Intervention d'Emmanuel Lyasse, élu étudiant au Conseil Scientifique de Paris IV, pour expliquer son vote négatif sur le contrat de plan, le vendredi 20 septembre 2002

Vous pensez sans doute que je vais à mon tour radoter (allusion à une intervention précédente) et longuement. Vous n'avez pas tort.

Il me semble nécessaire de dire quelques mots du texte qui nous est soumis, et non des chiffres.

Monsieur Courtine (vice-président du CS) nous a dit que ce texte résultat de nombreux alers et retours, n'avait pas d'auteur. Dans ce cas, c'est un chef d'¦uvre d'écriture collective: on y trouve une remarquable cohérence. Tout en effet ramène à l'application de la politique de casse de l'Université publique. On y retrouve tous les mensonges ministériels: insertion professionnelle, pluridisciplinarité... avec un certain nombre de points qui semblent plus propres à Paris IV comme les "nouvelles humanités". J'observe dans ce texte d'ailleurs un usage des guillemets qui serait, dans une copie de DEUG, jugé abusif et qui, dans un texte ayant vocation à être officiel, me paraît hautement suspect. Je vais prendre quelques points de ce texte. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une énumération de tous ceux qui me paraissent poser problème, mais d'une série d'exemples donnés à titre d'explication de vote.

J'observe tout d'abord qu'il n'y est jamais question de la préparation aux concours de l'enseignement secondaire, qui est tout de même une des principales activités de notre Université, sinon une fois, pour justifier les projets de DEUG pluridisciplinaires que paraît-il, les étudiants réclament à cor et à cri (c'est curieux comme on peut faire parler les étudiants dans ce type de texte). Cela peut être avancé pour le projet de DEUG Histoire-Géographie (cela pourrait d'ailleurs être contesté aussi) mais je vois mal en revanche comment cela peut concerner tous les autres.

Deuxièmement, je vois page 5, à la rubrique "II.1 Le soutien pédagogique" (tout un programme !) qu'il est question de renforcement du tutorat. Admirable logique ! Depuis des années qu'il existe, personne n'est capable de formuler, ni même d'imaginer, à quoi peut bien servir le tutorat: il faut donc le renforcer.

J'en viens à ce qui me concerne plus directement, puisque je suis censé représenter ici, même si, il faut bien l'avouer, fort peu sont au courant, les étudiants de 3e cycle de notre Université, le V E), page12, intitulé "Suivi des doctorants et mise en place d'un Observatoire la vie étudiante". Je suis obligé d'en donner lecture des trois objectifs définis. "peser significativement sur la durée, souvent trop longue, de la préparation des thèses" On aimerait bien savoir comment. Si le but d'une thèse reste de produire un travail de recherche, on voit mal que faire s'il n'est pas fini à temps. Evidemment, si on considère désormais qu'il suffit d'avoir été inscrit trois ans pour recevoir le titre de docteur, tout s'arrange. "lutter contre le taux d'évaporation des thèses en cours" Comment donc ? "d'assurer un meilleur suivi des cohortes" Là, toutes les interprétations que je pourrais avancer me paraissent tellement malveillantes que je préfère me borner à lire, et à demander des explications.

J'en viens enfin à ce qui me paraît le plus grave: en VI.2, p. 13, au milieu de considérations sur les ressources humaines et la dynamique du recrutement, apparaît la phrase décisive. Tous les postes qui seront vacants, et il est précisé qu'il y en aura beaucoup, du fait des retraites, seront remis à la disposition de l'Université, qui les redéploiera en fonction des effectifs étudiants (nous savons tous que, dans le cadre de choix politiques préétablis, on peut leur faire dire ce qu'on veut leur faire dire) et des objectifs du contrat. Je crois que, si cette disposition est appliquée, il y aura dans quatre ans à Paris IV beaucoup d'informaticiens et dde spécialistes des sciences cognitives, et fort peu de latinistes et d'hellénistes (c'est un exemple au hasard). Il me semble qu'il y a là la fin de la Faculté des Lettres de Paris.

Monsieur le Président nous a dit "On ne peut pas changer le texte qui vient du ministère". C'est une excellente définition de la politique dite contractuelle ou, parfois, de cogestion. Le ministère impose une politique de casse de l'Université, et charge les conseils prévus par la loi Savary, formés d'enseignants et, pour que ce soit encore plus drôle, de quelques étudiants, de son application, de sorte qu'ils en portent la responsabilité. Nous en avons eu un exemple avec l'application de la réforme Bayrou-Allègre.

On ne peut pas changer le texte du ministère. Mais on peut voter contre. Il paraît qu'un proverbe anglais dit qu'on ne peut pas demander aux dindes de voter pour Noël. pour ma part, je n'ai pas l'intention de le faire mentir.

Vous me permettrez de terminer sur une note plus personnelle. Le texte parle quelque part de "progrès accomplis". C'est mon dernier Conseil scientifique. Cela fait onze ans, longtemps, trop longtemps sans doute, à plus forte raison selon les critères de ce contrat, que je suis étudiant à Paris IV. Je crois pouvoir dire qu'en onze ans, j'ai vu cette maison s'effondrer. Je ne mets en cause personne. il est vrai qu'il s'agit d'un effondrement général de l'Université française, sous les coups d'une politique délibérée. Mais jusqu'à récemment, Paris IV avait l'habitude de se tenir à l'arrière-garde en matière d'application de cette politique, ce que lui permettait, avec quelques inconvénioents budgétaires, son prestige et aussi sa situation de Fac de Lettres, à l'écart de ces bouleversements. J'ai l'impression qu'il s'agit depuis quelques années, depuis l'application de la réforme Bayrou-Allègre, et de plus avec ce contrat, de se tenir désormais à l'avant-garde. Je le regrette.