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[discussions] Les diplomes demontables de Jack Lang

Posté par Emmanuel Lyasse le 31/5.

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Quelques réflexions sur les ECTS, à prendre comme complémentaires de
l'excellent texte de la FSE, repris sur le site unef.org

Il faut prendre la réforme Lang qui vient d'être annoncée pour ce qu'elle
est: au-delà de la rhétorique européiste, dont on sait ce qu'elle est et qui
elle sert, l'aboutissement d'une politique de casse de l'Université publique
menée depuis la loi Faure.
Elle accomplit ce que promettait la réforme Bayrou-Allègre: un changement
radical de la nature et de la fonction de l'Université. Elle ne fait que
dire ce que Bayrou ne disait pas, mais que sa réforme portait: la fin de la
notion de diplôme.
L'idée générale est en effet qu'un diplôme sera désormais un empilement
d'unités diverses, à la valeur quantifiée selon une échelle unique, sans
aucun souci de cohérence entre elles. Tant d'heures de cours donneront tant
de points, tant de points totalisés un titre quelconque.
Naguère, peut-être bientôt jadis, un diplôme sanctionnait l'acquisition
d'une compétence dans un domaine donné. Une licence en Lettres ou en
Histoire, par exemple,  était la preuve d'un niveau dans l'une ou l'autre de
ses disciplines, autorisant certaines prétentions, à commencer par celle de
l'enseigner. Ce niveau était prouvé par le succès à des examens. On
distinguait deux fonctions de l'Université: préparer à ces examens, et les
faire passer. Cette distinction impliquait en particulier qu'un étudiant
qui, pour des raisons légitimes ou pas, n'avait jamais mis les pieds en
cours pouvait se présenter à l'examen en fin d'année et s'il avait par
d'autres moyens acquis le niveau demandé, être reçu.
De cela, il n'est plus question. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une
rupture, mais d'un aboutissement. On a déjà depuis longtemps imposé la
stupide notion de "bac + X", qui comptait les années d'études, et non ce
qu'on y apprenait. On a plus récemment défini des diplômes non par un
contenu en terme de savoirs et de capacité à les exprimer, mais par un
nombre d'heures de cours. Avec les diplômes mécano de Lang, cette définition
abolit toutes les autres.
Cela ne pourra que satisfaire certains, qui glosent sur "la réussite pour
tous", la "lutte contre l'échec" et autres de la même farine depuis quelques
années, et jugent la valeur de ce qu'ils appellent une formation au
pourcentage de réussite de ceux qui s'y inscrivent (je ne nomme personne,
suivez mon regard). Un système où il suffit d'assister à un nombre donné
d'heures de cours, de quelque nature qu'elles soient, pour être diplômé les
comblera d'aise.
Mais quelle sera la valeur des diplômes ainsi décernés ? Ils ne prouveront
plus rien. C'est le triomphe de l'Université garderie, qui, soit dit en
passant, exclut tous ceux qui n'ont pas les moyens, ou d'ailleurs l'envie
d'être étudiants à plein temps. L'étudiant sera condamné à l'emploi
précaire, durant ses études avec les stages, après ses études également.
L'"harmonisation européenne" qu'on veut nous imposer est le masque d'une
gigantesque opération de faux-monnayage, détruisant le double rôle de
l'Université, élaboration et transmission des savoirs d'une part, délivrance
de diplômes à valeur nationale et permanente d'autre part.
Il faut ici souligner l'escroquerie majeure. Nous avons été élevés en France
dans cette notion de valeur nationale des diplômes, qui permet par exemple à
un titulaire d'un DEUG à Perpignan de poursuivre ses études en licence à
Paris IV sans obstacle. Beaucoup d'entre nous, quand on leur dit
"harmonisation européenne", pensent naturellement qu'il s'agit de permettre
de passer de Paris IV ou Perpignan à Oxford ou Heidelberg comme on passe de
Perpignan à Paris IV. Pas du tout ! L'Allemagne comme l'Angleterre ignorent
notre notion de valeur nationale. Avec l'Abitur d'un Land, on ne peut pas
forcément s'inscrire dans une Université prestigieuse d'un autre.
L'harmonisation européenne conduira simplement à ce qu'on ne puisse plus
passer de Perpignan à Paris IV.
Toutes les Universités d'Europe délivreront selon le système des ECTS des
diplômes portant le même nom, mais qui ne donneront aucun droit, puisque
leurs contenus seront variés à l'infini.
Tel est le sombre avenir qu'on nous prépare. Une réaction des étudiants et
des enseignants unis pour la valeur nationale des diplômes, contre
l'autonomie des établissements, peut la mettre en échec.