(Trait d’Union, numéro 19, novembre 2001, page 2)

Lang s’apprête à imposer le diplôme en kit

 

Il faut prendre la réforme Lang, dite ECTS, qu’il a annoncée au printemps et dont il vient de dire qu’elle s ‘appliquerait dès la rentrée prochaine, pour ce qu'elle est: au-delà de la rhétorique européiste, l'aboutissement d'une politique de casse de l'Université publique menée depuis plus de trente ans, depuis la loi Faure.

Elle accomplit ce que promettait la réforme Bayrou-Allègre: un changement radical de la nature et de la fonction de l'Université. Elle ne fait que dire ce que Bayrou ne disait pas, mais que sa réforme portait: la fin de la notion de diplôme.

L'idée générale est en effet qu'un diplôme sera désormais un empilement d'unités diverses, à la valeur quantifiée selon une échelle unique, sans aucun souci de cohérence entre elles. Tant d'heures de cours donneront tant de points, tant de points totalisés un titre quelconque.

Naguère, peut-être bientôt jadis, un diplôme sanctionnait l'acquisition d'une compétence dans un domaine donné. Une licence en Lettres ou en Histoire, par exemple, était la preuve d'un niveau dans l'une ou l'autre de ses disciplines, autorisant certaines prétentions, à commencer par celle de l'enseigner. Ce niveau était prouvé par le succès à des examens. On distinguait deux fonctions de l'Université: préparer à ces examens, et les faire passer. Cette distinction impliquait en particulier qu'un étudiant qui, pour des raisons légitimes ou pas, n'avait jamais mis les pieds en cours pouvait se présenter à l'examen en fin d'année et s'il avait par d'autres moyens acquis le niveau demandé, être reçu.

De cela, il n'est plus question. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une rupture, mais d'un aboutissement. On a déjà depuis longtemps imposé la stupide notion de "bac + X", qui comptait les années d'études, et non ce qu'on y apprenait. On a plus récemment défini des diplômes non par un contenu en termes de savoirs et de capacité à les exprimer, mais par un nombre d'heures de cours. Avec les diplômes mécano de Lang, cette définition abolit toutes les autres.

Cela ne pourra que satisfaire certains, qui glosent sur "la réussite pour tous", la "lutte contre l'échec" et autres de la même farine depuis quelques années, et jugent la valeur de ce qu'ils appellent une formation au pourcentage de réussite de ceux qui s'y inscrivent. Un système où il suffit d'assister à un nombre donné d'heures de cours, de quelque nature qu'elles soient, pour être diplômé les comblera d'aise.

Mais quelle sera la valeur des diplômes ainsi décernés ? Ils ne prouveront plus rien. C'est le triomphe de l'Université garderie, qui, soit dit en passant, exclut tous ceux qui n'ont pas les moyens, ou d'ailleurs l'envie d'être étudiants à plein temps. L'étudiant sera condamné à l'emploi précaire, durant ses études avec les stages, après ses études également. L'"harmonisation européenne" qu'on veut nous imposer est le masque d'une gigantesque opération de faux-monnayage, détruisant le double rôle de l'Université, élaboration et transmission des savoirs d'une part, délivrance de diplômes à valeur nationale et permanente d'autre part.

Il faut ici souligner l'escroquerie majeure. Nous avons été élevés en France dans cette notion de valeur nationale des diplômes, qui permet par exemple à un titulaire d'un DEUG à Perpignan de poursuivre ses études en licence à Paris IV sans obstacle. Beaucoup d'entre nous, quand on leur dit "harmonisation européenne", pensent naturellement qu'il s'agit de permettre de passer de Paris IV ou Perpignan à Oxford ou Heidelberg comme on passe de Perpignan à Paris IV. Pas du tout ! L'Allemagne comme l'Angleterre ignorent notre notion de valeur nationale. Avec l'Abitur d'un Land, on ne peut pas forcément s'inscrire dans une Université prestigieuse d'un autre. L'harmonisation européenne conduira simplement à ce qu'on ne puisse plus passer de Perpignan à Paris IV.

Toutes les Universités d'Europe délivreront selon le système des ECTS des diplômes portant le même nom, mais qui ne donneront aucun droit, puisque leurs contenus seront variés à l'infini.

On a récemment entendu dans un conseil à Paris IV " On n’y peut rien, c’est l’Europe ".

Pourtant, par le passé (projet Devaquet en 86, réforme Jospin (déjà !) en 92, rapport Attali en 98) il a été prouvé que la mobilisation des étudiants et des enseignants pouvait faire reculer la politique de casse. Depuis, on semble en avoir perdu la recette. Il est vrai que les organisations gouvernementales comme l’UNEFexID ou les corpos locales aux ordres sont là pour prêcher la résignation. Mais si tous ceux qui rejettent ce projet, au lieu de gémir chacun dans son coin, s’unissent pour agir, le pouvoir sera contraint à reculer. Tel est l’enjeu.