Répondre à ce message - retour au sommaire de la page  

[discussions] NOUS NE REGRETTONS RIEN

Posté par Claude Collectif le 29/4.

piece jointe : TEXT/HTML
(Sur le site du Collectif pour la démission d'Allègre,
http://www.geocities.com/Athens/Thebes/8739/. EL)

 " Je ne regrette rien ", écrit Claude Allègre dans le Nouvel Observateur.
Eh bien, nous non plus ! Les déclarations obscènes de l'ex-ministre dans
toute la presse ne font que souligner combien nous avions raison de demander
son départ.
 Que la haine des professeurs en général, et de ceux du second degré en
particulier, ait été l'un des moteurs de l'action " réformatrice " de Claude
Allègre, nous le savions et l'avions dit depuis longtemps. Le fait est
aujourd'hui avéré par des propos qui ne nous surprennent pas. Ils
confirment, noir sur blanc, ce qu'Allègre disait en privé (mais que tout le
monde connaissait), et que ses anciennes déclarations publiques laissaient
déjà clairement entendre.
 Un tel discours, à l'évidence, ne relève plus de l'analyse politique, mais
de la psychanalyse. Alors, faut il hâtivement tourner cette page navrante et
passer à autre chose ? Ne soldons pas si vite les comptes. Car c'est faire
¦uvre de salubrité publique que d'essayer de comprendre comment ce gâchis a
été possible, comment un tel homme a pu, pendant près de trois ans, être
ministre de la République.
 N'éludons pas la responsabilité d'un premier ministre qui, en parfaite
connaissance de cause, a voulu, imposé et maintenu Allègre. Rien ne pourra
empêcher des milliers de professeurs de s'interroger longtemps encore sur sa
véritable personnalité politique.

 Il y a cependant plus important. Ce n'est que parce que le débat sur
l'école est devenu fou, et croule sous un amas de mensonges, qu'il a pu, à
un certain moment, produire un Claude Allègre.
Mensonge, lorsqu'on prétend depuis des années démocratiser, alors qu'on se
contente de massifier.
 Mensonge, lorsqu'on veut faire porter à l'école et aux professeurs des
responsabilités qui ne sont pas les leurs.
 Mensonge, lorsqu'on se fixe des objectifs très ambitieux en oubliant de
réaliser les tâches les plus élémentaires de l'école.
 Mensonge, lorsqu'on présente comme autant de solutions miraculeuses des "
innovations pédagogiques " qui existent depuis si longtemps qu'elles ont
largement eu le temps de faire la preuve de leur intérêt Š et de leurs
limites.
 Mensonge, lorsqu'on dénonce comme uniforme et figé un système scolaire qui
est en réalité d'une grande diversité et bouge tous les jours.

 La liste était déjà longue des mensonges et des faux débats lorsque, pour
couronner le tout, Allègre vint. Et il n'y eut plus de limites. Il prétendit
" relever le défi de l'intelligence " en imposant partout la tyrannie de la
bêtise. Il dénonça comme autant de paresseux et de nantis des professeurs
qui font, pas si mal que cela, l'un des métiers les plus difficiles qui
soit, pour une rétribution le plus souvent modeste. Assez vite embarrassés,
les dirigeants socialistes ne trouvèrent d'autre solution que de se réfugier
à leur tour dans le mensonge. C'est ainsi que l'on entendit leur responsable
aux questions d'éducation affirmer, à l'automne 1998, qu' " il n'y aurait
pas de réforme en dehors d'une mobilisation des enseignants ". Déclaration
pleine de bon sens Š mais faite à un moment où il était déjà évident qu'on
ne pouvait attendre d'autre mobilisation que celle qui demanderait le départ
du ministre.
 Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que le débat soit devenu si
confus, et oppose des alliances hétéroclites.
 On a pu dénoncer dans le camp des " anti-Allègre " une coalition allant des
révolutionnaires aux ultra-conservateurs.
 Mais qui ne voit, chez les partisans de la réforme à tout prix, le mariage
monstrueux des cyniques ultra-libéraux et des utopistes du tout-pédagogique
? Et il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner que seuls les
premiers ont une chance de l'emporter.

 Le mouvement contre Allègre s'est déroulé en quatre temps qui tous ont été
des moments de révolte contre le mensonge.
 En 1998, longue grève dans les lycées, et surtout les collèges de la Seine
Saint-Denis. Là où l'école doit affronter de telles tensions sociales
qu'elle ne pourrait le faire qu'en utilisant des moyens, non pas importants,
mais colossaux, qu'à aucun moment l'état n'a envisagé de lui donner.
 En 1999, nouvelles grèves, demandant pour la première fois la démission
d'Allègre, et touchant essentiellement les lycées. Parce que les professeurs
de lycée ont parfaitement compris que leur ministre ne les insultait que
pour faire passer en force la répétition aveugle des erreurs commises depuis
plus de vingt ans au collège : " accueillez tout le monde et
débrouillez-vous ! ". La réalisation du " collège unique " a été présentée
comme un projet hautement démocratique. Aujourd'hui, le collège n'est "
unique " que sur le papier, il est simplement interdit de le dire.
 A partir de février 2000, dans plusieurs département du Sud, large
mobilisation des enseignants, et pour la première fois des parents, autour
du manque de poste dans le primaire et les collèges. Le discours sur les
moyens aujourd'hui suffisants n'est plus tolérable lorsque l'école ne peut
faire face à ses tâches élémentaires.
 Enfin, le coup de grâce a été porté par les professeurs des lycées
professionnels refusant leur nouveau statut. Le rapport Meirieu proclamait
pompeusement " l'égale dignité des trois voies de l'enseignement secondaire,
général, technologique et professionnel ". Qui ne souscrirait à un tel
objectif ? A condition de le prendre au sérieux, et de ne pas commencer par
mépriser les professeurs des lycées professionnels au point de les
transformer en main-d'¦uvre corvéable à merci.

 Non, vraiment, nous ne regrettons rien. Le ministre est tombé. Son départ
était la condition nécessaire, mais non suffisante, au rétablissement d'un
débat serein. La classe médiatique, qui n'a pas compris grand-chose, s'est
complue en quolibets sur " l'immobilisme " et le " refus des réformes ".
Cela ne pourra effacer le sens de ce mouvement : en exigeant le départ
d'Allègre, les professeurs ont avant tout rejeté la politique du mensonge.
Les professeurs ont avant tout rejeté la politique du mensonge, c'est à dire
une politique scolaire libérale qui a le cynisme d'affirmer lutter contre
les inégalités sociales alors qu'elle s'efforce de transférer le secteur
public d'éducation au marché comme le recommande l'OCDE et l'a bien compris
le syndicat patronnal Medef qui a toujours été l'un des principaux soutiens
à la politique Jospin-Allègre.
 Que les politiques comprennent bien, ou qu'ils s'apprêtent à payer le prix
de leur erreur.