[discussions] Bac d'Histoire-Geo
Posté par Emmanuel Lyasse le 10/9.
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Message reçu du collectif Anti-Allègre
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De : "yves moreau"
À :
Objet : alerte au bac light
Date : Sam 9 sep 2000 15:09
Ci-joint un texte de collègues du lycée de coulommiers (77) sur l'épreuve
d'Histoire-Géographie au Baccalauréat
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Lépreuve dHistoire-Géographie au Baccalauréat : une funeste plaisanterie ?
La suppression de la dissertation en Histoire-Géographie, un banc dessai
pour les autres disciplines
Cette année, nous fûmes nombreux à être choqués tant par lintitulé des
sujets que par la nature de lépreuve en Histoire-Géographie au
Baccalauréat général.
Lépreuve dite majeure portait sur la Géographie. Parmi les trois sujets
au choix, les candidats se voyaient proposer deux sujets de composition et
un sujet détude de documents. Il est utile de préciser que la dissertation
a disparu de lépreuve du Bac dHistoire-Géographie depuis lan dernier, et
a été remplacée par une « composition ». Le Bulletin Officiel (B.O.) de
lEducation Nationale définissant cette nouvelle épreuve nous a rassuré
lan dernier en affirmant : « la « composition » remplace la « dissertation
» mais les objectifs demeurent identiques » . Cependant lInspection
Générale dHistoire-Géographie nous a précisé à lapproche de lexamen en
1999 que la composition, « à connotation moins rhétorique ou scolastique
que lancienne dissertation, suppose simplement un devoir organisé ». Les
exigences de réflexion, de rigueur et dorganisation de la pensée,
dargumentation, passent à la trappe des réformes constitutives du fameux «
lycée light ».
Il nen demeure pas moins que cette épreuve demande des connaissances
solides, indispensables à la formation de lesprit. On ne réfléchit pas «
dans le vide », sans connaissance. Le savoir est pourtant condamné, depuis
plusieurs années, par nos réformateurs, qui le présentent comme une notion
archaïque, assimilée à du « gavage » réservé aux adeptes de lérudition. Et
il semble que même cette dissertation « light » soit condamnée à court
terme. Tout concordait cette année (comme lannée dernière) pour que les
candidats ne choisissent pas cet exercice. En effet les deux sujets de
composition portaient sur... les deux parties du programme tombées au Bac
lan dernier : LAllemagne et la Chine ou lInde . Qui ignorait que de
nombreux élèves feraient limpasse, étant donnée lampleur des révisions en
Histoire-Géographie, sur des sujets déjà tombés lan dernier ? De plus,
cette année, suite aux allègements des programmes, chaque professeur avait
le choix de traiter soit la Chine, soit lInde, les élèves ne devant donc
pas étudier le même pays sur lensemble du territoire (passons sur lesprit
qui préside à ce type dallègement). A notre connaissance, de nombreux
professeurs nont pas traité cette question, car il semblait impensable
quun pays « au choix » puisse tomber au Bac, en particulier en Terminale S
(scientifique) où le programme est déjà si difficile à « boucler » en trois
heures hebdomadaires.
En conclusion nous sommes amenés à penser que le choix des sujets de
lépreuve majeure ne pouvait que pousser les élèves à choisir létude de
documents. Cette opinion nous est confirmée par le travail de correction :
sur 70 copies en moyenne par correcteur, au moins 60 traitaient ce
troisième sujet.
La nouvelle épreuve dHistoire Géographie, un exercice « déformateur »
Tant ce sujet que le type dexercice demandé méritent un commentaire. Le
sujet : Comment est organisé lespace économique mondial ?, était à traiter
à partir de cinq documents, dont un texte qui présente, entre autre, la
prospérité des multinationales originaires des nouveaux pays
industrialisés. Quel correcteur na pas relevé dans ses copies les «
bienfaits » des multinationales et des délocalisations pour léconomie des
pays du tiers monde ? Ce sujet, par labsence de documents critiques sur
les conséquences de la libéralisation des échanges, ne tendrait-il pas à
entériner lidée dune mondialisation perçue comme un phénomène naturel,
inéluctable et bénéfique ? Devons-nous transmettre à nos élèves un
bréviaire de la pensée unique, afin quils soient mieux préparés à leur
examen ?
Quant au type dexercice, il est à nos yeux non seulement peu formateur
pour lesprit, mais surtout certainement « déformateur » en ce quil bannit
toute tentative dapprofondissement. Létude de documents est une nouvelle
épreuve issue de la réforme du Bac dHistoire Géographie appliquée en juin
1999. Des professeurs sétaient déjà insurgés lan dernier contre cette
nouvelle épreuve . Il ne sagit plus de rédiger un commentaire approfondi
et organisé des documents en sappuyant sur ses connaissances. Trois
questions organisent la démarche de cette étude :
-1. Présenter les documents.
-2. En fonction du sujet, sélectionner, classer et confronter les
informations tirées de lensemble des documents et les regrouper par
thèmes. Il est en général conseillé dorganiser ces thèmes et ces
informations sous la forme dun tableau à double entrée, ce qui réduit le
travail de rédaction argumentée à un strict minimum. Le B.O. nexige pas de
commenter ces informations, den tirer des conclusions, de les mettre en
perspective en fonction des connaissances acquises sur le sujet. Les
candidats se contentent donc tout naturellement de relever des extraits de
phrases, des chiffres, sans explication. Ils ne sont pas amenés à critiquer
le contenu des documents. Il sagit en fait dune amorce de plan non rédigé
et nourri de paraphrase, dun brouillon de commentaire que nous devons
évaluer.
-3. Rédiger de façon synthétique (environ 300 mots) une réponse argumentée
à la problématique définie par le sujet en faisant appel, y compris de
manière critique, à lensemble des informations tirées des documents. Enfin
le correcteur peut lire un travail construit, rédigé, argumenté, une
analyse critique des documents ! Que voilà des exigences ambitieuses ! A y
regarder de près, pourtant, ce travail ne réclame (et nentraine) que des
copies indigentes quoique conformes aux exigences de lépreuve. Le B.O. ne
demande ni introduction, indispensable à la présentation du contexte et des
enjeux du sujet, ni conclusion, ni surtout connaissances extérieures aux
documents. De plus, que peut-on analyser ou démontrer en 300 mots (à peine
une page) ? Pour avoir préparé nos élèves à ce type dexercice au cours de
lannée, nous savons que lanalyse critique nest possible que si lon
dépasse largement les 300 mots convenus. Mais les critères de lInspection
Générale nous éclairent sur lobjectif de lépreuve : nous sommes appelés à
pénaliser « les dérives excessives (moins dune dizaine de lignes ou plus
de deux pages) » ; les candidats sérieux qui auraient tenté un réel travail
de réflexion critique et approfondie se voient donc pénalisés... Paraphrase
et superficialité sont en fait les maîtres-mots de la réforme des
programmes et des épreuves, en Histoire-Géographie comme par ailleurs en
Français ou encore en Langues et en Mathématiques.
Comment déconsidérer définitivement le Bac, les connaissances et la
réflexion ?
La réponse a été trouvée tant par nos réformateurs que par les rédacteurs
des sujets dHistoire-Géographie. Lépreuve mineure dHistoire, un
commentaire dun document, remet en question, outre le travail des
enseignants et celui des élèves, lenseignement même de notre discipline.
Deux sujets étaient proposés au choix : un discours du général de Gaulle
lors du putsch des généraux en Algérie en 1961, ou bien une carte de
lEurope en octobre 1942. Il sagit en guise de commentaire, et ce depuis
lan dernier, de répondre à quatre ou cinq questions en « une page environ
». Que commenter en une page ? Là encore nous sommes appelés à sanctionner
« les dérives excessives ». Les candidats se voient finalement sommés de
produire un travail superficiel.
La carte de lEurope, très majoritairement choisie par les candidats (et
pour cause), nous donne un aperçu de ce que nous devons (voulons ?)
attendre dun élève entamant des études supérieures : pas de travail
rigoureux, pas (ou si peu) de connaissance, pas de réflexion approfondie.
En voici lénoncé :
-1. Présenter la carte
-2. De quels territoires est constitué le Grand Reich ?
-3. Expliquer la situation de la France en octobre 1942.
-4. Quels sont les Etats européens en lutte contre lAllemagne et ses
alliés en octobre 1942 ? Depuis quand et pourquoi ?
La première question se passe de commentaire. Quant aux trois
suivantes...il suffit de savoir lire une carte et sa légende pour y
répondre : y figurent les limites du Grand Reich, ses Etats alliés, les
Etats en lutte contre lAllemagne, la division de la France entre zone
occupée et Etat vassal dont la capitale, Vichy, figure en italique. Seule
une partie de la dernière question demandait un minimum de connaissances de
cours.
De plus, ces copies doivent être surévaluées par les correcteurs. Si nous
nous en étions tenus aux critères de correction précédemment cités, nous
aurions accordé plus de la moyenne à chaque candidat pour lensemble de
lépreuve dHistoire Géographie (lensemble de lépreuve, majeure et
mineure, étant évalué globalement sur 20). Effectivement notre Inspection
Générale nous indique que lépreuve mineure « doit permettre au candidat
qui a de bonnes connaissances de voir sa copie tendre vers la moyenne grâce
à ce seul exercice » ; mais comment ne pas avoir des réponses justes aux
questions portant sur la carte ? Notre inspecteur semble tenir à ce
non-barême car quelques lignes après, nous lisons : « si par exemple un
exercice de la deuxième partie est bien réussi, il peut déjà, à lui seul,
faire atteindre la moyenne (10/20) à la copie ». Enfin, pour les
correcteurs qui nauraient pas compris quil sagit non pas dévaluer une
copie mais bien daccorder au moins la moyenne à tous les candidats, le
détail du mode dévaluation de lépreuve mineure les remet dans le droit
chemin : « de bonnes réponses aux premières questions suffisent à faire
atteindre la moyenne de lexercice. La qualité des réponses aux questions
suivantes permet éventuellement de faire atteindre la moyenne à lensemble
de la copie. ».
Pourquoi une telle insistance ? LInspection Générale aurait-elle peur que
les professeurs ne se contentent pas des réponses type « ce document est
une carte de lEurope en 1942 » pour accorder la moyenne à lensemble de
lépreuve dHistoire Géographie ? Navons-nous pas compris que lépreuve
majeure, aussi indigente soit-elle dans ses exigences, sert uniquement à
cumuler des points au-dessus de la moyenne ? Lépreuve dHistoire
Géographie dans son ensemble nest plus une épreuve qui exige rigueur,
connaissances et réflexion, mais daprès lInspection Générale « elle doit
permettre aux candidats capables de donner quelques clés dexplication du
monde contemporain, sans érudition particulière, daccumuler les points
nécessaires au succès et/ou à lobtention de mention ».
Dès lors, une question se pose pour les enseignants que nous sommes :
comment parviendrons-nous lan prochain à faire croire à nos élèves de
Terminale quil est important de travailler et de réfléchir en cours
dHistoire Géographie ?
Une dernière information. Les réunions dharmonisation des notes pour
lobtention ou non du Baccalauréat ont eu lieu. Le rectorat (celui de
lAcadémie de Versailles en loccurence) nous a fait savoir, par
lintermédiaire du président de notre jury, quil fallait remonter les
notes afin que de nombreux candidats obtiennent une mention supérieure à
celle correspondant à leurs résultats, et que de nombreux autres soient
admis alors quils devaient passer les oraux de rattrapage. Les correcteurs
devaient donc revoir leurs copies à la hausse. « 80 % dune classe dâge au
Bac » dans ces conditions, ce sont 80 % délèves leurrés par un monde que
la paraphrase ne permet en aucune manière de décrypter.
Lécole publique : un outil de la démocratie, un enjeu de civilisation
Plusieurs question se posent à lissue de cette session du Bac 2000. Quels
sont les objectifs de lenseignement en Histoire-Géographie, lorsque toute
exigence de réflexion, de connaissances, danalyse ont disparu de lexamen
? Quels élèves, à lissue de cet examen, seront en mesure de suivre des
études supérieures, si ce ne sont ceux issus dun milieu socio-culturel
favorisé ? Pourquoi sacharner à supprimer toute réflexion au sein des
épreuves du Baccalauréat ? La République nattend-elle plus de ses jeunes
citoyens quils soient instruits et réfléchissent ? Devons-nous nous borner
à former des exécutants, qui nauront jamais été amenés à exercer leur
réflexion critique, faut-il considérer la transmission de la culture comme
une notion archaïque, contraire aux exigences de la « modernité » ?
Devons-nous nous plier à la démagogie de nos réformateurs, qui veulent nous
faire croire que démocratisation rime avec abêtissement uniformisé ?
Noublions pas cette évidence : lorsque les règles de la méritocratie sont
balayées, vient le règne de la ploutocratie.
Nous nous sommes mobilisés cette année contre lassassinat programmé de la
littérature dans lenseignement secondaire, contre la disparition effective
de la poésie des programmes du lycée, contre la suppression probable de la
dissertation littéraire , contre la condamnation de la démonstration en
mathématiques. Le travail de sape engagé depuis plusieurs années contre la
qualité de lenseignement public doit être enrayé dès aujourdhui, car
cest à une école publique de médiocre niveau destinée uniquement à former
des techniciens sans conscience de leurs droits que nous nous préparons.
Accepter cette évolution qui na rien de naturel, cest accepter en toute
conscience quun marché privé de léducation se développe afin de donner à
ceux qui en ont les moyens une instruction de qualité, tandis que la grande
masse des élèves des milieux populaires et des petites classes moyennes
devra se contenter dune école publique « à langlaise », ou « à
laméricaine ».
Il ne sagit pas de science-fiction. Léducation est un secteur qui attise
les convoitises de nombreux investisseurs, comme le démontrent les projets
à court terme de privatisation partielle ou totale des services de
léducation préconisés par lOrganisation Mondiale du Commerce . Abaisser
le niveau que permet datteindre lécole publique est le meilleur moyen de
supprimer lodieuse concurrence quelle pouvait représenter face à un
véritable secteur privé. Gageons que le modèle libéral du système éducatif,
qui a fait les preuves de sa médiocrité et de son injustice chez nos
voisins anglo-saxons, sera refusé par des enseignants de plus en plus
nombreux, mais aussi des parents et au-delà des citoyens conscients de
lenjeu de civilisation que représente linstruction publique et laccès du
plus grand nombre à la culture.
Julie Doyon, Edwige Marchand, Morgane Page, professeures du Lycée Jules
Ferry, à Coulommiers
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Amicalement
pour le collectif anti-Allègre
Yves Moreau