait qu’elle a appelé à l’automne Laurent Frajerman pour tenter de le dissuader de prendre position contre la « réunification » en lui disant que les anciens n’avaient pas à se mêler d’une affaire qui concernait les militants actuels de l’UNEF, et comme il s’étonnait qu’elle s’en mêlât elle-même, lui a répondu que son cas était différent puisqu’elle appartenait à la direction du Parti). On ne sait si elle a vraiment été à l’initiative (qui ne correspondait certes pas à ses positions quand elle présidait l’UNEF) ou seulement à l’exécution.

Nous ne savons pas non plus si les tergiversations avant la ridicule liquidation finale sont dues seulement à la réaction de la base, qui était en partie également la base étudiante du PCF, sur laquelle on aurait hésité deux ans à s’asseoir lourdement, ou également à des réticences au niveau de la direction du Parti. Pour répondre à cette question, il faudrait des témoignages de l’intérieur : à ce jour, il n’y en a pas.

On peut remarquer enfin que si le PCF avait tout à fait raison, vue sa ligne, de considérer entre 1999 et 2001 qu’il n’avait plus besoin d’une UNEF qui ne pouvait lui rapporter que des ennuis avec Jospin, il aurait pu en avoir à nouveau l’usage dès mai 2002, quand il s’est trouvé à nouveau dans l’opposition à des gouvernements de droite qui menaient la même politique anti étudiante. Mais à l’époque, c’était un dogme que Jospin entamait un règne de mille ans et que la place du Parti ne pouvait être qu’au gouvernement. Le 21 avril 2002, il était trop tard pour ressusciter l’UNEF. (Certains, prenant conscience de la lacune, ont tenté de créer plus tard une tendance « communiste » dans l’UNEF ex ID, par importation massive de trotskistes anglais. Ce ne fut pas un succès)

On ajoutera, ici parce qu’il faut bien le mettre quelque part, que les directions des syndicats de grandes personnes, CGT et FSU, ont incontestablement poussé dans le sens de la « réunification », pour des raisons différentes de celles du PCF. La CGT, premier syndicat de salariés et tenant à le faire savoir, qui avait naturellement soutenu l’UNEF du Renouveau contre l’UNEF Lambert en 1971, était de plus en plus gênée par son lien exclusif avec celle qui était devenue la plus petite des deux, et de loin selon les media (même si c’était en partie, on l’a vu une illusion d’optique : elle la partageait) et voyait dans leur unification au profit de la plus grosse un moyen de résoudre le problème, sans se soucier des enjeux étudiants qui l’intéressaient peu (Le lien connu entre UNEF et PCF était plutôt désormais pour elle une circonstance aggravante, puisqu’elle cherchait à se débarrasser de son assimilation à celui-ci). La FSU, de par sa fondation récente et sa volonté « unitaire », n’avait jamais pris parti entre les deux UNEF, syndiquait des profs et instits élevés dans l’une ou l’autre, et trouvait également plus simple qu’il n’y en eût qu’une.

La position de LCR se comprend parfaitement, et pouvait même paraître légitime jusqu’à un certain point (hélas dépassé à vitesse supersonique) si on constate un fait indéniable, qu’elle n’a jamais eu aucun intérêt pour le syndicalisme étudiant en tant que tel. Ce n’est pas par hasard qu’elle n’apparaît pas, alors qu’elle était extrêmement forte, plus certainement que jamais depuis, dans le grand massacre pour l’UNEF de 1971, mais parce qu’elle était alors occupée à théoriser son inutilité (il faut signaler que les arguments théoriques contre la possibilité même d’un syndicalisme étudiant ne manquent pas, et ne sont pas forcément illégitimes). Elle a changé de position quelques années plus tard en constatant ce que les deux UNEF apportaient à leurs directions politiques respectives, mais n’a jamais considéré en fait le syndicalisme étudiant que comme un moyen d’affichage politique et de recrutement, d’où son obsession du droit de tendance qui lui permettait d’apparaître en tant que telle, sous un blase avec des T, des L, ou des D tout à fait transparent. C’est un fait bien connu qu’hors des congrès et CN, on trouvait ses militants en abondance quand il s’agissait d’impliquer le syndicat dans des choses anti racistes ou anti fascistes, ou féministes (On ne se lancera pas dans un débat théologique sur leur légitimité en soi, ni sur celle d’y faire intervenir des syndicats étudiants : on espère convaincre qu’elles ne peuvent en tout cas être l’unique activité d’un tel syndicat), très rarement quand il s’agissait de questions universitaires (Les réformes étaient dénoncées vigoureusement aux tribunes, mais quand on parlait d’action concrète, il y avait toujours des sans-papiers à aider avant de s’y mettre) ou de défendre un étudiant particulier contre l’administration.

La Ligue était dans la maison d’en face depuis qu’elle était devenue ID en 1980 (sa première « réunification », toute seule, comme la seconde). Elle avait commencé à pénétrer la nôtre par des voies compliquées qui ne sont pas notre sujet au début des années 1990. Dans les deux, elle jouait le rôle de l’opposition de gauche resplendissante de pureté, et réclamait très fort la réunification (elle était bien seule, alors) pour diminuer l’évidente contradiction. Cette répartition n’avait pour elle que des avantages, parce qu’elle doublait ses possibilités d’affichage, parce que surtout elle lui offrait deux positions très différentes. Dans l’U-ID, elle pouvait compter sur la complaisance de la direction, qui avait besoin d’une opposition de gauche inoffensive pour prouver le caractère démocratique de la direction, mais le soutien constant aux gouvernements anti-étudiants pouvait gêner certains de ses militants ayant gardé une âme simple. L’UNEF ne soutenait pas, jusqu’à la triste époque dont nous traitons, les gouvernements, ce qui était meilleur pour le salut des âmes, mais pouvait toujours être accusée de ne pas être assez radicale, ce qui était encore mieux, d’autant plus qu’on pouvait ainsi prendre des coups sur la tête. Bien évidemment, s’il s’était réellement agi de faire du fractionnisme avec des objectifs concrets, il aurait été absurde de diviser ainsi ses forces. Mais comme dans l’U-ID le nombre de mandats de congrès était négocié au niveau politique, sans rapport connu avec le nombre de cartes, on pouvait n’y affecter que les chefs, et envoyer, avec un chef ou deux quand même, les petits militants à conscience pure, dans l’UNEF, où il n’était pas question non plus d’être majoritaire, mais où le recul de l’implantation communiste permettait de ramasser un certain nombre d’AGE, avec les avantages en termes d’affichage, matériels aussi (locaux, subventions, téléphone…), afférents.

L’apparition de SUD Étudiants (je ne crois pas que la LCR y ait été pour quelque chose) a rompu cette harmonie. Il y avait désormais pour le salut de l’âme bien mieux que l’UNEF (et sans coups sur la tête), avec l’avantage d’être garanti absolument inefficace syndicalement, ce qui ne pouvait que plaire à l’U-ID. L’UNEF n’avait donc plus aucun intérêt pour la LCR, l’utile dualité étant désormais entre SUD et l’U-ID. Il était ainsi logique que ses militants la quittassent après le congrès de Toulouse pour passer à l’un et à l’autre, et les AGE qu’ils contrôlaient avec eux. Ils ne sont restés officiellement qu’à Jussieu, où l’AGE était alors toute à eux, et à Nanterre, où ils jouaient avec des membres de la direction nationale un jeu curieux d’alternance dont je n’ai pas toutes les clefs, certainement pour des raisons essentiellement matérielles (à Jussieu, c’était évident. Nanterre, j’ai moins connu), mais sans aucune activité pour l’UNEF, et en étant systématiquement absents des CN.

On ne parle pas, jusque ici, de méchants et de bons. Pas du tout. Je ne suis pas en train de dire qu’ils étaient méchants parce qu’ils avaient des arrière-pensées politiques. Nous n’en manquions pas non plus. Mais ce n’étaient pas les mêmes. Les nôtres étaient de faire du syndicalisme pour en retirer un bénéfice politique, ce dont l’UNEF nous donnait les moyens que ni l’U-ID, ni bien sûr SUD, ne nous auraient donnés, les leurs d’utiliser exclusivement les syndicats comme tribune politique. Dans leur logique, leur abandon de l’UNEF était évidemment légitime.

Il ne l’était pas en revanche, par rapport au discours même qu’ils tenaient, qu’après avoir abandonné l’UNEF ils y revinssent pour y être le dernier soutien d’une direction nationale qu’ils avaient toujours présentée comme leur ennemi principal, contre nous avec qui ils disaient être totalement d’accord quant à la politique du gouvernement. Penser qu’on était plus efficace contre cette politique en étant l’opposition de gauche dans une organisation qui la soutenait qu’en tentant de la combattre syndicalement avec de faibles moyens était après tout légitime, quoique surprenant. Avec un peu de bonne volonté et beaucoup d’hypocrisie, nous aurions même pu trouver cela complémentaire. Aider ceux qui soutenaient cette politique à nous exterminer, nous qui la combattions, jetait un éclairage qui aurait pu être surprenant sur leur pureté révolutionnaire revendiquée. Est-il utile de préciser que nous n’avons pas été surpris ? Bien entendu, après avoir prêché l’unité, ils ont continué comme auparavant à se répartir, selon les mêmes critères, entre l’UNEF qui avait cessé d’être ID et SUD.

J’ai été en revanche, et reste aujourd’hui encore, surpris par l’obstination réunifiante de la direction de l’U-ID, alors (pour peu de temps encore) sous obédience du groupe Dray. Au début des grandes manœuvres, en janvier 1999, elle pouvait légitimement penser y avoir intérêt : se débarrasser de l’UNEF, qui était encore une épine dans son pied, affirmer ainsi son monopole, et ce tout en rendant service au PCF, avec qui ses relations étaient alors excellentes, puisqu’il voulait liquider et qu’elle donnait à son UNEF l’occasion de mourir dans une apparence de dignité. Elle n’a pas eu l’air maligne quand la « réunification » annoncée au printemps s’est perdue dans l’automne et a été enterrée en décembre. Revenir à la charge six mois plus tard n’était pas forcément une mauvaise affaire, surtout de cette façon là, en commençant par éliminer la représentation propre de l’UNEF au CNESER. Mais le nouvel échec de l’automne, alors que la Mutualité était réservée pour le congrès d’unité en décembre et que la presse aux ordres dûment convoquée six mois à l’avance se pâmait, la ridiculisait, y compris en interne face à ses oppositions de droite cambadéliste et rocardiennes. Je ne vois décidément pas pourquoi elle a remis ça au printemps suivant. Tous ses buts étaient atteints : l’UNEF était morte en tant qu’organisation nationale, ses AGE avaient prouvé qu’elles étaient incapables de faire quoi que ce soit à ce niveau, et la plupart étaient aussi en train de prouver qu’elles étaient incapables de se maintenir localement comme syndicats, la LCR et ses supplétifs avaient officialisé leur passage à l’ID. De dignité, il n’était évidemment plus question. On arrivait ainsi au résultat voulu : à la rentrée suivante, il n’y aurait qu’une seule UNEF (la méchante), et des groupuscules gauchistes grotesques occupés à s’excommunier mutuellement. Pourquoi donc se ridiculiser une fois de plus en faisant semblant de ramasser les derniers débris de la direction Delpas ? Avaient-ils fini par croire à leurs propres mensonges sur la « grande UNEF » ? S’ils y avaient jamais cru, le spectacle donné par leurs interlocuteurs aurait dû les ramener au bon sens. Ètait-ce seulement l’effet de l’élan pris, conduisant à une obstination à terminer ce qu’on avait commencé, même de façon grotesque ? C’est possible. Y avait-il un motif secret de faire cela ? Il m’échappe tout à fait, alors. J’ignore totalement si cette pantalonnade a eu un rôle dans la révolution de palais qui l’a suivie de peu, qui a vu presque tous les drayistes passer, derrière Pascal Cherki et Isabelle Thomas, au « Nouveau Monde » créé par Emmanuelli et Mélenchon (puis plus tard à Benoît Hamon. À l’UNEF-ID, il n’y a pas de changement de majorité, mais des changements d’obédience). Elle a en tout cas servi d’argument à la scission des rocardiens de droite (ça a l’air d’un pléonasme, mais c’est à prendre relativement : ils étaient encore beaucoup plus ouvertement à droite que les autres rocardiens) qui a donné la Confédération étudiante début 2003.

2- Pourquoi avons nous été trahis ?

J’en arrive à ceux qui furent au début nos alliés, avant de se tourner violemment contre nous, soit en soutenant objectivement la « réunification », comme ceux qui ont fait la FSE, soit en y passant, comme les Nantais.

Un point est certain : la création de la FSE à ce moment là était, quoi qu’on pensât de ce que devait être la suite, une énorme sottise. Je crois avoir déjà dit pourquoi. Pour résumer, c’était un repli groupusculaire, fondé sur le dénigrement de l’UNEF, sur une partie seulement de l’ancienne opposition (la plus influencée par le SEUL), d’autant plus groupusculaire que l’union avec les scissionnistes de l’année précédente qui avaient formé Solidarité étudiante était impossible[51], au moment où on pouvait espérer, en prenant l’étendard de la fidélité à l’UNEF, rassembler presque toutes les AGE.

Il n’est pas besoin d’être très paranoïaque pour se demander si une sottise d’une telle taille, qui a eu de telles conséquences, pouvait vraiment être seulement une sottise, si les sots qui l’ont faite n’ont pas dû leur succès à l’influence et à la direction d’autres qui, n’étant pas des sots, avaient d’autre buts que les nôtres.

C’est poser la question du rôle dans toute cette affaire du SEUL, c’est à dire presque exclusivement de Nathan Balsan-Duverneuil. J’ai toujours une impression curieuse quand je relis mes mails de cette période, et constate que mes deux meilleurs amis sur internet étaient alors Nathan et Manuel Canévet (j’y viendrai, à celui-là). C’est un fait que la création de la FSE était l’application de ce que préconisait le SEUL l’année précédente (et depuis sa fondation), la rupture avec l’UNEF pour faire un beau syndicat pur luttant clairement contre les réformes gouvernementales, qu’elle a été l’œuvre de ceux qui avaient tenté et raté cela après le congrès de Pantin, incapables de comprendre que le contexte avait radicalement changé, en mal parce que l’enthousiasme né du mouvement contre le rapport Attali était rapidement retombé, en bien par la réaction de presque toutes les AGE de l’UNEF à la relance de la « réunification ». Cela, Nathan semblait l’avoir compris, à ce qu’il me disait en privé, et à ce qu’il disait publiquement. C’était d’autant plus crédible que c’était différent. En privé, nous discutions dans une apparente franchise, avec des désaccords et des réticences, mais toujours pour conclure que nous avions le même but, la création face au monopole à venir de l’UNEF-ID d’un vrai syndicat vraiment étudiant, en considérant (hypocritement, et en toute conscience que c’était hypocrite, car chacun savait que c’était essentiel pour l’autre) que la question de son nom, UNEF ou un truc nouveau, n’était pas d’actualité et serait traitée ultérieurement. Nous avons eu des discussions charmantes à propos de Titanic, de radeaux, de canots de sauvetage, et de la possibilité de boucher les voies d’eau. En public, il était strictement sur la même ligne que moi, l’UNEF justement soulevée contre sa direction liquidatrice, et soucieux de recadrer les amateurs de FSE. Ce que je ne sais pas, c’est ce qu’il disait alors aux autres en privé. Il a tenu publiquement une ligne unitaire pendant toute l’année suivante, puis a pris de plus en plus violemment parti pour l’abominablement ridicule FSE, y reconnaissant soudain le grand syndicat étudiant national qu’il avait toujours voulu fonder, et piétinant d’une façon tout à fait odieuse, quand je l’interpellais à ce sujet, ce que nous avions fait ensemble en ce mois de juin 2000.

A priori, pour prendre ce ridicule groupuscule gauchiste occupé à se déchirer sur des questions n’ayant que peu à voir avec le syndicalisme étudiant, cautionnant ainsi objectivement le monopole revendiqué par l’UNEF qui avait cessé d’être ID sur la « représentation étudiante », pour le grand syndicat étudiant dont nous avions rêvé ensemble, il fallait vraiment ne pas être physionomiste. On ne peut cependant exclure qu’il y ait eu, du début, un malentendu entre nous sur ce qu’était le syndicat étudiant de nos rêves, bien plus fort que la divergence, déjà capitale, sur son nom.

Les choses sont pourtant, décidément, compliquées. Le SEUL était évidemment groupusculaire : dans la seule université où il ait jamais existé (hors une opération parachutiste à Montpellier II dont il a été question à propos de la composition de la liste), Montpellier III, il a toujours été derrière l’U-ID et l’UGEM-UNEF aux élections (ce n’est pas un critère décisif, mais c’est un des critères à prendre en compte). Il était, jusqu’au bref miracle de juin 2000, d’un sectarisme épouvantable. Mais il avait la particularité sur tous les groupuscules gauchistes genre SUD de fonder son sectarisme sur une définition très stricte du syndicalisme étudiant (au point d’avoir fait peur même à moi à propos de sans-papiers, dont selon lui il ne fallait pas se préoccuper s’ils n’étaient pas étudiants). L’ennuyeux, du point de vue qui était le mien, était que cette conception, proche de la mienne, sentait très fort, horriblement fort, FO, avec tout ce que cela impliquait en aval, et en amont. C’était un point qu’il valait mieux ne pas aborder en juin 2000. J’ai néanmoins essayé plusieurs fois, à l’automne, d’interroger Nathan sur ce qui paraissait au guesdiste qui ne sommeille jamais totalement en moi une adoration fétichiste de la « charte » d’Amiens : il ne m’a pas répondu. Nathan était, foncièrement, un lambertiste. S’il était d’un groupe qui avait rompu avec la maison mère, dans des conditions, comme toujours avec ces gens là, obscures et compliquées, il en avait tous les réflexes, à commencer par un anticommunisme instinctif et par la manie de semer la division pour des queues de cerises élevées en principes doctrinaux non négociables.

Il était certain que l’accord entre nous, même s’il avait été sincère (ce que je n’exclus pas tout à fait), ne pouvait être que provisoire : la question du nom, quoi que nous en dissions alors, était déterminante quant à la nature de la chose à construire. Il est tout aussi certain que le groupuscule gauchiste qu’est rapidement devenue, ce qui me paraissait fatal, la FSE ne correspondait en rien à ce que préconisait le SEUL auparavant, ni même à ce qu’il était réellement (la différence entre les deux étant bien sûr le caractère groupusculaire).

Je ne peux décidément savoir si Nathan a décidé sincèrement en ce printemps 2000 de marcher avec nous, provisoirement du moins (Je ne peux cependant exclure qu’il ait été convaincu alors de renoncer à ses turpitudes lambertistes pour participer au maintien d’un vrai syndicalisme vraiment étudiant. Il est de foi que la grâce peut toucher les cœurs les plus endurcis. Ça n’en est pas moins l’hypothèse la plus improbable), et s’étant trouvé dépassé par les évènements et par sa base (De ce que j’ai vu de ses successeurs au SEUL, j’ai eu l’impression qu’il avait fort bien réussi à leur apprendre le sectarisme, mais non les bases théoriques sur lesquelles il le fondait, moins encore la bonhomie et les élans lyriques qui lui permettaient de donner le change), a préféré reconnaître dans la ridicule FSE son enfant plutôt qu’avouer son échec, ou si son but véritable était du début, ce qui serait alors un franc succès, la destruction de notre UNEF, tout le reste étant littérature. J’ai néanmoins une certitude, qu’il n’était évidemment pour rien dans l’abominable « charte » et les grotesques statuts de la FSE, publiés pendant l’été 2000 : Nathan savait, et c’était une des bases de notre entente paradoxale, lire et écrire (ce qui commençait à se faire rare à l’époque). Ça ne permet pas de dire s’il en a ou non encouragé en privé les auteurs.

Je dois ajouter à ces nombreux aveux d’ignorance que je ne sais pas du tout quel a été le rôle dans tout ça du groupe La Commune, auquel il appartenait. Nous n’avons jamais vu que lui, et jamais eu trace d’une prise de position de ce groupe. Agissait-il de façon autonome, les autres ne se préoccupant pas de syndicalisme étudiant ? Dépendait il de chefs peu soucieux d’apparaître, mais suivant les opérations ? Mystère.

Ce groupe avait alors fusionné depuis un an avec la Gauche révolutionnaire, que nous connaissions en revanche fort bien, à laquelle je viens pour dire que je n’ai absolument pas compris sa position, si on peut parler de position, en ce mois de juin 2000. La GR avait en commun avec la LCR d’être présente dans les deux UNEF, avec cette différence que c’était pour y faire du syndicalisme étudiant. Elle avait, comme on l’a vu, depuis 1997 au moins, un rôle dirigeant parmi les AGE de l’UNEF opposées à la direction. Elle a pourtant été, en ce mois de juin, à peu près totalement absente des débats, hors la prise de position aussi décisive que surprenante de Leila le 28, que nous avons vue, et totalement ensuite (Certes, Olivier Ruet en était officiellement, mais, à moins de supposer un complot si vaste et si compliqué que je ne peux, même moi, aller jusque là, on ne peut envisager que ses prises de position successives et contradictoires en aient émané, sauf peut-être celle du 29, où il était d’accord sur tout avec Leila, ce qu’il a rapidement oublié). La GR était, comme nous, adepte de la politique du coucou, et avait, comme nous, et avec les mêmes arguments, refusé d’envisager une scission qui semblait logique à certains après le congrès de 1999. La position de Leila le 28 juin peut être interprétée comme une obstination sur cette ligne, à un moment où elle n’avait plus de sens. Il est beaucoup plus surprenant que la GR ait ensuite totalement disparu du syndicalisme étudiant, son principal terrain d’activité jusque là, à Rouen, mais aussi à Lille et Paris I, et, dans la maison d’en face, à Amiens. Nous pouvions espérer, nos positions jusque là étant presque les mêmes, son soutien. Elle aurait pu aussi choisir, puisqu’elle était dans les deux UNEF, la « réunification » en s’y négociant une petite place. Elle n’a fait ni l’un ni l’autre, mais s’est évaporée. Était-ce un choix fait au niveau politique d’abandonner le syndicalisme étudiant, peut-être parce que la « réunification » empêchait la poursuite de ce qui était fait jusque là dans les deux UNEF ? Était-ce lié aux difficultés créées par la fusion aberrante, tant ces deux groupes étaient différents, avec La Commune, dont les positions sur le sujet étaient très différentes, fusion alors en train d’exploser ? Était-ce, beaucoup plus simplement, un problème de renouvellement des militants et des directions, ceux qui terminaient leurs études (c’était le cas de Leila) ne trouvant point de successeurs ? En tout cas, nous avons perdu soudainement, au pire moment, ce qui avait été le principal élément structurant de l’opposition dans l’UNEF depuis 1997.

J’en viens aux seuls, au seul en fait tant tous les autres n’étaient que ses laquais, qui, après avoir été de notre liste pour le CNESER en juin 2000, sont passés à l’UNEF-ID via la LCR dès l’année suivante, le CEN de Nantes, soit Manuel Canévet. Après avoir été un des premiers, parmi les absents du CN, à manifester son soutien à la liste, et avoir dit avec une violence extrême le mal qu’il pensait de la « réunification », il est devenu beaucoup plus flottant dès la mi-juin, a joué les blasés, puis dans un renversement spectaculaire, est passé pendant le « congrès » d’Orsay de novembre (alors qu’il m’avait juré solennellement au téléphone le lundi précédent qu’il ne ferait jamais ça) à la LCR et a manifesté dès lors un enthousiasme réunificateur qui l’a conduit à rejoindre l’U-ID, dans la tendance LCR, dès son congrès d’avril, s’y faire élire à sa commission administrative, et revenir voter la mort au CN de l’UNEF du 13 mai. Peu de temps après, il est passé de la LCR aux rocardiens, avec ses bagages. Je n’ai jamais bien réussi à le situer politiquement, au milieu de tant de choses contradictoires (il est même allé jusqu’à me dire, dans un moment de fraternisation, qu’il était, comme moi, catholique). Pendant longtemps, ses deux acolytes, Matthieu Lavois et Romain Bessonnet, ont été présentés officiellement par lui l’un comme vert, l’autre comme communiste. C’était sans doute une farce. Après la trahison d’Orsay, Bessonnet m’a envoyé de nombreux courriers (dont un se terminant par « A poil Trotski ! ») pour m’expliquer qu’il était contraint de faire semblant de suivre, mais restait de cœur avec nous, me demandant des conseils pour exterminer l’infâme Canévet, auxquels j’ai répondu avec circonspection. La suite a montré que j’avais bien fait, et qu’il jouait (très mal, et très bêtement) le rôle de l’agent provocateur.

Il s’est trouvé des gens connaissant très bien Manuel Canévet depuis sa plus tendre enfance pour nous expliquer qu’il se moquait de nous depuis le début, et n’avait jamais eu d’autre but que se vendre (à bas prix : il ne valait pas plus) à l’UNEF-ID. Ils avaient probablement raison. Quand on repense à ce qui a précédé le moment d’enthousiasme de ce début de juin, on constate qu’il avait toujours, lors des réunions importantes où il y avait matière à se compromettre, des empêchements en général familiaux, qui l’obligeaient à envoyer un de ses sbires à sa place (souvent avec consigne de m’obéir en tout, ce qui était flatteur pour moi, mais non compromettant pour lui), qu’il avait évité, par une histoire tout à fait invraisemblable de vote de son AGE contre le cumul des mandats, d’être tête de liste pour le CNOUS, qu’il ne publiait d’ailleurs de positions gauchistes (souvent bêtement gauchistes) que comme positions de l’AGE sans s’engager, qu’il s’était déjà arrangé pour ne pas être au congrès de Pantin l’année précédente (laissant carte blanche à Guillaume Cavé), que la façon dont il s’était fait élire à la rentrée 98 au BN en sortant du néant, et en faisant croire à la direction qu’il était de son côté, était déjà significative. Il reste que, pendant deux semaines environ, à partir du 3 juin 2000, il s’est vraiment compromis avec nous, contre l’UNEF-ID et sa « réunification ». Était-ce uniquement pour faire monter (un peu) sa cote à la revente ? Ce n’est pas impossible.

3- Pourquoi avons-nous été ridicules ?

J’en viens à nous, ceux qui ont été constamment contre la « réunification » et pour le maintien de l’UNEF du printemps 2000 au printemps 2001, qui avons lamentablement échoué. Il est clair qu’on ne peut expliquer cet échec uniquement par la méchanceté de tous les autres (Eux aussi, d’ailleurs, ont été ridicules, mais ce n’est pas une consolation, c’est plutôt une circonstance aggravante).

J’écarterai d’abord une fausse explication, qui nous a été beaucoup opposée, au point de convaincre certains des nôtres, que nous n’étions unis que par notre détestation de l’U-ID, et ne pouvions avoir de projet tant nous étions différents les uns des autres. Elle est fausse car il y avait dans cette détestation, fondée non sur des préjugés, mais sur une longue expérience et sur notre pratique militante, toutes les bases d’un projet, tant l’Ennemi montrait tout ce qu’il ne fallait pas faire si on voulait faire du syndicalisme étudiant. « S'il y a beaucoup de manières de ne pas faire de syndicalisme, il n'y en a qu'une de faire du syndicalisme », écrivais-je dans une contribution sur le forum en août 2000[52].

Il n’en est pas moins vrai que nous avons été handicapés par le manque de cohésion d’une coalition née en quelques heures après la décision du CN du 3 juin, de gens qui jusque là ne travaillaient pas ensemble, voire ne se parlaient pas, et qu’il était fort difficile de convaincre qu’en fait ils voulaient la même chose. L’idée était au départ de rallier autour des AGE qui s’opposaient jusque là à la direction à propos de réformes et de « réunification », qui étaient habituées à travailler ensemble, qui avaient participé de façon relativement coordonnée au mouvement de l’automne 98 contre le rapport Attali et s’étaient retrouvées sur les mêmes positions à chaque CN (comprises celles qui avaient fait des scissions dont les raisons n’existaient plus alors), celles qui refusaient la seconde, en restant ferme sur le premier point mais en évitant d’en rajouter. Ce n’aurait certes pas été simple, mais il y aurait eu au départ un bloc cohérent. Ce bloc n’existait plus à la fin du mois de juin. Avec les trahisons symétriques de Caen et Nantes (celle-là officialisée en novembre, mais manifestement déjà décidée fin juin) et l’évaporation de Rouen, venant après le refus de marcher avec nous de Limoges et du Mirail, il ne nous restait, de ce qui était avant le congrès de Pantin l’opposition à la direction de l’UNEF, qui avait participé au mouvement contre le rapport Attali et rejetait la « réunification » que Paris IV et Lille, la seconde très affaiblie par sa récente explosion, la première dont la prospérité était largement illusoire. Nous avions pu depuis compter sur Evry, notre seul succès, et sur Paris I, où les choses étaient plus compliquées. Elles l’étaient encore plus à Montpellier, officiellement passée de notre côté au printemps. Lyon s’était fermement prononcée contre la « réunification » à l’automne, mais nous n’avions eu aucun contact avant le lundi 5 juin. Les autres n’ont compris que le 3 juin (Les moins vifs, Clermont et Orsay, à l’automne seulement) ce que nous répétions depuis Pantin, que le seul but de la direction Delpas était la liquidation de l’UNEF dans l’U-ID.

Une des conséquences de ce manque de cohésion, qui a aussi contribué à l’aggraver, a été l’incapacité à comprendre ce qui se passait réellement, et à en tirer toutes les conséquences sur nos rapports avec la direction Delpas. Beaucoup des camarades qui se trouvaient soudain d’accord avec nous étaient convaincus que l’UNEF fonctionnait de manière parfaitement démocratique, et qu’il suffisait d’utiliser ses procédures habituelles pour y être entendu, et obtenir, si on était majoritaire, de la direction qu’elle renonçât à ses funestes projets, jusqu’à s’indigner quand on leur parlait de faux mandats et de verrouillage des débats. Le plus ahurissant a été que certains trouvassent tout à fait juste que le vote de motions portant directement sur l’ordre du jour d’un CN fût renvoyé à la fin de la séance (deux fois, le 23 septembre 2000 et le 13 mai 2001), et scandaleux que certains d’entre nous hurlassent. Ce genre de crétinisme pseudo-parlementaire n’était d’ailleurs pas le propre de nos nouveaux amis. J’ai constaté plusieurs fois que certains des meilleurs des nôtres croyaient vraiment, s’ils savaient eux, qu’il y avait des faux mandats, que si nous parvenions, malgré ceux-ci (en en ajoutant éventuellement quelques-uns de notre côté), en respectant les règles du « débat » fixées par la direction, à être majoritaires au décompte final, tous nos problèmes seraient résolus. Nous avons plusieurs fois manqué la majorité en CN d’une poignée de voix, et constaté tristement que si tous les camarades sur qui nous croyions pouvoir compter étaient venus, nous l’aurions eue. Cela aurait-il changé quelque chose ? Non, bien évidemment, puisque ceux d’en face étaient décidés à n’en tenir aucun compte.

Il y avait là une incapacité fondamentale à tirer les conséquences du changement radical que nous subissions, provoquant une obstination à faire comme si tout était comme avant, en appelant ça démocratie. Du moment que la direction Delpas, en fait ceux, quels qu’ils fussent exactement, qui en tiraient les ficelles, avait adopté la ligne « On liquide, et on s’en va », elle n’avait plus aucune raison de tenir compte de l’opinion de la base d’une organisation dont elle ne voulait plus. Si elle nous avait jusque là laissé faire dans nos facs ce que nous voulions sous le nom UNEF, avait toléré nos objections dans les CN, en avait parfois (de moins en moins) tenu compte, ce n’était pas par souci démocratique : c’était que tant qu’il s’agissait de maintenir l’UNEF, elle avait absolument besoin de nous, ne serait ce que pour les élections au CNESER où nos voix étaient indispensables. Inversement, si nous acceptions d’être, à chaque fois, minoritaires, face à des positions de plus en plus scandaleuses quant à la politique du gouvernement, ce n’était pas (certains d’entre nous l’avaient apparemment oublié en route, avec l’habitude) parce que nous étions des démocrates convaincus (si tel avait été le cas, nous aurions joyeusement appliqué dans nos facs la ligne votée par les CN), mais parce que nous savions que nous étions malgré tout mieux à l’intérieur de l’UNEF, en faisant ce que nous voulions dans nos facs, que dehors (la triste suite des événements a confirmé cette impression). Il n’y avait donc aucune raison de penser que, de même que nous avions accepté d’être minoritaires pendant très longtemps, la direction Delpas accepterait de l’être désormais, puisque les positions n’étaient pas du tout symétriques. Le vote est un bon moyen de trancher entre gens déterminés, ou résignés, à rester dans la même organisation : quand la séparation est décidée par l’une des parties, il n’a aucune utilité. La seule chose rationnelle à faire était de décréter que nous étions majoritaires, ce qui était d’ailleurs exact, et d’ignorer la réaction des autres. Nous en avons été incapables.

Cela renvoie à un problème beaucoup plus vaste : nous savions, quoi qu’on en ait dit, ce que nous voulions, mais ne savions pas du tout comment le faire. Nous voulions, tout simplement, continuer ce que nous faisions depuis des années, du syndicalisme étudiant dans nos facs, dans une perspective nationale parce que nous savions bien que ce ne pouvait être crédible sans. Il n’était pas besoin d’avoir beaucoup d’expérience de l’UNEF-ID les jours d’élections, pendant les chaînes d’inscriptions, les jours où elle tenait congrès local, et de son absence tous les autres jours pour comprendre que cela serait impossible dans le cadre de la « réunification » qu’on prétendait nous imposer, dont il était clair que ses structures seraient celles de l’U-ID (On ne peut que renoncer à distinguer, parmi les quelques-uns qui ont prétendu le contraire, quels étaient les naïfs, quels étaient les faux-derches. La plupart, hors LCR bien sûr, étaient sans doute l’un et l’autre à la fois). Pour la plupart d’entre nous, la solution était simple : remplacer la direction qui voulait liquider par une autre, un bureau national de 31 membres, un président, un secrétaire général, un trésorier, quatre ou cinq secrétaire nationaux, pour que tout continuât comme avant (Je passe sur les quelques-uns qui prêchaient qu’il ne fallait pas être méchant comme ça, mais convaincre la direction Delpas qu’elle se trompait. Même remarque que dans la parenthèse précédente). C’était rigoureusement impossible sans appui politique solide, que nous n’avions pas, mais fort peu s’en rendaient compte. À force de faire des discours sur l’indépendance politique de l’UNEF et de la dénégation sur son lien avec le PCF, beaucoup avaient fini, à défaut d’en convaincre d’autres, par se convaincre eux-mêmes. Inversement, beaucoup d’opposants (récents, en général) qui dénonçaient ce lien étaient persuadés que sa suppression abolirait tous les problèmes, sans voir qu’il condamnait la structure. Localement, nous pouvions avoir l’illusion d’être indépendants financièrement grâce aux subventions, pourtant maigres, des universités (indépendance certes paradoxale) et aux locaux, également fournis par elles. Il ne pouvait être question pour nous d’avoir un siège national à Paris (il n’y avait bien sûr aucun espoir de conserver celui de la rue Édouard Pailleron, puisque la direction confédérale de la CGT soutenait la « réunification »), ni de rétribuer des permanents renonçant de fait (au moins provisoirement) à faire des études en leur donnant des garanties suffisantes quant à leur avenir.

Comme je l’ai dit plus haut, j’étais conscient du problème. Cela ne signifie pas que j’aie eu une vision claire de la solution. Je crains d’avoir parfois donné l’impression, au cours de ce long récit, de considérer que j’étais le seul lucide, victime des errements de tous les autres. Ce serait absurde : la preuve suffisante en est que ça n’a pas marché. Si j’avais un peu plus de recul que la plupart de mes camarades, je n’ai pas réussi à les convaincre. Je crois d’ailleurs de moins en moins, avec le recul, que ce que je voulais eût pu être durablement viable. Mon idée était qu’il fallait maintenir l’activité syndicale au niveau local, en improvisant une direction nationale qui ne pourrait, faute de moyens, qu’être essentiellement symbolique, et en comptant sur internet pour coordonner l’action des AGE. Ça n’était pas totalement absurde, puisque c’était ce que nous avions fait au moins depuis le congrès de Pantin, en ignorant totalement une direction nationale qui prouvait son inutilité.

Ce n’était pas totalement absurde, à une condition près : pour que les AGE pussent fonctionner de façon presque totalement autonome, il fallait que chacune eût une direction politique solide[53]. Ces directions pouvaient être de toutes doctrines, affiliations, obédiences, ou compromis entre ces trois aspects, pourvu qu’elles estimassent avoir un intérêt à faire du syndicalisme étudiant, et en déduisissent une volonté de travailler avec d’autres directions d’AGE ayant doctrines, affiliations, ou obédiences différentes. Il s’agit encore, d’un autre bout, de ce qui a toujours été refoulé, le rapport entre syndicalisme étudiant et politique. En théorie, le but du syndicalisme étudiant est de réunir le plus possible d’étudiants, idéalement tous ou presque tous, pour défendre les intérêts qu’ils ont en tant qu’étudiants, sur le modèle des syndicats de salariés, et ceci donc sans rapport avec d’éventuelles appartenances politiques, même s’il est bien sûr normal que les étudiants syndiqués en aient par ailleurs, et donc normal que ces appartenances aient une influence sur la composition des directions syndicales. Cette théorie se heurte à un constat empirique incontestable : on ne peut pas, on n’a jamais pu, et tout indique qu’on ne pourra jamais, faire du syndicalisme étudiant sérieusement, efficacement et durablement, sans arrière-pensées politiques. C’est un triste fait, qu’on explique par le caractère transitoire de cette condition et bien d’autres choses, que fort peu d’étudiants ont spontanément conscience qu’ils ont des intérêts communs à défendre en tant que tels, et qu’il est rare qu’on puisse leur en faire prendre conscience avant qu’ils aient cessé d’être étudiants. Presque toujours, cette conscience syndicale suit la conscience politique, elle-même forcément très minoritaire, au lieu de la précéder comme on considère, en bonne théorie, qu’il est normal chez les salariés.

Bien sûr, il n’y avait pas dans les syndicats étudiants que des militants politiques conscients, agissant syndicalement dans un but politique. Il y étaient même largement minoritaires. La plupart des militants adhéraient au syndicat parce qu’ils étaient (plus ou moins) convaincus de son utilité, parce qu’ils étaient heureux d’aider leurs camarades ayant des problèmes individuels, ou tout simplement parce que l’ambiance du local était sympathique. Mais l’expérience montre qu’il fallait une direction politique pour que ceux-là vinssent, pour que la continuité fût assurée les jours où personne n’avait envie de militer, pour que la ligne restât ferme sur une activité syndicale, ou du moins principalement syndicale. Quand cette direction venait à manquer, ça tournait inévitablement soit au n’importe quoi, des pires âneries gauchistes à l’organisation de matchs de football, soit, le plus souvent, au vide total, ceux qui aimaient à fréquenter le local de temps en temps constatant qu’il était désormais vide.

Si nous avons pu faire ce que nous avons fait, c’est que nous avions, au début du processus de liquidation, de telles directions, dans presque toutes les AGE qui l’ont d’abord refusé, le plus souvent établies depuis longtemps. Mais il y avait une condition supplémentaire pour durer, que ces directions politiques fussent capables de se reproduire. L’histoire de notre liquéfaction est d’abord celle de cette incapacité. Le grand et glorieux sursaut du début de ce mois de juin 2000 avait été presque partout l’œuvre de cadres relativement âgés, presque tous en fin d’études. Ça n’aurait rien eu, en soi, d’étonnant, de navrant, de scandaleux, s’ils avaient eu des successeurs prêts à prendre la relève. Il ne s’en est point trouvé. Il ne manquait pas, en général, de militants pour les approuver et pour les suivre, mais aucun pour assumer leur succession.

À Paris IV, tout reposait, depuis janvier 1998, sur Philippe et sur moi qui, ayant pris la direction de l’AGE ensemble un peu par hasard (de mon côté, en tout cas), nous étions trouvés heureusement complémentaires en pratiquant l’union dialectique (très dialectique, parfois). J’atteignais vingt-neuf ans, ce qui était incontestablement trop, lui vingt-cinq, ce qui était déjà beaucoup. Une tentative de transition, dont il a déjà été question, à l’automne 1999, avait tourné au désastre et au massacre entre nous deux. Comme toujours en cas de massacre, beaucoup de militants innocents avaient alors pris la fuite. L’affaire du CNESER nous avait réconciliés, et conduit à reprendre la direction, mais nous manquions largement de troupes, et totalement de têtes politiques capables de nous succéder, ce qui est apparu nettement quand j’ai décidé de me retirer début 2001.

On hésite à dire que Paris I avait, avec le couple Jihad Wachill / Sylvestre Roth (très dialectique, rarement uni), une direction politique solide. Elle suffisait à peu près grâce au voisinage de Paris IV. Mais quand ils se sont massacrés à l’automne 2000, il est apparu clairement qu’il n’y avait personne derrière eux pour arbitrer, ou les remplacer.

Lille venait d’élire une telle direction, assez jeune, avec Gilles Andriès et Fabienne Yung, suivis de près, bien qu’il ne fût plus étudiant, par William Roger. Mais ça avait été au prix d’un massacre général. Eux non plus n’ont pas eu de successeurs. Gilles est resté seul quand Fabienne s’est retirée. Si l’AGER de Rouen a totalement disparu en un an, c’est qu’il n’y a eu personne pour succéder à Leila Messaoudi, qui terminait ses études par le CAPES. J’ai déjà dit ne pas avoir compris si la GR s’était retirée du syndicalisme étudiant faute de troupes, ou par choix. Le résultat est là : à l’automne 2000, il ne restait plus que des militants non politiques qui, après avoir affiché leur ferme intention de continuer, se sont dispersés rapidement. L’origine du problème caennais, pour un résultat différent, est vraisemblablement la même : Olivier Ruet était le seul politique, ce qui n’était manifestement pas suffisant (mais n’excuse pas bien sûr ses procédés contre nous). Le CEN de Nantes avait incontestablement une direction politique solide, mais dont l’objectif exclusif était manifestement le culte de la personnalité de Manuel Canévet, ce qui est rapidement apparu incompatible avec le syndicalisme étudiant.

Je suis convaincu, bien que je n’aie eu aucun contact avec elle après la conversation téléphonique au moment du CNOUS dont j’ai parlé (en partie d’ailleurs parce que je n’ai plus pu avoir de contact) que ce fut également la cause principale du désastre de l’AGEL de Limoges. Sa dernière direction politique avait vu dans la scission de l’UNEF en avril 1999 le moyen de régler ce problème. Résultat : un an plus tard, on s’y souciait plus de lutter contre la célébration de la Saint Valentin que des élections au CNESER. J’ai un peu plus d’éléments sur Le Mirail, puisque j’ai retrouvé ensuite le contact avec des anciens, et la même impression, que la direction communiste (anti mutation) a été incapable de se reproduire, avec cette nuance qu’il y a eu au moins dans un premier temps une direction politique pour la remplacer, mais beaucoup trop anarchisante pour être syndicale au sens où nous l’entendions (et où je persiste à l’entendre).

À Lyon, le basculement de notre côté a été l’œuvre de Nicolas Pailleux et Sylvain Henry, le premier en dernière année à l’INSA, le second terminant ses études à Lyon II. À la rentrée 2000, ils n’étaient plus là. Il restait une seule tête politique, Caroline Ramirez, trésorière devenue en cours d’année présidente par évaporation du président et de la secrétaire à l’orga, qui avait le handicap d’être très jeune, d’être seule, et surtout d’être de Lyon I, la fac de Sciences, qui était depuis très longtemps une petite annexe pour l’UNEF Lyon dont presque toutes les forces étaient à Lyon II. Résultat : tous les militants de Lyon II (il y en avait), qui étaient très fort contre la « réunification » ont disparu sans laisser d’adresse, faute de direction.

Orléans semblait avoir une forte direction PCF début juin 2000. Elle s’est évaporée, et l’AGE avec elle. Les choses furent plus compliquées à Bordeaux (et je n’ai pas tout compris, en particulier comment ceux qui nous considéraient comme de dangereux gauchistes et fuyaient tout dialogue sérieux avec nous avaient pu finir à la grotesque FSE), mais j’ai également l’impression que les cadres PCF solides commençaient à manquer.

Il y avait en juin 2000 une exception, Évry, avec une direction politique solide mais jeune, autour de Guirec Manceau et Natacha Sommer. C’est certainement pour cela qu’elle a été la dernière AGE à tenir, qui arborait encore deux ans après la « réunification » notre superbe logo rouge. Mais le résultat final a été le même que partout ailleurs, avec deux ans de décalage. Quand Guirec a achevé ses études, il n’a pas eu de successeur, et il n’y a plus eu de syndicat, seulement une corpo locale qui n’a pas longtemps survécu.

Aucun de ces syndicats (sauf peut-être Paris IV, dans un processus compliqué qui n’est pas de notre sujet) ne s’est jamais relevé. Cette hécatombe demande explication. Il faut d’abord remarquer que les vrais militants politiques, au sens où nous pensions l’être, essayions du moins, commençaient à se faire rare dans le milieu étudiant. Ça ne s’est pas arrangé depuis : nous pouvons apparaître rétrospectivement comme les derniers individus d’une espèce en voie de disparition. Ça contribue à expliquer que nous n’ayons trouvé personne pour nous succéder. Le contexte particulier n’arrangeait rien, puisqu’il s’agissait de s’opposer à une « réunification » que toutes les principales forces politiques encore présentes dans les facs, le PS, le PCF, la LCR, et également le mystérieux groupe Socialisme par en bas, qui connaissait alors un bref succès[54], applaudissaient, hors LO qui n’a jamais voulu s’impliquer, et les lambertistes, alors PT, dont nous n’aurions certes pas voulu. Nous ne pouvions donc avoir que des sans-partis, ou de quelques groupuscules, ou des marginaux dans leurs partis.

Nous étions presque tous, hors les camarades de la GR, issus d’organisations politiques soutenant le gouvernement Jospin, dont nous nous étions éloignés, pour des raisons en partie universitaires, mais en partie seulement (il n’y avait pas que dans ce domaine qu’il faisait pire que Juppé et Balladur), soit en les quittant, soit en y passant à diverses oppositions. Pour la plupart (moi en particulier), le syndicalisme étudiant, entrepris comme un aspect d’une action politique, était devenu un refuge, le seul domaine où nous pussions faire ce qui paraissait juste, combattre la politique du gouvernement. Nous n’avions donc aucun vivier politique où recruter des cadres syndicaux. Nous étions d’une génération de militants qui étaient venus à la politique et à la gauche pour lutter contre les gouvernements de droite (pour les plus vieux, dont j’étais, contre les gouvernements PS d’avant 93, quand il y avait une opposition de gauche à ceux-ci, du PCF principalement), et avions constaté, plus ou moins rapidement après la victoire et l’accès au pouvoir d’État d’une coalition de nos partis en mai 97, d’abord que ça ne changeait rien, ensuite que c’était pire. Une telle expérience ne pouvait être transmise. Les étudiants qui adhéraient, en ces horribles années, à nos partis, ou anciens partis, le faisaient parce qu’ils aimaient la politique de Jospin, menteur, voleur, affameur et assassin. Ils étaient d’ailleurs fort peu nombreux. Ceux qui n’aimaient pas ne faisaient pas de politique, ou alors, ce qui était une autre manière de ne point faire de politique, sombraient dans les pires délires gauchistes, incompatibles avec une conception saine du syndicalisme étudiant.

Il aurait bien sûr fallu que nous fussions capable de faire émerger, parmi les militants syndicaux qui nous suivaient (Il y en avait. En nombre ridicule, certes, mais néanmoins supérieur à ce qu’on trouvait en face) des cadres politiques capables de nous remplacer, héritiers de notre pensée syndicale et de nos arrière-pensées. C’était bien à peu près, en moins précis bien sûr, l’idée que nous avions. Il n’est pas surprenant que ça n’ait pas marché. C’était un handicap structurel du syndicalisme étudiant qu’il était incapable de produire lui-même ses cadres, tant était énorme, et fatale, la coupure entre les directions, politiques, et la base, qui très majoritairement ne l’était pas. Cela ne se voyait pas trop tant qu’il y avait suffisamment de politiques dans l’AGE pour pourvoir à chaque fois les postes vacants, qui leur revenaient naturellement. Quand, faute de tels candidats, on en est arrivé à les donner au meilleur militant ou, pire, à celui qui en avait envie, le désastre était certain.

Cette coupure, tant que les choses étaient normales, n’était évidemment pas totale, pas totalement irrémédiable en tout cas. Il arrivait bien sûr qu’un militant apolitique au moment de son adhésion au syndicat fût convaincu par d’autres qui ne l’étaient pas de rejoindre leur organisation politique, et y acquît ainsi les qualités nécessaires à un bureaucrate syndical. C’était un intérêt annexe du syndicalisme étudiant pour les organisations politiques qui y étaient impliquées, qu’il était aussi un moyen de recruter. Notre problème en 2000 était que nous n’avions pas d’organisation politique où pousser ceux de nos militants syndicaux que cela pouvait intéresser. Ceux qui en trouvaient une sans nous la trouvaient hostile à nous, et devaient choisir.

On en revient toujours au même point, qu’on ne peut pas faire de syndicalisme étudiant sérieusement et durablement sans qu’il soit appuyé sur une organisation politique existant nationalement de façon significative. Cela, tous les gens raisonnables qui ne sont pas de fieffés menteurs, l’admettent volontiers, même si certains peuvent l’oublier dans des périodes d’exaltation comme celle dont nous parlons. Mais quand on dit cela, on pense essentiellement au problème de son financement. C’est un aspect important : ce n’est pas le seul. Nous avons pu, dans le moment d’exaltation dont il est question, penser le dépasser ou du moins le contourner. Nous avons buté sur l’autre aspect, incontournable celui-là : le renouvellement des cadres. Une direction politique nationale issue d’une organisation bien implantée peut parfois fournir aux syndicats locaux les cadres qu’ils ne trouvent pas spontanément. Elle peut surtout, et c’est le plus important, pallier provisoirement leur absence, en permettant, par son suivi, le maintien d’AGE sans direction politique, en attendant qu’il leur en arrive une, voire en créant ou recréant des AGE ex nihilo quand elle se trouve avoir un politique, recruté par d’autres voies (dès le lycée, ou par une organisation locale sans présence à la fac) sur place. Sans une telle direction, tout manque ponctuel de direction pour une AGE conduit à sa disparition, sans retour possible. C’est pour cela que ce que je voulais faire de l’UNEF à l’époque n’était pas viable à moyen terme : partant d’une présence sur un bon tiers ou une petite moitié des universités françaises, ce qui était estimable, nous ne pouvions, dans la durée, que perdre des AGE (même si ça aurait pu être moins rapide), sans espoir d’en gagner ou regagner jamais.

Une autre chose a contribué à accélérer notre débandade, dont nous n’avions pas conscience au début du processus, que le lien connu entre UNEF et PCF, outre les avantages tout à fait théorisables analysés ci-dessus, en avait un annexe, paradoxal, contraire à toute théorie syndicale, et qui nous a manqué cruellement par la suite : qu’il dissuadait un certain nombre de gens d’adhérer. Il n’était pas nécessaire, pas du tout certes, d’être communiste pour adhérer à l’UNEF, mais il fallait du moins pouvoir accepter d’appartenir à une organisation dirigée par des membres du PCF, dont l’action profitait nécessairement au PCF. Cet effet repoussoir a plutôt l’air d’un défaut, pour une organisation ayant pour but de rassembler tous les étudiants conscients d’avoir des intérêts en commun, et n’était à l’époque, envisagé que comme tel, sur le mode du regret ou de la résignation, voire de la dénégation (chez les comiques qui prétendaient qu’il fallait changer ça, ou, plus drôle encore, expliquer aux étudiants combien c’était faux). Il avait pourtant l’avantage certain, qu’on a bien perçu ensuite quand il est venu à manquer, d’écarter a priori, sans qu’aucun effort fût nécessaire, les gauchistes les plus toxiques comme les plus affreux droitiers, à qui l’idée d’être dans un syndicat « stalinien » était insupportable, ce qui évitait bien des difficultés. Sitôt cette heureuse hypothèque levée, en bien des endroits, les uns ou les autres, voire les deux, se sont jetés sur nos AGE comme jadis la vérole sur le bas-clergé breton, et contribué à leur faire perdre tout caractère syndical. C’est une autre explication, complémentaire, de l’effondrement de Limoges et du Mirail après leur scission : avant la scission, il y avait quelques anarchisants (relativement) modérés, assez pour accepter d’adhérer à l’UNEF ; après, ceux qui ne l’étaient pas n’avaient plus aucune raison de se retenir, ce qui a totalement changé les AGE. C’est encore une limite structurelle du syndicalisme étudiant : son caractère fatalement groupusculaire fait que l’adhésion à un syndicat local d’un groupe cohérent décidé à l’utiliser pour en faire autre chose peut en faire basculer la majorité (ce qui n’arrive pas, ou très rarement, dans les syndicats de grandes personnes, qui ont beaucoup plus d’adhérents, et sachant pourquoi il sont là) si on ne prend pas à temps des mesures horriblement antistatutaires pour l’empêcher. L’identité communiste (tue, mais flagrante) de l’UNEF offrait contre cela une sorte d’immunité naturelle assez efficace, quoique décidément non théorisable (puisque la théorie ne pouvait être autre chose que : le syndicat est par définition ouvert à tout étudiant souhaitant y adhérer pour défendre ses intérêts, c’est tout à fait par hasard qu’il est dirigé par des communistes). C’était si naturel qu’on ne s’en est vraiment aperçu qu’après l’avoir perdue.

Nous avions donc décidément fort peu de chances de réussir à maintenir une UNEF, et moins encore qu’elle fût durable. Il aurait fallu pour compenser tous nos handicaps conjoncturels et structurels un très haut niveau de vertu que nous n’atteignions évidemment pas.

* *

Il reste une question : que serait-il arrivé si nous avions réussi à déposer pour le CNESER une liste qui aurait été reconnue comme valide, et donc à y avoir un élu ? Cela n’avait rien d’impossible.

Il est certain que notre ignorance totale jusqu’au lundi matin de la procédure à suivre, et encore le lundi soir de la possibilité de compléter la liste après dépôt, nous a nui. D’après les arguments (le seul, d’ailleurs) qui ont prétendu justifier son invalidation, il nous aurait suffit de déposer dans les délais une feuille simple portant le titre, et le nom d’Olivier Ruet précédé du chiffre un, pour disposer d’un jour franc à partir de la première réunion de la commission, donc trois jours au moins, pour compléter la liste, ce que nous aurions fait sans difficulté. Il n’y a cependant pas de grands regrets à avoir, tant on peut être certain que « Très-Haut » aurait trouvé autre chose pour nous interdire, lequel « Très-Haut » a, rappelons le, commencé par interdire d’accepter quoi que ce fût de notre liste, avant de trouver l’argument du récapitulatif pour dire que ce n’en était point une.

En revanche, si nous avions déposé dans les délais une liste irréprochable, « Très-Haut » n’aurait vraisemblablement pas osé s’opposer à sa validation. Il ne nous a manqué que trois actes, qui sont finalement arrivés dans les heures qui ont suivi. Si les camarades d’Orléans et de Lyon I avaient pu faxer à temps (Il n’y a aucune raison de leur en vouloir de ne pas avoir été disponibles le bon jour, puisque tout cela était imprévisible. Ils auraient pu l’être), l’affaire était faite (et nous aurions bien sûr fait, éventuellement dans le métro, le fameux récapitulatif). Plus radicalement, si les scissionnistes de Solidarité étudiante avaient accepté, comme ils devaient logiquement le faire, de marcher avec nous au lieu de nous cracher à la figure, nous aurions eu deux candidatures de plus, de Limoges et du Mirail, et celle de Pau serait arrivée à temps. On peut envisager bien d’autres possibilités : si les camarades de Bordeaux avaient marché, et nous avaient fourni quatre candidatures, si ceux d’Orléans avaient bien voulu nous en donner une autre quand nous n’arrivions pas à joindre « le plus sectaire », si l’un des deux élus de l’École normale avait traité le veto de l’affreux Hetzel comme il méritait de l’être… et bien sûr si nous n’avions pas dû passer la dernière du peu d’heures que nous avions pour trouver des candidats à essayer d’avoir Olivier Ruet au téléphone pour le convaincre de ne pas passer à SUD contre la parole qu’il nous avait donnée.

Nous aurions indéniablement pu réussir, avec un peu plus de chance. Cela aurait-il changé quelque chose à la suite ? Avoir un élu au CNESER, et les millions y afférant, nous aurait-il rendu plus raisonnables, ou été, avec beaucoup de fric en jeu, une raison d’aggraver le massacre ? Avec le recul, la réponse me paraît malheureusement évidente.

Qu’aurait-il fallu faire, alors ? Nous partions d’une idée simple, comme je l’ai déjà dit, que nous voulions continuer ce que nous faisions depuis des années, que nos prédécesseurs avaient fait avant nous, qui était incontestablement utile, en tant qu’aide concrète à des étudiants, que moyen de limiter au moins l’effet des réformes nocives, que moyen de prise de conscience politique contre les gouvernements anti étudiants, pas seulement anti étudiants. L’ennui, dont nous n’avions pas conscience, ou alors pour les meilleurs une conscience très partielle, était que la construction sur laquelle ce travail était appuyé, qui bien que depuis quelque temps en ruine tenait encore suffisamment debout pour l’usage que nous en avions, s’effondrait brusquement sous l’effet d’une action extérieure, et que contre cela nous ne pouvions rien. Notre projet, dans ses versions les plus lucides, était donc quelque chose comme : accrochons nous au pinceau puisqu’ils ont enlevé l’échelle.

Il était décidément impossible de réussir. Nous aurions pu, avec plus de cohérence intellectuelle, éviter d’être ridicule, et maintenir plus longtemps nos syndicats, ce qui, déjà, n’aurait pas été mal. Il valait la peine de l’essayer. Nous ne pouvions en tout cas, quand d’autres ont décrété la mort de l’UNEF et de tous les syndicats qui la composaient, et l’ont publiée en deux jours, que tenter de résister, pour dénoncer cette trahison et l’imposture de la « réunification ». Cette protestation, aussi grotesque qu’ait été la suite, reste un acquis, qui nous permet aujourd’hui encore, quand un jeune imbécile ou un vieux salopard ose dire péremptoirement que l’UNEF-ID n’existe plus ou qu’il y a eu réunification, de le traiter comme il mérite de l’être. Il est certain que nous aurions mieux fait, moi en particulier, de renoncer plus tôt, en tirant les conséquences de notre échec, plutôt que nous obstiner à tenir des serments auxquels personne ne croyait, pas même nous. Il est tout aussi sûr que nous n’y avons, hors notre temps, rien perdu, puisqu’il n’y avait plus rien à faire en matière de syndicalisme étudiant, ni à l’UNEF-ID prétendument réunifiée, ni à la FSE.

Il est bien dommage qu’il n’y ait plus de syndicalisme étudiant digne de ce nom en France. Mais il est tout à fait clair qu’il ne servirait à rien d’essayer d’en refonder un tant que n’existera pas une organisation politique ayant la capacité de le prendre en charge, tant par son poids dans le débat général que par son implantation parmi les étudiants et des objectifs généraux compatibles avec leurs intérêts. Nous sommes donc renvoyés à un problème global, dont la liquidation du syndicalisme étudiant n’a été qu’une manifestation : l’effondrement de la gauche au sens où on l’entendait dans les années 1970.

J’ai fait tout ce qu’un bureaucrate a l’habitude de faire,
et pour le reste, j’ai fait ce que j’ai pu.

Bellegarde - Mijoux - Bellegarde, 5 juin - 23 septembre 2020 (revu en novembre),

E. L.

Introduction

Préalables

1- Pourquoi deux UNEF ?

2- Crise

3- Prémices : le CNOUS

I- Illusion lyrique

1- Le collectif national du 3 juin

2- Chasse aux candidats, en chambre

3- Le lundi décisif