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DIALECTIQUE II

Posté par Vincent CHARBONNIER le 5/9.

Date:  17/06/99 15:55:59



Petite précisions préalables.
Il s'agit d'une contribution, personnelle j'y insiste, relative aux débats
qui animent actuellement notre organisation. Ce texte, vous le constaterez
est très long. C'est pourquoi, en plus de cet envoi express et immédiat, je
le ferai suivre par un autre, où le texte sera accessible en fichier
attaché (Word PC et Mac).

Bonne lecture, et vive la dialectique

Vincent Charbonnier

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L'amour du mensonge


Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence
Pour réjouir un c|ur qui fuit la vérité ?
Baudelaire, L'amour du mensonge


C'est Aristote je crois, qui écrit que c'est la fin qui en toutes choses
est le principal. Ainsi en est-il du syndicalisme étudiant et de l'unef en
particulier. C'est la fin qui éclaire les prémisses, et qui rend compte des
motivations et des raisons, qui prévalent à telle ou telle action, souvent
obscures à ceux-là même qui les ont initié. Enfin allons-nous voir sous
quelles ténèbres gisaient nos clartés. Assurément, la dynamique d'un
rassemblement du mouvement étudiant, initiée par la Direction Nationale
(dn), de l'unef, sa présidente en tête, valide une telle proposition,
autant pour elle-même d'ailleurs, que pour les militants, qui ne paraissent
pas - mais c'est un euphémisme -, avoir pleinement saisi les subtilités
du-dit processus.
Un an, il aura donc fallu un an pour saisir le sens et la portée de cette
sibylline proposition défendue par K. Delpas, d'une maison commune
étudiante, puis colportée, d'abord dans la presse, ensuite par l'unef-Canal
habituel, c'est-à-dire avec retard. Un an pour saisir que cette idée se
résout, in fine, dans une fuite en avant, plus soucieuse de diluer ses
responsabilités - celles d'un échec, collectif au demeurant - dans la
faible syndicalisation du milieu étudiant, que d'affronter les carences
internes d'une organisation qui méconnaît, sinon néglige, les règles de la
plus élémentaire démocratie, comme le dernier Congrès National en a,
malheureusement, porté témoignage. Après tout, une dissolution en appelle
toujours une autre, rien que de très normal. C'est ce qui s'appelle avoir
de la suite dans les idéesS
Mais, remontons un peu le temps.

Printemps 1998 : élections des représentants étudiants aux crous. Hormis
quelques rares exceptions, dont Nantes, les résultats sont catastrophiques.
On se rend compte alors avec effroi que l'unef n'existe plus. Oui l'unef
paraît être dissoute, ou bien, au mieux, virtuelle. Cet effroi, bien
compréhensible en vérité, témoigne, s'il en était encore besoin, de la
déliquescence aggravée de l'organisation, devenue obscure à elle-même.
Certes, les plus avertis d'entre nous, les plus sensibles aussi, ont-ils eu
un vague pressentiment, au vu des affiches, où la niaiserie le disputait à
l'incompétence.
Le premier enseignement alors déduit par la dn de l'unef fut la nécessité «
d'une maison commune étudiante » selon les propres termes de K. Delpas, et
syndicale serait-on tenté d'ajouter. Un simple étiolement espérait-on. En
fait d'étiolement, c'est d'une déliquescence aggravée d'une centrifugie,
façon puzzle, qu'il s'agit. A ce compte effectivement, l'unef est dissoute.
Face à cette purée, la dn et son petit Beurre, le bn, choisit alors, sans
coup férir, la voie d'une maison commune, non seulement avec l'unef-id - ce
qui n'est, a priori, pas forcément une mauvaise idée - mais aussi, et de
manière beaucoup plus surprenante, avec la fage. Oui, avec la fage. D'où
quelques légitimes interrogationsS

1. Par quel miracle, la dn de l'unef s'est-elle convertie (l'expression
n'est pas trop forte) à l'idée d'une réunification des forces syndicales,
naguère si violemment honnie ? Que s'est-il donc passé pour que la dn
transforme aussi radicalement et abruptement sa vision du monde syndicale ?
2. Pourquoi une telle amplitude, une telle générosité dans le mouvement de
réunification du mouvement syndical étudiant, au point de tomber dans
l'excès de zèle ou de pratiquer, sans autre exercice que la foi en la
pluralité, le grand écart ?
3. Question subsidiaire. Pourquoi, après plus de 30 ans de déchirements
intestinaux, et 28 ans d'ignorance réciproque et irréductible, en bonne et
due forme (une scission), vouloir mutuellement se perdre dans les bras ?

Sans s'épuiser à collecter les raisons d'une telle situation, notons
qu'elle relève d'abord de la perte des repères minimaux, comme un poulet à
la tête coupéeS Car il est manifeste que la dn ne maîtrise absolument pas
le processus qu'elle a un tant soit peu initié, et qu'elle -  quoiqu'elle
s'en défende, fort mal - soutient, fût-ce du bout des doigts. La confusion
et l'irresponsabilité s'augmentent d'un jésuitisme déjà entendu ailleurs.
Une même question revient alors, lancinante : Pourquoi ?
Si elle ne maîtrise rien, c'est d'abord parce que cette « idée » ne lui
appartient pas en propre, au sens où c'est une idée d'emprunt (on fait
commeS). C'est ensuite, parce qu'il s'agit, en définitive, d'une dynamique
et d'un processus (une involution ?) dont les origines et les motivations
sont rien moins qu'extra-syndicales, politiques pour tout dire. Et il y a
lieu, me semble-t-il, de pointer le remarquable parallélisme, non
strictement géométrique du reste, avec l'évolution politique de la Gauche
depuis ces dernières années, qui s'est, elle aussi, convertie à la
pluralité, avec le(s) succè(s) que l'on saitS Il y a comme une étrange
communauté de destins qui ne me paraît nullement fortuite, comme si on
voulait faire du zèle ou bien récolter d'improbables lauriers.

Face à une situation aussi confuse au sein de l'unef, le Paysage Syndical
Étudiant a pour lui le mérite de la clarté. D'un côté, l'unef-id, qui a
l'immense avantage de clairement revendiquer sa conception du syndicalisme,
axée sur la « cogestion » - entendue dans son acception la plus neutre.
D'un autre côté, une constellation radicalo-radicale, d'où émergent le
seul, quelques age de l'unef en rupture de bans, ainsi que, parfois sud,
constellation qui n'en revendique pas moins clairement sa conception du
syndicalisme, résolument axée sur la lutte contre la/les politiques du/des
gouvernement/s en matière d'éducation. Entre ces deux pôles, nous avons
l'unef, ou ce qu'il en reste encore, en tout cas, tous ceux qui ne
satisfont nullement de cette bipolarisation.
D'un côté donc, l'unef-id, qui se meut dans une contradiction permanente,
entre reconnaissance du père (le Ministère) et exigence de ses pairs (les
étudiants), entre respectabilité-responsabilité et activisme
grand-guignolesque (« on va vous mettre les étudiants dans la rue » - sans
rire ?!) : Plus réaliste que moi, tu meurs ! Symétriquement, de l'autre
côté, on n'a pas de mots assez durs ou de formules assez acérées, afin de
pourfendre les dérives libéral-ist-es (ou jugées telles) de l'unef-id, se
drapant dans la pureté de l'orthodoxie syndicale et s'édifiant en
Ayatollahs du révoltisme étudiant : Plus révolutionnaire que moi tu meurs !
1
Si la situation est claire, en apparence - Mais ne suffit-il pasS -, les
solutions le sont beaucoup moins. Cette bipolarisation à nette tendance
séparatiste (les « réformistes » et les « révolutionnaires »), a en effet
tous les avantages de ses inconvénients, à savoir la simplification abusive
du problème. Je refuse ce débat, parce qu'il ne s'agit précisément pas de
trancher le n|ud, mais de comprendre le nouement même, de comprendre
autrement dit, ce qui fait problème et débat. Et je refuse tout autant
l'anamnèse 2 d'une mythique « grande unef », sorte de synthèse
pseudo-dialectique qui a tous les aspects d'une erreur composée.
Toute la difficulté et toute la grandeur du débat se tiennent précisément,
dans la capacité à refuser le simplisme des positions distribuées, dans la
capacité à interroger la réalité étudiante, sans a priori ni prénotions,
dans la volonté de réfléchir aux bases d'une rénovation du syndicalisme
étudiant. Jusqu'à présent en effet, de part et d'autre du reste, on a
raisonné, et on résonne encore, en termes d'appareils, qu'ils «
accompagnent », ou qu'ils « luttent », oubliant ce qui constitue, malgré
tout, la terre, l'humus de toute activité syndicale, le milieu étudiant en
tant que tel, l'essentiel quoi !

C'est un fait qu'aujourd'hui le milieu étudiant est faiblement syndiqué.
C'est un fait également que ce milieu n'est pas, ou n'est plus aussi
homogène, socio-culturellement, qu'il a pu l'être jadis. Ne serait-il pas
alors plus juste de parler de milieux étudiants - la (bonne) pluralité
n'est jamais là où on croit. Milieux, signifiant que les étudiants ont des
attentes, une perception des choses, une vision du monde en somme qui,
d'ores et déjà, diffèrent largement entre elles, et qui, a fortiori, ne
correspondent pas toujours à notre vision des choses syndicale(s).
Concernant le système universitaire par exemple, envisagé dans toutes ses
dimensions (histoire, fonctionnement, politique, avenirS), les étudiants en
sont, pour la plupart, ignorants, à cause ou parce que, ils n'en discernent
pas l'intérêt.
Autres exemples, concernant la réforme des 1ers cycles (Jospin, Lang,
Bayrou), et, dans une optique différente, le rapport Attali. Les
difficultés à mener la lutte tiennent en premier lieu au fait que les
étudiants n'ont pas pleinement saisi le sens de notre opposition à la-dite
réforme, et ceci pour une raison élémentaire. Quand ils constatent que
cette réforme met en place des semestres d'orientation, des modules
capitalisables, etc., ils ne peuvent qu'y être favorables , et ne peuvent
alors pas comprendre notre discours syndical, légèrement décalé par rapport
à eux, discours qui consistait, pour l'essentiel, à pointer le manque de
moyens (financiers et humains) et à y voir le spectre de la sélection. Pas
une seule fois en effet, l'unef est intervenue sur le contenu même de la
réforme, en tentant de montrer en quoi, par exemple, la capitalisation ou
la diversification thématique des formations conduisaient, sous le toujours
fallacieux prétexte de « mettre l'étudiant au centre » ou de respecter la
diversité des publics, à une véritable dépréciation croissante des contenus
de formation (réduction des volumes horaires) et des temps d'évaluation,
démagogiquement incriminés comme « temps mort » (réduction de la durée des
examens), dépréciation dont nous pouvons apprécier, dès aujourd'hui les
premiers symptômes, surtout en termes de mobilisationS
Mais c'est peut-être sur le Rapport Attali que le hiatus entre les
étudiants et nous fut le plus flagrant. Car notre discours, aussi juste
soit-il par ailleurs, s'est tout de suite calé sur la dimension politique,
i. e. générale du « problème », et non sur une dimension, plus
particulière, plus quotidienne. On l'a d'ailleurs constaté peu de temps
après, in concreto, lors du mouvement Histoire des arts à Nantes, où il a
été bien difficile de raccorder Attali à la fermeture de cette filière.
D'abord parce qu'aucun lien direct n'est avéré (de fortes similitudes tout
au plus), et ensuite parce que les étudiants en Histoire des arts ont
légitimement préféré s'en tenir à une dimension locale, suffisamment
complexe au demeurant, pour ne pas aller tout de suite se brûler à l'assaut
du ciel. On peut regretter leur frilosité, d'autant que les camarades du
cen-unef investis dans ce mouvement, n'ont pas ménagé leur peine pour
argumenter dans le sens d'une étroite connexion (pas aussi évidente que
cela malgré tout), entre la fermeture de cette filière, ici à Nantes, et la
logique générale du rapport Attali. Mais, il faut aussi savoir accepter la
réalité, qui n'est jamais tout à fait comme on voudrait qu'elle soit, et
s'y conformer, sans toutefois renoncer à lutter - ce n'est qu'un débutS
Par parenthèse, ce dernier exemple est emblématique d'une fâcheuse
tendance, réactive surtout, à poser le global comme niveau princeps
d'analyse et d'intervention, lequel se paye souvent d'un délaissement
symétrique du local. Nous paraissons oublier que notre espace de référence,
quotidien et familier, d'action et de réflexion, est local et perdre ainsi
de vue que nous sommes avant tout étudiants en un lieu et un temps donnés.
Notre espace, c'est d'abord - n'en déplaise aux puristes - notre filière,
puis notre Université, en tant que déclinaison locale d'un service public,
espace singulier, irréductible à aucun autre, avec son histoire et ses
histoires. C'est là que réside, en définitive, l'intérêt et la difficulté
de l'exercice militant : articuler un référent institutionnel national
(l'enseignement supérieur) et ses inscriptions territoriales. Car, il n'y a
pas plus de vérité dans le global que dans le local, considérés comme
entités abstraites, déconnectées l'une de l'autre. La vérité se tient
simultanément dans les deux, la vraie difficulté étant, bien entendu, de
pratiquer cette simultanéité, exigeant de ne plus s'en tenir à
l'incantation, désormais rituelle, et ritualisée du global (« il faut
globaliser ») comme bord et comme vérité définitive du local. Si la
fermeture de la filière Histoire des arts témoigne d'une logique que l'on
estime - à bon droit du reste - être à l'|uvre au plan national, elle n'y
est cependant pas entièrement réductible. Il y a aussi, et les évènements
l'ont aisément confirmé, des « raisons », bonnes ou mauvaises,
irréductiblement locales à cette fermeture programmée (3).

Que faire alors face à ce désintérêt ou à cette frilosité ? Mieux, que
devons-nous ne surtout pas faire ? Ne pas prendre les étudiants pour des
idiots ou des moutons - à mouton, mouton et demi ! Ne pas se poser donc sur
« l'autre rive » syndicale, les regardant avec un rien de condescendance,
et leur demandant - sûr de notre fait -, de venir nous rejoindre en se
jetant à l'eau. Il nous faut d'abord partir des attentes des étudiants, de
leur quotidien (leur filière !!), fût-il obscur ou sans grande envergure,
pour ensuite les amener progressivement à notre vision des choses et
revenir au point de départ initial, afin qu'ils saisissent la progression
qualitative de leur conscience des choses, à laquelle cette démarche à
donné lieu. Passer d'un concret perçu à un concret pensé (4).
Un dernier mot. On peut toujours hurler au réformisme, mais il est un fait,
là encore irréductible : pour la plupart des étudiants, la filière d'études
constitue un ancrage et un repère extrêmement puissants et importants dans
leur vision - et leur compréhension - du monde. Et puis d'ailleurs, il
n'est qu'à nous regarder un instant, nous militants syndicaux, grands
prêtres de l'universel : de quoi parlons-nous avec nos copains de promo ?
Hein, de quoi parlons-nous ? Et c'est archi-lé-gi-ti-me.

Muni de ces constats, et de cette pluralité (les milieux), il devient alors
possible de mieux envisager le problème, d'analyser ce qui fait la force de
l'unef-id et de la fage et surtout, de savoir pourquoi, la dn de l'unef
veut intégrer la fage dans la future « maison commune ». Et, quoique cela
paraisse paradoxal, et que cela heurte certaines sensibilités, il faut
toutefois reconnaître dans l'idée de « maison commune » défendue par la dn,
une parcelle de vérité.
Qu'on le veuille ou non, la force de la fage et de l'unef-id, et même de
certaines age de l'unef, Limoges en particulier, réside dans leurs
capacités d'interventions dans les milieux étudiants. Capacités
d'interventions qui ne sont que les conséquences de choix et d'orientations
politiques déterminées et d'implantations consciemment et vaillamment
construites. D'un mot, que je sais abhorré, ils ont su développer des
services (aux) étudiants qui répondent aux préoccupations quotidiennes,
basiques de ceux-ci. Offrir des services de reprographie, de prêts de
matériels, etc., c'est assurer l'une des missions fondamentales du
syndicalisme en général et du syndicalisme étudiant en particulier : la
défense des intérêts matériels et moraux de ses adhérents. Nulle cogestion,
nulle dérive corporatiste dans cette démarche, juste une démarche
syndicale, essentiellement, principiellement, ontologiquement, syndicale.
C'est bien pourquoi elle pose quelques problèmes à nos Docteurs ès pureté
syndicale, à qui je rappellerai du reste, que, tout pétris d!