(Sur le site du Collectif pour la démission d'Allègre, http://www.geocities.com/Athens/Thebes/8739/. EL)
" Je ne regrette rien ", écrit Claude Allègre dans le Nouvel Observateur. Eh bien, nous non plus ! Les déclarations obscènes de l'ex-ministre dans toute la presse ne font que souligner combien nous avions raison de demander son départ.
Que la haine des professeurs en général, et de ceux du second degré en particulier, ait été l'un des moteurs de l'action " réformatrice " de Claude Allègre, nous le savions et l'avions dit depuis longtemps. Le fait est aujourd'hui avéré par des propos qui ne nous surprennent pas. Ils confirment, noir sur blanc, ce qu'Allègre disait en privé (mais que tout le monde connaissait), et que ses anciennes déclarations publiques laissaient déjà clairement entendre.
Un tel discours, à l'évidence, ne relève plus de l'analyse politique, mais de la psychanalyse. Alors, faut il hâtivement tourner cette page navrante et passer à autre chose ? Ne soldons pas si vite les comptes. Car c'est faire ¦uvre de salubrité publique que d'essayer de comprendre comment ce gâchis a été possible, comment un tel homme a pu, pendant près de trois ans, être ministre de la République.
N'éludons pas la responsabilité d'un premier ministre qui, en parfaite connaissance de cause, a voulu, imposé et maintenu Allègre. Rien ne pourra empêcher des milliers de professeurs de s'interroger longtemps encore sur sa véritable personnalité politique.
Il y a cependant plus important. Ce n'est que parce que le débat sur l'école est devenu fou, et croule sous un amas de mensonges, qu'il a pu, à un certain moment, produire un Claude Allègre.
Mensonge, lorsqu'on prétend depuis des années démocratiser, alors qu'on se contente de massifier.
Mensonge, lorsqu'on veut faire porter à l'école et aux professeurs des responsabilités qui ne sont pas les leurs.
Mensonge, lorsqu'on se fixe des objectifs très ambitieux en oubliant de réaliser les tâches les plus élémentaires de l'école.
Mensonge, lorsqu'on présente comme autant de solutions miraculeuses des " innovations pédagogiques " qui existent depuis si longtemps qu'elles ont largement eu le temps de faire la preuve de leur intérêt Š et de leurs limites.
Mensonge, lorsqu'on dénonce comme uniforme et figé un système scolaire qui est en réalité d'une grande diversité et bouge tous les jours.
La liste était déjà longue des mensonges et des faux débats lorsque, pour couronner le tout, Allègre vint. Et il n'y eut plus de limites. Il prétendit " relever le défi de l'intelligence " en imposant partout la tyrannie de la bêtise. Il dénonça comme autant de paresseux et de nantis des professeurs qui font, pas si mal que cela, l'un des métiers les plus difficiles qui soit, pour une rétribution le plus souvent modeste. Assez vite embarrassés, les dirigeants socialistes ne trouvèrent d'autre solution que de se réfugier à leur tour dans le mensonge. C'est ainsi que l'on entendit leur responsable aux questions d'éducation affirmer, à l'automne 1998, qu' " il n'y aurait pas de réforme en dehors d'une mobilisation des enseignants ". Déclaration pleine de bon sens Š mais faite à un moment où il était déjà évident qu'on ne pouvait attendre d'autre mobilisation que celle qui demanderait le départ du ministre.
Il ne faut pas s'étonner dans ces conditions que le débat soit devenu si confus, et oppose des alliances hétéroclites.
On a pu dénoncer dans le camp des " anti-Allègre " une coalition allant des révolutionnaires aux ultra-conservateurs.
Mais qui ne voit, chez les partisans de la réforme à tout prix, le mariage monstrueux des cyniques ultra-libéraux et des utopistes du tout-pédagogique ? Et il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner que seuls les premiers ont une chance de l'emporter.
Le mouvement contre Allègre s'est déroulé en quatre temps qui tous ont été des moments de révolte contre le mensonge.
En 1998, longue grève dans les lycées, et surtout les collèges de la Seine Saint-Denis. Là où l'école doit affronter de telles tensions sociales qu'elle ne pourrait le faire qu'en utilisant des moyens, non pas importants, mais colossaux, qu'à aucun moment l'état n'a envisagé de lui donner.
En 1999, nouvelles grèves, demandant pour la première fois la démission d'Allègre, et touchant essentiellement les lycées. Parce que les professeurs de lycée ont parfaitement compris que leur ministre ne les insultait que pour faire passer en force la répétition aveugle des erreurs commises depuis plus de vingt ans au collège : " accueillez tout le monde et débrouillez-vous ! ". La réalisation du " collège unique " a été présentée comme un projet hautement démocratique. Aujourd'hui, le collège n'est " unique " que sur le papier, il est simplement interdit de le dire.
A partir de février 2000, dans plusieurs département du Sud, large mobilisation des enseignants, et pour la première fois des parents, autour du manque de poste dans le primaire et les collèges. Le discours sur les moyens aujourd'hui suffisants n'est plus tolérable lorsque l'école ne peut faire face à ses tâches élémentaires.
Enfin, le coup de grâce a été porté par les professeurs des lycées professionnels refusant leur nouveau statut. Le rapport Meirieu proclamait pompeusement " l'égale dignité des trois voies de l'enseignement secondaire, général, technologique et professionnel ". Qui ne souscrirait à un tel objectif ? A condition de le prendre au sérieux, et de ne pas commencer par mépriser les professeurs des lycées professionnels au point de les transformer en main-d'¦uvre corvéable à merci.
Non, vraiment, nous ne regrettons rien. Le ministre est tombé. Son départ était la condition nécessaire, mais non suffisante, au rétablissement d'un débat serein. La classe médiatique, qui n'a pas compris grand-chose, s'est complue en quolibets sur " l'immobilisme " et le " refus des réformes ". Cela ne pourra effacer le sens de ce mouvement : en exigeant le départ d'Allègre, les professeurs ont avant tout rejeté la politique du mensonge. Les professeurs ont avant tout rejeté la politique du mensonge, c'est à dire une politique scolaire libérale qui a le cynisme d'affirmer lutter contre les inégalités sociales alors qu'elle s'efforce de transférer le secteur public d'éducation au marché comme le recommande l'OCDE et l'a bien compris le syndicat patronnal Medef qui a toujours été l'un des principaux soutiens à la politique Jospin-Allègre.
Que les politiques comprennent bien, ou qu'ils s'apprêtent à payer le prix de leur erreur.