Une nouvelle refondation du mouvement syndical étudiant à Lyon (1968-1975)

Sommaire

ORGANISATION, STRUCTURE ET GESTION QUOTIDIENNE DE l’A.G.E.L-U.N.E.F.

I . L’implantation de l’A.G.E.L-U.N.E.F : 1971-1994.

II. Une présence au quotidien.

UNE POLITIQUE CONSTANTE VISANT A PLACER L’A.G.E.L-U.N.E.F. AU CŒUR DE LA VIE ETUDIANTE

Chapitre 1. La reconstruction d’une économie sociale étudiante.

I. Une tâche secondaire à l’activité revendicative. 1971-1979.

II. La création du CERCOOPE, véritable centrale de services.

Résumé

Chapitre 2. Un syndicat peu ouvert au tissu syndical, politique et associatif.

I. Les relations U.N.E.F. / C.G.T. / S.N.E.Sup..

II. Un syndicat de gauche sans affiliation partisane.

III. La dénonciation des autres associations et syndicats étudiants comme réponse à l’éclatement de la représentation étudiante.

Résumé

CONCLUSION

 

 

 


ORGANISATION, STRUCTURE ET GESTION QUOTIDIENNE DE l’A.G.E.L-U.N.E.F.

Rassemblant les étudiants, l’A.G.E.L-U.N.E.F. est évidemment très sensible aux mutations du monde étudiant et universitaire, à ses crises souvent violentes et éphémères. L’implantation, l’organisation interne, la structure et la gestion quotidienne du syndicat lyonnais évoluent en conséquence et s’adaptent en permanence.

L’implantation de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est la première concernée par les changements à court ou long terme du milieu étudiant. Caractérisée par un taux de syndicalisation à l’A.G.E.L-U.N.E.F. faible, même dans les périodes de relative puissance, elle ne permet pas au syndicat lyonnais de s’estimer représentative du monde étudiant. Soumise à différentes variables, elle évolue de manière chaotique de 1971 à 1994.

Organisation très structurée, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se développe sur un modèle confédéral : groupement d’associations établies sur une base géographique ou disciplinaire, elle dispose de deux instances confédérales, c’est à dire le bureau et le collectif d’A.G.E. Cependant, il convient de se pencher avec attention sur les associations de filière. En effet, elles prennent des formes successives définies lors des congrès nationaux et indiquent ainsi des changements d’orientation… .

L’activité syndicale de l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne se résume pas seulement à son implication dans les divers mouvements étudiants qui jalonnent toute cette période. En effet, une activité quotidienne d’entretien des structures se maintient tout au long de l’année et permet au syndicat d’avoir une présence au quotidien sur les divers campus. Le rôle des responsables de l’A.G.E., c’est à dire du président, du trésorier, et du secrétaire à l’organisation, est alors essentiel, vital.

Enfin, l’A.G.E.L-U.N.E.F. fait preuve d’une gestion financière précaire, aléatoire. La gestion financière apparaît rarement dans les études, qui préfèrent souvent aborder les structures ou les politiques des syndicats. Pourtant, elle peut être révélatrice d’un état d’esprit ou de politiques financières adaptées et volontaires.

 

 


I . L’implantation de l’A.G.E.L-U.N.E.F : 1971-1994.

  1. Un faible taux de syndicalisation.
  2. L’A.G.E.L-U.N.E.F se définit, dés le renouveau, comme un syndicat de masse, c’est à dire ayant vocation à rassembler en son sein la majeure partie des étudiants. Pourtant, en dépit parfois d’une certaine force numérique, elle ne syndique, durant cette période, qu’une très faible minorité des étudiants de Lyon.

    Retracer l’évolution du nombre d’adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F avec certitude se heurte à des difficultés nombreuses : sources incomplètes (en particulier pour toutes les années 80), fichiers d’adhérents rares (quelques exemplaires complets et surtout incomplets : 1971-1972, 1973-1974, 1989-1990, 1991-1994… .), très nette différence entre le nombre d’adhérents revendiqué, en particulier auprès des médias, et la réalité, distinction entre le nombre d’adhérents et le nombre de cotisants.

    En dépit de ces limites, on peut distinguer différentes périodes :

    Evolution des effectifs de l’A.G.E.L-U.N.E.F

    1971-1972

    454

    1973

    env 350

    1974

    env 650

    1975-1976

    déclin

    1976-1977

    700 à 800

    1979-1980

    env 250

    1980-1981

    550

    1983-1984

    env 1500

    1987-1988

    80 à 90

    1990-1991

    250

    1991-1992

    185

    1992-1993

    168

    1993-1994

    275

    Source : Archives de l’A.G.E.L-U.N.E.F.

    ® 1971 – 1974 : L’A.G.E.L-U.N.E.F connaît un accroissement du nombre de ses adhérents, puisqu’il passe de 300 environ en 1971 à prés de 650 en 1974. Les multiples mouvements étudiants qui émaillent cette période (DEUG, CFPM, réforme Fontanet…) contribuent probablement à cette progression. De plus, la concurrence exercée par les autres organisations syndicales étudiantes reste faible. Ainsi, l’U.G.E.L-U.N.E.F. s’enferme dans son refus des élections universitaires et ne s’implante réellement que sur Lyon I.

    ® 1974 – 1976 : Un léger déclin se manifeste, même si l’état des sources ne permet pas d’en apprécier les proportions. Il semble surtout la conséquence de l’absence de mouvements revendicatifs d’ampleur durant cette période. L’adhésion, fortement basée sur le caractère revendicatif et peu sur les services, n’apparaît plus, en l’absence de réalisations concrètes, comme une nécessité pour les étudiants.

    ® 1976 – 1977 : Le mouvement de grève contre la réforme du second cycle, durant lequel l’A.G.E.L-U.N.E.F a pris une part prépondérante, engendre une nouvelle progression des effectifs. L’A.G.E.L-U.N.E.F, qui compte moins de 600 adhérents avant le conflit, atteint 700 à 800 adhérents à la fin de l’année universitaire 1976-1977.

    ® 1977 – 1979 : Une très forte baisse du nombre d’adhérents se produit entre ces deux dates. De 700 à 800 adhérents, les effectifs chutent et atteignent environ 250 adhérents en 1978-1979. Elle est imputable à l’absence de mouvements revendicatifs importants, à l’éloignement, à la distanciation progressive des étudiants vis à vis des organisations syndicales et politiques, mais aussi à des difficultés de fonctionnement internes. Un collectif d’A.G.E. est convoqué en décembre 1978–janvier 1979, afin de résoudre un certain nombre de problèmes : "absence de réelle direction dans ton comité, dans l’A.G.E.", forces insuffisantes, difficultés financières. De plus, des tensions internes naissent et engendrent des crises, comme la démission d’adhérents. Ainsi, en février 1979, B.Blochet, dans sa lettre de démission, critique violemment l’organisation, l’activité et les responsables de l’A.G.E.L-U.N.E.F : " constitution bureaucratique du syndicat ", " élitisme ", " statisme des dirigeants ", " recherche dans toute action d’une rentabilité ", " concurrence entre organisations syndicales identique à celle des entreprises du grand capital ", " attitude abjecte ", manque de démocratie interne en particulier lors de la désignation de la tête de liste au C.R.O.U.S…. Par contre, l’impact de la rupture du programme commun de la gauche en mars 1978 semble faible, même s’il s’avère impossible d’évaluer la portée réelle de cet événement sur l’A.G.E.L-U.N.E.F. Hormis sans doute le déception de nombreux militants… .

    ® 1979 – 1985 : Une nouvelle période s’ouvre pour l’A.G.E.L-U.N.E.F à partir de la rentrée 1979-1980. En effet, l’A.G.E.L-U.N.E.F connaît en moins de cinq ans une croissance considérable de ses effectifs : de 250 à 1500 adhérents environ. Cette progression est entamée dés la rentrée 1979-1980, puisque l’A.G.E.L-U.N.E.F déclare, lors d’un collectif national en mars 1980, 550 adhérents, soit une multiplication par 2,5. En l’absence de mouvements étudiants importants ou soutenus par l’A.G.E.L-U.N.E.F, les moteurs d’une telle croissance sont à chercher ailleurs. L’attrait des services fournis par le syndicat est sans doute le principal ressort. En effet, de très nombreux étudiants adhérent à l’A.G.E.L-U.N.E.F sur la base des services, peut-être pour bénéficier de tarifs privilégiés. Le lien entre progression des effectifs et services est d’ailleurs explicitement mis en lumière au collectif national du 10 novembre 1979. Une corrélation est établie entre la création de nouveaux comités et le fort développement des services en médecine, pionnière dans ce domaine. L’A.G.E.L-U.N.E.F apparaît sous un nouveau jour, car les étudiants fréquentent davantage les locaux et les adhérents. Toutefois, la nature de ces adhésions implique des limites et, en particulier, une très faible implication des adhérents dans l’organisation et le fonctionnement du syndicat. De plus, le nombre d’adhérents stagne en mai 1981, en dépit d’un contexte politique très favorable, et des étudiants viennent au syndicat pour bénéficier des services, mais sans aucune démarche syndicale.

    ® 1984 – 1987 : L’évolution des effectifs de l’A.G.E.L-U.N.E.F, à partir de la rentrée 1985-1986, demeure très incertaine. Une seule certitude : l’A.G.E.L-U.N.E.F compte de 70 à 80 adhérents en 1987-1988. Le nombre d’adhérents se stabilise seulement en 1987-1988, sous la présidence de Malika Blanc, seule rescapée du bureau d’A.G.E. 1986-1987 !. Dans le même temps, le syndicat U.N.E.F –ID, encore faible et fragile au début des années 80, bénéficie à plein de son positionnement lors du mouvement étudiant de novembre-décembre 1986. L’évolution ne date cependant pas de la fin de l’année 1986. Déjà, aux élections aux conseils centraux de janvier 1986 à Lyon II, l’U.N.E.F-ID obtient 10 sièges et fait jeu égal avec l’A.G.E.L-U.N.E.F. Le retard de l’A.G.E.L-U.N.E.F. à s’investir pleinement dans le mouvement de 1986 a sans doute amplifié le déclin, mais il ne suffit pas à l’expliquer. Les sources écrites, inexistantes pour les années 1985-1987, ne permettent pas de comprendre cette " cassure " dans l’évolution de l’A.G.E.L-U.N.E.F..

    ® 1987 – 1994 : A une première phase de stabilisation (1987-1988), succède une reprise du nombre des adhérents, puisque les effectifs grimpent de 70 à environ 250 adhérents en 1994. L’A.G.E.L-U.N.E.F. se renforce surtout grâce aux différents mouvements revendicatifs auxquels elle participe pleinement et à un intense travail de terrain : mise en place de cahiers de revendication dans les cités universitaires, porte à porte, tenue des chaînes d’inscription, pétition en faveur du demi-tarif sur les TCL… . Le travail de terrain se concrétise par des adhésions : 29 en 1991-1992 (porte à porte…), 23 en 1992-1993, 22 en 1993-1994. Les mouvements revendicatifs, et en particulier le mouvement contre la réforme Jospin en 1992, mettent l’A.G.E.L-U.N.E.F. sur le devant de la scène et incitent des groupuscules d’extrême-gauche à investir des militants. De nombreux militants de la L.C.R. et de Socialisme International adhérent alors à l’A.G.E.L-U.N.E.F. et forment une minorité. Cependant, en dépit d’une nouvelle croissance, la situation de l’A.G.E.L-U.N.E.F. demeure précaire.

    Les effectifs de l’A.G.E.L-U.N.E.F. fluctuent fortement en quelques années. La période 1984-1987 est une excellente illustration de ce phénomène. Les variations sont amplifiées par la nature du monde étudiant : brièveté des études et instabilité de la condition étudiante, c’est à dire la nécessité pour de nombreux étudiants de se salarier pour continuer leurs études… . Le syndicalisme étudiant évolue en osmose avec le monde étudiant. Par conséquent, il est soumis à un renouvellement rapide de ses adhérents. La durée d’adhésion à un syndicat étudiant est courte : de 2 à 4 ou 5 ans maximum, sauf les cas particuliers des étudiants en médecine. Ainsi, le collectif d’A.G.E. des 22 et 23 mars 1980 comprend 13 étudiants en D.E.U.G., soit 50 % du total. En 1988, le bureau d’A.G.E. compte cinq étudiants adhérents à l’U.N.E.F. depuis un an sur neuf. Par conséquent, le syndicalisme étudiant est soumis à la nécessité de renouveler rapidement ses effectifs et ses responsables. L’instabilité fragilise les organisations et peut parfois remettre en question leur survie. Ainsi, le cas extrême de 1987 où, à l’exception de Malika Blanc, le bureau d’A.G.E. est entièrement renouvelé. Stabiliser les effectifs nécessite des efforts constants, sinon le déclin est rapide. La croissance numérique repose sur deux éléments : une remise de carte importante et un effort pour recruter de nouveaux adhérents. Ainsi, l’association de filière Histoire-Géographie de Lyon II passe de 17 adhérents en 1992-1993 à 23 adhérents en 1993-1994. Elle conjugue à la fois une remise de carte correcte (11 adhérents sur 17 de 1992-1993 reprennent leur carte) et un effort pour recruter : 12 nouveaux adhérents en 1993-1994. A l’inverse, un déclin se fonde surtout sur l’absence de recrutement. C’est le cas de l’association de filière Histoire- Géographie de Lyon III, qui passe de 12 adhérents en 1992-1993 à 10 en 1993-1994.

    Adhérents de l'association de filière Histoire-Géographie de Lyon II

    Année universitaire

    Total

    Nouveaux

    Cartes remises

       

    adhérents

     

    1991-1992

    20

    11

    9

    1992-1993

    17

    6

    11

    1993-1994

    23

    12

    11

    Source : Fichier des adhérents de L' A.G.E.L.-U.N.E.F. 1991-1994.
           
           

    Adhérents de l'association de filière Histoire-Géographie de Lyon III

           

    Année universitaire

    Total

    Nouveaux

    Cartes remises

       

    Adhérents

     

    1991-1992

    10

    6

    4

    1992-1993

    12

    4

    8

    1993-1994

    10

    1

    9

    Source : Fichier des adhérents de l' A.G.E.L.-U.N.E.F. 1991-1994.

    Or, la remise de carte s’effectue très bien, puisque le taux de remise de carte est de 80 % d’une année sur l’autre . Par contre, le nombre de nouvelles adhésions ne cesse de diminuer et ne peut combler les départs : 6 en 1991-1992, 4 en 1992-1993, 1 en 1993-1994.

    L’U.N.E.F. à Lyon connaît donc une évolution numérique chaotique, souvent soumise aux mouvements revendicatifs. En effet, les conflits permettent aux différents syndicats de se mettre en valeur auprès des étudiants et d'intégrer les acteurs étudiants encore non-syndiqués. Cependant, en dépit de sa puissance à certaines périodes (en particulier au début des années 80), l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne rassemble qu’une très faible fraction des étudiants lyonnais.

    Taux de syndicalisation des étudiants à l’A.G.E.L-U.N.E.F. (en %)

    1976-1977

    1,3

    1979-1980

    0,55

    1980-1981

    0,83

    1983-1984

    env 2,0

    1987-1988

    0,11

    1988-1989

    0,21

    1990-1991

    0,21

    1991-1992

    0,13

    1993-1994

    0,25

    Source : Archives de l' A.G.E.L.-U.N.E.F.  
       

    En effet, le taux de syndicalisation des étudiants à l’A.G.E.L-U.N.E.F. reste très faible. Les taux, systématiquement inférieurs à 2 %, se révèlent extrêmement faibles. De toute évidence, l’époque où l’U.N.E.F. regroupait un étudiant sur deux apparaît définitivement révolue. L’A.G.E.L-U.N.E.F. n’a donc jamais réussie à s’implanter véritablement et à devenir représentative du monde étudiant.

    Cette évolution s’inscrit dans le cadre plus large d’une désyndicalisation du monde étudiant (rejet du politique, nouvelles formes d’organisation…), mais aussi de la crise du syndicalisme en général dans la société française.

    De plus, une distinction est à faire, et cela est valable pour toutes les organisations syndicales, entre adhérents et militants. Elle ne s’est imposée que progressivement, puisque, au début du siècle, elle n’existe pas : le droit à l’indifférence est refusé, l’implication du syndiqué dans l’organisation doit être sans faille. G.Sorel, sociologue ayant profondément influencé le syndicalisme révolutionnaire, déclarait : " on s’affaiblit en absorbant des éléments faibles ". En 1931, pour Blavet, responsable de la Fédération de l’Enseignement C.G.T.U. du Rhone, " il vaut mieux être moins nombreux mais unis et décidés, que d’avoir à traîner une masse qui vous alourdit, vous enchaîne et vous trahit ". Une confusion règne donc alors entre adhérents et militants.

    Cependant, une hiérarchie se met progressivement en place suivant les différents degrés d’implication : non-adhérent, électeur sympathisant, cotisant, militant. L’A.G.E.L-U.N.E.F. se compose de cotisants, de non-cotisants (le paiement de la cotisation ne conditionne pas l’appartenance au syndicat) et de militants. Le militant cumule souvent de multiples charges : élu étudiant, responsable à l’A.G.E.L-U.N.E.F.… . Il arrive fréquemment que des responsables d’A.G.E. mettent leurs études en sommeil au profit exclusif du syndicalisme. La taille du noyau militant demeure très restreinte et ne dépasse jamais la centaine. Il connaît une évolution selon les périodes, mais ne fluctue jamais dans des proportions importantes. De 50 à 100 étudiants jusqu’au début des années 80, il diminue fortement pour atteindre une petite vingtaine en 1987. Ensuite, une petite reprise se fait sentir et l’A.G.E.L-U.N.E.F. compte en 1988-1989 une soixantaine de militants. Une augmentation significative du nombre d’adhérents n’engendre pas d’effets similaires sur le noyau militant. En 1983-1984, l’A.G.E.L-U.N.E.F. compte 800 adhérents de plus par rapport à 1976, mais, dans le même laps de temps, la taille du noyau militant demeure stable. Ce décalage met en lumière le phénomène des adhésions utilitaires, c’est à dire fondées sur les services.

    L’A.G.E.L-U.N.E.F. ne peut donc pas fonder sa représentativité sur ses effectifs, puisqu’elle ne rassemble qu’une faible fraction des étudiants. De plus, le syndicalisme étudiant est confronté à un facteur nettement défavorable : le renouvellement rapide de ses adhérents. Sans base stable, l’essentiel de l’activité syndicale est assumée par un noyau de militants dévoués, n’hésitant pas à sacrifier une partie de leurs études. Ces quelques traits de caractère du syndicalisme étudiant se retrouvent depuis quelques années dans le syndicalisme ouvrier, lui aussi touché depuis le milieu des années 70 par la désyndicalisation. Le milieu étudiant semble donc avoir été touché très tôt par la désyndicalisation.

  3. Un syndicat ancré aux universités Lyon I et Lyon II.
  4. Sur le plan de l’implantation géographique, l’A.G.E.L-U.N.E.F. est un syndicat étudiant ancré aux universités Lyon I et Lyon II. Les comptes-rendus des collectifs d’AGE, les fichiers des adhérents et les entretiens sont les seules sources disponibles pour déterminer l’évolution de l’implantation géographique de l’A.G.E.L-U.N.E.F..

    Lyon I apparaît, durant les premières années de l’A.G.E.L-U.N.E.F., comme la principale implantation , notamment grâce à l’I.N.S.A., qui fournit les premiers présidents d’A.G.E.. La présence de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est ancienne, puisque c’est en partie dans l’amicale des sciences U.N.E.F. que se développe l’U.N.E.F- Renouveau à Lyon en décembre 1968. Elle perdure sans problèmes notables jusqu’en 1994. Durant cette période, les effectifs fluctuent fortement, mais demeurent toujours assez conséquents. Une forte implantation permet à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de multiplier ses structures de façon viable afin de rester au plus près des étudiants. En 1977, elle possède des comités dans huit filières (D.E.U.G. A1, A2, B1, B2, licence de Mathématiques, Médecine, EPS, I.N.S.A.), dans 14 en 1979-1980 (Mathématiques, Physique-Chimie, EPS, Sciences Naturelles, IUT 1, IUT 2, Kinésithérapie, Odontologie, Lyon–Nord, Pharmacie, Grange-Blanche, Sud-Ouest, Alexis-Carrel, INSA), 5 en 1988-1989 (Filières 1,2,4,5, INSA), et 9 en 1993-1994 (Filières 1,2,3,4,5,15,T1,UFRAPS,IUT). Des associations de filière atteignent des tailles importantes. En 1981, le groupe d’étude Médecine compte 250 adhérents et le groupe d’étude Sciences 210. De 1971 à 1994, la présence de l’A.G.E.L-U.N.E.F. à Lyon I demeure forte, même si l’implantation en médecine est perdue au milieu des années 80. Elle permet à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de multiplier ses structures et ainsi de renforcer son intervention grâce à une plus grande proximité avec les étudiants.

    A l’université Lyon II, l’A.G.E.L-U.N.E.F. connaît une implantation assez difficile, même si elle devient rapidement une place majeure. De 1972 à 1975, l’A.G.E.L-U.N.E.F. n’a que quatre Comités d’Action, variables dans le temps : Lettres, Histoire-Géographie, Droit et Sciences Economiques en 1972, Lettres, Droit, Sciences Economiques et Bron en 1973, et Pasteur, Bron, Histoire, Psychologie en 1975. Cette implantation restreinte s’explique par la place tenue par le campus de Bron au sein de l’Université Lyon II. En effet, l’A.G.E.L-U.N.E.F. doit s’implanter sur un nouveau campus éloigné et isolé des autres sites universitaires. Déjà confrontée à l’absence de tradition militante dans ce nouveau campus, elle doit aussi composer avec l’influence des groupes gauchistes, en particulier dans les sciences sociales. Par conséquent, si des associations de filières existent, l’implantation prend le plus souvent une forme géographique. Ainsi, en 1973, le C.A. Bron regroupe l’ensemble des adhérents du campus. La fin des années 70 est marquée par un très net renforcement de l’implantation de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Elle est alors présente dans la plupart des filières. En 1979-1980, huit comités existent : Sciences Economiques, Sciences du Langage, IEP, Sciences de l’Homme et de son Environnement, IPSE, Lettres, Psychologie, Sciences Juridiques. Après un déclin très net au milieu des années 80, sa présence se réduit au campus de Bron où elle gère une coopérative, elle se réimplante dans la plupart des filières de 1988 à 1994. En 1993-1994, l’A.G.E.L-U.N.E.F. est présente en Histoire-Géographie, Psychologie-Sociologie, Sciences du Langage, AES-Droit, Lettres-Langues et Quais. Ce renouveau a été possible grâce à un intense travail de terrain : pétitions, sos-examen, sos-inscription, mouvement étudiant contre la réforme Jospin… . Cependant, un certain déséquilibre apparaît : forte à Bron où les étudiants de premier cycle sont très réceptifs et présents, l’implantation demeure fragile sur les Quais, où sont concentrés les deuxième et troisième cycles, peu présents. Les adhérents sont alors regroupés sur une base géographique et non par filières.

    L’A.G.E.L-U.N.E.F. est donc un syndicat étudiant particulièrement présent sur Lyon I et Lyon II : présence continue dans la durée, multiplication des structures grâce à un nombre d’adhérents suffisant, véritable représentativité des différentes filières… . Toutefois, son implantation géographique se réduit au milieu des années 80 : disparition de médecine, passage de l’association IEP à l’U.N.E.F-ID à la fin des années 80, affaiblissement numérique de certaines associations réduites à quelques adhérents. Cette présence accrue sur quelques campus spécifiques peut s’expliquer par un milieu globalement plus favorable. Le milieu politique est plus porteur, puisque, jusqu’à récemment encore, Lyon II possédait l’image d’une université de gauche. De plus, avec l’affaiblissement des groupes gauchistes, l’Union des Etudiants Communistes a sans doute réussi à s’implanter davantage, procurant ainsi adhérents et militants à l’A.G.E.L-U.N.E.F.. L’attitude de l’administration, très tolérante, est aussi essentielle. En autorisant la présence des syndicats étudiants sur les chaînes d’inscription, en octroyant des locaux…, elle facilite grandement le travail des syndicats étudiants. Enfin, la présence de services et de coopératives sur ces deux universités a sans doute facilité le contact avec les étudiants.

    Dans les autres établissements d’Enseignement Supérieur de Lyon, l’implantation devient aléatoire dans le temps et dans l’espace. Il faut cependant distinguer l’université Lyon III des autres établissements, c’est à dire les écoles : grandes écoles, école d’architecture… .

    L’université Lyon III, issue de la scission de l’université Lyon II en décembre 1973, devient rapidement un terrain difficile pour l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Contrairement au campus de Bron, véritable " terre vierge ", l’A.G.E.L-U.N.E.F. possède une implantation, certes considérablement affaiblie mais toujours présente, à Lyon III. En effet, la scission entraîne dans le giron de Lyon III les facultés de droit et de philosophie principalement. Or, les adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. en droit s’inscrivent pour l’essentiel en sciences juridiques à Lyon II. Quelques adhérents demeurent, mais très peu de militants hormis en faculté de philosophie. A partir de 1975, quelques comités d’action existent en droit principalement. L’A.G.E.L-U.N.E.F. stagne par la suite et se heurte à l’U.N.I.. En décembre 1988, sa présence se réduit à nouveau à quelques adhérents sur le campus de la Doua, où Lyon III loue des locaux. Les premières élections aux conseils centraux depuis 1982 offrent à l’A.G.E.L-U.N.E.F. l’occasion de se réimplanter sur Lyon III. Les résultats, modestes, permettent un nouveau départ. Trois associations de filières existent en 1991-1992, quatre en 1993-1994. Par contre, l’ouverture du campus de la Manufacture ne permet pas un nouvel élan, puisqu’il ne compte que huit adhérents en 1993-1994. De plus, des associations s’essoufflent et connaissent des difficultés à renouveler leurs adhérents. Le renouveau de l’A.G.E.L-U.N.E.F. à Lyon III se concrétise dans l’émergence de nouveaux responsables, d’abord au niveau des associations de filières, puis au niveau de l’A.G.E. . Ainsi, Lyon III fournit deux présidents d’A.G.E. : F. Toulat (1991-1992) et E. Marguinaud (1993-1994). Pourtant, les difficultés ne manquent pas à Lyon III : hostilité de l’administration, milieu associatif et politique très défavorable. Dés la scission de 1973, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se heurte à l’administration très conservatrice de la nouvelle université. Le décret Rolland, du nom du président de l’université, inaugure une période d’affrontements en interdisant la tenue de stands dans l’enceinte de l’université, sauf autorisation du président sur demande écrite une semaine à l’avance. En 1991, contrairement aux attitudes des administrations de Lyon I et Lyon II, le président de l’université refuse la présence de l’A.G.E.L-U.N.E.F. sur les chaînes d’inscription en invoquant des prétextes de sécurité et de neutralité. Toujours en 1991, face à l’absence de réponse de la part de l’administration, le congrès national de l’U.N.E.F., qui devait se tenir initialement à l’université Lyon III se tient finalement à l’université Lyon I. Outre l’hostilité de l’administration, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se trouve en butte à un milieu associatif et politique difficile. Le milieu étudiant de Lyon III, d’une sensibilité politique plus " conservatrice " ou indifférente, est moins réceptif aux thèses de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Les adhérents sont soumis à l’hostilité des associations étudiantes comme la corpo de Lyon III et parfois aux violences d’une minorité activiste d’extrême-droite.

    Dans les autres établissements d’enseignement supérieur, les implantations ont un caractère éphémère marqué et ne survivent jamais plus de quelques années. Une chronologie sommaire de ces implantations peut être établie :

    1972 : Architecture, Sup. de commerce.

    1973 : Classes préparatoires (Augustin, Herriot, Le Parc, La Martiniére), Ecole Centrale.

    1975 : Ecole Centrale, classes préparatoires, Ecole d’Architecture.

    1977 : Classes préparatoires.

    1979-1980 : Classes préparatoires, Ecole de tourisme Tournon.

    1989-1990 : aucune.

    1991-1992 : Classes préparatoires- ENS- IUFM, IUT- BTS- Ecoles.

    1992-1993 : BTS- IUT, IUFM- ENS.

    1993-1994 : BTS-IUT, Classes préparatoires, Faculté catholique, Ecole d’infirmière, ENSI, Architecture, Cité Universitaire Puvis de Chavannes.

    Les implantations sont donc très éphémères et possèdent pour la plupart des effectifs marginaux. Le C.A. Architecture est composé, en 1972, d’une dizaine d’adhérents et se réduit à quelques personnes en 1978, date à laquelle il disparaît. L’association de filière " Classes préparatoires, ENS, IUFM " rassemble cinq adhérents en 1991-1992 et l’association " IUT, BTS, Ecoles " six adhérents. La faible implantation de l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans ces écoles tient avant tout à leur nature. En effet, elles laissent en général peu de temps libre aux élèves et sont peu intégrées à la vie étudiante et universitaire. Les milieux d’origine, les conditions de vie et d’études sont très différentes de l’Université. Par conséquent, le syndicalisme étudiant style A.G.E.L-U.N.E.F. est peu adapté à ce milieu et prend difficilement racine. Les adhésions sont rares et souvent mûrement réfléchies. L’A.G.E.L-U.N.E.F. posséde aussi une part de responsabilité : elle ne fait sans doute pas les efforts nécessaires pour s’implanter dans les autres établissements. D’ailleurs, l’attitude de la seule implantation de l’U.G.E. à Lyon, c’est à dire l’I.N.S.A., presque essentiellement tournée vers l’A.G.E.L-U.N.E.F., contribue à cette situation.

  5. Une légitimité et une représentativité tirées des urnes.

L’A.G.E.L-U.N.E.F. se veut et se définit comme un syndicat de masse, c’est à dire un syndicat regroupant tous les étudiants, quelle que soit leur appartenance politique, religieuse…, afin de créer un rapport de force à l’Université. Toutefois, elle demeure un syndicat numériquement non-représentatif du milieu étudiant lyonnais, puisqu’elle syndique entre 0,1 et 2,0 % des étudiants selon les périodes. Une prise de conscience de cette situation se fait très rapidement au sein de l’A.G.E.L-U.N.E.F..

Le congrès d’AGE de 1972 aborde cette question et redéfinit la notion de syndicat de masse. L’U.N.E.F. est un syndicat de masse, non par le nombre de ses adhérents, mais par son audience mesurée partiellement par les élections universitaires. Elle tire donc sa légitimité et sa représentativité des listes qu’elle présente aux élections universitaires. Les élections universitaires sont d’autant plus importantes pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. qu’elle considère celles-ci comme un référendum sur ses solutions pour l’Université : " Nous ne demandons pas aux étudiants de voter seulement pour l’A.G.E.L-U.N.E.F., mais de se prononcer aussi sur son programme de revendications ".

L’A.G.E.L-U.N.E.F. tente donc, en général, de présenter partout des listes. Cependant, le nombre trop restreint de ses adhérents ne lui permet pas de constituer des listes dans toutes les U.E.R.… . Pour pallier à cette situation, elle propose et présente sur ses listes des étudiants non-syndiqués. Ainsi, aux élections d’U.E.R. de décembre 1974, elle propose aux étudiants de se présenter sur ses listes avec pour seule condition l’engagement de faire aboutir la plate-forme revendicative. L’A.G.E.L-U.N.E.F. peut ainsi constituer des listes là où elle ne compte pas suffisamment de forces et s’attirer la légitimité des " non- syndiqués ".

Les résultats obtenus par l’A.G.E.L-U.N.E.F. aux différentes élections universitaires permettent de se faire une idée de l’audience de ce syndicat. Cependant, cette audience doit être relativisée par la faible participation des étudiants, par le boycott des élections par l’U.N.E.F- Unité Syndicale, et par la différence entre le geste de voter pour une liste syndicale et l’adhésion aux idées et aux actions d’un syndicat étudiant. L’audience électorale de l’A.G.E.L-U.N.E.F. varie dans le temps et selon les universités et les filières.

En effet, on peut, dans le temps, distinguer quatre périodes distinctes et possédant des caractéristiques propres.

De 1969 à 1977 environ, l’A.G.E.L-U.N.E.F. fait son apparition dans le jeu électoral et progresse fortement. Ainsi, à Lyon II, elle passe de 9,6 % des sièges en 1969, à 29,5 % en 1970, 36,4 % en 1971, 30,3 % en 1973, 38,5 % en 1975 et 33,3 % en 1977. La phase de progression est suivie d’une stabilisation des résultats électoraux. Ce schéma se retrouve avec un certain décalage dans le temps à l’université Lyon I. La forte progression en nombre de sièges de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est essentiellement due à une implantation toujours plus poussée sur le terrain. La création de nouvelles associations de filière permet progressivement la création de listes dans l’ensemble des U.E.R.. A Lyon I, le processus est plus lent qu’à Lyon II, mais la corrélation entre les deux est évidente : l’A.G.E.L-U.N.E.F. présente en 1969 5 listes, en 1972 5 listes dans les 18 U.E.R, en 1973 5 listes, en 1974 9 listes sur 18, en 1975 9 listes sur 18 et en 1976 11 listes sur 18. Cependant, les élections dans une U.E.R. ayant lieu par collège (l’équivalent le plus souvent d’une année d’étude ou d’un cycle), l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne dispose pas encore des capacités, des ressources humaines nécessaires pour présenter des listes dans tous les collèges d’une U.E.R.. L’impact des multiples mouvements étudiants qui jalonnent cette période semble variable, aléatoire. La progression de l’audience de l’A.G.E.L-U.N.E.F. lors des élections d’U.E.R. de Lyon I en décembre 1976 est davantage la conséquence de la multiplication des listes, que de l’impact du mouvement étudiant contre la réforme du second cycle en mars-avril 1976. A l’inverse, à Lyon II, le mouvement étudiant de 1976 permet à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de capitaliser le soutien des étudiants, puisqu’aux élections d’U.E.R. de décembre 1976, elle obtient 55,5 % des sièges contre 38,5 % l’année précédente. Or, le nombre des ses listes passe seulement de 5 à 7 sur les 10 U.E.R. que compte l’université. Le mouvement, particulièrement fort à Lyon II, a permis à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de recueillir un capital de sympathie qui, au moment des élections d’U.E.R., s’est transformé en suffrages favorables.

De 1978 à 1984, les divers résultats des élections d’U.E.R. permettent à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de revendiquer une véritable représentativité des étudiants. Elle détient parfois la majorité des sièges dans les universités Lyon I et Lyon II. A Lyon II, elle obtient 60,0 % des 25 sièges pourvus en décembre 1979 et à Lyon I 55,4 % des 121 sièges pourvus en décembre 1982. Elle réussit aussi à obtenir de bons résultats à Lyon III, université pourtant longtemps réputée pour son conservatisme. Ainsi, elle remporte 25,4 % des sièges aux élections d’U.E.R. de février 1982 et devient ainsi la première association étudiante de Lyon III. En février 1984, l’A.G.E.L-U.N.E.F. dispose, sur les seuls campus universitaires de Lyon I et de Lyon II de 93 élus dans les conseils d’U.E.R… . Divers facteurs expliquent la prépondérance de l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans le paysage étudiant lyonnais. Tout d’abord, la forte progression de ses effectifs à partir de 1979 lui permet de présenter des listes dans la plupart des U.E.R.. A Lyon II, l’A.G.E.L-U.N.E.F. peut présenter 9 listes dans les 10 U.E.R en 1979 et 1982. A Lyon I, elle présente 11 listes en janvier 1984 contre 7 en décembre 1978. Ensuite, la création du CERCOOPE durant l’été 1979 est un atout indéniable pour l’A.G.E.L-U.N.E.F.. En effet, les étudiants vont plus facilement voter pour l’association dont ils fréquentent le local et profitent des divers services, créant ainsi une " sorte de clientélisme ". Par contre, l’absence de mouvement étudiant d’ampleur ne semble pas pénaliser l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Au contraire, le mouvement étudiant de 1983 auquel elle s’oppose lui est sans doute défavorable, en particulier à Lyon III. Elle subit, à partir des élections d’U.E.R. de janvier 1982, la concurrence de l’U.G.E.L-U.N.E.F-ID. En effet, prenant prétexte d’une promesse du ministère de l’Education Nationale d’abroger la loi Faure, l’U.N.E.F-ID rompt avec la politique de boycott inaugurée en 1971 et présente des listes pour " l’abrogation de la loi Faure  ". Dés janvier 1982, l’U.N.E.F-ID devient une rivale sérieuse : elle obtient 25 sièges à Lyon II, contre 37 à l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Jusqu’en 1982, l’A.G.E.L-U.N.E.F. n’a pas de véritable concurrence dans les élections universitaires de la part des organisations étudiantes de gauche. A partir de cette date, elle est confrontée à un syndicat étudiant de gauche dont l’audience n’est pas négligeable.

De 1986 à 1994, une nouvelle période débute pour l’A.G.E.L-U.N.E.F.. En effet, à la disparition des ses adhérents s’ajoute l’érosion lente de son audience auprès des étudiants. Les élections d’U.E.R. de Lyon II en décembre 1990 marquent le creux de la vague : avec 8 élus et 11, 80 % des suffrages exprimés, l’A.G.E.L-U.N.E.F. obtient moins d’élus que l’U.N.E.F-ID. Le déclin est plus long à Lyon I, en partie grâce à une présence accrue sur le terrain. L’année 1992 apparaît comme l’année noire pour le syndicat lyonnais, puisqu’il n’obtient aucun élu à Lyon III, 2 à Lyon I et 10 à Lyon II. Toutefois, un léger sursaut se fait déjà sentir à Lyon II et se confirme en 1993, puisque l’A.G.E.L-U.N.E.F. retrouve des élus dans les trois universités de Lyon. Cette érosion s’explique certes par l’effondrement du nombre des adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. : elle ne dispose désormais plus des capacités nécessaires pour déposer dans la plupart des filières des listes. Ainsi, lors des élections d’U.F.R. de Lyon II en décembre 1992, elle ne peut présenter des listes que dans trois U.E.R : Lettres, Sciences du Langage et Arts ; Langues ;et Histoire-Géographie. Pourtant, cette explication ne suffit pas. En décembre 1990, lors des élections d’U.F.R. de Lyon II, elle n’obtient que 16,6 % des sièges, alors qu’elle présentait des listes dans 8 U.F.R sur 10. Désormais, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se heurte, non seulement à l’U.N.E.F-ID, mais aussi à des associations étudiantes corporatives solidement implantées dans les U.F.R. et souhaitant jouer pleinement leur rôle dans les conseils. Elles sont nombreuses, bien structurées et très dynamiques : SOCIOFIL, Petits DAL’osent, ELYPSY à Lyon II, l’AEBL, Turbulences… à Lyon I. A cela s’ajoute naturellement de multiples facteurs très difficiles à cerner : rejet du politique, place prépondérante de l’U.N.E.F-ID dans la lutte contre le projet Devaquet, déclin du CERCOOPE… .

Les résultats des élections universitaires offrent à l’A.G.E.L-U.N.E.F. une véritable représentativité, qu’elle n’est pas capable d’obtenir par le nombre de ses adhérents. Son audience est véritablement forte entre 1979 et 1984, puisqu’elle obtient régulièrement plus de 30 % des siéges aux élections universitaires. Cependant, les élections confirment en général l’implantation du syndicat et ne lui permettent pas d’élargir véritablement son audience là où elle éprouve des difficultés. Les urnes permettent donc à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de se prévaloir d’une certaine légitimité et représentativité du monde étudiant.

 


II. Une présence au quotidien.

1. Informer les étudiants..

Le syndicalisme étudiant se traduit concrètement par une activité, une présence au quotidien, et ce contrairement au syndicalisme ouvrier. Cette présence au quotidien a pour trame de multiples tâches informelles.

La présence au quotidien de l’A.G.E.L-U.N.E.F. consiste tout d’abord dans l’information des étudiants. Véritable organe d’information pour les étudiants, l’A.G.E.L-U.N.E.F. dispose pour cela de différents moyens.

L’information écrite tient une place essentielle. En effet, l’A.G.E.L-U.N.E.F. publie tout au long de l’année universitaire une abondante littérature à destination des étudiants. Les tracts occupent une place privilégiée au sein de cette production. Publiés en toutes occasions, ils sont peu coûteux (surtout avec le développement des services) et diffusables en grande quantité. Ils abordent des thèmes très divers : organisation de boums, réformes universitaires, situation universitaire, informations pratiques… . Ainsi, pour les chaînes d’inscription de 1991, trois tracts destinés aux trois universités sont publiés et abordent les problèmes financiers et matériels des universités, la présence de l’A.G.E.L-U.N.E.F. au sein des conseils universitaires, le problème des inscriptions et le dispositif SOS- Inscriptions. Ils juxtaposent à la fois une analyse de la situation universitaire locale et nationale. C’est en particulier le cas lors des mouvements étudiants de forte amplitude.

Hormis les tracts, l’A.G.E.L-U.N.E.F. édite chaque année un guide destiné aux étudiants. Il paraît dés 1972-1973 grâce à un ancien adhérent de l’A.G.E.L-U.N.E.F. travaillant dans une entreprise spécialisée dans la publicité. L’A.G.E.L-U.N.E.F. s’inscrit ainsi dans la continuité de l’A.G.E.L., qui éditait en commun avec la M.N.E.F. un guide. (Guide paraissant toujours en 1972-1973). Distribué gratuitement à 15 000 exemplaires, il est entièrement couvert par les recettes tirées de la publicité. Il est publié régulièrement jusqu’à la fin des années 70, la formule du guide gratuit étant alors abandonnée au profit d’un guide- agenda payant. Au début des années 90, un guide, d’un volume plus réduit, est à nouveau édité à 40 000 exemplaires. Globalement, le contenu du guide évolue peu, en dépit d’une réactualisation des informations. Il contient diverses informations pratiques pour l’étudiant (adresses des universités et écoles, études, plan de Lyon et adresses pratiques, les œuvres universitaires, les bourses, les transports, le service militaire, les loisirs) et des renseignements et informations strictement syndicales. Le guide est un support intéressant pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. : permettant de mêler informations pratiques et syndicales, il possède une durée de vie plus longue, puisque les étudiants sont susceptibles de le conserver toute l’année.

Enfin, l’A.G.E.L-U.N.E.F. publie une littérature assez abondante en direction des étudiants. De multiples bulletins d’information sont édités par les associations de filière. Une vingtaine de revues environ est répertoriée pour une période couvrant de 1970-1971 à 1986. Cependant, elles sont très irrégulières dans le temps. Une concentration apparaît sur une brève période : 15 revues sur 19 paraissent dans les années 70, dont 9 entre 1975 et 1980. Sans doute faut- il alors inscrire ce foisonnement de publications sur une si brève période dans un cadre plus large que le monde universitaire ?. En tout cas ce phénomène décroît rapidement d’intensité, puisque seuls trois bulletins voient le jour entre 1980 et 1985, un en 1986, et aucun par la suite. Les bulletins sont marqués par une périodicité brève et aléatoire. Il n’existe pas de dates de sortie régulières et les revues ne perdurent en général que quelques numéros. Hormis l’Insalien (1973-1977), la Santé en bataille (1974-1975) et l’Eveil (1978-1980), les divers autres bulletins ne soufflent pas leur première bougie… . Ainsi, UNEF- Santé mensuel, bulletin du comité U.N.E.F- Médecine fondé à l’occasion des élections universitaires ne paraît qu’une seule fois, en dépit d’une parution régulière envisagée. Le renouvellement rapide des adhérents, les périodes d’intense activité syndicale rendent la parution difficile et très aléatoire. Hormis cette irrégularité dans le temps, une seconde constatation s’impose : les publications sont presque essentiellement l’œuvre des associations de filière de Lyon I et de l’école d’architecture. En effet, sur 19 bulletins, cinq ont été publiés par les Sciences, un par l’I.N.S.A., trois par l’Architecture, deux par Médecine, deux par Médecine Sud- Ouest, un par les classes préparatoires, un par le Droit et quatre par l’A.G.E.. Aucune revue présente dans les archives n’a été publiée par des associations de filière de Lyon II. Le cas de l’école d’Architecture est un peu particulier. En effet, un bulletin d’information est rapidement crée lorsque le C.A. U.N.E.F- Architecture prend position en faveur du renouveau en 1970. A ce préalable s’ajoute un esprit de corps particulier aux écoles, mais aussi un éloignement vis à vis des principaux centres universitaires, puisque l’école se situe à Vaux en Velin. Ce contexte favorise la création et l’existence d’un bulletin d’information. En médecine, la concurrence avec des corpos solidement implantées peut expliquer l’existence de publications. Outre ces raisons particulières, la création d’un bulletin par des adhérents dénote avant tout de l’envie d’informer, de débattre et d’expliquer. Ainsi, le comité de rédaction du journal des comités U.N.E.F. D.E.U.G. A1- A2 Histoire d’A, AGEL- UNEF, qui paraît en 1976, assigne quatre objectifs à son journal : permettre l’expression des étudiants, informer les étudiants de première année sur la deuxième année, informer les étudiants de D.E.U.G. A et intégrer les étudiants de première année à la vie de la faculté. Le tirage et la diffusion de ces bulletins demeurent souvent modestes. Hormis trois publications de l’A.G.E. destinées exclusivement aux adhérents et à quelques exceptions, les revues ont pour objectif une diffusion large au sein des étudiants de la filière. En s’adressant à un public restreint, les tirages sont forcément réduits : Bachons Ensemble tire à 250 exemplaires, Histoire d’A à 1000 exemplaires, l’Eveil à 1000 exemplaires et le Diplo à 500 exemplaires. Les faibles tirages sont aussi limités par la charge financière qu’ils représentent. Ainsi, Bachons Ensemble, tiré à 250 exemplaires, coûte 450 francs au début des années 80. La diffusion gratuite étant trop lourde financièrement, le numéro est vendu 2 francs, ce qui limite encore la diffusion et le tirage… . Une exception est à noter : Impact Etudiant. En effet, l’A.G.E.L-U.N.E.F. tente de lancer au début de l’année 1986 un mensuel gratuit en collaboration avec le CERCOOPE. Tiré à 15 000 exemplaires, ce mensuel rappelle l’époque de la " grande U.N.E.F. " où l’A.G.E.L. disposait de son propre journal, Lyon- Université. De réels efforts sont réalisés : la présentation type Ronéos ou Gestetner laisse la place à la couleur, au papier glacé, aux photos… . Epais d’une trentaine de pages, il se veut avant tout ludique et instructif. Les articles d’information syndicale sont abandonnés au profit, surtout, d’articles culturels. Hormis l’éditorial du président de l’A.G.E.L-U.N.E.F., les articles portent sur le cinéma, la poésie, la politique, des enquêtes, des interviews, des ouvrages, des problèmes de société comme la drogue, des adresses utiles, des adresses pour sortir, des petites annonces, des jeux… . Cependant, cette tentative s’achève assez rapidement, puisque la parution cesse dés le deuxième numéro.

Outre l’écrit, l’oral occupe une place essentielle dans l’information des étudiants. Elle se fait principalement par les interventions des adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. pendant les cours. Cette pratique est plus ou moins tolérée par les professeurs et les administrations des universités lyonnaises. Les prises de parole ont lieu durant toute l’année universitaire pour faire le compte- rendu de réunions, faire signer des pétitions… . Elles ont pour but d’informer les étudiants, mais aussi d’entraîner une réaction, une émotion immédiate. De la qualité de l’intervention va dépendre la signature d’une pétition par tout un amphithéâtre. Cependant, elle n’est pas accessible à tous les adhérents ou militants, car elle laisse l’orateur seul face à des dizaines d’étudiants. De taille plus réduite , la discussion en petits groupes concoure également à la circulation de l’information. Les locaux syndicaux, surtout quand ils bénéficient de l’attraction exercée par les services, sont le lieu idéal : " On faisait passer beaucoup d’informations par les locaux du CERCOOPE. C’était véritablement un lieu où on avait la chance de toucher les étudiants .

2. Connaître les revendications des étudiants.

Une autre activité quotidienne de l’A.G.E.L-U.N.E.F. consiste à connaître les revendications des étudiants. En effet, elle n’est pas, en dépit de ses prétentions, un syndicat de masse, représentatif des étudiants. Au contraire, son implantation est souvent incomplète ou très faible dans certaines filières. De plus, elle démontre ainsi sa proximité, son écoute des étudiants et de leurs problèmes.

Les cahiers de revendication sont alors abondamment mis à contribution. Constitués de feuilles blanches, ils permettent aux étudiants de s’exprimer librement sans poser au préalable les propositions de l’U.N.E.F. ou son analyse de la situation universitaire. On peut distinguer des périodes d’utilisation différentes, répondant à des préoccupations et à des objectifs particuliers.

De 1973 environ au milieu des années 80, l’emploi des cahiers de revendication n’est pas au centre des préoccupations de l’U.N.E.F.. Les premiers cahiers de revendication apparaissent vers 1973. Ils sont alors dans une stratégie, une orientation plus large de développer l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans les T.D. et les amphithéâtres. Le but est de décentraliser les structures de l’U.N.E.F. au maximum, afin d’être au plus prés des étudiants. Les étudiants doivent prendre en charge la rédaction de leurs revendications et les moyens de les satisfaire : " On avait commencé à poser la question des cahiers de revendication et à travailler T.D. par T.D. C’était notre grosse obsession : il faut travailler T.D. par T.D., aller au plus prés des étudiants pour qu’ils prennent en charge eux- mêmes la rédaction de leurs revendications et les moyens de les satisfaire. C’était le début et c’était dur, car il fallait du monde partout ". Les cahiers de revendication ont donc pour objectif, plus que de connaître les problèmes des étudiants, de responsabiliser les étudiants. Il faut éveiller, faire prendre conscience aux étudiants de leur condition. L’aspect connaissance des revendications est d’autant moins important que l’A.G.E.L-U.N.E.F. développe parallèlement son propre projet pour l’Université : projet d’allocation d’étude, œuvres universitaires et sociales… .

Du milieu des années 80 à environ 1990, l’A.G.E.L-U.N.E.F. développe un discours plus général, plus politique : " Quand j’ai pris la présidence, on avait un discours beaucoup plus général, beaucoup plus théorique, national. […] Avec la préparation du congrès de Toulouse, une modification stratégique s’opère […]. C’était l’idée qu’il fallait un syndicat beaucoup plus utile aux étudiants et qu’il fallait partir non pas de problèmes globaux, nationaux, généraux, mais que s’il on voulait intéresser les étudiants, faire en sorte qu’ils se syndiquent, au moins qu’ils se mobilisent, il fallait partir de problèmes très concrets ". Dans ce contexte, la connaissance des revendications des étudiants importe peu : il faut convaincre de la justesse des propositions et du projet de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. L’A.G.E.L-U.N.E.F. porte alors un projet pour l’Enseignement Supérieur et ne laisse aux étudiants que la capacité de la soutenir. Un changement se produit avec le congrès de Toulouse en 1990. L’U.N.E.F. est alors redéfinit comme un " outil pour rassembler les étudiants sans autre préalable que la défense de leurs droits. Elle abandonne son projet pour l’Enseignement Supérieur, se rapproche des étudiants et tente de connaître précisément leurs revendications.

De 1990 à 1994, l’orientation décidée au congrès de Toulouse est mise en application. Si des tiraillements, des réticences se font sentir au niveau national et dans certaines A.G.E., l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne semble pas connaître ces difficultés, en particulier grâce à des discussions approfondies entre les adhérents. Dans le cadre de l’orientation définie au congrès de Toulouse, les cahiers de revendication sont abondamment utilisés, en particulier par le Bureau National. Ils deviennent pratiquement la base, le pilier de l’activité de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. La lutte contre l’augmentation des droits d’inscription dans les DCEF à Lyon III est à ce sujet éloquente. A la rentrée 1990-1991, l’A.G.E.L-U.N.E.F. fait circuler des cahiers de revendication dans les amphithéâtres de DCEF. De nombreux problèmes sont alors pointés du doigt : l’augmentation des droits d’inscription aux cours et aux examens, l’organisation des inscriptions, l’insuffisance en personnel administratif… . Une synthèse des cahiers de revendication est alors effectuée et un mouvement s’engage sur la base de la plate- forme revendicative ainsi créée. Les luttes, grâce aux cahiers de revendications, partent désormais de la situation concrète dans laquelle sont les étudiants. Mais une opposition interne commence en 1992 à critiquer l’orientation du congrès de Toulouse. Elle s’élève avant tout contre l’absence de projet global pour l’Université et de ligne directrice claire.

L’A.G.E.L-U.N.E.F. évolue donc dans son attitude vis à vis du monde étudiant. Dans un premier temps, elle est dépositaire d’un projet pour l’Enseignement Supérieur et tente de convaincre les étudiants de la justesse de ses propositions. Avec le congrès de Toulouse en 1990, elle abandonne toute référence à un projet et essaie de coller au mouvement étudiant grâce à sa connaissance des revendications du monde étudiant.

3. Aider les étudiants.

Aider les étudiants au quotidien fait partie de l’essence même de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Les statuts précisent d’ailleurs : " Pour atteindre ce but, elle met en œuvre des moyens d’action susceptibles de faire parvenir les étudiants à la satisfaction de leurs revendications. Elle prend toutes les initiatives pour répondre aux besoins matériels et culturels immédiats des étudiants ".

Concrètement, l’action de l’A.G.E.L-U.N.E.F. se traduit le plus souvent par l’intervention d’élus ou d’adhérents. Elle se fait surtout auprès de l’administration des universités lyonnaises avec lesquelles, excepté Lyon III, elle établit des liens. Ainsi, au début des années 70, l’ouverture du campus de Bron s’accompagne de nombreux problèmes matériels. Afin de les régler , l’A.G.E.L-U.N.E.F. organise avec les étudiants des délégations auprès de l’administration. Plus fréquentes, les interventions des élus auprès de l’administration pour des problèmes d’examens ou d’inscriptions nécessitent un certain sens de la diplomatie. En mai 1976, un courrier de l’A.G.E.L-U.N.E.F. adressé aux élus détaille précisément la marche à suivre pour les litiges liés aux examens. La solution demeure toujours la même : rédaction d’une pétition ou d’une motion et organisation d’une délégation au président du jury ou au directeur de l’U.E.R..

L’A.G.E.L-U.N.E.F. peut aussi mettre son poids, son influence au service d’un étudiant. En avril 1979, elle soutient pleinement la plainte d’un étudiant tunisien contre les mesures prises par le préfet dans le cadre de la circulaire Bonnet. En septembre 1972, à la suite de l’exclusion d’un étudiant de l’école vétérinaire, le comité U.N.E.F-U.G.E. de l’école et l’A.G.E.L-U.N.E.F. lancent une pétition pour sa réintégration, tandis que le ministre de l’Agriculture est interpellé à l’Assemblée Nationale par Mr G. Gosnat (Député du groupe communiste) à la demande de l’A.G.E.L-U.N.E.F..

Enfin, l’A.G.E.L-U.N.E.F. renseigne de nombreux étudiants dans ses locaux (bourses…) ou lors des chaînes d’inscription. En 1991, elle distribue à cet effet des tracts d’information sur les inscriptions… .

L’aide apportée par l’A.G.E.L-U.N.E.F. aux étudiants découle principalement de sa place, situation intermédiaire entre les étudiants et l’administration ou les professeurs. En effet, les élus et les militants sont souvent connus de l’administration, surtout à Lyon I et à Lyon II, ce qui facilite les contacts. L’aide au quotidien est donc souvent une aide au cas par cas et prend très rarement de l’ampleur. Le recours au rapport de force n’a lieu qu’en ultime recours, au cas où la négociation échoue. L’aide au quotidien privilégie donc la négociation et les réseaux de connaissance. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas de clientélisme : l’adhésion, au grand dam des responsables, n’est qu’exceptionnellement proposée : " C’était plus en terme d’influence que de cartes. Des problèmes de stratégie existaient à l’époque, puisque les cartes étaient faites sur les chaînes et non avec les gens que l’on avait aidé ".

4. Animer le campus.

Un constat, un bilan souvent sévère est porté par l’A.G.E.L-U.N.E.F. sur la situation culturelle dans les campus universitaires et, en particulier, sur ceux de Lyon II Bron et de Lyon III. A ce constat s’ajoute la revendication de l’A.G.E.L-U.N.E.F. du droit des étudiants à accéder à la culture. Lors des élections d’U.E.R. de médecine Lyon- Nord, collège PCEM 2 en 1975, l’A.G.E.L-U.N.E.F. intègre dans ses propositions la création d’une " animation culturelle et sportive ". Dans le guide de 1972- 1973, elle affirme le droit des étudiants à accéder à " toute " la culture grâce surtout à la mise en place de l’Allocation d’Etudes.

En fait, les revendications culturelles sont rarement mises en lumière et ne semblent pas une priorité. Toutefois, l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne délaisse pas l’activité culturelle : " Par exemple, c’était la grande époque du développement du TNP à Lyon, et sur l’I.N.S.A. […], on a organisé maintes représentations théâtrales spontanées […]. On faisait parti de la fédération des clubs, on passait pas mal de films ". Outre les activités théâtrales de l’I.N.S.A., l’A.G.E.L-U.N.E.F. organise aussi des boums, gère un ciné-club à la Doua, organise des conférences sur le contenu des cours… . Ainsi, le C.A. U.N.E.F. Droit-Sciences Economiques organise, peut- être en novembre 1972, les Assises nationales de Droit/Sciences Economiques et en mars 1978 une conférence avec le professeur Miaille de l’université Montpellier I sur " le droit tel qu’on nous l’enseigne ". Mais surtout, la grande animation culturelle est la préparation du gala de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Organisé par l’A.G.E.L-U.N.E.F. à la Bourse de Travail, il a lieu de une à trois fois par an et produit des artistes renommés : " On avait une activité culturelle phare de l’année : le gala de l’A.G.E.L. à la Bourse du Travail. On a fait venir des vedettes : Nougaro, les Frères Jacques, Paco Ibanez, Guy Bedos […], Théodorakis ". D’autres artistes se sont aussi produits : Cuarteto Cedron, Bread and Pupet… . Très lourds à organiser , ils ne sont pas ouverts aux seuls étudiants et rassemblent plusieurs milliers de spectateurs. Cependant, ils déclinent au milieu des années 70 et disparaissent peut- être en 1977.

L’A.G.E.L-U.N.E.F. possède donc, avant le congrès national de 1980, une activité culturelle importante. Elle s’inscrit certes dans une volonté de prise en compte de tous les aspects de la vie étudiante, mais elle est surtout , et peut- être avant tout, considérée comme une source de revenus financiers. De nombreux anciens responsables incluent les activités culturelles dans les ressources financières du syndicat. Certaines activités se révèlent d’ailleurs très rentables. Ainsi, la projection d’un film des Pink Floyd à l’I.N.S.A. rapporte plusieurs centaines de francs… en 1974 ou 1975.

Le congrès national d’avril 1980 adopte une orientation claire en matière culturelle. Elle s’intègre plus largement dans la nouvelle orientation de Solidarité Etudiante. Cette nouvelle orientation veut rompre avec l’isolement et l’individualisme à l’Université. Elle souhaite donc mettre en place une animation culturelle et associative et ainsi se charger pleinement de tous les aspects de la vie étudiante. Outre la tenue régulière de boums et de soirées diverses, l’A.G.E.L-U.N.E.F. prépare des sorties entre étudiants comme en Histoire- Géographie à Lyon II et organise une " rencontre Rhône- Poulenc " avec la C.G.T. sur les débouchés offerts par les formations de Sciences à Lyon I. Mais surtout, trois animations lancées par l’A.G.E.L-U.N.E.F. méritent une attention particulière :

· Lors de la rentrée universitaire 1984-1985, une animation a lieu à l’Université Lyon II avec le podium de Radio- France et la distribution du guide de l’A.G.E.L-U.N.E.F..

· En mars 1985, une semaine internationale se tient à Lyon I et à Lyon II. Une riche programmation s’étale sur une semaine. Lyon II accueille l’Amérique Latine et la Turquie et les étudiants peuvent assister à des débats, des concerts, des films, des expositions, des colloques. Ils ont aussi la possibilité de visiter des stands d’O.N.G. et d’ambassades, et de goûter à des spécialités culinaires. Un gala clôture la semaine internationale avec les Quilapayun. A Lyon I, des animations identiques ont lieu sur l’apartheid et la Palestine. Cette réalisation obtient d’ailleurs le label " Année Internationale de la Jeunesse " parrainé par le Ministère des Sports et de la Jeunesse.

· Enfin, sans doute influencée par le boum des radios libres, l’A.G.E.L-U.N.E.F. monte en 1981-1982 un projet de radio : " Radio- Campus Lyon ". Des boums sont organisées afin de collecter les fonds nécessaires, tandis que des devis pour le matériel et des grilles de programmation sont établis. L’objectif est de créer une radio des usagers des universités lyonnaises. Les thèmes des diverses émissions reflètent cette ambition : les buts de l’Université, le C.R.O.U.S., la culture, les voyages, les étudiants salariés, le sport à l’Université, les grandes écoles, les spectacles, les étudiants en résidence universitaire, les étudiants étrangers. Cependant , peut- être pour des raisons d’ordre financier, le projet échoue à la fin de l’année 1982.

Hormis au début des années 80, l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne fait pas de l’animation culturelle des campus une priorité. Elle est alors secondaire, la priorité étant accordée à l’activité purement syndicale. Une nette évolution a lieu au début des années 80 et l’A.G.E.L-U.N.E.F. intervient avec davantage de force et d’originalité dans le domaine culturel. Elle dispose alors des moyens humains et financiers nécessaires et ne se trouve pas confrontée à des mouvements étudiants. Le dynamisme de l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans le domaine culturel, déjà important dans les années 70, peut s’inscrire véritablement et sans entraves dans la nouvelle orientation nationale.

Toutefois, les années 1986-1987 marquent un tournant. Son affaiblissement numérique ne lui permet plus d’occuper tous les domaines de la vie étudiante et son champ d’intervention se réduit faute de militants, de moyens financiers et sans doute aussi de conviction.

5. Renforcer le syndicat.

La rotation rapide des adhérents contraint l’A.G.E.L-U.N.E.F. a un effort quotidien de renouvellement. Renforcer le syndicat est, dans ces conditions, une nécessité, une préoccupation constante.

Contrairement à certaines professions, il n’existe pas dans le monde étudiant de réflexe naturel à la syndicalisation. Par conséquent, les adhésions ne se font pas dans n’importe quelles circonstances et lieux.

Elles se font principalement sur les chaînes d’inscription où l’A.G.E.L-U.N.E.F. est présente. La présence de l’A.G.E.L-U.N.E.F. sur les chaînes d’inscription est tardive, puisqu’elle semble débuter au milieu des années 70. Les sources, les archives, particulièrement faibles et incomplètes en ce qui concerne les fichiers des adhérents, permettent difficilement d’évaluer la proportion des adhésions réalisées sur les chaînes d’inscription. Pour les dernières années de l’A.G.E.L-U.N.E.F., les chiffres sont disponibles et révélateurs. En 1991-1992, 54,4 % des adhésions se font sur les chaînes d’inscription, 38,5 % en 1992-1993 et 31,5 % en 1993-1994. Pour les années antérieures, l’importance des adhésions réalisées sur les chaînes d’inscription est corroborée par les anciens responsables : " L’adhésion se fait à la rentrée. Il ne faut pas oublier le rôle de la tenue des chaînes d’inscriptions, essentiel. L’adhésion se fait sur la tenue de la chaîne ". La chaîne d’inscription offre un espace de discussion pour les militants syndicaux et les nouveaux étudiants. Les adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. tentent alors de convaincre les nouveaux étudiants de la nécessité d’un syndicat étudiant, des conceptions et propositions de l’U.N.E.F. et proposent ensuite l’adhésion.

Outre les chaînes d’inscription , les initiatives tiennent une place importante, permettent de réaliser des adhésions. Les initiatives sont toutes les actions lancées par l’A.G.E.L-U.N.E.F. hors des grands mouvements étudiants nationaux : pétitions sur divers thèmes comme le demi-tarif sur les transports en commun…, campagne pour les élections universitaires, cahiers de revendication, mouvements étudiants à enjeux locaux et restreints… . Les adhésions se font alors par la discussion, mais aussi par une mise en pratique : lors d’une initiative, quelques étudiants vont s’impliquer en prenant des responsabilités, en participant activement, puis ils vont graviter autour de l’A.G.E.L-U.N.E.F. et vont finir par adhérer. En 1991-1992, 29,4 % des adhésions se font lors des initiatives, 36,5 % en 1992-1993 et 55,4 % en 1993-1994. En 1993-1994, 28 adhésions sont réalisées à l’occasion de la campagne des élections au C.A du C.R.O.U.S., soit quasiment autant que sur les chaînes d’inscription.

Toutefois, les chaînes d’inscription et les initiatives ne sont pas tenues dans la perspective première de renforcer le syndicat. D’autres aspects priment alors nettement. Des " campagnes de renforcement " sont par contre organisées par le bureau d’A.G.E. ou le bureau national. Limitées dans le temps, des moyens et des objectifs particuliers lui sont assignés. Le bureau d’A.G.E. peut impulser une campagne de renforcement . C’est alors le responsable à l’organisation qui se charge de sa préparation et de sa mise en œuvre. Ainsi, le collectif d’A.G.E. du 14.03.1979 décide d’une campagne d’adhésion avec pour moyen un questionnaire. Le bureau national peut aussi exercer une pression sur l’A.G.E.. En mai 1992, l’A.G.E.L-U.N.E.F. reçoit pour objectif de réaliser 100 nouvelles adhésions du 15 mai 1992 à la fin du mois de juin. L’U.N.E.F. espère alors toucher les dividendes de sa forte présence contre la réforme Jospin et atteindre les 10 000 adhérents. Le réel impact d’une campagne d’adhésion apparaît faible. Certes, quelques adhésions sont réalisées, mais les objectifs, souvent fantaisistes (doublement du nombre des adhérents…) ne sont jamais remplis. En janvier 1992, l’AGEL- UNEF compte environ 130 adhérents, quand le congrès national de 1992 fixait un objectif de 400 adhérents !.

Enfin, les réunions de l’UEC, les fêtes du PCF, de la JOC et de l’UD- CGT sont l’occasion pour l’AGEL- UNEF de prendre contact avec des étudiants engagés ou sympathisants, et de les faire adhérer. Elle participe, pas forcément toutes les années, mais assez régulièrement, à la fête de la Voix du Lyonnais, de la JOC… . Elle tient à cette occasion un stand où elle présente son action, ses idées, prépare des expositions… .L’adhésion est alors facilitée par la proximité idéologique des visiteurs. En 1991-1992, 3 % des adhésions seulement se font dans ces circonstances, mais 17,3 % des nouvelles adhésions en 1992-1993 et 10,9 % en 1993-1994.

L’activité de renforcement du syndicat se fait donc quotidiennement, tant elle est vitale pour le syndicalisme étudiant. Quantitativement, les adhésions ont surtout lieu sur les chaînes d’inscription et lors des initiatives. Ce sont des moments privilégiés permettant la discussion entre les adhérents et les étudiants. Cependant, outre une certaine réticence des adhérents à proposer systématiquement l’adhésion, l’aspect qualitatif des adhésions apporte un autre point de vue : les militants ont principalement adhérés sur un vécu (expérience d’un mouvement étudiant) ou par l’intermédiaire d’un fonds militant et politique (proximité des idées politiques…).

 


UNE POLITIQUE CONSTANTE VISANT A PLACER L’A.G.E.L-U.N.E.F. AU CŒUR DE LA VIE ETUDIANTE

 

Chapitre 1 :La reconstruction d’une économie sociale étudiante.

L’économie sociale constitue un secteur particulier, souvent méconnu, mais qui est un complément essentiel de l’activité revendicative de nombreuses organisations syndicales. Le syndicat le plus impliqué dans l’économie sociale était la F.E.N. (avant la scission de la F.S.U.) avec la CAMIF, la MAIF… . Les acteurs de l’économie sociale sont des associations, des mutuelles, qui ont la particularité de ne pas avoir de buts lucratifs. Elle ne font pas des bénéfices, mais des excédents de gestion. Ainsi, dans le domaine des mutuelles, les excédents appartiennent aux sociétaires, c’est à dire aux adhérents. Les adhérents désignent, directement ou indirectement, des délégués au conseil d’administration, selon un principe sacré de l’économie sociale : un adhérent, une voix.

L’U.N.E.F., bien avant son lent déclin au cours des années 60, fait de l’économie sociale étudiante son principal champ d’intervention. Face aux difficultés croissantes rencontrées par les étudiants dans l’entre-deux-guerres, elle crée de multiples associations qui évoluent rapidement en sociétés d’entraide : centres de médecine préventive et O.T.U. (Office du Tourisme universitaire) en 1934, Centre National des œuvres en 1936, O.S.S.U. (Office du Sport Scolaire et Universitaire) en 1938, M.N.E.F. (Mutuelle Nationale des Etudiants de France) en 1948… . Les A.G.E. multiplient les initiatives au niveau local et envahissent le champ de l’économie sociale étudiante : à Grenoble, l’A.G.E.G. gère, à la fin des années 50, un restaurant universitaire, une coopérative, une bibliothèque, un bar, un service de polycopies. Elle conserve la gestion du restaurant universitaire jusqu’en 1970. De plus, elle crée et anime des associations culturelles et sportives à travers le CIF (Club Inter-Facultés), un radio-club, son journal Grenoble-Université, le GUC 5Grenoble Université Club)… .

A Lyon, les services rescapés de l’A.G.E.L. en 1968-1970 sont rares : les locaux de l’A.G.E, situés au 20, rue F. Garçin, abritent encore un bar et une imprimerie, mais le restaurant de l’A.G.E.L., situé dans le même bâtiment, est désormais géré par le C.R.O.U.S..

 


I. Une tâche secondaire à l’activité revendicative. 1971-1979.

  1. Des services aux étudiants limités et disparates. 1971-1976.
  2. La situation, au sortir du renouveau, n’est pas favorable à l’A.G.E.L.-U.N.E.F.. En effet, constituée en organisation indépendante de l’A.G.E.L.. dés le début de l’année 1969, elle fait l’impasse sur le passé et sur les quelques services encore en activité. Quelques rares amicales encore en activité disposent de services. Ainsi, l’Amicale des Sciences, grâce à l’impulsion de quelques adhérents, organise la vente de trousses de dissection pour les étudiants de Biologie, la publication de polycopies, le départ d’une classe de neige financée par une boum, et gère un distributeur de boissons. Cependant, l’Amicale passe à la rentrée 1968-1969 aux mains d’une coalition de circonstance rassemblant les trotskistes de l’A.J.S. et les prochinois : " La grosse question de l’A.G. de rentrée de l’Amicale a été la participation aux élections. Et là, on a été mis en minorité par une curieuse alliance entre les trotskistes et les prochinois ". Au final, l’A.G.E.L.-U.N.E.F.. récupère seulement les services de l’I.N.S.A., composés essentiellement de ronéos. L’A.G.E.L.-U.N.E.F., au moment de son premier congrès en février 1971, ne dispose d’aucun service aux étudiants.

    Or, le renouveau accorde une place extrêmement réduite à cet aspect de l’activité syndicale. La motion proposée à l’A.G. des syndiqués de Sciences par l’U.N.E.F-Renouveau élude totalement la question des services. Sur le problème des polycopies par exemple, l’U.N.E.F-Renouveau, au lieu de prendre en charge l’édition et la vente des polycopies, se borne à l’aspect revendicatif en exigeant de l’administration l’édition gratuite des polycopies

    Sa position sur les services va même parfois plus loin et apparaît fortement réticente, sinon hostile. En effet, les services, assimilés au corporatisme, sont rejetés. L’activité syndicale de l’U.N.E.F-Renouveau est entièrement tournée vers l’action revendicative.

    Une première évolution apparaît en 1973 dans l’attitude de l’U.N.E.F. face aux services et à l’économie sociale étudiante. Elle a essentiellement lieu au niveau national, puisque le congrès d’A.G.E.L.-U.N.E.F. de mai 1973 n’aborde toujours pas la question des services. A l’inverse, une réflexion est amorcée au niveau de l’Union Nationale. La principale publication nationale de l’U.N.E.F., UNEF-INFORM, se fait par deux fois l’écho de ces débats à la fin de l’année universitaire 1972-1973. Pour la première fois, en novembre 1973, le congrès national de l’U.N.E.F. se penche sur cette question au cours de ses travaux. Cependant, il ne s’agit pas d’une nouvelle orientation pour le syndicat, principalement tourné vers l’action revendicative. L’objectif est de faire le point sur les services encore en activité et de les pérenniser ou de les utiliser au maximum. Le rôle de l’U.N.E.F. est alors d’organiser avec les étudiants des services utiles immédiatement, répondant à des besoins spécifiques : " de voir les priorités auxquelles nous devons faire face. La question primordiale que nous devons nous poser quant aux services est : quel est le besoin le plus urgent et ressenti par la plus grande masse des étudiants. Il ne s’agit pas, en ce domaine de faire preuve d’imagination, mais de satisfaire les premières exigences des étudiants ". Une évolution se fait donc jour : désormais, l’U.N.E.F. conçoit les services comme partie prenante de son activité syndicale, même si de multiples réticences s’expriment : " Cet aspect de notre activité syndicale est bien trop négligée ou ignorée, voir combattue par nos C.A. et nos A.G.E. […]. Or, bien souvent, nous les considérons comme des activités secondaires, voire " inférieures ". Ils ne font que trop rarement l’objet des préoccupations des directions et de l’ensemble des syndiqués ". Au contraire, ces deux aspects de l’activité syndicale ne se concurrencent pas, car ils ne répondent pas aux mêmes objectifs. Les services permettent de s’attaquer aux conséquences de la crise universitaire, tandis que la lutte revendicative s’attache à dénoncer les responsables de cette crise, c’est à dire en premier chef le gouvernement. Les services ne sont donc pas considérés comme une solution, mais comme un pis-aller, un remède provisoire, destiné à éviter la sortie d’étudiants du système universitaire : " ils ne résolvent aucun des problèmes fondamentaux des étudiants ". L’U.N.E.F. doit initier les services, mais la gestion doit être le fait de l’ensemble des étudiants. Elle est donc le lieu de regroupement des étudiants. Cependant, outre ces considérations philanthropiques, les services sont aussi considérés comme des sources possibles de financement de l’activité syndicale : " L’adhésion à l’U.N.E.F., le paiement de la cotisation syndicale est le seul moyen pour les étudiants d’avoir un syndicat à leur service. Les services de l’U.N.E.F. ne peuvent donc être déficitaires ; ils doivent y compris contribuer au renforcement de l’organisation ". Mais dans la pratique, la conception des services demeure très limitée. Contrairement aux années 50, il ne s’agit pas de lancer l’U.N.E.F. dans la gestion de restaurants universitaires… . Elle adapte, en fonction de sa faiblesse numérique et financière, ses services. Ils sont, la plupart du temps, des structures légères qui ne nécessitent pas d’investissements lourds. L’UNEF-INFORM de mars 1973 livre quelques exemples : services sociaux (en fait logement et emploi), animations et loisirs, coopératives, éventuellement brasseries. Le cas des centres de polycopies de l’U.N.E.F., s’ils existent, doivent être utilisés au maximum, mais il n’est pas question pour le syndicat de créer de nouveaux centres. Au contraire, l’action du syndicat se veut ici purement revendicative et l’objectif est d’obtenir dans chaque université " un centre d’édition autonome géré paritairement par les étudiants et doté d’un budget autonome ". Le cas particulier des centres de polycopies montre bien les limites de l’engagement de l’U.N.E.F. dans les services et plus largement dans l’économie sociale étudiante. Elle consent à organiser des services, mais dans une perspective à court terme : l’aide immédiate aux étudiants. Sur le long terme, elle considère que la prise en charge des services relève de l’administration universitaire. L’inflexion de la position de l’U.N.E.F. trouve un faible écho au niveau de l’A.G.E. de Lyon. Quelques services existent dès 1973 et sont regroupés dans le local de l’A.G.E.L-U.N.E.F. sur le campus des Quais : renseignements universitaires, services emploi, service logement, correction des mémoires… des étudiants étrangers. Des cours polycopiés sont édités à partir de la rentrée universitaire 1974-1975, mais ils demeurent très limités.

    Jusqu’en 1976, les services étudiants offerts par l’A.G.E.L.-U.N.E.F. restent limités et disparates. En effet, ayant tiré un trait sur l’A.G.E.L. et donc sur ses services, l’a.G.E.L.-U.N.E.F. se préoccupe peu de cet aspect de l’activité syndicale et les rares services crées à partir de 1973 ne nécessitent pas d’investissements financiers et humains importants. Au niveau national, une réflexion s’amorce, même si elle demeure timide dans ses objectifs et ses formes.

  3. L’émergence d’une réflexion sur les services. 1976-1979.

A partir de 1976, un changement dans la conception des services s’opère et dote progressivement l’U.N.E.F. d’une orientation sur les services. Dans la continuité des années précédentes , les services sont toujours considérés comme des solutions immédiates à des problèmes urgents : " Dans une situation où pour chaque étudiant, la rentrée est jour après jour pleine d’incertitudes, d’inquiétudes, rien ne répond mieux à ce besoin de trouver des solutions immédiates à des problèmes urgents que les SERVICES DU SYNDICAT ". Les services sont donc toujours perçus comme une réponse aux conséquences de la crise universitaire. Ils s’intègrent donc à l’activité syndicale, car ils participent à la défense immédiate des intérêts étudiants.

Cependant, un changement important intervient en 1976 : les services mis en place par l’U.N.E.F. n’ont plus une vocation temporaire, éphémère. Ils ne sont plus destinés à être remplacés par l’administration :  " Si la crise actuelle qui frappe durement l’Université et les étudiants ne fait qu’accentuer les besoins des services, ceux-ci ne sauraient trouver leur justification dans la conjoncture économique, et cela, quel que soit le gouvernement en place et la politique de ce dernier ". L’engagement de l’U.N.E.F. dans les services s’inscrit désormais dans le long terme et quitte le provisoire. Les services sont considérés comme une partie à part entière de l’activité syndicale, au même titre que l’activité revendicative. Ils ont deux objectifs : créer un système d’entraide à l’université et servir de base à un rassemblement des étudiants autour du syndicat étudiant, en mettant en pratique ses solutions et en proposant l’adhésion sur la base des services. Désormais, l’activité syndicale de l’U.N.E.F. repose sur deux bases : l’activité revendicative et les services.

En s’inscrivant dans le long terme, l’U.N.E.F. change ses priorités dans le développement de ses services. Ainsi, un Collectif National fixe en 1976 quatre priorités : les cours polycopiés, les services sociaux, les ciné-club et les A.S.S.U. (associations sportives).

Au niveau de l’A.G.E. de Lyon, les services connaissent un fort développement , même si des différences naissent en fonction du dynamisme des comités. Une coopérative est crée par le comité IUT 1 à la rentrée universitaire 1976-1977 et le local du campus de Lyon II Bron accueille une coopérative, un centre de polycopies et un service culturel. Cependant , les deux comités les plus dynamiques sont Lyon I Sciences et Lyon I Santé. Le comité Lyon I Sciences, solide en nombre d’adhérents, multiplie très rapidement ses services : une coopérative fonctionne, des polycopies sont édités, des abonnements pour des théâtres sont disponibles…. Le comité Lyon I Santé fait preuve d’un dynamisme intense, en dépit de sa faiblesse numérique, puisqu’il ne rassemble que 10 à 15 adhérents en 1972-1973. Les services sont surtout centrés sur l’édition de polycopies. En effet, certains cours , particulièrement pénibles, ne sont guère fréquentés par les étudiants, qui peuvent se procurer les cours polycopiés publiés par l’Association Corporative des Etudiants en Médecine de Lyon. Cependant, devant cette désaffection, des enseignants décident de contraindre les étudiants à assister aux cours en refusant de fournir leurs cours à l’ACEML. Face à cette situation, les adhérents de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. décident d’organiser les étudiants pour recréer correctement les cours et les éditer. Au début, cette initiative est lancée en collaboration avec la corpo de médecine, surtout dans le domaine logistique. Cependant, les relations se distendent avec l’ACEML et une association autonome de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. est créée. Les étudiants paient une cotisation et reçoivent chaque semaine les cours édités par un imprimeur. L’édition des cours oblige les enseignants à revoir leurs méthodes pédagogiques, tandis que l’édition de polycopies est pérennisée et s’étend à l’ensemble de la faculté de Médecine de Rockeffeler et à la faculté A. Carrel. Des services sont gérés par l’A.G.E. ou confiés à des comités. C’est en particulier le cas de la cafétéria Longefer, confiée au comité Santé : "La première de ces cafétérias est la récupération d’une cafétéria désaffectée qui se trouvait dans une cité universitaire de la M.N.E.F.. La M.N.E.F., à l’époque, gérait encore quelques cités universitaires, et il y’en avait une à Lyon qui se trouvait juste à coté de la fac de Médecine. […]. A partir de l’expérience de création de cette cafétéria, à la fac de Médecine ou à coté, nous avons crée un certain nombre d’autres cafétérias ". Des photomatons sont installés par l’A.G.E. dans les facultés de Médecine et de Sciences, des services logement et emploi sont mis à la disposition des étudiants, et une antenne V.T.U. s’installe à Lyon en avril 1978. De 1976 à 1979, les services aux étudiants de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. sont fortement développés et investissent progressivement tous les champs de l’économie sociale étudiante. Ils sont aussi plus ambitieux, puisque des investissements financiers plus importants sont engagés.

La croissance de l’activité des services fait naître au sein de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. une réflexion, un débat sur les services : " C’est l’époque où on développe les services, on commence à y réfléchir […]. Le besoin de recréer des choses se faisait sentir. […]. Puis, il y’avait un vrai débat… . Des adhérents disaient : " non, on n’est pas là pour faire des services ", " des étudiants vont adhérer pour avoir accès à la coop, à la polycopie, et ce ne sont pas de vrais adhérents ". C’étaient des débats un peu byzantins, et qui n’intéressaient pas les étudiants d’ailleurs, mais qui nous ont agité pendant de longues heures ". Un véritable débat a donc lieu sur l’utilité et sur les conséquences des services. En effet, des adhérents, souvent d’ailleurs proches de l’U.E.C., s’opposent aux services, considérés comme un retour de l’U.N.E.F. au corporatisme et au réformisme. Ils rejettent en particulier la validité de l’adhésion par les services, jugée fausse et intéressée. Cependant, une réflexion s’élabore progressivement, et en particulier sur le lien entre les services et l’accroissement du nombre des adhérents. Devant les réussites, en particulier celle du secteur Santé, les services sont progressivement étendus à l’ensemble des facultés. En effet, les effectifs du comité Santé croissent de façon spectaculaire, puisqu’ils atteignent 200 adhérents vers 1976-1977 sur les quatre facultés de Médecine.

 


II. La création du CERCOOPE, véritable centrale de services.

La gestion des services, peu structurée et dispersée entre les différents comités avant 1979, est centralisée au niveau de l’A.G.E. (et même au delà) grâce à la création du CERCOOPE, c’est à dire du CEntre Régional des COOPératives Etudiantes. Il est l’aboutissement d’une réflexion entamée depuis plusieurs années, et ouvre de nouvelles perspectives, tant locales que nationales.

  1. La naissance du CERCOOPE, centrale de services régionale.
  2. La création du CERCOOPE trouve son origine dans les difficultés financières rencontrées par l’association gérant les services de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. en Médecine : " L’association qui avait été créée pour gérer ces services, et qui était une association qui n’avait strictement rien à voir avec l’U.N.E.F., a connu une évolution économique difficile. Nous avons hébergé cette structure dans nos locaux du 8, rue Volney, qui avaient été donnés par le président d’université de Lyon I. Nous avons participé à la gestion de cette association en tant que structure syndicale […]. Lorsque cette association a finit par déposer le bilan, j’ai proposé de créer, et j’ai créée, immédiatement une association qui a pris instantanément le relais de la précédente ". La création de l’association CERCOOPE est avant tout l’œuvre de R. Lopez, déjà très impliqué dans les services du comité Médecine et initiateur de nombreuses réalisations dont la cafétéria Longefer.

    L’association CERCOOPE est immédiatement conçue comme autonome de l’U.N.E.F.. Cependant, elle n’est pas indépendante, puisqu’elle est rattachée structurellement à l’A.G.E.L.-U.N.E.F. : le président du CERCOOPE est le président de l’A.G.E.L.-U.N.E.F.. Ainsi, en juillet 1983, le président de l’A.G.E.L.-U.N.E.F., Rémy Ménétrier, occupe la présidence du CERCOOPE avec l’aide d’un administrateur général du CERCOOPE, qui assume de fait la responsabilité de la bonne marche de l’association. Ce poste a d’ailleurs été souvent occupé par des anciens adhérents de l’U.N.E.F..

    Les objectifs du CERCOOPE sont d’emblée très ambitieux. En effet, après une période de stabilisation durant laquelle la présidence est assumée par R. Lopez, le CERCOOPE affirme très vite une vocation à la fois locale et régionale. Son objectif est la mise en place et la coordination des différents services des universités de Lyon, mais aussi de Saint-Etienne et de Grenoble. Elle développe, multiplie et diversifie les services offerts par l’A.G.E.L.-U.N.E.F.. Tous les champs de la vie étudiante sont investis progressivement par le CERCOOPE : études, loisirs, culture, emploi, logement… . En 1980-1981, le panel des services est très large :

    ® Imprimerie : L’imprimerie est la première pièce maîtresse des services du CERCOOPE. Elle se compose à la fois de l’imprimerie du 8 rue Volney où sont imprimées les thèses, les polycopiés…, et de multiples photocopieurs répartis dans les divers locaux syndicaux, mis à la disposition du CERCOOPE par l’A.G.E.L.-U.N.E.F.. Des photocopieuses sont installées dans les trois universités de l’agglomération lyonnaise : Lyon I, Lyon II, Lyon III, avec parfois plusieurs points photocopie par université. Une rude concurrence entre les diverses associations et syndicats étudiants se déclare très rapidement sur le " créneau " des photocopies. En Sciences, une concurrence acharnée oppose l’U.G.E.L.-U.N.E.F. à l’A.G.E.L.-U.N.E.F. au début de l’année 1980 et fait chuter le prix de la photocopie de 60 à 35 centimes… .

    ® Les coopératives : Elles sont aussi mises en place dans tous les locaux de l’A.G.E. de Lyon, mais aussi à Saint-Etienne et à Grenoble. Elles reposent principalement sur la vente de papeterie (stylos, gommes, feuilles…), d’ouvrages (une librairie est créée), de machines à calculer… .

    ® Les cafétérias : Plusieurs cafétérias sont gérées par le CERCOOPE sur les campus de Lyon. La première cafétéria est la récupération d’une cafétéria désaffectée située rue Longefer dans une cité universitaire de la M.N.E.F.. La cafétéria la plus importante est acquise en juillet 1983. En effet, une convention entre le CERCOOPE et l’université Lyon II est signée au sujet de la gestion de la cafétéria du campus de Bron, auparavant gérée par un privé. Un gérant est nommé par le CERCOOPE pour s’occuper de la gestion.

    ® V.T.U : Une antenne de V.T.U existe en Sciences au début de l’année 1980. Cependant, la gestion nationale de l’organisme de voyages crée en 1975 lors du congrès de Lyon se heurte rapidement à des difficultés financières et à la concurrence de l’O.T.U.. Elle disparaît assez rapidement, peut-être au début des années 80.

    ® Services divers : Les services emploi et logement, crées en 1973, perdurent, tandis que des comités mettent en place des animations culturelles ou sportives. Au début de l’année 1980, l’A.G.E.L.-U.N.E.F. Sciences met à la disposition des étudiants un labo-photo moyennant une petite participation financière pour le matériel. Des bourses aux livres sont organisées à Lyon III, des billets de train et de théâtre sont vendus… .

    ® Enfin, une radio locale émet pendant une brève période avant la loi sur les radios libres de 1982. Elle a pu voir le jour grâce aux compétences techniques des adhérents de Centrale et de l’I.N.S.A.. Après 1982, un projet de radio est à nouveau élaboré, mais ne voit pas le jour, peut-être à cause de problèmes de financement.

    Le CERCOOPE prend une certaine ampleur et devient un acteur important de l’économie sociale étudiante. Cependant, il connaît au début de l’année 1981 une crise de croissance. Le bureau d’A.G.E. du 19.03.1981 évoque la situation du CERCOOPE et pointe deux problèmes majeurs : des difficultés de fonctionnement et des problèmes financiers. Les dettes, qui se montent à 154 000 francs, gênent l’activité et le coût des quelques salariés devient rapidement une charge très lourde à assumer. Par la suite, la situation se stabilise et, sans dégager d’excédents de gestion réguliers et importants, le CERCOOPE ne connaît plus de difficultés financières.

    La démarche de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. vis à vis des services est progressivement théorisée. Elle vise tout d’abord à auto-organiser les étudiants face à la " sélection sociale " et donc aux conditions de vie et d’études. Face à la démission de l’Etat, les étudiants doivent répondre eux-mêmes à tous les aspects de la vie étudiante. La participation des étudiants à la gestion des services est érigée en nécessité, afin de transformer l’assistance initiée par l’A.G.E.L.-U.N.E.F. en " entraide ". Dans cette vision, la gestion des services ne doit pas être pris directement en charge par le syndicat, car elle ne permet pas d’associer tous les étudiants à la gestion des services. Ensuite, la démarche de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. vise à mettre les organismes compétents devant leurs responsabilités. Face aux multiples démissions de l’administration, l’A.G.E.L.-U.N.E.F., en créant des services essentiels aux étudiants (tels les polycopiés pour les étudiants salariés) crédibilise ses propositions et peut dénoncer les renoncements et la mauvaise volonté des organismes compétents.

    Cependant, diverses approches syndicales coexistent à l’A.G.E.L.-U.N.E.F., en particulier sur le sujet sensible des services. Une opposition, une réticence vis à vis des services, assimilés au corporatisme, s’exprime, en particulier de la part d’étudiants communistes.

  3. Une position phare au niveau national.

En 1980, les A.G.E. disposant de services au sein de l’U.N.E.F. sont rares. Seules quelques grandes A.G.E. ont conservé ou développé des services, au rang desquelles se trouvent Lyon, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Nancy, Grenoble. L’A.G.E. de Toulouse réussit à conserver la gestion d’un restaurant universitaire jusqu’au milieu des années 80, tandis que l’A.G.E. de Bordeaux gère une brasserie et plusieurs cafétérias.

Au congrès de Reims d’avril 1980 (du 25 au 28 avril 1980), une nouvelle orientation nationale est débattue et adoptée par les 1000 délégués : le Solidarité Etudiante. La nouvelle orientation part d’un bilan, d’une analyse de la situation universitaire : le monde étudiant est confronté à la sélection sociale, au vide des universités et surtout à un individualisme forcené. Face à cette situation, l’U.N.E.F. souhaite remplacer le système D en vigueur dans le monde étudiant par une solidarité étudiante. Les étudiants doivent prendre en main leur vie et créer un nouveau climat à l’Université. La place de l’U.N.E.F. change donc radicalement : lieu de rassemblement des étudiants, elle organise avec les étudiants la solidarité étudiante à travers trois structures : le groupe d’étude, qui s’occupe de l’activité syndicale et revendicative, les services et les commissions d’activité. L’U.N.E.F. dépasse désormais le cadre de l’opposition simple à la politique universitaire du gouvernement. L’entraide est définie comme une composante essentielle de l’orientation syndicale à coté de la lutte revendicative. La nouvelle orientation place l’U.N.E.F. au centre de la vie étudiante, puisqu’elle doit assumer la prise en charge de tous les aspects de la vie étudiante : les services créent l’entraide nécessaire à de meilleures conditions de vie et d’étude, les commissions d’activité permettent d’animer la vie de l’Université, et les groupes d’études assument l’activité revendicative. L’U.N.E.F. tente ainsi d’aller au-delà de son rôle traditionnel de syndicat contestataire.

La traduction concrète de cette nouvelle orientation est la création à la rentrée universitaire 1984-1985 de la C.A.E.L, c’est à dire la Coopérative d’Achat des Etudiants et Lycéens. Le rôle de l’A.G.E.L.-U.N.E.F. est essentiel dans le montage de la C.A.E.L. : " C’est en partant de cette expérience lyonnaise, qu’a été montée une structure nationale, qui s’est appelée la C.A.E.L.. C’est toute une équipe de lyonnais qui a été chargée de mettre en place cette structure de services ". Structure nationale de services, la C.A.E.L. reprend les principes déjà utilisés par le CERCOOPE : les étudiants consomment beaucoup de services, de prestations fournies par des sociétés commerciales et privées et sur lesquels elles prélèvent des bénéfices. Or, une large fraction du milieu étudiant ne dispose pas des revenus financiers suffisants pour conduire à bien des études. L’objectif est donc d’offrir tout ce que les étudiants ont besoin, mais à des prix plus bas grâce à une gestion économique et au bénévolat. Si certaines A.G.E. refusent d’intégrer la nouvelle structure nationale, le CERCOOPE s’associe immédiatement à la C.A.E.L..

L’association avec la C.A.E.L. permet au CERCOOPE de se développer encore davantage. Les services du CERCOOPE se multiplient : fournitures, papeterie, matériel spécialisé, commande de livres, photocopies, imprimerie, annales d’examens, polycopies, voyages, cassettes audio et vidéo, billets BIGE, ouverture d’un restaurant (il disparaît en 1985), cafétérias…. En 1984-1985, le CERCOOPE est implanté sur pratiquement tous les campus et emploie trois salariés à temps complet. Il déborde alors au-delà des limites de la région Rhône-Alpes, puisqu’après Saint-Etienne et Grenoble, des coopératives sont ouvertes à Dijon et Besançon. En février 1985, le CERCOOPE emploie sept salariés, soit nettement plus que la C.A.E.L. (trois salariés). Le rôle national du CERCOOPE est alors manifeste : une rencontre entre la C.A.E.L. et Bull met sur pied un projet de centres informatiques. Le constructeur informatique propose d’installer 10 à 15 ordinateurs avec imprimantes par centre, d’assurer la maintenance et de former des moniteurs. Une association, nommée APRODIE, est créée pour gérer les 20 centres, tandis que l’U.N.E.F. et la C.A.E.L. servent de caution. Or, le siège social d’APRODIE est fixé au CERCOOPE, tandis que deux des quatre membres du bureau de la nouvelle association loi 1901 sont lyonnais. L’A.G.E.L.-U.N.E.F. joue un rôle essentiel dans l’élaboration de la nouvelle orientation syndicale, dite de Solidarité Etudiante. En effet, ses adhérents sont très impliqués dans la création de la C.A.E.L. et le CERCOOPE occupe une position phare au niveau national.

 


Résumé :

L’A.G.E.L.-U.N.E.F. adopte différentes attitudes vis à vis de l’économie sociale étudiante, et en particulier des services. Préoccupation véritablement secondaire au début des années 70, elle ne cesse à partir de 1976 d’intervenir dans ce domaine. Avec le développement de ses premiers services, elle mène une réflexion sur la place des services dans l’U.N.E.F. et sur les liens entre les services et l’activité syndicale. Sa participation au débat national sur les services, faible avant 1979, se renforce avec l’expérience du CERCOOPE et le savoir-faire de militants tel R. Lopez. L’A.G.E.L.-U.N.E.F. occupe jusqu’au milieu des années 80 une position phare et influence considérablement l’orientation nationale en mettant son expérience au service de l’Union Nationale. Cependant, dés le milieu des années 80, sa situation devient plus instable, en particulier dans le domaine des services. En effet, le CERCOOPE connaît un déclin progressif et affronte de multiples difficultés. Il se heurte à la concurrence toujours accrue du secteur privé, à l’hostilité des corporations et de certains professeurs, aux nombreuses contraintes et tracasseries administratives… . De plus, les relations entre le CERCOOPE et l’A.G.E.L.-U.N.E.F. se distendent à partir du milieu des années 80. En effet, le syndicat étudiant lyonnais, confronté à une grave crise, se replie sur lui-même et recentre ses activités : " Les liens entre l’U.N.E.F. et le CERCOOPE, en termes de participation à la gestion…[…], les liens s’étaient beaucoup distendus. Quand j’ai été président, je me suis d’abord occupé de l’U.N.E.F., c’est ce qui m’intéressait avant tout, même si j’ai trouvé utile que le CERCOOPE existe […]. On laissait au gestionnaire la gestion… ". L’A.G.E.L.-U.N.E.F., qui compte alors de 80 à 90 adhérents, ne dispose plus des capacités militantes nécessaires pour pouvoir mener à la fois l’activité syndicale et les services. De plus, beaucoup d’adhérents ne perçoivent plus les services comme du syndicalisme et, par conséquent, l’intérêt d’assurer leur survie. Les difficultés apparaissent au début de l’année 1989 et le CERCOOPE dépose le bilan en mars 1990. En dépit de l’échec du CERCOOPE, une nouvelle structure de services est fondée en 1990 : le CELYSE. (CEntre LYonnais des Services Etudiants). Beaucoup plus modeste dans ses ambitions, ses objectifs et ses moyens, elle offre des services plus traditionnels : imprimerie, coopératives, photocopieurs. Cependant, la situation financière du CELYSE se dégrade rapidement et les dettes atteignent, en mars 1992, 185 000 francs. Elle disparaît probablement peu de temps après, sans doute en 1993.

A l’inverse des services, l’A.G.E.L.-U.N.E.F. intervient peu dans l’autre champ de l’économie sociale étudiante : le mutualisme. Jusqu’en 1976, l’U.N.E.F. ne se préoccupe pas ou peu du symbole même du mutualisme étudiant : la M.N.E.F.. Certes, la création de la SMERRA entraîne des inquiétudes, mais le mouvement mutualiste ne suscite guère de passion au sein du B.N. De plus, la M.N.E.F. est alors " accaparée " par une tendance des étudiants socialistes. Aux contrôles de la mutuelle depuis la scission de l’U.N.E.F. en 1971, elle modifie progressivement les statuts et verrouille la direction nationale et les sections locales. Les élections au C.A. de la M.N.E.F., qui se déroulent désormais par correspondance, ne présentent plus d’intérêt : la participation est très faible, les irrégularités fréquentes. A partir de 1976, les relations entre l’U.N.E.F. et la M.N.E.F. se détendent et un membre du B.N. de l’U.N.E.F. (en l’occurrence R. Lopez) est chargé des relations avec la M.N.E.F.. Une timide ouverture est alors concédée par la direction de la M.N.E.F.. A Lyon, les socialistes accordent " généreusement " 25 % des voix à l’U.N.E.F. lors des élections pour lui permettre d’obtenir quelques élus. Cependant, au niveau national, la direction demeure verrouillée, puisque l’U.N.E.F. n’obtient aucun siège au Bureau National. D’ailleurs, le rapprochement ne dure pas : l’engagement des socialistes au sein de l’U.N.E.F-ID entraîne des prises de participation réciproques entre l’U.N.E.F-ID et la M.N.E.F.. Dés lors, l’U.N.E.F. n’intervient plus dans le mouvement mutualiste.

 


Chapitre 2. Un syndicat peu ouvert au tissu syndical, politique et associatif.

I. Les relations U.N.E.F. / C.G.T. / S.N.E.Sup..

L’A.G.E.L-U.N.E.F. entretient des relations fraternelles avec le S.N.E.Sup. et la C.G.T.. Les trois organisations syndicales vont constituer dans les conseils des universités des " intersyndicales " et nourrir ainsi le mythe d’une stratégie communiste visant à conquérir et à prendre le contrôle de l’Université. Or, contrairement aux apparences, l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne met aucune exclusivité dans ses relations avec le monde syndical. Elle tente de prendre des contacts avec toutes les organisations syndicales qui le souhaite… . Des demandes d’entrevue sont adressées à la C.F.D.T., à la C.G.T-F.O., à la F.E.N.… :  " Nous étions demandeurs de relations suivies, intersyndicales, avec tout le monde, donc avec le S.G.E.N-C.F.D.T… . Le S.G.E.N-C.F.D.T., je n’ai jamais eu le plaisir de les rencontrer, parce qu’ils nous ont toujours envoyé " sur les roses " ". L’A.G.E.L-U.N.E.F. se heurte la plupart du temps à des fins de non-recevoir. L’attitude de la F.E.N., de la C.F.D.T., et de la C.G.T-F.O. s’explique sans doute par un anticommunisme virulent… .

  1. Des relations " officielles " souvent irrégulières et ponctuelles.
  1. Des rencontres circonstancielles.
  2. Les relations entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. d’une part, et le S.N.E.Sup. et la C.G.T. d’autre part dépendent souvent des circonstances. Elles ont lieu à l’occasion de réformes sur l’Enseignement Supérieur ou sur le statut des personnels de l’Enseignement, lors de mouvements sociaux, de cérémonies commémoratives ou bien encore lors d’actions de solidarité internationale.

    Ces rencontres, dictées par les circonstances, sont la plupart du temps plurielles, c’est à dire ouvertes à toutes les organisations syndicales ou politiques. Elles sont donc irrégulières et ne permettent pas un dialogue en tête à tête.

    La collaboration entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et la C.G.T. ou le S.N.E.Sup. prend différentes formes au grè des circonstances. Elle peut se concrétiser sous la forme d’un soutien publique. Ainsi, en avril 1976, une déclaration commune UL- C.G.T. Bron- Chassieu- Satolas / C.A. U.N.E.F. Bron est publiée. Elle fait suite à la rencontre de deux délégations et à une déclaration nationale. A cette occasion, l’UL- C.G.T. apporte son soutien à l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans sa lutte contre la réforme du second cycle au nom des " convergences profondes " entre étudiants et travailleurs : lutte contre le chômage (la réforme du second cycle risque de l’aggraver), contre la déqualification des emplois, les bas salaires, la politique démagogique du gouvernement et en faveur du programme commun. L’intervention de la C.G.T. dans le domaine universitaire se fait au nom de convergences entre étudiants et travailleurs. Il s’agit alors d’un soutien de poids auprès de l’opinion publique et des salariés. L’A.G.E.L-U.N.E.F. apparaît alors comme un partenaire privilégié de la C.G.T., la C.G.T. refusant d’accorder son soutien à la " coordination des étudiants " où l’extrême- gauche est active. Mais la plupart du temps, cette collaboration se fait dans le cadre d’une intersyndicale, comme à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de la libération de Lyon, du 1er mai ou encore à l’occasion d’une action de solidarité des travailleurs du Rhône avec l’Espagne en octobre 1971.

  3. Une aide matérielle et financière irrégulière.

Les relations entre l’A.G.E.L-U.N.E.F., la C.G.T. et le S.N.E.Sup. se font, le plus souvent, dans le cadre de rencontres plurielles. Toutefois, en dehors de " l’unité d’action syndicale ", la C.G.T. et le S.N.E.Sup. apportent à l’A.G.E.L-U.N.E.F. une aide matérielle et financière. Elle est variable selon les époques, puisque, avec le développement des services, l’A.G.E.L-U.N.E.F. a de moins en moins besoin d’une aide matérielle.

La fourniture d’une aide matérielle est surtout l’œuvre de l’Union Départementale C.G.T. ou des Unions Locales C.G.T.:  " L’aide apportée à l’A.G.E., c’était par la C.G.T. […]. La C.G.T. nous procurait des affiches, des tracts, une sono… ". Lors des élections universitaires, au C.A. du C.R.O.U.S., ou lors des mouvements étudiants, la C.G.T. fournit une aide matérielle non négligeable. Ainsi, en 1977, l’A.G.E.L-U.N.E.F. possède une dette de 6690,00 francs auprès de l’UL- C.G.T. de Bron-Chassieu-Satolas pour des travaux d’imprimerie. Par contre, le S.N.E.Sup. semble incapable d’offrir une aide matérielle : " Le S.N.E.Sup. […] était de fait moins militant que la C.G.T. et ce n’est pas eux qui allaient nous régler les problèmes des tracts, des affiches. A la limite, parfois, c’est nous qui réglions le problème des tracts pour eux… ". Avec le développement des services, puis du CERCOOPE, l’A.G.E.L-U.N.E.F. recourt de moins en moins à l’aide de la C.G.T.. Elle devient exceptionnelle : " La C.G.T. nous a aidé, par exemple, pour imprimer des tracts. En effet, cela coinçait, par moment, au CERCOOPE, lors de la période d’impression des thèses… . Donc, à ce moment là, on passait par l’UD- C.G.T.. ".

L’aide financière est principalement apportée par le S.N.E.Sup.. Lorsque les besoins se font sentir (congrès…), les professeurs adhérents au S.N.E.Sup. sont régulièrement sollicités pour verser leur écot.

Les relations " officielles " entre l’A.G.E.L-U.N.E.F., la C.G.T. et le S.N.E.Sup. apparaissent à la fois irrégulières et ponctuelles. Dictées par les circonstances, elles se bornent le plus souvent à une aide matérielle ou financière.

  1. Des relations informelles fréquentes.

En fait, les relations entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et les deux organisations syndicales sont surtout informelles, c’est à dire sans caractère officiel, sans préparation.

  1. Les conseils d’université et d’U.E.R. : les creusets de la vie syndicale à l’Université.
  2. Les rencontres entre adhérents de l’U.N.E.F., de la C.G.T. et du S.N.E.Sup. se font au sein d’espaces déterminés : les conseils d’université et d’U.E.R.. Les conseils sont les creusets de la vie syndicale à l’université, puisqu’ils regroupent l’ensemble des organisations syndicales étudiantes, enseignantes ou des IATOSS.

    La C.G.T. ou le S.N.E.Sup. ne possèdent pas ou rarement sur les campus universitaires de locaux syndicaux. Ils n’ont pas de permanence et sont difficiles à joindre. Leur activité syndicale, et en particulier celle du S.N.E.Sup., s’exprime avant tout dans les conseils d’U.E.R. ou d’université. Ils utilisent peu les moyens d’action des syndicats ouvriers : grève, manifestation… .La structure repose la plupart du temps sur quelques rares militants, souvent peu disponibles. Par conséquent, les conseils sont les lieux privilégiés de rencontre entre ces différentes organisations syndicales. Les élus apparaissent alors comme des intermédiaires essentiels.

    Un véritable travail en commun s’élabore au sein des conseils. En effet, de multiples actions voient le jour : les élus adoptent des positions communes lors de votes, des motions sont présentées et préparées en commun, des concertations ont lieu avant les votes… . Les débats offrent l’occasion d’échanger des idées, de confronter les analyses, les propositions, d’établir des convergences, mais aussi des contacts.

    Mais surtout, les élus des professeurs et des personnels jouent un rôle essentiel dans la formation des élus étudiants : " On était beaucoup aidé par le S.N.E.Sup. dans la compréhension des mécanismes universitaires et le décryptage d’un certain nombre de problèmes à l’université […]. J’ai aussi eu des relations avec la C.G.T. dans le cadre du C.A., qui m’ont beaucoup aidé pour décrypter et comprendre…, qui m’ont formé […]. Ils contribuaient, par les questions qu’on leur posait, à la formation des élus de l’U.N.E.F. ". Les élus des professeurs et des personnels ont souvent une longue expérience et apportent une aide précieuse aux élus étudiants pour comprendre la portée d’un document administratif, financier ou autre.

  3. L’importance des connaissances personnelles.

Les relations personnelles jouent un rôle fondamental dans les relations entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et le S.N.E.Sup. et la C.G.T.. Des connaissances personnelles permettent d’établir des passerelles entre les différentes organisations : " Nos contacts avec la C.G.T. tenaient des bonnes relations qu’on avait avec le secrétaire de l’UJICT- C.G.T. et qui fait que, sur un certain nombre de dossiers, on a travaillé ensemble : les IUT… ". De toute évidence, des interactions existent entre les milieux syndicaux et politiques. Les anciens adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. deviennent au fil des ans des responsables syndicaux, politiques, des professeurs… . Ils constituent une trame de relations sur laquelle peut s’appuyer l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Des réseaux de relations se superposent à cette trame : des adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. sont aussi à l’U.E.C. ou au P.C.F., où ils peuvent rencontrer des adhérents de la C.G.T., de la section universitaire de la Doua du P.C.F.… . Ainsi, les connaissances personnelles jouent un rôle essentiel dans les relations de l’A.G.E.L-U.N.E.F. avec le S.N.E.Sup. et la C.G.T..

Les relations de l’A.G.E.L-U.N.E.F. avec le S.N.E.Sup. et la C.G.T. s’expriment surtout au sein de différents conseils. Certes, la C.G.T. fournit à l’A.G.E.L-U.N.E.F. une aide matérielle non- négligeable, mais elle diminue progressivement avec le développement des services. Contrairement à d’autres organisations, et en particulier l’UD- U.N.C.A.L. du Rhône, l’A.G.E.L-U.N.E.F. ne tente à aucun moment de " coller " au S.N.E.Sup. ou à la C.G.T.. Au contraire, elle conserve une certaine indépendance et ne tisse pas véritablement de liens étroits.

 


II. Un syndicat de gauche sans affiliation partisane.

Les syndicats, qu’ils soient étudiants, ouvriers ou autres, sont systématiquement classés en fonction de leur sensibilité politique, de leur famille de pensée… . L’indépendance syndicale, bien que revendiquée, devient alors une simple mise en scène. L’A.G.E.L-U.N.E.F. n’échappe, par conséquent, pas à la règle et traîne la " gamelle communiste ". Les plus pudiques ou modérés résument en général cela en quelques mots : " proche du P.C.F. ". Pour les plus virulents, l’A.G.E.L-U.N.E.F. devient la courroie de transmission du P.C.F. dans le monde étudiant, recevant probablement ses ordres de Moscou… .La masse des étudiants, lorsqu’elle n’est pas indifférente, réprouve les prises de position politiques en faveur du programme commun de la gauche et classe l’A.G.E.L-U.N.E.F. comme un syndicat de gauche, en opposition aux syndicats et associations de droite. Ces clichés, souvent caricaturaux, s’ancrent- ils dans une réalité ?. Quelles sont les relations de l’A.G.E.L-U.N.E.F. avec les partis politiques et le parti communiste en particulier ?

  1. Une forte implication de l’U.E.C. dans l’U.N.E.F- Renouveau.
  1. Un soutien en termes d’analyse et de militantisme.
  2. L’implication de l’U.E.C. dans l’U.N.E.F- Renouveau se traduit par l’apport de militants, mais aussi par une influence dans les analyses sur l’Université.

    L’U.N.E.F- Renouveau développe des analyses très proches de celles de l’Union des Etudiants Communistes. La proximité est particulièrement nette avec l’analyse de l’évolution de l’Université lyonnaise. L’analyse de l’U.E.C., développée au congrès de ville d’avril 1970, distingue d’un coté les universités de Paris-centre et les autres. Les universités de Paris-centre sont destinées à devenir des universités d’élite, où un enseignement polytechnique de qualité est délivré. Dans le même temps, les universités de la banlieue parisienne et de Province doivent accueillir la masse des étudiants, sans secteur de recherche, dans le but de fournir au pays les cadres techniques pour les chaînes de production. Dans ce système universitaire dual, l’université de Lyon est condamnée à rester une université de piètre qualité. Lors du mouvement étudiant de février 1970, l’U.N.E.F- Renouveau publie son analyse de l’évolution de l’Université. Pour elle, le souci de rentabiliser l’Université conduit à la création de trois types d’universités : une université de masse destinée à former des cadres moyens, une université de pointe ayant pour objectif de créer une élite pour la recherche et enfin les grandes écoles où sont recrutés les hauts cadres de l’industrie et de l’administration. Dans cette évolution, les universités lyonnaises doivent devenir des universités de masse liées aux besoins du patronat local. Les secteurs non rentables comme les Lettres sont amenés à disparaître. Ces analyses, fortement marxistes, sont extrêmement proches et renvoient à une même conception de l’évolution de la situation universitaire. Une même proximité se retrouve à propos de la défense des libertés syndicales et politiques à l’Université, ou de l’anti- impérialisme. Outre ces analyses, la conception des bases d’une rénovation de l’U.N.E.F. est la même pour l’U.E.C. et pour le courant Renouveau. A la base, le postulat est identique pour les deux : l’échec de mai 1968, simple flambée passagère, s’explique avant tout par l’absence d’un véritable syndicat étudiant : " On voit bien la correspondance avec les thèses politiques de l’époque : […] il a manqué un programme d’action pour les masses populaires, c’est à dire le programme commun. En correspondance avec ça, il y’avait l’idée qu’il a manqué un grand syndicat étudiant qui tienne la route et il faut le reconstruire. ". A ce postulat répond une conception du syndicalisme étudiant. Organisation syndicale de masse, l’U.N.E.F. doit défendre les revendications et les intérêts des étudiants, en liaison avec les syndicats ouvriers et en utilisant tous les moyens possibles, y compris la cogestion.

    La proximité des analyses, l’utilisation et le recours à un même vocabulaire démontrent l’influence de l’U.E.C. sur l’U.N.E.F- renouveau. Cependant, il apparaît très difficile d’établir les vecteurs de cette influence. La plupart des analyses sont élaborées au niveau national, puis ensuite répercutées au niveau local, tant à l’U.E.C. normalisée depuis quelques années, qu’à l’U.N.E.F.- Renouveau. Pour les analyses locales, il faut sans doute éloigner l’idée d’une volonté délibérée de l’U.E.C. d’imposer ses analyses, idée qui corrobore l’image d’une U.N.E.F. courroie de transmission du P.C.F.. La nécessité d’un renouveau de l’U.N.E.F. et certaines analyses bénéficient d’un consensus qui s’étend au-delà du cercle très restreint des adhérents de l’U.E.C.. La même analyse de la situation universitaire est développée par Université 70 (gauche non- communiste) : " On constituerait ainsi de nouvelles grandes écoles, à coté de facultés dépotoirs pour la plus grande masse ". Au consensus s’ajoute l’influence des adhérents de l’U.E.C. au sein de l’U.N.E.F- Renouveau. Peu nombreux, ils constituent pourtant une part importante des militants et possèdent sans doute un poids, une influence auprès des adhérents. Or, ils reproduisent volontairement ou non les analyses de l’U.E.C..

    Cependant, au niveau local, l’U.E.C. contribue surtout par l’apport de militants. L’investissement de l’U.E.C. dans l’U.N.E.F. ne débute pas avec le Renouveau. En effet, elle contrôle plusieurs A.G.E., dont Lille, Saint- Etienne et Toulouse. Dés décembre 1968 et la déclaration de l’A.G.E. de Lille, l’U.E.C. appelle publiquement à renforcer l’U.N.E.F- Renouveau. Elle publie et diffuse ses propres tracts appelant au renouveau de l’U.N.E.F.. Ainsi, en février 1969, des militants de l’U.E.C. distribuent des tracts intitulés " Pour un renouveau de l’U.N.E.F.  " en faculté de médecine. Elle mène aussi ses propres actions sans en référer aux membres de l’U.N.E.F.- renouveau. En janvier 1971, l’U.E.C. décide de réagir au refus prolongé de la direction de l’A.G.E.L. de délivrer les cartes U.N.E.F. 1970/1971. Le jeudi 14 janvier 1971, B. Gazet, membre du bureau P.S.U. de l’A.G.E.L., est enlevé à l’I.N.S.A. par plusieurs étudiants de l’U.E.C.. Il est ensuite relâché vers le parc de Miribel- Jonage sans avoir donné les cartes. Cette anecdote montre à quel point l’U.E.C., ou une partie de l’U.E.C. , s’investit en faveur du renouveau de l’U.N.E.F.. Mais surtout, l’U.E.C. est mise à contribution pour son réseau et ses connaissances. Elle permet, au début de l’année 1969, de faire la liaison entre les différentes listes :  " Il faut être honnête. Disons, la liaison entre ceux qui souhaitaient se présenter […] s’est faite par les étudiants socialistes et par l’U.E.C.  ". La présence de l’U.E.C. dans les différentes facultés permet de donner corps à l’U.N.E.F.- Renouveau. Ses connaissances sont aussi mises à contribution pour publier des articles dans la Voix du Lyonnais, hebdomadaire de la fédération P.C.F. du Rhône.

  3. Une présence non- prépondérante dans l’U.N.E.F.- Renouveau.

Si l’U.E.C. décide de s’investir fortement dans l’U.N.E.F.- Renouveau, sa présence n’est pas prépondérante, hégémonique. La faiblesse de ses effectifs gène considérablement ses activités.

Les années 60 ont été difficiles pour l’organisation étudiante communiste. En effet, elle se trouve confrontée, au début des années 60, à une crise durable où s’affrontent les tenants du Comité Central du P.C.F. et les futurs leaders gauchistes. Une normalisation de l’organisation est entreprise par le P.C.F. et l’U.E.C. est secouée par les scissions et les exclusions. Ses effectifs déclinent rapidement et elle perd alors toute influence sur le monde étudiant. Les dernières crises se produisent en 1965 avec l’exclusion/scission du secteur Lettres de l’U.E.C. après son refus de soutenir la candidature de F.Mitterrand lors des élections présidentielles. En 1966, des anciens adhérents fondent la J.C.R. avec à sa tête A. Krivine et des membres de la IV éme internationale, tandis que des maoïstes créent l’U.J.C.M.L..

A la veille de mai 1968, l’U.E.C. est certes normalisée, mais elle est considérablement affaiblie et se trouve en butte à l’hostilité et à la concurrence des groupes gauchistes à l’Université. Mai 1968 se déroule d’une façon un peu particulière pour l’U.E.C. En effet, son attitude, totalement calquée sur celle du P.C.F, place l’U.E.C. en retrait du mouvement de mai.

Fin 1968, début 1969, elle compte peu d’adhérents : 120 environ selon les R.G. Elle dispose cependant d’une organisation structurée, organisée dans les facultés en cercles. Elle retrouve un certain dynamisme, mène des campagnes d’adhésion et distribue ses tracts sous la protection des militants du P.C.F. ou de la C.G.T. dans les universités et restaurants universitaires. Cependant, elle éprouve des difficultés à développer son influence sur le milieu étudiant. Une note de la fédération U.E.C. de Lyon au Bureau National de l’UEC déplore son incapacité à influencer, à avoir un poids sur l’évolution des grèves en Lettres et en Sciences en janvier- février 1970. L’U.E.C., à peine remise de son double traumatisme, la crise du début des années 60 et mai 1968, ne détient pas les capacités humaines pour imposer à l’U.N.E.F-Renouveau une présence hégémonique. Des adhérents de l’U.E.C. militent activement à l’U.N.E.F- Renouveau et influencent le syndicat étudiant. Mais à aucun moment, elle ne possède une présence prépondérante, hégémonique.

D’ailleurs, l’U.N.E.F-Renouveau regroupe en réalité des étudiants de sensibilités politiques différentes. Sa création se fait sur la participation aux élections universitaires. Elle est alors très peu structurée et le nom U.N.E.F-Renouveau est celui donné aux listes qui se présentent dans les différentes U.E.R.. Or, les listes recrutent bien au-delà du cercle restreint de l’U.E.C., et des étudiants de sensibilités politiques diverses s’impliquent activement. Cette diversité se maintient au-delà des élections. Ainsi, parmi les premiers animateurs de l’U.N.E.F- Renouveau, on retrouve des étudiants de toute la gauche : P.Maneval, J. Miachon (proche de la CIR), M. Hernu (JDS), JJ. Queyranne, G.Collomb. Le cas de N. Chambon est significatif : étudiante en Lettres, élue sur une liste de l’U.N.E.F- Renouveau, présidente du C.A. U.N.E.F. de l’U.E.R. Sciences de l’Homme et de Son Environnement, elle est membre du Bureau National de l’U.N.E.F. de mars 1971 à 1975 où elle représente plus ou moins les étudiants radicaux de gauche. Cependant, loin de constituer un contre- poids à l’U.E.C., les étudiants socialistes ou de la gauche non- communiste sont dispersés en de multiples chapelles et peu nombreux : une trentaine environ.

Contrairement aux légendes et aux images véhiculées par ses détracteurs, l’U.N.E.F-Renouveau ne se compose pas essentiellement de communistes, mais s’ouvre beaucoup plus largement à toutes les composantes de la gauche. D’ailleurs, l’U.E.C., affaiblie, ne possède pas les ressources suffisantes pour faire de l’U.N.E.F-Renouveau sa " courroie de transmission ". Cependant, son influence est très loin d’être négligeable : ses adhérents militent activement dans le syndicat, où ils possèdent les capacités nécessaires pour s’imposer .

  1. Le maintien d’une présence U.E.C. dans l’A.G.E.L-U.N.E.F..
  2. Au début des années 70, la composition politique de l’A.G.E.L-U.N.E.F. se simplifie, s’épure. L’U.E.C. se retrouve alors la seule organisation politique étudiante à maintenir une présence dans l’A.G.E.L-U.N.E.F..

    On assiste à un effacement progressif des militants des partis de la gauche non- communiste. Hormis quelques cas individuels, aucune organisation socialiste, à part le CERES brièvement, ne s’investit dans le syndicat étudiant lyonnais.

    La CIR décide dés le début de participer au renouveau de l’U.N.E.F., même si, au niveau local, l’engagement est moins net. En effet, de " nombreux " étudiants de la CIR se regroupent au sein d’Université 70, qui présente une liste avec le M.A.R.C. (Mouvement d’Action et de Recherche Critique, gauche non- communiste, proche de la C.F.D.T.) aux élections d’U.E.R. de décembre 1970 (U.E.R. de Sciences Juridiques). La CIR disparaît avec la création du Parti Socialiste en 1971. Le regroupement d’une partie notable de la gauche non- communiste au sein du nouveau parti n’entraîne pas pour autant l’engagement des jeunes socialistes dans l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Au contraire, les étudiants socialistes demeurent émiettés entre les différents courants du P.S., en particulier à Lyon : Etudiants Socialistes avec J. Poperen, CERES de J.P Chevénement, Mitterrandiens…. Seul le CERES dispose de quelques militants dans l’A.G.E.L-U.N.E.F., mais de manière ponctuelle et sans responsabilités….

    L’année 1975 marque l’achèvement de ce processus : N. Chambon, qui a représentée les étudiants radicaux de gauche au Bureau National de l’U.N.E.F., critique la prise en main de l’A.G.E.L-U.N.E.F. par l’U.E.C. et démissionne. Dans le même temps, le Parti Socialiste crée le C.O.S.E.F. (Comité d’Organisation pour un Syndicat des Etudiants de France) et présente une liste à l’élection d’U.E.R. de l’IEP. Après une relative percée, il obtient deux élus sur dix, il disparaît de la scène en 1977. En dépit de cet échec, la création du C.O.S.E.F. incarne la rupture entre le P.S. et l’U.N.E.F. dans un contexte pourtant favorable à l’union : le programme commun. Par la suite, le Parti Socialiste, hormis le CERES, délaisse le syndicalisme étudiant. Son réengagement date seulement du début des années 80. A partir d’une implantation dans l’U.N.E.F- US, les étudiants socialistes investissent l’U.N.E.F- ID, après la fusion entre le M.A.S. et l’U.N.E.F- US.

    Désormais, l’U.E.C. est la seule organisation politique à conserver une présence au sein de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. La double appartenance devient fréquente dans le milieu militant de l’A.G.E.L-U.N.E.F. et au niveau des responsables. Ainsi, tous les présidents d’A.G.E. sans exception sont adhérents de l’U.E.C.. De nombreux responsables sont aussi à l’U.E.C.. Elle devient de plus en plus importante avec la diminution des adhérents, et souvent des moins politisés. Cependant, il existe un refus de mélanger les deux. Même s’il n’existe pas de règle écrite, les double- responsabilités sont évitées autant que possible : " Nos rapports (entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et l’U.E.C.) étaient amicaux, on se connaît bien, ils sont à l’U.N.E.F…, mais bon, on séparait les deux ". Mais l’A.G.E.L-U.N.E.F. et l’U.E.C. ne sont pas deux mondes distincts, hermétiques. En effet, la double-appartenance, la proximité des analyses et surtout le partage d’un même noyau militant, engendrent entre les deux organisations des liens. Ainsi, jusqu’au milieu des années 80, l’A.G.E.L-U.N.E.F., qui ne connaît pas de difficultés majeures, sert de vivier à l’U.E.C.. Pour Philippe Grand, président d’A.G.E. de 1984 à 1985, " l’U.N.E.F. sert de vivier à l’U.E.C.. Elle ne vient pas taper dedans, mais elle sert de vivier. En effet, on se côtoie […]. On a jamais voulu que l’U.E.C. se serve de notre local […], mais c’est vrai que l’on a aussi fournit des militants à l’U.E.C.. Et c’est aussi vrai que l’U.E.C a pu, à un moment, nous en fournir. ". L’A.G.E.L-U.N.E.F., qui compte alors prés de 1500 adhérents, constitue, pour une U.E.C. numériquement faible, un milieu où elle peut recruter. Mais ce processus fonctionne aussi dans le sens inverse. De 1986 à 1988, la survie de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est assurée par l’U.E.C.. Elle investit alors des militants dans une U.N.E.F. réduite à l’état de groupuscule : " Ne serait- ce que demander à des copains de lâcher leurs responsabilités sur l’U.E.C. pour aller sur l’A.G.E.L.. […]. Après, il me semble que la balance a dû se renverser, à un moment donné. L’U.E.C. avait alors perdu pas mal de cadres […] et l’A.G.E.L. a fournit des responsables à l’U.E.C. ". Une interdépendance se fait donc entre l’U.E.C. et l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Elle se renforce encore davantage avec la participation de droit du président d’A.G.E. au bureau de ville de l’U.E.C.. Cette pratique s’érige pratiquement en tradition, puisqu’elle est confirmée sur toute la période 1971-1994, mais en particulier pour toutes les années 70. Cependant, être membre ne signifie pas siéger. Il semble que, dans un souci de séparation des activités syndicales et politiques, de nombreux présidents ne siègent pas ou peu : " C’était le cas […]. Je suis arrivé, on m’a dit que c’était comme cela, que ca se faisait. Alors j’ai fait comme cela, mais bon, je n’ai jamais été très actif. J’étais présent régulièrement, mais je n’étais pas très actif, ni très talentueux, parce que je ne mettais pas beaucoup de bonne volonté !. […] Ce n’est pas la conviction qui me manquait, mais je trouvais qu’il ne fallait pas mélanger les " crémeries " ".

    De 1971 à 1994, l’U.E.C. demeure la seule organisation politique dans l’A.G.E.L-U.N.E.F., après l’effacement progressif des organisations de la gauche non- communiste. Sa présence se traduit par des double- appartenances, par la présence du président de l’A.G.E.L-U.N.E.F. au bureau de ville de l’U.E.C., par le partage d’un même noyau militant. Toutefois, durant cette période, les relations entre les deux organisations sont difficiles à définir. Une interaction existe, évidente, mais l’image traditionnelle d’une A.G.E.L-U.N.E.F. communiste est peu crédible et la plupart des adhérents ne sont inscrits à aucun parti politique. De fait, l’U.E.C. possède sur l’A.G.E.L-U.N.E.F. une influence indéniable. Cependant, elle varie selon l’état de l’U.N.E.F. : plus l’U.N.E.F. est puissante, plus elle devient autonome. Plus l’U.N.E.F. est faible et plus son cercle militant se confond avec celui de l’U.E.C., d’où un surcroît de l’influence communiste.

  3. L’A.G.E.L-U.N.E.F. et les partis de gauche : de l’engagement à la distanciation.
  1. Le choix de l’alternance : l’engagement en faveur du programme commun de la gauche : 1972-1981.
  2. L’A.G.E.L-U.N.E.F., dès le congrès de 1971, s’oppose profondément à la politique universitaire des gouvernements successifs issus de la majorité de droite de l’Assemblée Nationale.

    L’U.N.E.F. des années 50 pouvait peser, au moins en apparence, sur les débats parlementaires et parfois imposer ses vues par la concertation. Ainsi, en mars 1948, elle pèse considérablement, sans pour autant imposer ses vues, sur le contenu du décret Capitant instaurant les premières élections universitaires.

    L’U.N.E.F. des années 70 ne dispose pas des moyens humains, du prestige, des relais politiques nécessaires pour influer sur la politique universitaire, tant au niveau national que local. De plus, les autorités politiques et universitaires se refusent à tout dialogue ou concertation avec l’U.N.E.F.. Face à cette impasse politique, l’U.N.E.F. opte rapidement pour le choix de l’alternance politique, c’est à dire pour l’engagement en faveur du programme commun de la gauche.

    Dés le 20 juillet 1972, l’A.G.E.L-U.N.E.F. rencontre le P.C.F. pour évoquer le programme commun de la gauche. Dans le compte- rendu, les délégués de l’A.G.E.L-U.N.E.F. évoquent des points positifs : la volonté de réduire la " ségrégation sociale " par la gratuité des études…, la priorité à l’emploi et la défense des conditions de vie. Les grandes priorités sont largement approuvées. La satisfaction de l’A.G.E.L-U.N.E.F. vis à vis de la signature du programme commun n’est pas une exception. Au contraire, elle est largement partagée par l’ensemble, ou presque, du syndicalisme français et le programme commun apparaît rapidement comme un espoir intense, un premier pas vers le changement tant espéré. L’A.G.E.L-U.N.E.F. considère donc le programme commun comme une évolution positive, puisque, grâce à lui, des revendications de l’U.N.E.F. devraient aboutir : il " crée les conditions pour que les revendications étudiantes puissent être satisfaites ". Il n’est pas un objectif, mais " une arme privilégiée pour la satisfaction des revendications étudiantes ". Mais l’engagement de l’A.G.E.L-U.N.E.F. n’est pas immédiat : il fait tout d’abord preuve de prudence avant de s’intensifier. Certes le programme commun de la gauche constitue une avancée et offre une perspective nouvelle de voir aboutir les luttes et les solutions que l’U.N.E.F. propose. Mais l’enthousiasme est tempéré par une prudence. Le Compte- rendu de la réunion insiste sur la nécessité d’obtenir plus de précisions. De plus, il n’est pas question pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. de propager les idées du programme commun dans le milieu étudiant. L’objectif réaffirmé demeure la défense des étudiants et la satisfaction des revendications. Les propositions du programme commun sont donc pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. un moyen de propager et de satisfaire ses revendications. A aucun moment, elles ne deviennent un objectif, une fin en soi. Un changement s’opère avec les élections législatives de mars 1973. En effet, l’A.G.E.L-U.N.E.F. rompt avec l’attentisme et la prudence des mois précédents et intervient dans la campagne électorale en appelant à voter pour la gauche : " Pour sortir l’université de la crise, tout faire pour que la gauche gagne les élections ". Le programme commun est désormais considéré comme un moyen détourné pour appliquer les solutions de l’U.N.E.F.. L’intervention de l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans la campagne se concrétise par des débats dans les T.D. pour expliquer la crédibilité du programme commun et des solutions de l’U.N.E.F.. Elle souhaite conscientiser le milieu étudiant. Toutefois, ce changement ne se fait pas sans heurts et des discussions ont lieu au sein du syndicat sur l’opportunité de soutenir le programme commun. Le compte- rendu du congrès de l’A.G.E.L-U.N.E.F. des 12 et 13 mai 1973 se fait l’écho de ces discussions. Des interventions critiques s’élèvent contre un engagement trop prononcé en faveur du programme commun : discussions insuffisantes au sein de l’A.G.E.L-U.N.E.F. et surtout crainte de voir le programme commun permettre une assimilation U.N.E.F./P.C.F. par les autres syndicats et associations étudiantes.La réticence à un engagement plus fort s’appuie aussi sur l’accueil des étudiants face aux initiatives de l’A.G.E.L-U.N.E.F. durant la campagne des élections législatives. En effet, la réaction des étudiants apparaît immédiatement hostile ou peu favorable. Le C.A I.N.S.A. conclut son intervention sur les débats organisés sur les liens entre les solutions de l’U.N.E.F. et le programme commun par : " On se fait sortir ". De plus, l’intervention de l’U.N.E.F. dans la campagne des élections législatives s’est soldée par une immense déception des adhérents devant les résultats. En dépit de ces réserves, la position de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est réaffirmée quelques mois plus tard à l’occasion des élections présidentielles de 1974. L’intervention publique est cette fois le fait du Bureau National, qui publie un tract intitulé : " Appel national de l’U.N.E.F. pour les présidentielles ". Le soutien à F. Mitterrand se fait alors dans une logique unitaire : il est soutenu par l’ensemble des partis de gauche, la plupart des centrales syndicales, le P.S.U.… . Au niveau local, l’intervention de l’A.G.E.L-U.N.E.F. est plus modérée, discrète : " L’U.N.E.F. nationale prenait toujours position dans les grandes batailles politiques. Elle disait qu’après avoir rencontré tous les candidats, ce qui n’était pas forcément vrai, elle avait jugé un tel plus sensible au projet d’Allocation d’Etudes etc.… . […] Localement, ce ne se traduisait jamais par des interventions. Celle du Bureau National suffisait et on ne faisait rien d’autre ". L’intervention de l’A.G.E.L-U.N.E.F. semble se résumer à un message de soutien à voter pour F. Mitterrand lors d’un meeting de l’ensemble des partis de gauche à Gerland.

    A partir du milieu des années 70, l’implication de l’A.G.E.L-U.N.E.F. vis à vis du programme commun de la gauche devient moindre . Lors des élections législatives de 1978, son intervention est quasiment nulle. La dégradation des relations P.S- P.C.F. à partir d’octobre 1976 et une certaine lassitude détournent sans doute l’U.N.E.F. du programme commun. Ce désintérêt croissant se renforce au fil du temps. Sa rupture en 1978 n’engendre pas de difficultés internes, exceptés sans doute de nombreuses désillusions et découragements.

    Le dénouement logique de cet engagement est la victoire de F. Mitterrand à l’élection présidentielle le 10 mai 1981. Elle crée pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. un nouveau contexte susceptible de faire aboutir ses revendications. Dés lors, elle soutient la politique universitaire menée par le nouveau gouvernement. C’est le cas du projet de loi sur l’Enseignement Supérieur en mai 1983.

  3. Une prise de distance progressive vis à vis des partis de gauche.

Toutefois, l’A.G.E.L-U.N.E.F. va, durant les années 80 et 90, prendre progressivement davantage de distance vis à vis des partis de gauche et de la politique menée par les différents gouvernements.

Les signes précurseurs de cette distanciation apparaissent dés la rentrée universitaire 1983-1984. En effet, en novembre 1983, les adhérents de l’A.G.E.L-U.N.E.F. organisent une journée de boycott des restaurants universitaires, afin de protester contre l’augmentation du prix du ticket de R.U de 6,15 francs à 8,00 francs. Mais les critiques demeurent mesurées. En dépit du départ des ministres communistes du gouvernement le 19 juillet 1984 (avec le gouvernement Fabius), elle demeure modérée dans ses revendications et ses critiques envers la politique universitaire du pouvoir. Tout comme le tournant de la rigueur de 1983 (un plan de rigueur économique est annoncé par le gouvernement Mauroy le 25 mars 1983), la crise politique de juillet 1984 engendre peu de répercussions au niveau local. Elles se produisent surtout au Bureau National où siègent encore quelques socialistes. D’ailleurs, dans un article de l’Humanité du 27 septembre 1984, l’A.G.E.L-U.N.E.F., par la voix de son président, réaffirme son soutien à la réforme de l’Enseignement Supérieur : " Nous l’avons voulue, nous y avons travaillé, nous en avons débattu avec les étudiants, nous avons obtenu qu’elle soit votée ". Seules quelques petites réserves sont exprimées vis à vis des moyens alloués, tandis qu’une réforme des œuvres universitaires est ardemment souhaitée.

En fait, le tournant semble se situer à la fin de l’année universitaire 1984-1985. L’attitude de l’A.G.E.L-U.N.E.F. se radicalise et s’oppose ouvertement à la politique universitaire du gouvernement. Les désaccords portent sur la mise en place des nouvelles structures de l’Université et sur l’augmentation des droits d’inscription. Pour l’A.G.E.L-U.N.E.F., les nouveaux projets du gouvernement, élaborés sans concertation, visent à créer une Université à deux vitesses : une université d’élite à forts moyens et une Université de masse. Dans le même temps, le ministre de l’Education Nationale, Mr J.P.Chevénement, annonce une augmentation de 33 % des droits d’inscription et des droits pour la sécurité sociale étudiante. Les critiques ne sont plus voilées et l’A.G.E.L-U.N.E.F. accuse le gouvernement de suivre la même politique que les anciens gouvernements de droite : création d’universités concurrentielles et à double vitesses, renforcement de la sélection et absence totale de concertation. Les causes de ce changement sont multiples. La nouvelle orientation politique, économique et sociale du gouvernement joue un rôle majeur. L’adoption et l’application d’une politique de rigueur au printemps 1983 a mis fin aux illusions sur un mutation possible de l’Université, sur la prise en compte des solutions de l’U.N.E.F., qui nécessitent un réengagement financier de l’Etat. Les nouvelles mesures du gouvernement heurtent de plein front l’U.N.E.F.. L’accumulation des hausses diverses en 1984 (augmentation de cinquante centimes du prix du ticket de R.U, des loyers des chambres des cités universitaires de 5 %), sans réaction de la part du syndicat étudiant, a sans doute contribué à une sorte de " ras le bol ". Enfin, le départ des ministres communistes du gouvernement entraîne probablement une attitude plus critique des actes du gouvernement chez les militants de l’U.E.C..

Par la suite, l’A.G.E.L-U.N.E.F. n’intervient pratiquement plus dans le domaine politique. Cependant, des prises de position internes à l’organisation sont décidées. En aout-septembre 1992, le Bureau National de l’U.N.E.F. explique à ses adhérents les raisons de voter non au referundum sur le traité de Maastricht : " On ne l’a pas rendu publique. J’ai reçu un exemplaire, mais je ne sais pas si tout le monde en a reçu. Il demandait de ne pas voter pour le traité de Maastricht. Enfin, non, il ne demandait pas, il disait pourquoi il ne fallait pas voter pour Maastricht, ce qui n’est pas tout à fait pareil ". Mais pour les élections, ni l’U.N.E.F., ni l’A.G.E.L-U.N.E.F. n’appellent à voter pour tel ou tel candidat. Son discours abandonne toute référence à une solution politique, les contacts même avec les partis politiques s’espacent et se raréfient. Elle abandonne tout projet global pour l’Université et tente de coller au mouvement étudiant : opposition au projet Devaquet, à la guerre du golfe, au projet Jospin, au CIP… .


III. La dénonciation des autres associations et syndicats étudiants comme réponse à l’éclatement de la représentation étudiante.

La rupture de la représentation syndicale unique des étudiants se produit dès 1961 avec la scission de la F.N.E.F., soutenue par le pouvoir gaulliste. Cependant, la F.N.E.F. ne parvient pas à s’imposer au niveau national et au niveau local. A Lyon, sa branche, la F.G.E.L. (Fédération Générale des Etudiants Lyonnais) végète et l’U.N.E.F. garde une position largement prédominante. La scission de 1971, entre l’U.N.E.F.- Renouveau et l’U.N.E.F.- Unité Syndicale, met, relativement, un terme à une période d’émiettement de la représentation syndicale étudiante. Désormais, une concurrence entre une multitude d’associations et de syndicats existe sur les campus. Face à cette situation, l’A.G.E.L-U.N.E.F. pratique une politique de dénonciation vis à vis des autres organisations et se considère comme le seul syndicat étudiant, héritier de la " grande UNEF ".

  1. L’A.G.E.L-U.N.E.F., seul syndicat opposé à la politique universitaire du pouvoir.
  2. L’A.G.E.L-U.N.E.F. se présente, surtout de 1971 à 1981, comme le seul syndicat résolument opposé à la politique universitaire menée par le gouvernement. Seul syndicat à défendre les intérêts des étudiants, elle se présente comme le seul rempart contre les diverses attaques des secrétaires d’Etat aux universités des gouvernements de droite. Ainsi, lors des élections au Conseil d’Administration du C.R.O.U.S. en 1977, l’A.G.E.L-U.N.E.F. présente un bilan de ses actions, bien que sa liste ait été invalidée aux élections de 1975 : grève des loyers des cités universitaires de Jussieu, Puvis de Chavannes, Monod, Centrale à l’appel de la F.R.U.F. et de l’U.G.E. à l’automne 1975, rejet de l’augmentation du prix du ticket de R.U en juin 1976 lors d’une réunion du Conseil National des Œuvres, lutte commune A.G.E.L-U.N.E.F./U.N.E.M. contre les expulsions d’étudiants marocains des cités universitaires….

    A l’inverse, les autres associations et syndicats étudiants sont dénoncés comme des alliés objectifs du gouvernement : " Leurs programmes, c’est pour les uns la copie conforme de celui de Saunier, pour les autres une mauvaise copie de celui de l’U.N.E.F., la F.R.U.F. et l’U.G.E.. Leur raison d’être : permettre l’application des plans de Saunier. Sinon, d’ailleurs, comment mériteraient-ils les subventions dont les arrose Alice, et que celle-ci refuse à l’U.N.E.F., tentant d’étouffer les luttes ". Toutes les associations sont visées, quelle que soit leur sensibilité politique. Les élections étudiantes sont les moments privilégiés pour critiquer les autres listes. Ainsi, lors des élections au Conseil d’Administration du C.R.O.U.S. de Lyon- Saint Etienne en 1979, aucune liste n’est épargnée : le C.L.E.F. est " un syndicat étudiant giscardo-politique dirigé par Saunier Seité ", la CERRA est considérée comme un mélange de " CORPO plus U.N.I., ou l’art d’associer la carotte et le bâton ", le MAS est traité avec ironie et condescendance : " ou du moins ce qu’il en reste. Trop occupés dans leurs querelles de tendances, ils n’ont pas le temps de s’intéresser aux problèmes des étudiants. A Lyon, ils avaient un élu au C.R.O.U.S. : il n’a sans doute pas retrouvé son courant. Où est-il ? Lançons un avis de recherche… ". Mais la cible principale de l’A.G.E.L-U.N.E.F. demeure l’U.N.E.F-Unité Syndicale, auquel elle dénie le droit de porter le sigle U.N.E.F.  : " ils vous trompent en usurpant le sigle de l’UNEF ". Ils sont le plus souvent qualifiés d’A.J.S. (Unité Syndicale) – F.E.R.U.F.. En dépit de ses attaches trotskistes, l’A.G.E.L-U.N.E.F. classe l’U.N.E.F-Unité Syndicale parmi les alliés de Saunier Seité. Ainsi, le boycott prôné par l’U.N.E.F-Unité Syndicale laisse, selon l’A.G.E.L-U.N.E.F., les mains libres au gouvernement dans les conseils d’administration…. Le corporatisme et le gauchisme sont relégués au rang des alliés objectifs de Saunier Seité. Ainsi, le corporatisme est défini comme une association d’étudiants aisés, organisant des distractions et ayant pour objectif de faciliter l’application des mesures gouvernementales. Si les corpos sont critiquées pour avoir une vision trop étroite et locale des problèmes, l’U.N.E.F-Unité Syndicale est au contraire accusée de faire passer ses objectifs politiques avant les intérêts des étudiants.

    L’A.G.E.L-U.N.E.F. tente d’apparaître comme le seul véritable syndicat étudiant, puisque tous les autres sont catalogués dans le groupe des alliés du gouvernement. Elle souhaite ainsi se présenter comme le seul pôle possible de ralliement pour les étudiants opposés aux mesures gouvernementales, et se pose en recours face aux " diviseurs ". L’unicité de la représentation syndicale des étudiants n’est pas brisée, puisqu’une seule organisation défend les intérêts des étudiants : l’U.N.E.F..

  3. Eviter le plus possible l’unité d’action.

L’unité d’action, c’est à dire la recherche d’un consensus d’une majorité d’organisations syndicales sur un problème et la façon de le résoudre, est depuis déjà quelques décennies une pratique fortement implantée parmi les syndicats de salariés. (C.G.T., C.F.D.T., C.G.T- F.O., C.F.T.C…). Même au niveau local, la pratique est courante : dans l’Isère, une grève aux établissements Merlin- Gérin se déroule du 19 octobre au 6 novembre 1979 grâce à une unité d’action entre la C.F.D.T., la C.G.T ;, la C.G.T- F.O.. En milieu étudiant, la situation est radicalement différente, même si une évolution se fait jour. En effet, éviter le plus possible l’unité d’action est, sans être une préoccupation constante, un réflexe naturel.

Les causes sont multiples et trouvent leurs racines dans le passé et dans le présent.

Le poids du passé dans le syndicalisme étudiant gêne considérablement une évolution favorable à l’unité d’action. Il pèse principalement sur les relations entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et l’U.G.E.L-U.N.E.F.. Dans les années 50 surtout, la représentation étudiante est unique. C’est le mythe de la " grande U.N.E.F. " des années 50 et 60, capable de rassembler au sein d’une même organisation la masse des étudiants, en dépit des différentes sensibilités politiques. Ce passé est à la fois glorieux et mystique : la charte de Grenoble en 1946, la création de la sécurité sociale étudiante et de la M.N.E.F. en 1948, la première grève étudiante en 1947 pour les bourses et contre les droits d’inscription, la création du projet d’allocation d’études, les manifestations pour s’opposer à la suppression des sursis étudiants puis pour s’opposer à la guerre en Algérie de 1958 à 1961… . Or, les deux syndicats étudiants issus de la scission revendiquent ce passé. Chacun veut devenir un " syndicat de masse " et ambitionne d’être la seule et unique U.N.E.F.. Dans ce contexte, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se considère comme le seul syndicat étudiant : " A l’époque, il n’y avait pas d’unité. Il n’était pas question pour nous d’unité d’action entre les différentes organisations syndicales étudiantes, parce que, pour nous, d’organisation étudiante à vocation syndicale, il n’y en avait une seule : la nôtre. C’était aussi l’avis des autres, sauf que c’était la leur. […]. A l’époque, l’idée était qu’il y’avait de la place pour tout le monde à l’U.N.E.F., à condition de ne pas créer de tendances organisées ". De par ses valeurs, ses attitudes, sa composition…, l’A.G.E.L-U.N.E.F. se considère comme la seule organisation syndicale étudiante. Puisque tout le monde peut venir à l’A.G.E.L-U.N.E.F., les autres organisations n’ont plus de raisons d’exister… . Revenir à l’unicité du syndicalisme étudiant suppose la disparition d’une des deux U.N.E.F. et des autres organisations syndicales, ou la prédominance très forte de l’une des deux. Cette volonté se conjugue mal avec l’unité d’action, puisque l’unité d’action ne permet pas de revendiquer à son profit exclusif une lutte auprès des étudiants, et donc de récupérer les dividendes : influence accrue auprès des étudiants, augmentation du nombre des adhérents.

Le poids du passé se traduit aussi par une haine tenace entre les deux U.N.E.F. : l’A.G.E.L. et l’U.G.E.L.. En effet, un gouffre historique sépare les deux branches de l’U.N.E.F. : le souvenir de la scission de 1971. Il perdure dans la mémoire du syndicalisme étudiant et des militants, et demeure particulièrement vif, même au début des années 90, c’est à dire près de 20 ans après !. Cette mémoire se compose d’une trame chronologique simplifiée des événements et surtout de multiples anecdotes opposant les militants de l’A.G.E.L-U.N.E.F. et de l’U.G.E.L-U.N.E.F.. Elle est véhiculée par les cohabitations entre les strates successives d’adhérents et est essentiellement orale. Elle peut remonter parfois fort loin, comme l’affaire des cartes en 1969. En tout cas, elle n’encourage pas l’unité d’action entre les deux organisations : " On avait l’idée, une idée de violences, surtout de la part de l’U.N.E.F- ID. Je me souviens […]l’U.N.E.F- ID faisait référence au mouvement du 22 mars […] et à la scission de l’U.N.E.F de 1971. Ils avaient…, pour eux, il s’était passé quelque chose de violent, et ils perpétuaient cette violence. […]. L’U.N.E.F- ID, c’est l’ennemi, mais c’est vraiment considéré comme l’ennemi. Ce n’est pas l’adversaire, c’est l’ennemi.  ". La haine entre les deux organisations va jusqu’à l’affrontement physique. Ainsi, sous la présidence d’A. Saint- Patrice en 1975-1976 : " Avec l’U.G.E.L-U.N.E.F., on avait viscéralement une haine absolument féroce […]. Les relations étaient extrêmement tendues. Ils étaient […] tabasseurs, on ne l’était pas. On s’est fait taper dessus plusieurs fois. Y compris un camarade handicapé dans un fauteuil jeté dans les escaliers du deuxième étage […]. Des choses vraiment inqualifiables ".

Outre le poids du passé, la concurrence exacerbée entre les différentes associations et syndicats étudiants nuit à l’unité d’action. Elle n’existe pas seulement dans le monde étudiant, mais aussi entre les différents syndicats ouvriers. Cependant, la culture syndicale du monde ouvrier et salarié est de nature différente : le principe de pluralité de la représentation des salariées est acquise depuis le début du vingtième siècle avec la scission de la C.G.T. en 1921, la création de la C.F.T.C., des syndicats autonomes… . De plus, les syndicats sont davantage différenciés, car ils sont porteurs de projets à long terme : la C.G.T. souhaitait changer la propriété des moyens de production…. Enfin, la maturité du syndicalisme ouvrier est plus grande, plus responsable.

Enfin, une dernière cause réside dans la nature même de l’unité d’action. En effet, elle induit l’idée d’une mise en commun des forces pour régler un problème, car, seul, on ne dispose pas des capacités nécessaires à sa résolution. Chercher l’unité d’action, c’est pour l’A.G.E.L-U.N.E.F. reconnaître indirectement son incapacité, sa faiblesse à mener seule des luttes. Or, elle affirme et veut apparaître comme le seul syndicat étudiant, syndicat de masse.

L’unité d’action n’est donc pas, contrairement au syndicalisme ouvrier, un réflexe naturel. Au contraire, elle n’est pas recherchée par les différents protagonistes.

La réalité diffère cependant : l’unité d’action est souvent imposée par les étudiants et par les circonstances lors des grands mouvements étudiants. Elle se réalise, de fait, lors des A.G.. Ouvertes à tous, l’A.G. regroupe les représentants de toutes les organisations syndicales et politiques du campus. Or, c’est l’A.G. qui, souveraine, dirige le mouvement, au moins en apparence. Par conséquent, l’unité d’action se réalise à travers l’Assemblée Générale. Les coordinations étudiantes, élues en A.G., comprennent des représentants de toutes les organisations et permettent lors d’un mouvement étudiant la concrétisation de l’unité d’action. Dans les mouvements d’ampleur restreinte, la participation des étudiants n’est pas suffisante pour imposer l’unité d’action. Ainsi, en octobre 1975, l’A.G.E.L-U.N.E.F. organise un boycott des restaurants universitaires pour protester contre l’augmentation du prix du ticket de R.U de 25 % par rapport à l’année précédente. La participation des étudiants, réduite au choix de boycotter ou non, permet à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de garder le contrôle et d’éviter l’implication des autres syndicats.

Cependant, une évolution se dessine à la fin des années 80 dans la considération de l’unité d’action par l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Elle n’est pas recherchée systématiquement, mais elle a lieu occasionnellement, même sur des mouvements restreints. Ainsi, à Lyon II, une pétition commune A.G.E.L-U.N.E.F./U.G.E.L-U.N.E.F./étudiants non- syndiqués sur les problèmes de budget est mise en circulation en novembre 1988. L’affaiblissement numérique des syndicats étudiants, et en particulier de l’A.G.E.L-U.N.E.F. devenue groupusculaire en 1988, explique en partie cette évolution. L’unité d’action devient une nécessité, un gage de réussite afin de mener jusqu’au bout une lutte. Dans le même temps, le monde étudiant éprouve un besoin accru de diversité. De plus, les divergences entre les syndicats étudiants, hormis l’U.N.I., s’estompent un peu plus. Des communautés de point de vue peuvent s’établir sur des problèmes précis, concrets et surtout locaux. L’atténuation des différences a pour origine une resyndicalisation des deux branches de l’U.N.E.F. et l’abandon des discours théoriques. L’U.N.E.F., au congrès de Toulouse en 1990, se veut un syndicat proche des étudiants, un syndicat plus utile. La nouvelle orientation décide de partir des problèmes concrets pour mobiliser les étudiants. Elle est donc compatible avec l’unité d’action : la résolution de problèmes concrets ne nécessite pas l’intervention de théories, de projets pour l’Université, et ne déclenche pas ainsi de clivages théoriques. Enfin, des critiques émanent des rangs même des syndicats étudiants et prônent l’unité d’action sur certains problèmes. Le souvenir de la scission de 1971, encore vivace, s’atténue tout de même et l’U.N.E.F- ID, qui passe d’une majorité trotskiste peu engageante à une majorité issue du Parti Socialiste, devient un peu plus fréquentable. Toutefois, l’unité d’action se heurte toujours à des difficultés dans sa réalisation : " C’était toujours des problèmes. Ne serait- ce que pour rédiger un tract, cela prenait des heures. Ou alors, carrément, un jour, un tract sort avec le logo de l’A.G.E.L-U.N.E.F., de l’U.N.E.F- ID et de PSA, sans que nous ayons participé à la rédaction… ". De plus, un certain nombre de divergences d’appréciation se maintiennent, comme lors de la réforme Jospin en 1991-1992.

3. Trois exceptions : les associations d’étudiants étrangers, la F.R.U.F. et l’U.G.E..

La recherche de l’unité d’action n’est donc pas un réflexe pour l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Pourtant, elle travaille, collabore sur certains problèmes avec des associations d’étudiants étrangers, la F.R.U.F. et l’U.G.E..

  1. Une collaboration avec les associations d’étudiants étrangers réduite à des cas particuliers.
  2. Occasionnellement, une recherche d’unité d’action avec des associations d’étudiants étrangers se met en place. Elle se fait principalement avec l’Union Nationale des Etudiants Marocains (U.N.E.M.). D’octobre 1976 à décembre 1977, l’A.G.E.L-U.N.E.F. et l’U.N.E.M. mènent des campagnes de protestation contre l’attribution limitée de chambres aux étudiants étrangers dans les cités universitaires. Un rassemblement est organisé le 28 octobre 1976 et des pétitions circulent dans les différentes universités. La collaboration avec d’autres associations est plus rare. Ainsi, l’U.G.E.L.F. (Union Générale des Etudiants Libanais en France) et l’A.E.L. (Association des Etudiants Libanais) soutiennent la liste Cerra aux élections au C.A. du C.R.O.U.S. de 1979. Cependant, un collectif, comprenant l’A.G.E.L-U.N.E.F., l’U.G.E., l’U.N.E.M. et l’U.G.E.L.F., est crée en janvier 1980, afin de lutter contre le décret du 31 décembre 1979. Ce décret renforce la sélection des étudiants étrangers désirant effectuer des études universitaires en France : il instaure un examen de français, une commission nationale pour choisir les admis…. Le collectif revendique donc l’abrogation du décret. Des actions communes se déroulent sur des questions concernant directement les étudiants étrangers.

    Cependant, elles demeurent assez rares et ne sortent jamais de cet étroit domaine de compétence. De plus, l’A.G.E.L-U.N.E.F. tente régulièrement d’éviter toute collaboration et d’intégrer les questions touchant les étudiants étrangers à sa démarche. Ainsi, en octobre- novembre 1977, l’A.G.E.L-U.N.E.F. lance des Comités de Défense des Etudiants Etrangers. Crées par des étudiants étrangers, ils sont ouverts à tous les étudiants, ont une activité de réflexion et surtout d’action. En effet, ils portent de nombreuses revendications : attribution effective de toutes les chambres libres dans les cités universitaires, suppression des quotas d’étrangers dans les cités, possibilité pour les étudiants étrangers de loger dans les foyers Sonacotra au tarif du C.R.O.U.S., construction d’une cité universitaire à Bron et reconstruction du bâtiment B de l’I.N.S.A.. En avril 1979, l’A.G.E.L-U.N.E.F. soutient la plainte d’un étudiant tunisien contre la circulaire Bonnet. Dans toutes ces initiatives, elle agit seule, sans rechercher l’unité d’action avec les associations d’étudiants étrangers. Il ne s’agit donc ici que d’une collaboration réduite et ponctuelle.

  3. Les associations étroitement liées à l’U.N.E.F. : la F.R.U.F. et l’U.G.E..

Une véritable unité d’action se réalise entre l’U.N.E.F., la FRUF et l’U.G.E.. Cependant, ces associations sont étroitement liées à l’U.N.E.F., et ne disposent pas de véritable existence propre, ou du moins de structures totalement indépendantes.

L’U.G.E., c’est à dire l’Union des Grandes Ecoles, est le syndicat des élèves en grandes écoles. Elle est traditionnellement proche de l’U.N.E.F. depuis sa fondation. Elle devient très rapidement proche de la tendance Renouveau : " On était à côté de la rue d’Aboukir où se trouvait le siège […] de l’U.G.E.. Elle a été, dés le début, très proche. L’U.G.E. a toujours existée en tant que tel à l’époque, a toujours eu son propre fonctionnement, et elle était du côté de l’U.N.E.F- renouveau dés le début ". L’U.G.E. est donc acquise au renouveau bien avant la scission de 1971. Sa situation à Lyon ,après 1971, est un peu particulière. Théoriquement, elle regroupe les élèves de l’I.N.S.A., des classes préparatoires, des diverses grandes écoles : architecture, centrale… . Dans la réalité, la situation est plus compliquée. L’I.N.S.A. constitue à Lyon la seule implantation stable de l’U.G.E., même si des structures éphémères naissent comme à Centrale, dans certaines prépas… . Des structures composites ont même vu le jour, mélanges d’U.N.E.F. et d’U.G.E.. Ainsi, en 1972, un comité U.N.E.F-U.G.E., distinct de l’A.G.E.L-U.N.E.F., existe à l’école vétérinaire de Lyon. En fait, l’U.G.E. possède, peut- être jusqu’au milieu des années 70 environ (1976 ou 1977), ses propres structures à Lyon : " A l’I.N.S.A.. Il y’avait une autonomie de l’U.N.E.F. et de l’U.G.E. […]. C’était une autre particularité locale, qui fait que les relations entre l’U.N.E.F. et l’U.G.E. étaient très complices. Lyon était une des rares A.G.E., où, pendant un temps, le président de l’A.G.E.L-U.N.E.F. était de l’U.G.E.. Ainsi, B. Fiat par exemple… . Cela aurait été exclu à Toulouse ou ailleurs… […], mais l’U.G.E. a ses propres structures ". Elle dispose de son propre collectif de ville, de son propre bureau de ville… . Cependant, des écoles lui échappent au profit de l’A.G.E.L-U.N.E.F., comme l’école d’architecture. De plus, une interaction très forte se développe entre l’U.N.E.F. et l’U.G.E. à Lyon. Dés les premiers mois du renouveau à Lyon, l’I.N.S.A. est entièrement acquise à l’U.N.E.F- Renouveau et aide considérablement les autres implantations grâce à ses Ronéos, ses fortes capacités militantes (et parfois physiques avec notamment son équipe de rugby, utile comme service d’ordre…)…. Par la suite, une fois le renouveau achevé, un responsable de l’I.N.S.A. siège au bureau de l’A.G.E.L-U.N.E.F., et plusieurs présidents d’A.G.E. sont issus de l’I.N.S.A., et donc de l’U.G.E. : B. Fiat, A. Saint- Patrice… . Il s’agit véritablement d’une exception ou d’un cas rarissime en France. Logiquement, l’U.G.E. est associée assez souvent aux actions de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. En mars 1973, l’U.G.E. appelle à manifester contre la suppression des sursis militaires aux côtés de l’A.G.E.L-U.N.E.F., du M.J.C.F., de l’UD- C.A.L., et du CDJ- C.G.T.. En octobre 1976, elle participe à l’action commune UGICT- C.G.T., A.G.E.L-U.N.E.F. sur le chômage des jeunes. Cependant, elle mène peu, et peut-être jamais, de luttes seule et n’apparaît jamais distinctement de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Sans doute existe t’il une forte confusion entre l’A.G.E.L-U.N.E.F. et l’U.G.E. : l’U.G.E. possède ses propres structures, mais sa principale implantation, l’I.N.S.A., est très fortement intégrée à l’A.G.E.L-U.N.E.F.. L’U.G.E. semble disparaître après 1976. En effet, elle n’apparaît pas lors de la lutte contre la réforme Haby dans les grandes écoles en 1977. La lutte, au lycée du Parc, est conduite par un comité U.N.E.F. et non U.G.E., tandis que des candidats U.N.E.F. se présentent aux postes de délégués de classe.Son implantation ne disparaît pourtant pas : des comités U.N.E.F. prennent la relève dans les prépas, à l’I.N.S.A.… . Sans doute, l’U.G.E. s’est elle fondue, intégrée à l’A.G.E.L-U.N.E.F.. L’A.G.E.L-U.N.E.F. se contente ensuite de gérer le sigle UGE. Il apparaît régulièrement lors des élections étudiantes, comme pour le C.A. du C.R.O.U.S…. .

Les relations avec la F.R.U.F. sont différentes, en particulier avant 1975. Avant 1975, et sa scission, l’implantation de la F.R.U.F. à Lyon est relativement conséquente. En 1973, elle est présente dans la plupart des cités universitaires de Lyon : Allix avec l’AERUAA- FRUF, Jussieu et Puvis de Chavannes avec l’AERU- FRUF. Les relations entre l’U.N.E.F.- renouveau (puis l’A.G.E.L-U.N.E.F.) et la F.R.U.F. varient selon les implantations. Ainsi, elles semblent particulièrement difficiles avec l’AERUAA- FRUF, probablement aux mains de l’A.J.S. ou du P.S.U.. La liste du bureau sortant se livre, dans sa profession de foi, à une violente critique de la position de l’U.N.E.F- renouveau vis à vis de la cogestion : " participation stupide et stérile ", " cautionner la politique du gouvernement ", " illusion ". Elle s’oppose aussi au bureau national de la F.R.U.F. acquis à l’U.N.E.F- renouveau et à la signature par ce même B.N. du programme commun de la gauche. La F.R.U.F. possède alors ses propres structures à Lyon et est, de fait, strictement indépendante de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Indépendance réaffirmée lors du quatrième congrès de la F.R.U.F. et lors d’une rencontre entre la F.R.U.F. et l’A.G.E.L-U.N.E.F. en février 1972. Les relations sont assez lâches et peu chaleureuses. Le rapprochement entre l’U.N.E.F. et la F.R.U.F. se fait au niveau national et non local. Cependant la tiédeur, et parfois l’hostilité, des relations ne gêne pas un travail en commun entre les deux organisations. Des rencontres entre les bureaux de la F.R.U.F. et de l’A.G.E.L-U.N.E.F. ont lieu à partir de décembre 1971. Elles sont l’occasion de préparer des actions communes sur certaines questions, mais uniquement dans le domaine du C.R.O.U.S.. Une pétition sur les conditions de vie est élaborée en décembre 1971, une action sur les restaurants universitaires est envisagée en mars 1972… . L’unité d’action avec la F.R.U.F. se réalise, mais les relations entre les deux organisations demeurent tendues, en particulier avec l’AERUUA- FRUF. Tiraillée entre deux tendances, la F.R.U.F. éclate en 1975. Les adhérents proches de l’U.N.E.F- Unité Syndicale scissionnent et créent la F.E.R.U.F.. A cette occasion, la F.R.U.F. perd à Lyon la plupart de ses implantations. Elle est, en 1975, présente dans une cité universitaire sur huit. En 1981, elle demeure implantée à Mermoz, puis disparaît au cours des années 80. La scission de 1975 rapproche la F.R.U.F. de l’U.N.E.F.. Concrètement, cela se traduit de deux façons. Tout d’abord, une liste commune U.N.E.F-F.R.U.F-U.G.E. est systématiquement présentée aux élections au C.A. du C.R.O.U.S.. Ensuite, l’A.G.E.L-U.N.E.F. s’immisce toujours davantage dans la F.R.U.F.. A plusieurs reprises, le B.N. de l’U.N.E.F. demande à l’A.G.E.L-U.N.E.F. de reconstruire et de développer la F.R.U.F. à Lyon, c’est à dire d’investir des militants. C’est le cas en 1975. En 1981, la F.R.U.F. est recrée à partir de militants de l’A.G.E.L-U.N.E.F.. Elle se développe à nouveau et s’implante dans quelques cités universitaires : Mermoz, Allix et Puvis de Chavannes. Elle est alors capable d’impulser des luttes, comme la rétention des loyers à Mermoz en mars 1981. Cependant, l’édifice demeure fragile, en particulier à cause du renouvellement rapide des adhérents. En 1984- 1985, un nouvel effort doit être entrepris : la F.R.U.F. s’implante à Saint- Irénée et à Puvis de Chavannes. Chaque nouvelle implantation nécessite un travail de fond : porte à porte, présence lors des élections… . A la fin des années 80, la F.R.U.F. disparaît définitivement et l’A.G.E.L-U.N.E.F. se contente de gérer le sigle F.R.U.F. pour les élections au C.A. du C.R.O.U.S.

 


En dépit des apparences, les archives de l’A.G.E.L-U.N.E.F. regorgent de courriers provenant d’associations diverses et de syndicats, l’A.G.E.L-U.N.E.F. est peu intégrée au tissu syndical, politique et associatif.

En effet, la politique de l’A.G.E.L-U.N.E.F. vis à vis des autres organisations est profondément marquée par trois caractéristiques : irrégularité dans les relations, prudence dans les engagements, politiques en particulier, et rejet de l’unité d’action avec la plupart des associations et syndicats étudiants.

Elle développe des relations sans exclusivité, mais se heurte rapidement à l’anticommunisme de plusieurs centrales syndicales comme la F.E.N., la C.F.D.T., la C.G.T-F.O.. Elle se tourne donc essentiellement vers des syndicats dits de " sensibilité communiste ", c’est à dire la C.G.T., le S.N.E.Sup.. Les relations sont assez distantes et se déroulent la plupart du temps de manière informelle, par l’intermédiaire des militants ou des élus dans les conseils.

Vis à vis du tissu politique lyonnais, l’A.G.E.L-U.N.E.F. développe très peu de relations officielles ou suivis avec les partis de gauche. Elles sont plus complexes avec l’Union des Etudiants Communistes, puisqu’elles partagent en commun un même noyau militant. En dépit du reproche traditionnel des étudiants sur la politisation excessive des syndicats étudiants, l’engagement de l’A.G.E.L-U.N.E.F. dans le domaine politique demeure très faible. Au final, l’A.G.E.L-U.N.E.F. est un syndicat isolé dans le paysage politique, syndical et associatif lyonnais.

 


CONCLUSION

La recomposition de l’U.N.E.F à Lyon se concrétise, en 1971, par la cohabitation de trois organisations : l’A.G.E.L-U.N.E.F issue de l’U.N.E.F-Renouveau, l’U.G.E.L-U.N.E.F-Unité Syndicale et l’A.G.E.L détenue par le P.S.U. La naissance de l’A.G.E.L-U.N.E.F en 1971 a lieu dans des conditions particulières et originales. Organisation indépendante dés mai 1969, la création de l’U.N.E.F-Renouveau à Lyon est une fondation et non une scission : elle est affiliée à l’U.N.E.F par l’intermédiaire de la tendance Renouveau, mais rejette catégoriquement toute relation avec l’A.G.E.L. Le rôle de l’U.G.E et de l’U.E.C semblent assez particuliers. Si l’U.G.E s’implique totalement dans le renouveau de l’U.N.E.F à Lyon au point de délaisser quelque peu ses propres structures, l’implication de l’U.E.C est moindre et le renouveau ne se réduit pas au seul cercle des militants communistes. Contrairement à beaucoup d’autres A.G.E, des bases syndicales se redéveloppent hors de l’U.E.C.

L’évolution de l’A.G.E.L-U.N.E.F est étroitement liée au milieu étudiant et au contexte universitaire. Or, le contexte étudiant et universitaire n’est pas favorable au syndicalisme étudiant. Certes, sous l’effet de la " massification " de l’Enseignement Supérieur et de l’Université en particulier (l’Université de Lyon double de volume et passe de 57 000 étudiants en 1976 à 110 000 en 1994), de très nombreux mouvements étudiants, tant nationaux que locaux, se développent en prenant pour cibles les réformes successives des secrétaires d’Etat aux universités. Mais le déplacement des thèmes mobilisateurs, l’apparition de nouvelles formes d’organisation… ne sont pas favorables à l’émergence d’un syndicat étudiant puissant capable de rassembler les étudiants et de conduire les luttes revendicatives. L’A.G.E.L-U.N.E.F trouve très rapidement sa place au sein du mouvement étudiant, mais elle doit composer désormais avec d’autres organisations.

De 1971 à 1994, l’A.G.E.L-U.N.E.F développe un syndicalisme étudiant original et qui ne se retrouve, encore faudrait-il le vérifier, que dans certaines grandes A.G.E, comme Toulouse par exemple. La reconstruction d’un syndicat étudiant puissant à Lyon s’inscrit à la fois en continuité et en rupture avec le passé incarné par la mythique " grande U.N.E.F " et qui ne cesse de hanter les esprits.

La continuité s’incarne particulièrement à travers la volonté de l’A.G.E.L-U.N.E.F, et surtout la conviction, d’être le seul véritable syndicat à défendre les intérêts des étudiants. Peu impliquée dans le tissu syndical, politique et associatif lyonnais, elle réagit à l’éclatement de la représentation étudiante en dénonçant la collusion entre le pouvoir et les autres associations étudiantes, et en refusant, autant que possible, l’unité d’action. Indiscutablement, l’A.G.E.L-U.N.E.F s’inscrit dans une vision du mouvement étudiant antérieure à la scission et résumée par le Figaro en 1956 : l’U.N.E.F, " grand syndicat unique de la classe étudiante ".

Continuité encore avec la synthèse ébauchée à partir de 1976 et réalisée en 1979 en conciliant " au mieux un syndicalisme de revendication et de négociation avec la nécessité de rendre des services aux étudiants ". En effet, avec la création du CERCOOPE, l’A.G.E.L-U.N.E.F s’engage résolument dans la voie de la reconstruction d’une économie sociale étudiante en délivrant de multiples services aux étudiants de Lyon, mais aussi de Saint-Etienne, de Grenoble, de Besançon et de Dijon. Dans le même temps, elle conserve son caractère revendicatif et profite du changement de gouvernement en 1981 pour entamer des négociations sur l’avenir de l’Université.

Continuité enfin dans le rôle de socialisation et de formation joué dans la carrière professionnelle des anciens militants de l’A.G.E.L-U.N.E.F. En effet, le syndicat étudiant lyonnais est à la fois le lieu de nouveaux engagements politiques, en particulier communistes, et le lieu de l’acquisition d’un vécu essentiel dans la socialisation et la formation des militants.

Cependant, l’A.G.E.L-U.N.E.F n’est pas une copie, une reproduction à l’identique du passé ? Au contraire, des ruptures profondes existent et donnent un nouveau visage à l’organisation étudiante. La principale rupture est l’instabilité de l’A.G.E.L-U.N.E.F durant toute cette période. En effet, et contrairement aux années 50 et 60, une instabilité permanente existe et se concentre sur l’organisation, sur les structures. Elle s’exprime tout d’abord dans le caractère aléatoire et chaotique de l’implantation. les effectifs fluctuent fortement en l’espace de quelques années. Le cas du milieu des années 80 est éloquent : de 1500 adhérents en 1984-1985, les effectifs chutent pour atteindre 70 à 90 adhérents en 1987-1988. Ensuite, il existe une instabilité des structures de base, qui sont fréquemment renouvelées en fonction de leurs objectifs, de leurs insuffisances… . Enfin, les finances de l’A.G.E.L-U.N.E.F sont un dernier facteur d’instabilité. Très dépendante des subventions des collectivités territoriales ou universitaires, il est incapable de s’autofinancer par le biais des cotisations et connaît, en particulier durant les années 70, des difficultés financières.

Outre cette instabilité, d’autres ruptures existent : relatif isolement politique et syndical, changement profond de l’orientation syndicale au congrès de Toulouse en 1990 où le rôle de l’U.N.E.F est redéfinit comme " l’outil des étudiants ", relations ambiguës avec le B.N de l’U.N.E.F et oscillant entre un alignement complet sur l’orientation nationale, un soutien constant au B.N, une indépendance assez marquée dans les faits et une faible participation à l’élaboration de l’orientation nationale sauf entre 1979 et le milieu des années 80.

 

Le syndicalisme étudiant, et c’est le cas de l’A.G.E.L-U.N.E.F, est puissant s’il concilie en son sein un certain nombre d’activités : cogestion, services de proximité, action revendicative, action culturelle. Elles permettent à l’ensemble des adhérents de s’exprimer et de participer. La cotisation est alors perçue comme une contrepartie des services. Cependant, en dépit de sa puissance à certaines périodes, l’A.G.E.L-U.N.E.F s’inscrit dans un contexte plus vaste de désyndicalisation. Certes, elle réussit, en particulier grâce à ses services, à freiner considérablement les conséquences de ce phénomène jusqu’au milieu des années 80. Mais les signes précurseurs sont déjà visibles dés le début des années 70 : faible taux de syndicalisation à l’A.G.E.L-U.N.E.F, effacement de l’adhérent, déplacement de la nature, du rôle du syndicat dans le mouvement étudiant (il est au début l’expression du mouvement étudiant pour en devenir l’outil), activité syndicale assumée par un petit groupe de militants, substitution à la notion d’adhérent celles d’électeur et de client, éclatement des différentes fonctions du syndicat. Toutefois, la désyndicalisation n’explique pas la disparition de l’A.G.E.L-U.N.E.F et les causes conjoncturelles apparaissent prépondérantes


Retour à "Découvrir l'UNEF-Lyon"