UNEF Paris IV
(Union nationale des étudiants de France
Association générale des étudiants de Paris-Sorbonne)
Le syndicat qui défend les étudiants


Défendre la qualité de nos études

Texte adopté par le congrès d’AGE préparatoire au 79e congrès de l’Union nationale, tenu le 20 mars 1999 en Sorbonne



I) Le changement qu’on veut nous imposer


C’est un bouleversement considérable du contenu de nos formations qui est en train de se mettre en place. L’Université est accusée d’être une "usine à chômeurs", inadaptée à la réalité du monde du travail. Le mot d’ordre qu’on veut nous imposer est la professionalisation.
Nous devons refuser ce mot d’ordre, et dénoncer sous la démagogie la réalité des faits.
Le mensonge qui le fonde est grossier: ce n’est pas l’Université qui est responsable de l’absence d’offre d’emplois, ce n’est pas de l’inadaptation de nos diplômes à des emplois qui nous seraient offerts que nous sommes victimes.
Il ne s’agit donc pas de nous permettre de trouver des emplois, qui n’existent pas, à la sortie de nos études, mais de faire de nous pendant celles-ci une main d’Ńuvre à très bon marché. L’État fait ainsi des économies sur le contenu des formations tout en fournissant aux entreprises, publiques comme privées, une armée de réserve de stagiaires beacoup plus docile et moins coûteuse encore que celle des chômeurs.
Les stages tels qu’on nous les propose ne sont un moyen ni d’insertion, ni de formation, mais de précarisation du marché du travail. Qui peut douter du choix d’un employeur qui a exploité pendant six mois un stagiaire pour rien ou presque rien (1750 F/mois selon la réforme Bayrou), entre lui donner un véritable emploi, ou le remplacer par un nouveau stagiaireî?
On nous fait passer ainsi d’une logique de formation générale ou professionnelle à visée longue, donnant des bases pour toute une carrière, à un formatage à courte vue pour répondre aux exigences immédiates des entreprises sans aucune garantie pour l’avenir. Le rapport Attali déclare d’ailleurs clairement qu’aucun diplôme n’aura plus de validité permanente: la précarisation qu’on nous impose pendant nos études tendra donc à être étendue à l’ensemble de la vie active.
Quant aux études à proprement parler, leur objectif principal semble devoir être d’occuper au moindre coût les étudiants entre deux stages, et accessoirement de les préparer au travail qu’on leur demandera pendant ceux-ci. On accuse l’Université d’être une usine à chômeurs pour la transformer en parking à chômeurs à qui on veut cacher qu’ils le sont.

Cette politique se développe concrètement sur trois axes:
1) Création de nouveaux diplômes aux noms toujours ronflants, au contenu scientifique peu déterminé, dans la gestion desquels des entreprises ont une part prédominante, et dont la valeur nationale n’est jamais évidente.
2) Marginalisation croissante, en termes de moyens, des formations dites classiques au profit de celles qui sont ainsi créees.
3) Réaménagement brutal de l’ensemble des cursus pour les adapter au nouveau cours. Pour la plupart d’entre nous, c’est l’aspect le plus visible de cette politique.


II) De nombreux points sont en cours d’application


1) La semestrialisation

La semestrialisation, désormais appliquée presque partout, en est la pièce maîtresse: en cassant la cohérence de l’année universitaire, elle permettra l’intégration des stages.
Elle a pu sembler une mesure technique sans grande portée, et par conséquent difficile à combattre en tant que telle. Au lieu d’avoir, par exemple, six modules sur l’année, avec trois heures de cours et TD par semaine, on en a trois au premier semestre, trois au deuxième, avec six heures par semaine. Rien de changé, à première vue.
Ceux qui la défendent n’ont d’ailleurs pas beaucoup d’arguments. Le principal est que "C’est comme ça partout ailleurs en Europe". Magnifique ! Mais il se trouve que partout où ça existe, ça a des effets graves

1/ Deux heures par semaine jusqu’en janvier, ça n’équivaut pas à une heure jusqu’en juin. Le temps pour assimiler, prendre du recul par rapport au cours, s’approprier les connaissances, est deux fois moindre.
La semestrialisation peut convenir à certaines disciplines, mais est catastrophique pour d’autres. Au lieu d’étudier parallèlement les différents aspects d’une matière (en histoire, les quatre périodes, en français, les différents siècles...) on se bourre le crane successivement avec deux ou trois d’entre eux. Ce n’est pas la même approche !

2/ Elle pose un problème pratique: deux fois plus de sessions d’examens ! En effet, les terminaux du premier semestre ont lieu en janvier, à l’époque qui était celle des partiels, qui sont soit avancés dès novembre (un mois après la rentrée !), soit supprimés, ce qui est pire, car cela fait deux fois moins d’exercices écrits. Plus de partiel signifie plus d’occasion de s’entrainer et de s’améliorer avant le terminal.

3/ Elle atteint plus gravement encore tous ceux il y en a, malheureusement qui n’ont pas les moyens d’être étudiants à plein temps. C’est le système même de l’examen terminal qui est remis en cause. On pouvait, avant, travailler à plein temps toute l’année et consacrer le mois de juin aux exams. Désormais, il faut en passer aussi en janvier.

2) Les autres aspects de la réforme Bayrou

Les autres aspects de la réforme Bayrou sont en cours d’application.
La pseudo-pluridisciplinarité prévue par Bayrou n’a été que peu appliquée. Mais la menace reste du remplacement des DEUG spécialisés par des fourre-tout où, sous prétexte de tout faire, on ne fait rien, demeure.
La méthodologie est une vieille idée neuve, pour résoudre le problème de l’échec des étudiants en faisant des économies. La réussite ne serait pas une question de travail, de connaissances, de réflexion sur ces connaissances, mais de "méthode". Quelle est cette méthode ? Mystère, personne ne l’a jamais rencontrée, mais Bayrou a voulu créer des cours spéciaux pour nous l’enseigner, hors de tout contenu scientifique: c’est la "méthodologie".
Nous continuerons à dénoncer cette imposture. Il semble évident que c’est en faisant des travaux écrits et oraux à partir des connaissances qu’on acquiert dans chaque matière, qu’on apprend à les réussir, pas en attendant de cours spécifique une "méthode" miracle.

Autre pseudo-solution miracle, prévue par Bayrou, la réorientation a été mise en place. On a imposé au début du DEUG un semestre d’orientation, soi disant pour permettre aux étudiants de réfléchir à la discipline qui leur conviendrait le mieux. Nous avons combattu cette réforme pour plusieurs raisons: mensonge sur les véritables problèmes, danger de sélection arbitraire (réorienter après quelques semaines en fac peut être un moyen de se débarrasser d’une partie des étudiants), perte de temps et de contenu scientifique des enseignements pour tout le monde.

Surtout, la réorientation augmente plutôt le risque d’échec. Changer de filière au milieu de l’année, c’est reprendre presque à zéro, avec l’obligation d’arriver à la fin au même niveau que ceux qui ont fait toute l’année dans la même filière. Un étudiant qui a des difficultés dans la filière qu’il a choisie a presque à coup sûr intérêt à s’accrocher jusqu’à la fin de l’année, plutôt qu’essayer autre chose.

Enfin, la logique de la semestrialisation impliqe la suppression de la session de septembre. Elle est rendue possible par l’arrêté Bayrou, qui prévoit seulement un espace de deux mois entre les deux sessions. Plusieurs facs l’ont déjà fait. Il n’est d’ailleurs pas évident de repasser en septembre des modules sur des sujets dont nous n’aurons plus entendu parler depuis janvier.Pour tous les partisans de la réforme, une solution simple s’impose: plus de session de rattrapage, ou une deuxième session juste après la première, qui ne donne aucune chance de faire de nouvelles révisions pour se mettre à niveau. Coup dur pour tous les étudiants, et en particulier pour les étudiants salariés.

3) Le 3-5-8, couronnement de l’édifice

Le 3-5-8 préconisé par le rapport Attali est le deuxième étage de cette fusée. Ses principes sont très critiquables: phase préliminaire étirée sur trois ans (Attali a dit que ça correspondrait au DEUG que "beaucoup d’étudiants font déjà en trois ans. C’est ce qui s’appelle améliorer la qualité de nos études !), disparition de la spécificité de l’année de licence, rigidification des doctorats aux dépens du travail de recherche.

Surtout, il est le moyen d’une refonte totale des cursus que le pouvoir mènera en fonction de ses objectifs. Bien évidemment, ces 3-5-8 seraient entrecoupés de nombreux stages en entreprise laissant moins de place aux études (donc il faudra 3 ans pour faire ce qu’on faisait en deux ans: c’est logique). Son application est déjà commencée, alors qu’aucune décision officielle n’a été publiée: les Universités ont reçu consigne de raisonner dans ce cadre.

La recherche fondamentale est désormais directement menacée, puisque le rapport Attali préconise de s’en tenir à ce qui est utile aux entreprises.

4) La baisse des postes aux concours de recrutement du secondaire

Ce n’est pas par hasard qu’en parallèle Bayrou puis Allègre ont réduit drastiquement le nombre de postes au CAPES et à l’Agrégation (- 35 % sur trois ans), limitant ainsi un de nos principaux débouchés (au mépris des revendications lycéennes). C’est la même logique qui est à l’oeuvre, celle de l’austérité budgétaire et de la remise en cause, dans le secondaire comme dans le supérieur, de la notion même de formation intellectuelle.
C’est dans la même logique que le gouvernement refuse la création d’un CAPES et d’une Agrégation d’Histoire de l’Art, alors que cette matière est enseignée dans le secondaire, et que les étudiants de la filière se sont mobilisés sur cette revendication.


III) Défendre une autre vision de l’Université


Chaque étudiant a perçu les premier effets de ces attaques. Le rôle du syndicat est de montrer qu’ils ne sont que les prémices d’un bouleversement plus considérable, et de lui opposer notre vision de l’Université.

1) Contre la pseudo-professionalisation, pour des formations théoriques et professionnelles de qualité

Il faut d’abord refuser l’impératif catégorique de la professionalisation, tel qu’il nous est présenté. Il y a deux types de formation supérieures: les unes théoriques, uniquement en Université et dans les classes préparatoires, les autres à vocation professionnelle, dans des établissements spécifiques en IUT, BTS, écoles et bien sûr facs de médecine, de droit et de sciences économiques. Cette distinction doit être maintenue, contre la politique qui tend à pourrir les cursus théoriques par une pseudo-professionalisation tout en refusant de développer un véritable enseignement supérieur professionnel à la hauteur des besoins.

Ainsi, quand Attali insiste sur la nécessité de rapprocher grandes écoles et universités, ça a l’air d’une bonne idée, sympa, généreuse, anti-élitiste´ Mais ce n’est pas cela du tout. Il part d’un vieux préjugé: les écoles c’est bien, l’université c’est mal. Les rapprocher, ça veut dire obliger les facs à singer les grandes écoles. Ce n’est pas notre avis. Les écoles donnent une formation professionnelle, pour les meilleures de très haut niveau, l’Université une formation théorique: ce sont deux types d’enseignement supérieur différents, qu’il importe de maintenir car chacun a sa valeur et son utilité.
Il faut se méfier d’un mirage dangereux: le succès des très grandes écoles (X, HEC´) tient d’abord à la sélection très dure à leur entrée, ensuite aux moyens consacrés à chaque étudiant. Si on suit Attali, on ne fera pas des facs autant de Polytechnique: on en fera des grandes écoles au rabais, ne donnant plus de formation théorique, mais pas non plus de formation professionnelle valable.

Pour les formations théoriques, il ne doit pas être question de professionalisation ou de stage. Elles doivent soit être le préalable à une spécialisation professionnelle, soit déboucher sur des carrières n’en nécessitant pas, à commencer bien sûr par l’enseignement et la recherche.
Des stages sont bien sûr nécessaires à la plupart des formations professionnelles. Mais leur contenu pédagogique supposé, à peu près impossible à définir, ne doit pas servir à nier que le stagiaire est un travailleur, et doit bénéficier de l’ensemble du droit du travail. C’est vrai pour les stages dans le privé. C’est également vrai quand ils ont lieu dans le public, en particulier pour les étudiants du secteur santé. La question essentielle n’est pas celle du suivi pédagogique, mais de la rémunération, qui doit être liée exclusivement au travail effectué, sans considération du statut étudiant. Il n’y a pas de raison qu’un stagiaire gagne beaucoup moins qu’un titulaire faisant le même travail: c’est injuste, et lourd de menace pour les emplois stables. Une réduction de 10 %, eu égard à l’absence d’expérience au départ, est le maximum acceptable.

2) Un recrutement massif d’enseignants est indispensable

Dans tous les cas, il nous faut défendre le contenu des enseignements, qui ne doit être remis en cause par aucune considération extérieure à l’Université (ou aux autres établissements) et défendre aussi nos conditions d’études.

Cela suppose un recrutement massif d’enseignants. Dans les Universités, il ne doit s’agir que d’enseignants chercheurs: la remise en cause du lien entre enseignement et recherche, soutenue par la polémique qui prétend que les enseigannts ne sont évalués qu’en tant que chercheurs et que ça n’est pas normal, est un des éléments essentiels de la casse de nos études. C’est pourquoi nous condamnons le statut de PRAG et refusons tout nouveau recrutement sous ce statut. Nous avons besoin d’enseignants-chercheurs titulaires, et également de postes provisoires permettant à des étudiants-chercheurs de faire leur thèse dans de bonnes conditions et en lien avec une pratique de l’enseignement supérieur. Nous demandons donc la multiplication des postes d’ATER et de moniteurs, et la création d’un statut d’agrégé-doctorant à la place des PRAG.
Seul ce recrutement massif permettra des TD et des TP en nombre suffisant, et avec au maximum 25 étudiants par groupe. Nous demandons qu’on cesse d’essayer de nous faire croire qu’il y a une méthode miracle et de faire semblant de vouloir nous l’enseigner. La véritable "méthodologie", c’est les TD. Permettre aux étudiants d’y assister (ce qui suppose qu’ils ne soient pas obligés de se salarier), et dans de bonnes conditions (des groupes de taille normale), les aiderait plus à réussir !

3) Mettre fin au scandale de la dégradation des conditions d’examens

Ce recrutement massif contribuerait aussi à améliorer les conditions d’examen, qui se dégradent d’année en année. Pour nous, c’est le moment essentiel de l’année universitaire: pas pour ceux qui les organisent ! Il est d’ailleurs logique que, quand on remet en cause la valeur nationale et permanente des diplômes, on se préoccupe peu de la manière dont ils sont délivrés.
Tel n’est pas notre point de vue. Nous demandons donc une information claire sur les modalités (brochure d’information claire et complète dès la rentrée) et les dates des examens (chaque étudiant doit recevoir un courrier mentionnant les horaires et les lieux des examens qu’il doit passer). Nous exigeons le maintien ou le rétablissement de la deuxième session en septembre, et le retour en juin de l’ensemble de la première.
Il n’est pas non plus normal que le résultat ne soit communiqué que sous la forme d’une note, et qu’un étudiant ne puisse voir sa copie que s’il conteste sa note, et après avoir franchi de nombreux obstacles: les copies doivent être systématiquement rendues à leurs auteurs après la délibération, ne serait-ce que pour qu’il puissent savoir comment s’améliorer, et ils doivent réellement avoir la possibilité d’en discuter avec le correcteur.

Ce sont ces exigences pour une Université publique de qualité que nous porterons face au projet de casse du pouvoir.


suppression de la semestrialisation et abrogation de la réforme Bayrou, maintien ou rétablissement de la deuxième session en septembre

maintien de la possibilité de se réorienter en cours de première année, mais suppression du test et des commissions, et information sur les difficultés réelles d’une réorientation.

rejet définitif du 3-5-8 et du rapport Attali

retour à un nombre de postes mis au CAPES et à l’Agrégation au moins égal à celui de 1996, et création d’un CAPES et d’une Agrégation d’Histoire de l’Art.

pas de stage payé moins de 90 % du salaire de l’emploi stable correspondant

développement d’un enseignement supérieur professionnel non dépendant des entreprises, sans remise en cause de l’existence de l’enseignement théorique

recrutement massif d’enseignants-chercheurs titulaires et doctorants, création d’un statut d’agrégé doctorant à la place des PRAG

information claire dès la rentrée sur les conditions exactes d’examen
communication systématique des copies d’examen aux candidats

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