Historique du mouvement syndical étudiant à Lyon et en France
Sommaire
PRESENTATION DU MILIEU ET DU SYNDICALISME ETUDIANT A LYON
Chapitre I. De lA.G.E.L. affiliée à lU.N.E.F., à lA.G.E.L.-U.N.E.F. en passant par lU.N.E.F.- Renouveau : le temps des recompositions du syndicalisme étudiant à Lyon 1968-1971.
I. De la crise à la scission de lU.N.E.F. : le cadre national 1965-1971.
III. Une fondation sur des bases syndicales et sur lacceptation de la cogestion.
Chapitre 2. Milieu étudiant et syndicalisme étudiant face à la " massification " de lEnseignement Supérieur et à la crise de lUniversité : 1971-1994.
I. Une Université en proie à la " massification " de lEnseignement Supérieur.
II. Des réformes nombreuses sources de conflits et de mouvements étudiants.
III. La place de lA.G.E.L-U.N.E.F au sein du mouvement étudiant.
La scission de lUnion Nationale des Etudiants de France en février 1971 clôt, pour lU.N.E.F, une période de division et de fractionnement engagée depuis la fin de la guerre dAlgérie. En effet, dès 1961, le gouvernement Debré encourage, puis reconnaît, la dissidence et la création de la F.N.E.F (Fédération Nationale des Etudiants de France). Il souhaite ainsi " punir " lU.N.E.F pour ses prises de position très engagées et progressistes sur le problème algérien.
Cependant, la scission de 1971 ne met pas un terme à léclatement de la représentation syndicale étudiante. De 1971 à 1996, un phénomène démiettement toujours plus prononcé du mouvement étudiant se poursuit sans que rien ne vienne lentraver. Le Plan Social Etudiant de Lionel Jospin, alors ministre de lEducation Nationale, favorise au contraire le regroupement des multiples associations étudiantes locales au sein de nouvelles structures nationales.
Lopposition entre les conceptions opposées du syndicalisme étudiant, entre les visions différentes de la représentation étudiante (P.D.E refuse de se concevoir comme un syndicat étudiant et revendique une vision corporatiste de la représentation étudiante), entre les clivages politiques favorise un éclatement du mouvement étudiant :
· 1971 : Scission de la " grande U.N.E.F " et création de deux branches distinctes et rivales, cest à dire lU.N.E.F-Renouveau (qui redevient dés 1971 lU.N.E.F) et lU.N.E.F-Unité Syndicale.
· 1975 : Création du CLEF (Comité de Liaison des Etudiants de France) rassemblant surtout des corpos de Droit et de Médecine, et du CELF (Comité des Etudiants Libéraux de France) à forte obédience giscardienne.
· 1976 : La C.F.D.T investit le syndicalisme étudiant en soutenant la création du Mouvement dAction Syndicale, qui se veut une passerelle entre les deux U.N.E.F. Dans le même temps, le Parti Socialiste, réunifié depuis peu, tente lui aussi de réintégrer le terrain du syndicalisme étudiant avec le C.O.S.E.F (Comité dOrganisation pour un Syndicat des Etudiants de France), mais échoue rapidement.
· 1980 : LU.N.E.F-Unité Syndicale et le M.A.S fusionnent dans une nouvelle entité : lU.N.E.F Indépendante et démocratique.
· 1989 : La fondation de la F.A.G.E (Fédération des Associations Générales dEtudiants) au congrès de Strasbourg en 1989 est une conséquence du Plan Social Etudiant de L. Jospin. Plus gestionnaire que revendicative, elle simplante rapidement dans 25 villes universitaires et demeure desprit plutôt conservateur, puisquelle défend le maintien des traditions estudiantines comme la faluche.
· 1990 : Création du Renouveau Etudiant par Carl Lang, secrétaire général du Front National. Appendice du F.N à lUniversité, il demeure à létat de groupuscule.
· 1994 : Scission de la F.A.G.E : des étudiants de Droit, de Sciences Economiques et Politiques quittent la F.A.G.E et fondent P.D.E.
· 1996 : Création de Sud-EtudiantEs, issu du mouvement de novembre-décembre 1995.
La scission de lU.N.E.F en 1971 apparaît comme une péripétie parmi les autres dans lhistoire agitée du syndicalisme étudiant. Le paysage syndical étudiant est en recomposition permanente. Pourtant, la scission de lU.N.E.F en 1971 reste lobjet de lattention des historiens . Plusieurs raisons expliquent cet intérêt : la plupart des créations, cest le cas du CELF, du CLEF, du C.O.S.E.F, du Renouveau Etudiant sont des structures éphémères et/où sans grand impact sur le milieu étudiant. De plus, la scission marque la fin dune époque, dun symbole, voire même dun mythe pourtant déjà bien ébréché : la " grande U.N.E.F ". Enfin, en dépit de laffaiblissement consécutif à la scission, les deux branches de lU.N.E.F vont dominer le paysage syndical étudiant jusquà nos jours.
A Lyon, jusquau milieu des années 80, un syndicat étudiant puissant renaît de ses cendres. Il va dominer le mouvement étudiant lyonnais pendant une quinzaine dannées avant de péricliter. Issu de lU.N.E.F-Renouveau, il influence le milieu étudiant lyonnais de sa création en 1971 à sa disparition en 1994. Le syndicalisme étudiant possède déjà à Lyon ses lettres de noblesse et une riche histoire. En effet, lA.G.E.L, affiliée à lU.N.E.F, joue un rôle considérable dans la rénovation de lorganisation étudiante, moribonde et discréditée, issue de la guerre. Forte de 7200 adhérents en 1946 (soit les 2/5 des effectifs de lU.N.E.F, qui compte 18 000 adhérents), elle est à lorigine de la Charte de Grenoble de 1946, texte constitutif de lU.N.E.F. Fortement inspirée par la Charte dAmiens, texte fondateur du syndicalisme ouvrier français, elle donne trois dimensions à létudiant : jeune, travailleur, intellectuel et transforme lU.N.E.F en syndicat. Appuyée par les A.G.E de Toulouse et de Paris-Lettres, elle est à lorigine du projet dAllocation détudes adopté en 1950 au congrès dArcachon. Enfin, lA.G.E.L est à lorigine de la " minos ", groupe minoritaire de lU.N.E.F au début des années 50 et de lengagement anticolonial de lU.N.E.F adopté en 1950.
Mais, si un certain nombre de recherches nationales ou locales ont été consacrées à la scission et surtout aux périodes précédant la scission, très peu se sont penchées sur lévolution des deux ramifications de lU.N.E.F après 1971. Comment expliquer labsence, ou presque, de travaux sur lhistoire de lU.N.E.F ou de lU.N.E.F-Unité Syndicale après 1971 : période jugée trop contemporaine ? dédain des historiens envers une période qui apparaît bien pâle par rapport à celle de la " grande U.N.E.F " ? difficultés pour trouver de la matière exploitable et accessible ?.
PRESENTATION DU MILIEU ET DU SYNDICALISME ETUDIANT A LYON
En dépit de sa présence quotidienne sur les campus, le syndicalisme étudiant est très mal connu des étudiants. Peu nombreux sont aujourdhui les étudiants qui connaissent la véritable signification du sigle U.N.E.F. ou du simple terme dA.G.E . Cest pourquoi il convient de sattarder quelque peu sur le syndicalisme et le milieu étudiant.
De par limportance prise par la scission de lU.N.E.F. en 1971 dans le paysage syndical lyonnais, nous devons décrire, assez succinctement malheureusement, les événements qui aboutissent à la création de lA.G.E.L-U.N.E.F en février 1971. Avant 1971, le mouvement étudiant demeure, en dépit de la scission de la F.N.E.F., relativement uni sous légide de lU.N.E.F. En lespace de trois ans, le paysage syndical étudiant se recompose complètement et aboutit à la naissance de trois organisations syndicales étudiantes : lA.G.E.L., lA.G.E.L-U.N.E.F. et lU.G.E.L-U.N.E.F. Il convient donc de sinterroger sur les particularités de la " scission " de lU.N.E.F. à Lyon et des bases sur lesquelles se fait la création de lA.G.E.L-U.N.E.F.
Cependant, le syndicalisme étudiant ne peut pas être coupé artificiellement du milieu étudiant, duquel il est issu. En effet, des interactions existent entre le milieu et le syndicalisme étudiant. Tous deux sont confrontés de 1971 à 1994 à deux phénomènes : la " massification " de lEnseignement Supérieur et la crise de lUniversité. Le monde étudiant connaît, durant ces 24 années, une progression numérique continue. Cette croissance ne se fait pas sans difficultés, crises, qui se traduisent par des mouvements étudiants auxquels participe activement lA.G.E.L-U.N.E.F. Une attention particulière doit donc être accordée à létude des diverses crises qui secouent le monde étudiant et à la place de lA.G.E.L-U.N.E.F. au sein des mouvements étudiants.
Chapitre I. De lA.G.E.L. affiliée à lU.N.E.F., à lA.G.E.L.-U.N.E.F. en passant par lU.N.E.F.- Renouveau : le temps des recompositions du syndicalisme étudiant à Lyon 1968-1971.
I. De la crise à la scission de lU.N.E.F. : le cadre national 1965-1971.
Le congrès de Bordeaux en 1965 fait éclater au grand jour la faillite de la gauche syndicale et de lorientation syndicaliste-révolutionnaire. Cette orientation, prônée par les Statutaires (Tendance de la gauche syndicale, elle-même tendance de la mino), estime possible lexistence dun syndicalisme étudiant révolutionnaire ayant sa propre stratégie et indépendance vis à vis des partis de gauche. Cependant, aucune autre orientation ne se dégage et ne prend la relève. Les statutaires (tendance du courant mino au sein de lU.N.E.F.), tirant les leçons de leur échec, tentent dimposer leur projet à lU.N.E.F., tout en renonçant à la diriger. A linverse, les A.G.E. de Province demeurent silencieuses et ne présentent pas de projet alternatif. Cest en particulier le cas des quelques A.G.E. dirigées par des militants communistes : Lille .Face à cette situation de blocage, le congrès séternise et perdure bien au-delà de ses dates initiales, sans trouver un compromis ou une solution. Finalement, les dirigeants de la Fédération Générale des Etudiants de Lettres (F.G.E.L.) ouvrent une porte de sortie en proposant un " plan de travail ", cest à dire un " catalogue " de revendications à la fois universitaires, sociales et culturelles. Mais surtout, le nouveau bureau restreint volontairement son rôle et se cantonne désormais à un simple rôle de coordination, en particulier dans le domaine de la propagande. Les projets théoriques de la gauche syndicale (renouveau offensif du syndicalisme, rapport de force direct avec lEtat, politique visant à pousser au maximum les contradictions qui traversent le système universitaire ) sont provisoirement gelés en prévision de jours meilleurs.
Le Bureau National prend comme principal objectif la " reconstruction technique " de lorganisation. En effet, létat de lU.N.E.F., en particulier dans le domaine financier, est inquiétant et problématique : dettes importantes ( elles atteignent les trois-quarts de son budget annuel), non-paiement des cotisations par des A.G.E., affaiblissement numérique (moins de 50 000 adhérents selon A.Monchablon), déclin des publications, renouvellement difficile des dirigeants, perte dA.G.E. minos au profit des majos (AGEMP, Sc Po Paris, Institut catholique).
La nouvelle politique, considérée et assumée comme un " retour à droite " par le nouveau bureau, offre un bilan contrasté : certes, une indéniable diminution de lendettement permet de pérenniser, dassurer la survie de lorganisation. Mais le bilan politique sonne davantage comme un échec : incapacité à lancer des campagnes revendicatives contre les réformes gouvernementales de 1965, à générer au sein même du syndicat une nouvelle génération de militants et de responsables (un certain nombre de postes demeurent inoccupés au BN), exacerbation des divisions politiques (lors de lA.G. de février 1966, six textes dorientation contradictoires sont proposés). Enfin, le score réalisé par F.Mitterrand à lélection présidentielle de 1965 met en accusation ce qui reste de lorientation syndicaliste-révolutionnaire du bureau national. En effet, seule lU.N.E.F. refuse à gauche en mars 1965 dappuyer lidée dune candidature unique face à De Gaulle aux élections présidentielles, et donc de soutenir F.Mitterrand. La situation de lU.N.E.F. à la veille du congrès de Grenoble est celle dune organisation en déclin : baisse du nombre dadhérents, effacement du programme syndical, isolement politique à gauche.
Le congrès de Grenoble, en avril 1966, ouvre une période, un intermède qualifié de " centriste ". Le congrès est tout dabord marqué par deux évolutions internes :
Toutefois, cette évolution est momentanément contrecarrée par la naissance dune coalition du " centre " décidée à poser sa candidature à la direction de lU.N.E.F. Elaborée difficilement, elle se compose principalement de lA.G.E. de Lille et du cartel des ENS. Elle développe une orientation modérée dans ses objectifs et ses formes daction, et prône un rapprochement avec les " forces démocratiques ". Il sagit donc dun véritable retour du syndicalisme étudiant dans son rôle traditionnel : les luttes universitaires sans heurter lEtat centralisateur. Elle rompt désormais avec les idées du syndicalisme-révolutionnaire, et en particulier avec celle dun syndicalisme étudiant révolutionnaire autonome dans ses stratégies. LU.N.E.F. réaffirme cependant son indépendance dans son domaine privilégié, cest a dire le terrain universitaire. Cette orientation, difficilement adoptée par le congrès, doit rechercher la " neutralité bienveillante de la gauche syndicale ", qui accepte en participant au bureau national.
Cependant, la nouvelle orientation éprouve des difficultés à franchir le cap de la rentrée universitaire 1966-1967. LU.N.E.F. connaît à nouveau des difficultés financières, tandis que le B.N. savère incapable dassurer la rentrée revendicative. Les échos de la révolution culturelle chinoise achèvent le fragile édifice issu du congrès. En effet, les responsables de lENS se convertissent au marxisme-léninisme, fondent lU.J.C.M.L., et renoncent à lutter contre le plan Fouchet, à développer des objectifs revendicatifs. En janvier 1967, le B.N. démissionne.
La démission du B.N. en janvier 1967 va permettre une prise de pouvoir par le P.S.U., et ouvrir une nouvelle ère : la prise de contrôle du syndicat étudiant par des groupes politiques.
A lorigine, le P.S.U. ne dispose pas véritablement de ligne directrice dans lU.N.E.F. : ses adhérents se répartissent entre toutes les tendances de lorganisation. Cependant, durant lété 1966, le P.S.U. pressent leffondrement de la coalition de Grenoble et commence à investir le syndicat étudiant. Les E.S.U. (organisation du PSU dans le monde étudiant) prennent le contrôle de quelques A.G.E. de province. Lors de lA.G. des 28 et 29 janvier 1967, le PSU acquiert le contrôle de lU.N.E.F. avec une très faible majorité. Son texte est adopté par 190 mandats pour, 110 abstentions, 57 refus de vote et 36 mandats contre. La nouvelle orientation est très influencée par le contexte de son élaboration et de son adoption : elle est une compilation de thèmes empruntés aux structuristes et aux statutaires. Pour le P.S.U., lessentiel réside dans les " acquis de Dijon ", cest à dire le maintient de lU.N.E.F. à lextrême-gauche et lidée dun rôle spécifique des étudiants dans la lutte des classes.
Toutefois, le nouveau bureau est rapidement confronté à lépreuve du congrès de Lyon en juillet 1967. La situation interne à lU.N.E.F. est alors peu favorable aux E.S.U. : le B.N., occupé à rétablir le contact avec les A.G.E. de province et à stabiliser la déroute financière de lorganisation, renonce à lancer des campagnes revendicatives et se contente de gérer les affaires courantes. Cest avec ce maigre bilan que les E.S.U. doivent affronter lU.E.C. lors du congrès. Cependant, appuyés par la F.G.E.L., ils gardent le contrôle de lU.N.E.F. en faisant adopter de justesse leur motion.
La rentrée universitaire 1967-1968 ouvre de nouvelles perspectives plus encourageantes pour le B.N.. En effet, la conjonction entre lapplication de la réforme Fouchet dans le deuxième cycle et laccroissement des effectifs avec son cortège de difficultés matérielles est à lorigine dun réveil du mouvement étudiant. Une journée daction, organisée le 9 novembre avec le S.N.E.Sup contre les conditions de la rentrée, réunit au quartier Latin 5000 étudiants. Or, elle navait pas été correctement préparée en raison du manque de moyens. La manifestation du 9 novembre apporte deux changements : elle donne au B.N. P.S.U. loptimisme nécessaire pour continuer à gérer lU.N.E.F. et ramène vers le terrain universitaire les groupes gauchistes. Une certaine agitation se développe aussi au sein des cités universitaires depuis 1965. Au début de lannée 1968, des résidents de la région parisienne sélèvent contre linterdiction de visite des garçons chez les filles et vice-versa. Ainsi, le début de lannée 1968 marque un renouveau du mouvement étudiant organisé ou non par lU.N.E.F.
A la veille de 1968, quel est létat de lU.N.E.F. ?. Il est tout dabord celui dune organisation déliquescente :
· Les dettes menacent la survie de lorganisation et équivalent approximativement au montant annuel du budget. Elles contraignent le BN à la paralysie : absence de matériel, de propagande, interruption de la parution des publications nationales .
· Limplantation géographique de lU.N.E.F. se réduit considérablement. Elle passe de 52 A.G.E. en 1960 à 26 en 1968. Et encore, un certain nombre dentre elles sont des coquilles vides et cessent de payer leurs cotisations .
· La composition politique de lU.N.E.F. ne cesse de sétioler après la suspension des A.G.E. majos parisiennes en novembre 1967. Seule la mino demeure, réduite à trois organisations politiques : lU.E.C., les E.S.U. et le C.L.E.R.. Les affrontements ont essentiellement pour but le contrôle de lorganisation et non lélaboration dun projet syndical.
· Enfin, lU.N.E.F. doit faire face à une désorganisation interne : le président de lU.N.E.F., M. Perraud, démissionne en avril 1968. Il est remplacé par J. Sauvageot, qui demeure néanmoins vice-président et non président.
Toutefois, lU.N.E.F. dispose dun certain nombre datouts pour affronter les événements dans une position correcte :
· Elle possède des contacts avec les centrales ouvrières, même sils sont épisodiques. Ils sont cependant assez forts avec la nouvelle direction du S.N.E.Sup., dobédience P.S.U..
· Elle demeure la seule organisation étudiante à prétention de masse. La F.N.E.F. ne parvient toujours pas à simplanter sur le terrain universitaire et aucun autre syndicat étudiant ne réussit à émerger. Elle reste, à gauche, la seule organisation étudiante et tous les groupuscules ont leurs entrées.
LU.N.E.F. connaît donc un affaiblissement numérique, politique et financier, malgré des tentatives de redressement. Elle nest plus désormais que le champ clos des luttes entre différentes organisations politiques étudiantes.
Le milieu étudiant, à la veille de mai 1968, sinscrit dans un contexte particulier. En effet, la mobilisation estudiantine se fait surtout autour de deux axes : les réformes universitaires et lanti-impérialisme.
Les réformes universitaires sont contenues dans la réforme Fouchet, issue dune concertation restreinte (comme la loi Debré sur les études médicales en 1959) et imposée dans les facultés de Lettres et de Sciences par le ministère en 1966-1967. Conçue sur les suggestions de spécialistes de sciences exactes, elle généralise un organigramme et des cursus refusés par les facultés de lettres. Lorganisation des études se tourne vers une spécialisation accrue des formations sur une base disciplinaire et vers deux formations distinctes au second cycle : une filière de formation des enseignants (Licence) et une filière de formation des chercheurs (Maîtrise). A cela sajoute la création dun premier cycle en deux ans sanctionné par un diplôme et remplaçant lannée propédeutique. La réforme vise donc à faciliter la sortie des étudiants à tous les niveaux : fin de premier cycle, licence, maîtrise. De plus, la mise en place du système suppose la sélection à lentrée des facultés, question de plus en plus dactualité en 1966 et 1967. Face à cette réforme, les syndicats étudiants et enseignants dénoncent la mainmise de léconomie sur lUniversité, laggravation de la sélection sociale et le malthusianisme du gouvernement. De 1965 à 1968, des mouvements restreints se développent contre lapplication de la réforme Fouchet. (Cf. manifestation du 09.11.1967).La contestation des projets gouvernementaux est donc assez forte.
Le second axe de mobilisation des étudiants est extérieur au monde universitaire, puisquil sagit de lanti-impérialisme. Ainsi, le 21 février 1968, lU.N.E.F. appelle aux cotés du Comité Viet Nam national, à une journée de solidarité anti-impérialiste. Elle donne lieu à une importante manifestation au quartier Latin.
Dans ce contexte de mobilisation dune minorité des étudiants, personne, et surtout pas lU.N.E.F., na vu venir lexplosion de mai 1968. La situation de lU.N.E.F. est alors critique : difficultés financières, abandon de tout projet syndical, luttes internes . Cependant, lU.N.E.F. possède les capacités nécessaires pour sadapter au mouvement. Elle est au carrefour de tous les foyers dagitation du monde étudiant, puisque tous les groupuscules ont des adhérents ou contrôlent des A.G.E. : J.C.R., U.J.C.M.L., C.L.E.R. . De plus, elle possède encore un sigle fédérateur et porteur, et ses A.G.E., bien que vides en militants, possèdent des locaux et de précieuses ronéos pour tirer les tracts !.
LU.N.E.F. peut donc sadapter au mouvement, mais elle ne peut pas le diriger. Le meilleur exemple demeure le lieu même de lorigine du mouvement : Nanterre. En effet, la faculté des lettres de Nanterre, récente, est très peu connue par le B.N.. Une A.G.E. existe sur le campus, mais, outre sa faiblesse, elle est aux mains de la J.C.R., et donc très indépendante. Les événements de Nanterre de janvier à mai 1968 se déroulent sans aucun contrôle de lU.N.E.F. et dans la quasi-ignorance du B.N. !. Par la suite, si lU.N.E.F. parvient à imposer son sigle, elle ne dirige rien. Ainsi, lors des différentes manifestations parisiennes, le service dordre de lU.N.E.F. est systématiquement supplanté par celui de la J.C.R.. LU.N.E.F. colle donc au mouvement sans le contrôler, en dépit des efforts de J. Sauvageot. Elle prête sa visibilité, son service dordre, son sigle, ses services, son pouvoir dappel ou de pétition, mais dans une direction quelle ne maîtrise pas.
Ainsi, lU.N.E.F. possède une nouvelle chance avec la crise universitaire de mai 1968. Cependant, la crise sociale et politique prend rapidement le pas sur la crise universitaire. La fin de mai 1968 ouvre une nouvelle période pour lU.N.E.F. Elle tente, de mai à décembre 1968, de restructurer le mouvement étudiant en réformant ses structures, afin dintégrer les groupes moteurs de mai 1968 à luniversité, cest à dire les Comités dAction et les groupes gauchistes. La convocation des Assises de lU.N.E.F. à Grenoble en 1968 marque le début de ce processus, de cette logique. En effet, à coté des A.G.E., traditionnelles structures de lU.N.E.F., une invitation à participer aux travaux est lancée aux comités daction. Le but est délaborer une " nouvelle charte " et de lancer le débat sur la réforme des structures.
Toutefois, cette tentative aboutit à un échec. Certes, lA.G. de Dauphine des 4 et 5 mai 1969 adopte la transformation statutaire de lU.N.E.F. : les anciennes amicales et corpos sont transformées en C.A. Mais la donne politique au sein de lU.N.E.F. a évoluée : début 1969, les C.A., les étudiants de Rouge (J.C.R.) et les maoïstes de la future " gauche prolétarienne "quittent lU.N.E.F., rendant caduques les réformes statutaires de lU.N.E.F. Désormais, le B.N. P.S.U. se retrouve seul face à deux tendances solidement constituées : lU.E.C. et lA.J.S.. Mai 1968, de par ses illusions, ses acteurs, ses structures, apparaît comme une chance ratée pour lU.N.E.F. : associée tant bien que mal au mouvement, renonçant à le diriger, elle est incapable dintégrer les forces motrices de lexplosion étudiante et de restructurer le mouvement étudiant. Le B.N. P.S.U. , confronté à lU.E.C. et à lA.J.S., sort affaiblit de cette période au moment ou la loi Faure envenime un peu plus les tensions internes.
De nombreuses scissions émaillent lhistoire de lU.N.E.F., la plus marquante étant celle de 1961 encouragée par le gouvernement et donnant naissance à la F.N.E.F. De décembre 1968 à février 1971, lU.N.E.F. subit sa dernière grande crise interne, qui sachève par une nouvelle scission.
Mai 1968 a fait naître au sein de lU.N.E.F. de nouvelles tensions. Elles se fondent sur lattitude de lU.N.E.F. face aux événements, léchec de la refonte du mouvement étudiant . Elles se cristallisent autour de la loi Faure de 1968. Proche des anciennes revendications de lU.N.E.F., la loi Faure met en place la participation, cest à dire la présence délus étudiants au sein des différents conseils universitaires. En décembre 1968, le congrès de Marseille tranche la question et refuse la participation, au grand dam de lU.E.C., absente des débats à ce moment là pour protester contre linvalidation de trois de ses huit A.G.E.. Face au boycott prôné par le B.N. P.S.U. et lA.J.S., lU.E.C. annonce le 14 janvier 1969 son intention de déposer partout des listes " Défense des Intérêts Etudiants " aux élections universitaires et de créer des " Comités pour le renouveau de lU.N.E.F. ". Cette décision marque donc lémergence dun nouveau courant au sein de lU.N.E.F. : lU.N.E.F.-Renouveau. Cependant, la décision de participer aux élections universitaires pose le problème de lappartenance de lU.N.E.F.-Renouveau à lU.N.E.F., puisquelle va à lencontre dune décision prise par un congrès. Elle se place donc volontairement hors du cadre fixé par lorientation adoptée au congrès de Marseille en décembre 1968 et provoque une rupture de la " discipline syndicale ". De janvier à avril 1969, lattitude du B.N. oscille considérablement, passant dune volonté dexclure les élus de lU.N.E.F.-Renouveau à une position attentiste et modérée. Elle sexplique sans doute par le taux de participation des étudiants aux élections universitaires qui, en dépit de lappel au boycott lancé par lU.N.E.F., atteint 50%.
Le congrès dOrléans en avril 1970 apparaît dés lors comme une parenthèse. En effet, lélection dun nouveau bureau P.S.U. ne cache pas les tensions internes, qui sexpriment au grand jour en octobre 1970. Le B.N., désormais minoritaire et incertain sur le maintien de son engagement au sein de lU.N.E.F., retarde au maximum la délivrance des cartes pour lannée universitaire 1970-1971. En novembre, une réunion détudiants E.S.U. penche en faveur de lexclusion du courant renouveau. En réaction à cette menace, G. Konopnicki puis M.Sérac saisissent la commission de contrôle composée de deux adhérents P.S.U., un renouveau et un A.J.S.. Cette nouvelle crise accélère la décomposition de lorganisation. Le 5 décembre, lA.J.S. créée à Dauphine sa propre tendance intitulée " Unité Syndicale " et le 10 janvier, le BN annonce sa démission devant le collectif national. Une " délégation permanente " est provisoirement mise en place pour pourvoir au remplacement du B.N. démissionnaire et un congrès national est convoqué pour les 21-22-23 février 1971.
La " délégation permanente " ne peut cependant pas être une solution viable pour les deux tendances. Chacune tente donc de se fonder une légitimité dans et en-dehors de lU.N.E.F.
La tendance " unité syndicale " sappuie sur la légitimité du C.N., où elle est désormais majoritaire depuis le départ du P.S.U.. Le C.N. et une assemblée de 140 C.A. convoquent un congrès à Dijon, fief de lA.J.S.. La présence dorganisations syndicales durant les travaux du congrès apporte un surcroît de légitimité. LU.N.E.F.-Unité Syndicale obtient ainsi le soutien de la F.E.N. et de F.O., sans doute pour faire contrepoids au P.C.F.. LU.N.E.F.-Renouveau tente, face à la commission de contrôle dominée par lA.J.S., de jouer la carte de la base. Elle convoque une assemblée des C.A. qui, à son tour, appelle à un congrès national à Paris. Cette démarche obtient le soutien de la C.G.T. et du S.N.E.Sup.. Cette " alliance " ou plutôt convergence entre la C.G.T., lU.N.E.F-Renouveau et le S.N.E.Sup. va dailleurs se poursuivre durant plusieurs années, en particulier au sein des conseils duniversité.
Ainsi, la crise permanente dans laquelle senfonce lU.N.E.F. depuis 1965 aboutit à une ultime scission en février 1971 et à la création de deux U.N.E.F. distinctes contrôlées par lA.J.S. et lU.E.C.. La scission, au niveau national, apparaît donc comme une lutte dappareils politiques par lintermédiaire des tendances. De plus, le cadre de la scission se limite à lU.N.E.F. et, hormis les derniers avatars de février 1971, les trois tendances luttent dans une même structure : le collectif national. Toutefois, ce schéma, valable au niveau national, est-il adéquat pour les A.G.E. ?.
La scission de 1971 est, au moins pour lUnion Nationale, interprétée comme laboutissement dune lutte interne entre tendances. Trois tendances principales existent : lU.N.E.F.-Renouveau (U.E.C., quelques socialistes et radicaux de gauche), lU.N.E.F.-Unité Syndicale (A.J.S.) et le P.S.U.. Toutes trois tentent daccaparer la direction du syndicat étudiant à leur seul profit personnel. La scission est donc une crise interne, qui engendre léclatement de lorganisation. Bien que schématique, cette vision est celle retenue pour la scission de lU.N.E.F. Cependant, au niveau des A.G.E., la scission se déroule telle de la même manière : fonctionnement en tendances, tiraillements et éclatement ?. Il existe sans doute autant de réalités différentes quil existe dA.G.E. dans les centres universitaires. En effet, des A.G.E. sont alors contrôlées par lU.E.C., lA.J.S. (Clermont-Ferrand, beaux-arts), par le P.S.U. (Lyon ), les forces des protagonistes ne sont pas les mêmes partout . Une seule constante se dégage : les effectifs squelettiques de la plupart des A.G.E.. La création de lU.N.E.F.-Renouveau à Lyon prend un caractère particulier, puisquelle se réalise entre lappartenance à lU.N.E.F. et le rejet de lA.G.E.L.
Des tensions existent au sein de lU.N.E.F. à Lyon. LAmicale U.N.E.F. des Sciences, où militent de futurs responsables et leaders de lU.N.E.F.-Renouveau, se détache progressivement de lA.G.E.L. considérée comme un conglomérat de groupes gauchistes : " On a été, on peut le dire, très à lécart de lA.G.E.L. Elle était une façade et navait plus aucune vie. Elle se maintenait sur sa lancée, puisquelle avait le bar, le restaurant de lA.G.E.L. en-dessous, la M.N.E.F. à coté. Mais au sens de lU.N.E.F. en tant que telle, cétait le vide. [ ]Le poids de lA.G.E.L. comme structure fédérative sur Lyon était inexistant. "Un malaise latent se développe entre lA.G.E.L. et certaines amicales, et se traduit par une autonomie, une distanciation des amicales vis à vis de la structure fédérative.
Les événements de mai 1968 vont renforcer les oppositions, les lignes de fracture. Jusquau six mai, les incidents de Paris ont peu dinfluence sur les campus de Province. Quelques militants dextrême-gauche tentent de mobiliser la faculté des Lettres, mais ils ne rencontrent quune relative indifférence de la part des étudiants. Toutefois, un terreau favorable à la contestation existe : les étudiants sont confrontés sur les deux campus universitaires (Les Quais et la Doua) à des conditions matérielles difficiles. Sur le campus de la Doua, des étudiants de Droit, de Lettres, et de Sciences cohabitent au milieu dun vaste chantier. Entrepris en 1967, le nouveau campus se transforme dés les premières pluies en un vaste bourbier : " La Doua, cétait lenfer.[ ] On arrivait, on marchait dans la boue . Cétait le bout du monde à lépoque !. On marchait dans la boue pour arriver aux amphis " Le campus de la Doua, tel Nanterre, est un immense chantier où se retrouvent les étudiants. Mais, en dépit de cette situation, les événements de mai surprennent la plupart des étudiants, mais aussi les acteurs de lépoque. Les violences policières contre les manifestants du quartier Latin bouleversent complètement lattitude des étudiants. Une divergence dappréciation apparaît sur le rôle des différentes organisations lors des débuts du mouvement. Selon P.Masson, membre du bureau de lA.G.E.L. en 1968, le mouvement a débuté à Lyon " par une réunion. Cétait le 5 mai. Quelques jours seulement après le début de lagitation à Paris. Le noyau dur de lA.G.E.L. sest retrouvé à la Doua. On a décidé de se mobiliser pour soutenir nos camarades parisiens et coordonner les actions sur Lyon. " LA.G.E.L. est donc présentée comme étant à lorigine du mouvement. Selon P.Maneval, trésorier de lAmicale des Sciences en mai 1968, lAmicale des Sciences a lancé le mouvement en Sciences et en Lettres, où les groupes gauchistes étaient incapables de mobiliser : " Cest vraiment au moment des premiers tabassages au quartier Latin que les étudiants ont bougé. Et bon, et bien nous on a dit : il faut réagir. Sans idées préconçues là-dessus, il fallait protester, ne serait-ce que pour protester contre ce qui sest passé. Et, au niveau de la Doua, cela na pas été sans peine. [ ] A tel point que [ ]les gauchistes ont été incapables de mettre en grève leurs amphis de Lettres. Ce sont des adhérents de lAmicale des Sciences qui allaient intervenir dans les amphis de Lettres, pour que les étudiants se décident à venir à la manif.[ ]Donc, on a mis en grève les amphis, on a organisé la première manif " Il apparaît extrêmement difficile de déterminer les responsabilités de chacun dans le déclenchement du mouvement. Cependant, lAmicale des Sciences semble avoir joué un rôle non-négligeable, puisque lors de la grève du 06.05.1968, 80 % des étudiants de sciences et de lI.N.S.A. font grève, et seulement quelques cours supprimés en lettres. Le 7 mai, une manifestation, lancée à lappel de lU.N.E.F., de lA.G.E.L. et de lU.G.E., rassemble quelques milliers détudiants pour exiger la libération des étudiants arrêtés à Paris, la reprise des cours à la Sorbonne et pour protester contre la politique du gouvernement dans le domaine universitaire. Déjà, le mouvement se divise : lAmicale des Sciences et lA.G.E.L. sopposent, adoptent des attitudes différentes ou signorent volontairement : " On était quand même entré en contact avec lA.G.E.L. à ce moment là, de façon plus soutenue, pour savoir ce quils comptaient faire. Bien que le courant passait très mal entre nous pour tout un tas de raisons. " Au fur et à mesure des événements, les relations entre les deux acteurs se détériorent. Une sorte de concurrence naît entre les deux structures. Ainsi, le 9 mai, un meeting annoncé depuis quelques jours par lAmicale des Sciences à 18h00 sur le campus de la Doua est doit se retrouver face à un autre meeting convoqué à 16h30 à lI.N.S.A. par lA.G.E.L. Meeting de lA.G.E.L. qui ne se tient pas et est remplacé par une manifestation à la grande fureur de lUD-C.G.T.. La rupture est petit à petit consommée : le 17 mai, dans un communiqué de presse, lAmicale des Sciences U.N.E.F. et le S.N.E.Sup Sciences annoncent leur intention de " ne plus se préoccuper de directives syndicales nationales tant que celle-ci némaneront pas dinstances statutairement et régulièrement réunies. "
Les événements de mai 1968 étalent au grand jour les antagonismes entre lA.G.E.L. et des adhérents de lU.N.E.F. (et donc de fait de lA.G.E.L). De plus, mai 1968 fait naître chez certains adhérents, et en particulier chez ceux proches de lU.E.C., une réflexion sur léchec de mai : " Le mouvement sest enflé très vite, mais est redescendu très vite aussi. Cest là-dessus que saccroche la pensée du renouveau de lU.N.E.F. Elle saccroche fortement là-dessus, cest à dire en disant : voilà, vous avez vu, mai 68 na fait que traverser [ ] Cétait largumentaire de lépoque pour la rénovation. Il tire la leçon du fait quil faut organiser le mouvement étudiant, puisque, sil ne sorganise pas, il échoue. Mais il va beaucoup plus loin, il remonte dans lhistoire de lU.N.E.F. [ ] , quand lU.N.E.F. défendait les intérêts des étudiants [ ] En 68, il ny a pas eu dU.N.E.F. Et cela a dramatiquement manqué. On voit bien la correspondance avec les thèses politiques de lépoque : il a manqué [ ] , on dit du coté du P.C.F., un programme daction pour les masses populaires [ ] , cest à dire le programme commun. En correspondance avec ça, il yavait lidée quil a manqué un grand syndicat étudiant qui tienne la route et il faut le reconstruire. " Léchec dune véritable transformation de lUniversité est imputé à labsence dun véritable syndicat étudiant, ce que lU.N.E.F. a cessé dêtre pour certains adhérents depuis le milieu des années 60. Par conséquent, une réflexion sengage chez des adhérents, souvent proches de lU.E.C. ou de la gauche non-communiste, sur les solutions à apporter pour remédier à la crise du syndicalisme étudiant. La loi Faure, issue du mouvement étudiant, et considérée par ces mêmes adhérents comme le seul acquis universitaire de mai, se greffe sur cette réflexion. Cependant, dés la rentrée universitaire 1968-1969, le B.N. rejette la participation, assimilée à une tentative dintégration du mouvement étudiant à lEtat.
Cest donc sur cette amorce de réflexion que souvre la rentrée universitaire 1968-1969. Comme à chaque début dannée universitaire, lAmicale des Sciences U.N.E.F. tient son Assemblée Générale. Elle marque lapparition dun nouvel acteur important dans la vie de lU.N.E.F. : lAlliance des Jeunes pour le Socialisme. Bien implantée au niveau national (elle contrôle deux A.G.E.), elle semble ne pas sêtre investit jusque là dans lU.N.E.F. à Lyon. Une nouvelle ligne de fracture souvre alors entre les partisans et les détracteurs de la loi Faure. La création de lU.N.E.F. Renouveau en Sciences est alors engagée. Certes, elle na pas de structures, ne possède pas de nom, ni de ligne directrice à long terme . Néanmoins, des adhérents jusque là dispersés se retrouvent autour de valeurs, didées, danalyses. La loi Faure apparaît vraiment comme le catalyseur des divisions au sein de lU.N.E.F. Les contours de chaque camp commencent à se dessiner, même sils demeurent encore flous.
A partir de la rentrée universitaire 1968-1969, lU.N.E.F.Renouveau prend forme, même si elle nest encore quun vague rassemblement dadhérents autour de quelques valeurs. Elle ne cesse cependant de saffirmer et tente à plusieurs reprises de prendre la direction de lA.G.E.L. Toutefois, léchec de lA.G. du 23.05.1969 signifie pour elle labandon de lA.G.E.L.
La préparation du congrès de Marseille en décembre 1968 donne corps à lU.N.E.F. Renouveau. En effet, elle choque de nombreux adhérents de lU.N.E.F. : le B.N. annonce sa tenue en novembre 1968, tandis que lA.G.E.L., au 11.12.1968, na toujours pas convoqué dA.G. ou de congrès. Le 18 décembre, une cinquantaine de militants se réunissent et lancent une campagne pour exiger la tenue dune A.G. à Lyon et en faveur de la déclaration de lA.G.E. de Lille.
Les élections universitaires, fixées pour février - mars 1969, sont loccasion de donner un nom et une structure à lU.N.E.F. Renouveau. En effet, le 15 janvier 1969, les 8 A.G.E. animées par lU.E.C. annoncent quelles présentent des listes aux élections aux conseils de gestion et créent des comités pour le renouveau de lU.N.E.F. Le nom U.N.E.F.Renouveau est alors celui des listes. Elles sont déposées dans quelques facultés : Sciences et Lettres. Des liaisons entre les différentes listes sétablissent et donnent une cohérence à lensemble. Le scrutin, qui se déroule entre le 13 février et le 24 mars 1969, suscite une forte participation de la part des étudiants : 57,6 % en Droit, 66,2 % en Médecine et Pharmacie, 54,4 % en Sciences, 47,1 % en Lettres et 69,7 % dans les unités sous dérogation . Au total, sur les 408 sièges prévus à Lyon, 371 sont effectivement attribués. Les résultats sont très encourageants pour lU.N.E.F.Renouveau. En effet, en dépit de ses faibles moyens et du handicap constitué par une organisation incomplète et récente, elle obtient sur lensemble des campus 16,5 % des suffrages (soit 1991 voix) et 19,9 % des sièges (74 sur 371). A titre dexemple, la F.N.E.F., pourtant implantée de longue date, doit se contenter de 2,9 % des voix et de 2,1 % des sièges. De plus, lU.N.E.F.Renouveau ne présentait pas de listes dans tous les collèges et toutes les facultés. Droit, Médecine, Gestion, Institut du Travail, Physique Nucléaire, Etudes Italiennes et Néo-Latines, Etudes de lOrient, Histoire de lArt, IUT, IEP, IREPS ne rapportent aucune ou très peu de voix à lU.N.E.F.Renouveau. Les résultats de certaines U.E.R. témoignent par contre dune réelle implantation, influence. Elle obtient 100 % des suffrages dans les U.E.R. de Mathématiques (382 voix sur 586 votants), de Biologie Dynamique (49 voix sur 71 votants), 71,6 % en Physique, 51,4 % en Chimie- Biochimie, 53,6 % en Sciences de la Nature, 51,6 % en Etudes Françaises, 63,0 % en Sciences Psychologiques, Sociologiques, Ethnographiques et Pédagogiques. LU.N.E.F.-Renouveau dispose alors dun réseau délus et surtout dune légitimité tirée des urnes.
Durant cette période, elle se structure davantage : des sections syndicales (léquivalent des C.A.) sont entièrement aux mains de lU.N.E.F.-Renouveau comme à lI.N.S.A. ou en Sciences, tandis que des comités pour le renouveau de lU.N.E.F. sont fondés en Médecine et en Lettres. Jusquici, lU.N.E.F.-Renouveau, même si elle rompt plusieurs fois la discipline syndicale et prend ses distances avec lA.G.E.L., nest pas totalement indépendante, autonome. Ainsi, elle participe à lAssemblée Générale du 23.05.1969 au siège de lA.G.E.L. Elle exprime alors la volonté de faire fonctionner les instances régulières de lU.N.E.F. et de lA.G.E.L. Pour les Renseignements Généraux, lA.G. ,convoquée par lU.N.E.F.-Renouveau, a pour but de semparer du bureau. En effet, les E.S.U., bloqués au même moment au congrès de la M.N.E.F. ne participent pas aux débats . LA.J.S. bénéficie pour sa part du renfort de militants dautres villes universitaires, et en particulier dAnthony et de Aix- en- Provence. Trois à quatre cents militants se retrouvent vers 21 heures dans les locaux de lA.G.E.L., rue F.Garçin. Mis en difficulté, F.Perronnet, président de lA.G.E.L. parvient cependant à se dégager de ce mauvais pas, grâce à laide des E.S.U. enfin libérés du congrès de la M.N.E.F., dont la séance est, pour loccasion, écourtée. Vers 23h30, la salle est évacuée au milieu des injures et des règlements de compte. La séance reprend une fois les cartes vérifiées. Une centaine de militants est ainsi écartée, tandis que des militants E.S.U. de différentes villes semblent pouvoir pénétrer librement dans la salle. Les débats reprennent au milieu des injures et, au petit matin, les responsables de lA.G.E.L. affirment avoir obtenu lexclusion des élus de lU.N.E.F.-Renouveau. LA.G. du 23.05.1969 est la dernière tentative de lU.N.E.F.-Renouveau pour faire fonctionner les instances régulières. Son échec opère une modification de son attitude envers lA.G.E.L. dans un sens plus radical. Elle abandonne désormais toute prétention sur lA.G.E.L. et se rend indépendante de fait. Il existe alors deux U.N.E.F. à Lyon : lA.G.E.L. affiliée à LU.N.E.F. et lU.N.E.F.-Renouveau.
3 . La structuration de lU.N.E.F.-Renouveau, organisation syndicale indépendante.
Après léchec de lA.G. du 23.03.1969, la structuration de lU.N.E.F.-Renouveau progresse à nouveau et lorganisation syndicale devient progressivement indépendante. Au début, les différentes structures sont dispersées, multiples et sans liens entre elles : sections syndicales, comités pour le renouveau de lU.N.E.F. Elles existent parallèlement aux C.A . et sont indépendantes de lA.G.E.L. Ainsi, le comité pour le renouveau de lU.N.E.F. de Lettres compte une centaine dadhérents et dispose de sa propre propagande : tableau daffichage, journal à diffusion restreinte. Des comités se créent en avril 1969 en droit et en sciences économiques et intègrent quelques membres dUniversité 70 et des anciens adhérents du C.A. En septembre 1969, un nouveau pas est franchi dans la structuration de lorganisation. Une structure confédérale chapeaute désormais les associations de base au niveau de lA.G.E. : le collectif des comités de Lyon de lU.N.E.F. pour son renouveau. Dirigé par P.Maneval et N.Chambon, il se veut un " gouvernement parallèle " à lA.G.E.L. et sinscrit dans la suite logique de lévolution de lU.N.E.F.-Renouveau. Des représentants de chaque comité ou section syndicale siègent au collectif. LU.N.E.F.-Renouveau est alors un syndicat indépendant de lA.G.E.L. : elle a ses propres structures, son propre mode de fonctionnement interne. Lors du congrès dOrléans, elle envoie sa propre délégation composée de trois adhérents. Ils assistent aux travaux du congrés, peut-être en concurrence avec la délégation de lA.G.E.L..
Mais surtout, lU.N.E.F.-Renouveau conduit ses propres actions et fait preuve dune activité débordante. Des diffusions de tracts ont lieu dans la plupart des universités pour informer les étudiants sur lU.N.E.F.-Renouveau, sur les différentes réformes comme les CFPM. Elle participe pleinement au mouvement étudiant de janvier - février 1970 dans les facultés lyonnaises, même si durant tout le conflit, elle soppose à la fois à lA.G.E.L. et aux groupes gauchistes. LA.G.E.L. prône, en particulier en lettres, la grève illimitée. Le 26.01.1970, lors dune A.G. en Histoire Géographie, lU.N.E.F.-Renouveau soppose à la grève ou accepte léventualité dune grève limitée et votée démocratiquement dans les amphithéâtres. Les différentes A.G. mettent aux prises lU.N.E.F.-Renouveau avec les militants de Front Uni, de lAJS, de la gauche prolétarienne. En mars 1970, elle mène seule une campagne contre la sélection en médecine, contre la sélection et le démantèlement de lU.E.R. en sciences économiques et pour le retrait de la circulaire Guichard sur les langues en lettres. A lI.N.S.A., elle organise un référendum sur son projet de réforme des structures de létablissement.
LU.N.E.F.-Renouveau, à partir de mai 1969, devient de fait une organisation syndicale indépendante de lA.G.E.L. : elle possède ses propres structures, développe ses propres analyses et actions. Cependant, de par sa participation aux congrès nationaux, elle affirme son attachement à lU.N.E.F..
4.La création de lA.G.E.L.-U.N.E.F., mai 1971.
La période du renouveau connaît sa concrétisation avec, au niveau national, le congrès de lU.N.E.F à Paris, et , au niveau de Lyon, par la fondation de lA.G.E.L-U.N.E.F en 1971.
Depuis son échec à lAssemblée Générale de mai 1969, lU.N.E.F-Renouveau se structure toujours davantage. En septembre 1969, elle se dote dun " collectif des comités U.N.E.F. pour son renouveau ", qui rassemble toutes les structures de lU.N.E.F-Renouveau à Lyon. La démission du Bureau National P.S.U. le 10 janvier 1971 accélère brutalement le cours des événements.
Contrairement au niveau national où le P.S.U. se retire totalement de lU.N.E.F en laissant face à face les deux tendances Unité Syndicale et Renouveau, le P.S.U. et les E.S.U. lyonnais décident de conserver le contrôle de lA.G.E.L. En février 1971, à loccasion de linauguration de ses nouveaux locaux fournis par la municipalité lyonnaise rue Richerand, lA.G.E.L. annonce quelle rompt ses relations avec lU.N.E.F. Elle prend prétexte de la nouvelle situation de lU.N.E.F : démission du B.N, affrontement entre deux tendances . LU.N.E.F. nest plus, pour lA.G.E.L., " lorganisation représentative et progressiste des étudiants ". Face à cette nouvelle situation, lA.G.E.L. affirme vouloir garder, perdurer la tradition du mouvement étudiant issue du congrès de Grenoble en 1946 .
Dans le même temps, la situation au niveau des U.E.R. et universités devient extrêmement confuse. En effet, les deux tendances de lU.N.E.F. tiennent des congrès séparés en février et mars 1971, à Dijon pour lU.N.E.F-Unité Syndicale, à Paris pour lU.N.E.F-Renouveau. La préparation des congrès est marquée par la création dune multitude de nouveaux C.A. (phénomène déjà engagé en décembre 1969), tandis que lU.N.E.F-Renouveau annonce en février 1971 dans plusieurs communiqués de presse " la rénovation de C.A. ". Un communiqué de presse envoyé au Progrès le 16 février 1971 déclare : " Les adhérents U.N.E.F. de la faculté de Droit/Sciences Economiques de Lyon, réunis en A.G. le 12 février ont décidé à lunanimité de rénover le C.A U.N.E.F.. [ ]. Ceci démontre que la volonté des étudiants de recréer un syndicat de masse seul capable de lutter pour défendre les intérêts des étudiants et pour une Université démocratique nest pas un vain mot ". En réalité , chacun est désormais chez soi et les réunions ne rassemblent pas lensemble des adhérents de lU.N.E.F.. La création de C.A. U.N.E.F. par lU.N.E.F-Renouveau se fait dans le contexte de la convocation dune A.G. extraordinaire des présidents de C.A. à Paris le 14 février par lU.N.E.F-Renouveau, A.G. qui décide de tenir le congrès de lU.N.E.F. à Paris au mois de mars 1971. Il est donc nécessaire pour lU.N.E.F-Renouveau de rassembler le maximum de C.A., gage de légitimité du congrès.
Dans ce contexte, rupture des relations entre A.G.E.L. et U.N.E.F. et préparation du congrès de lU.N.E.F-Renouveau en mars 1971, lU.N.E.F-Renouveau de Lyon récupère à son profit le nom A.G.E.L.. Cependant, étant donné que lA.G.E.L. est toujours détenue par le P.S.U., elle prend le nom dA.G.E.L-U.N.E.F, le tiret faisant toute la différence. Son premier congrès se tient à lI.N.S.A. les 19 et 20 mai 1971 et marque laboutissement, la concrétisation du renouveau à Lyon. Il rassemble de nombreux C.A. (Lettres, Droit, Architecture, Conservatoire de Musique, Sciences Economiques, Sciences, I.N.S.A., Centrale, Etudes paramédicales, Médecine, Prépas) et obtient la légitimité de diverses organisations politiques ou syndicales : UD-C.G.T., U.N.C.A.L., Mouvement de la Paix, U.E.C.F., G.U.P.S., U.E.U.F., représentants des étudiants khmers.
III. Une fondation sur des bases syndicales et sur lacceptation de la cogestion.
La mise en place dun programme syndical répond à lessence, à la définition même dun syndicat, cest à dire la défense dintérêts communs à une catégorie. Il se compose dun certain nombre de revendications, qui portent essentiellement sur la défense des intérêts des étudiants. Il sinscrit tout dabord dans le cadre de la défense des acquis de mai 1968.
Le deuxième acquis de mai 1968 à défendre est, hormis la cogestion, le principe de lautonomie pédagogique des universités. Cette autonomie, accordée par la loi Faure, demeure très restreinte en raison de lorganisation très centralisée de lEtat. En effet, le Ministère de lEducation Nationale continue à définir les programmes des études pour les diplômes nationaux et les modalités de leur sanction. Au maintien des acquis de mai, valeur nationale des diplômes, abandon provisoire de lidée de sélection, lU.N.E.F.-Renouveau élargit la notion dautonomie pour revendiquer la mise en place de conseils dorientation composés détudiants et denseignants, la création dun contrôle continu, lobjectivité des cours et le droit à la critique.
Autonomie pédagogique accrue des universités tout en maintenant le cadre de la valeur nationale des diplômes, ce qui peut apparaître comme paradoxal, augmentation du budget et des moyens alloués à lEnseignement Supérieur, droit de regard des étudiants sur le contenu des cours, lU.N.E.F.-Renouveau reprend ainsi à son compte " lesprit de mai " à travers ses revendications. Syndicat réformiste, elle défend ainsi les idées, modérées, dun mouvement où les courants de pensée qui la nourrissent (en particulier les communistes) ont tenu une place marginale et à contre-courant.
Sur les questions concernant les conditions détude des étudiants, les positions de lU.N.E.F-Renouveau ne marquent pas de rupture par rapport aux années précédentes. En fait, la différence avec le B.N. P.S.U. se fait sur lordre des priorités. Là où lU.N.E.F-Renouveau considère les revendications matérielles comme le but premier dun syndicat étudiant, les autres tendances, et en particulier le P.S.U., mettent en avant les problèmes politiques. Par exemple, le journal Etudiant de France, dans son numéro de mai 1969, aborde le problème des examens, mais le reste est consacré à des questions politiques : lU.D.R., la guerre du Vietnam, lEspagne, la lutte contre le fascisme et limpérialisme. La ligne, lorientation syndicale de lU.N.E.F-Renouveau, centrée autour de revendications concrètes, est profondément rejetée par les autres tendances. Tout le mépris envers cette orientation se concrétise, sexprime dans le slogan chanté par les gauchistes à chaque manifestation de lU.N.E.F-Renouveau : " Des gommes, des crayons, et demain la révolution ".
Les revendications de lU.N.E.F-Renouveau demeurent assez traditionnelles. Elles sarticulent autour de deux domaines : le domaine pédagogique et le contrôle des connaissances.
Dans le domaine pédagogique, lU.N.E.F-Renouveau sengage très nettement en faveur de la pluridisciplinarité des études. Elle sinscrit ainsi dans lavant mai 1968, période durant laquelle de nombreux débats ont eu lieu autour du thème de la pluridisciplinarité. Ainsi, elle est au centre des débats du colloque de Caen en 1966. Imposée par la loi Faure de 1968 dont elle est un maitre-mot, elle ne reste pourtant souvent quun vu pieux et son application est aléatoire suivant les facultés. Outre la pluridisciplinarité, lU.N.E.F-Renouveau revendique le maintien de la valeur nationale des diplômes, la priorité des T.D. sur les C.M. dans les heures denseignement et le droit à la critique et à lobjectivité des cours. Le droit à la critique des cours est en particulier formulée dans les filières de Droit et de Sciences Economiques. Elle se concrétise sur le terrain par lorganisation de conférences, et ce, bien après la période du renouveau. Ainsi, en mars 1978, lA.G.E.L.-U.N.E.F organise à Lyon III une conférence sur " le droit tel quon nous lenseigne ". Lautre grande préoccupation de lU.N.E.F-Renouveau concerne le contrôle des connaissances. La réforme du contrôle des connaissances, revendication déjà ancienne, surgit brutalement au milieu du mouvement de mai avec lapproche des dates des examens. En effet, les étudiants débattent longuement dans les Assemblées Générales du boycott ou non des examens. A Lyon, de multiples A.G. (Lettres, Psychologie, Anglais, Histoire-Géographie ) votent le " boycott des examens dans leur forme traditionnelle ". Le refus des examens saccompagne de deux revendications : la création de commissions paritaires pour établir les modalités de sanction de lannée universitaire 1967-1968 et une réforme totale du système universitaire. Cependant, les positions sont extrêmement diverses et des étudiants prônent la disparition pure et simple des examens. Les revendications de lU.N.E.F-Renouveau, en ce qui concerne le contrôle des connaissances, demeurent modérées. Favorable au maintien dexamens densemble, elle demande simplement lintroduction du contrôle continu des connaissances. Les revendications de lU.N.E.F-Renouveau, dans le domaine pédagogique et sur le contrôle des connaissances, reprennent certaines préoccupations et mots dordre du mouvement de mai. Lamélioration des conditions détude passe aussi par la création de postes de professeurs, de nouveaux bâtiments .
Les revendications concernant lamélioration des conditions de vie des étudiants partent toutes dun présupposé : le refus de la sélection sociale. LU.N.E.F-Renouveau souhaite en finir avec " lUniversité bourgeoise ", qui sélectionne les étudiants en fonction de leur origine sociale. Par conséquent, elle lutte pour la " démocratisation de lUniversité " et porte un certain nombre de revendications : la gratuité de lEnseignement Supérieur, le développement des uvres universitaires et lAllocation détudes. LAllocation détudes est un projet déjà ancien de lU.N.E.F.. En effet, lors du congrès de Grenoble de 1946, lélaboration de la " Charte de létudiant " définissant celui-ci comme un " jeune travailleur intellectuel " entraîne simultanément la création du projet dAllocation détudes adopté définitivement au congrès dArcachon. Plusieurs fois modifié, il est progressivement abandonné par lU.N.E.F. au cours des années 60. LU.N.E.F-Renouveau reprend l Allocation détudes à son compte et lui assigne trois objectifs : mettre un terme au salariat étudiant, donner à tous les étudiants les mêmes chances de réussite quel que soit son milieu dorigine sociale et permettre à tous les jeunes daccéder à lUniversité. Cependant, les critères dattribution sont profondément remaniés. Si, dans le projet de loi de 1951, lAllocation détudes sapplique à tous les étudiants sans distinctions, la revendication de lU.N.E.F-Renouveau assortit lobtention de lAllocation détudes de critères différents : critères sociaux en premier cycle, critères sociaux et universitaires en second cycle et critères universitaires en troisième cycle. Versée douze mois douze, indexée au coût de la vie et dun montant suffisant pour vivre sans autres ressources, elle vise avant tout à supprimer le salariat étudiant. Des allocations complémentaires existent et son financement est élaboré dans le projet de loi de lU.N.E.F.. Lallocation détudes constitue la revendication centrale de lU.N.E.F-Renouveau en matière daide sociale.
La défense des libertés politiques et syndicales à lUniversité est une préoccupation constante de lU.N.E.F-Renouveau. Jusquen 1968, les organisations dites " représentatives des étudiants " par lEtat sont celles qui siègent au Centre National des uvres. Ainsi, lors de la scission de la F.N.E.F. en 1961, le gouvernement De Gaulle/Debré attribue trois sièges à la nouvelle organisation au détriment de lU.N.E.F.. Les activités politiques et syndicales sont alors tolérées, mais demeurent, en théorie, interdites. Le mouvement de mai 1968 entraîne une évolution. La mise en place de la cogestion entraîne de fait la reconnaissance des organisations étudiantes. Mais aucun cadre légal ne fixe les libertés syndicales ou politiques. Lattitude de ladministration, qui tolère plus ou moins bien les activités syndicales, est primordiale. Lexercice des libertés politiques et syndicales à lUniversité nest reconnu quen 1984 avec larticle 50 de la loi Savary.
La défense des libertés politiques et syndicales garde donc après 1968 toute son actualité. A cette revendication sajoutent le rejet de toute ingérence policière à lUniversité et le maintien des franchises universitaires
Elle sappuie avant tout sur une distinction des objectifs des luttes, de leur portée. En effet, deux " types " de luttes sont distinguées, apparaissent : les luttes immédiates et les luttes générales.
Les luttes immédiates sont considérées comme catégorielles. En effet, leurs objectifs sont essentiellement universitaires et les acteurs sont les étudiants. Pour aboutir, elles doivent obtenir le soutien de lensemble des étudiants, cest à dire engager la masse des étudiants dans laction. La conception de " lutte de masse " est indissociable de celle de lutte immédiate. La " lutte de masse " implique la sensibilisation des étudiants aux problèmes, puis leur implication dans le mouvement. Elle affirme donc lexistence dintérêts communs aux étudiants et la possibilité dune élaboration de revendications communes partagées par les étudiants aux delà des divergences politiques. Ces revendications ne peuvent donc quêtre universitaires, sans préalable politique. Pour lU.N.E.F.-Renouveau, une situation commune donne donc une base à des intérêts communs, à des luttes. Toutefois, ces luttes ne sont pas exemptes de dangers et, en particulier, du " réformisme " et de labsence de perspectives globales.
Afin déviter ces écueils, lU.N.E.F.-Renouveau distingue un deuxième type de luttes : les " luttes générales, politiques ". Menées en collaboration avec les autres couches de la société, elles visent à faire aboutir des revendications de fond, comme, par exemple, " la démocratisation de lenseignement à tous les niveaux ". Elles nécessitent la recherche de lunité daction avec les syndicats enseignants ou ouvriers, comme le S.N.E.Sup. ou la C.G.T.. Toutefois, les luttes générales sinscrivent dans un cadre précis et restreint, puisque lU.N.E.F.-Renouveau dénonce " lutopie ", " les luttes [ ] purement idéologiques ", sans débouché concret dans le monde universitaire. Il sagit avant tout déviter le gauchisme et de se couper des étudiants.
Contrairement aux apparences, ces deux types de luttes ne sopposent pas, ne sont pas contradictoires. Au contraire, les luttes immédiates peuvent déboucher sur des luttes " générales ". En effet, lexistence dune situation reconnue dintérêts convergents, de luttes communes peuvent engendrer une prise de conscience des étudiants dune situation plus large. Cette évolution dépasse les cadres étroits des luttes immédiates en direction des luttes générales, plus politiques.
Outre cette distinction, lU.N.E.F. Renouveau prône la démocratie des luttes et, en particulier, la démocratie directe : toute action revendicative doit être déterminée dans chaque amphi ou T.D.. Elle tente ainsi de sopposer aux méthodes des groupes gauchistes : A.G. détudiants, comités de grève . Ces structures sont rejetées, car jugées antidémocratiques, non-représentatives. Souvent contrôlées par les groupes gauchistes, elles offrent peu de liberté dexpression aux adhérents de lU.N.E.F.-Renouveau. Les structures traditionnelles du mouvement étudiant sont donc rejetées.
La distinction, théorique, entre " luttes immédiates " et " luttes générales " permet à lU.N.E.F.-Renouveau de se procurer un espace de liberté et de manuvre entre le corporatisme, le réformisme et les visées révolutionnaires des groupes gauchistes.
Enfin, la fondation de lU.N.E.F.-Renouveau se fait sur un dernier point : la cogestion, cest à dire la participation de lU.N.E.F. aux élections universitaires et aux différents conseils des universités et facultés.
Votée en octobre et novembre 1968 par lAssemblée Nationale et le Sénat, la loi dorientation a pour rôle essentiel de remettre en marche un système universitaire profondément déstabilisé, paralysé et décrédibilisé par la crise universitaire de mai 1968. A la suite des revendications portées par le mouvement de mai 1968, un volet de la loi est consacré à la participation ou cogestion. Outre la participation de tous les personnels à la gestion des universités, elle prévoit la présence active de délégués étudiants aux différents conseils avec les mêmes droits que les représentants enseignants et non- enseignants. Cette innovation est importante, puisquelle modifie et implique de nouvelles relations sociales entre étudiants, enseignants et personnels. La loi concède aussi une extension du pouvoir des conseils à travers un certain nombre de dispositions. Ainsi, elle prévoit la création dune catégorie détablissements publics dirigés par des conseils composés majoritairement de représentants des personnels et d usagers. Les conseils, surtout duniversité, possèdent de nombreuses attributions : ils interviennent dans le domaine institutionnel, pédagogique, administratif et financier. Ainsi, les conseils déterminent, dans un cadre législatif fixé par lEtat, les statuts de luniversité, les structures internes (nombre dU.E.R.). Ils peuvent aussi débattre et décider des relations avec les autres établissements, du contenu des programmes, méthodes, des modalités dexamen, des problèmes administratifs concernant la vie de luniversité (contrats, constructions ), de lélaboration, du vote et du contrôle du budget . La loi dorientation donne donc aux différents conseils, et en particulier au conseil duniversité, de nombreuses prérogatives et un pouvoir décisionnel important. Le président duniversité, élu par le conseil duniversité, posséde le pouvoir exécutif, puisquil applique les décisions du conseil duniversité.
La nouvelle loi va donc plus loin que lancienne revendication de lU.N.E.F. En effet, lU.N.E.F. milite depuis plusieurs années pour la participation des étudiants avec des compétences élargies dans les différentes institutions et conseils des universités. Cependant, elle ne demande alors quune participation à titre consultatif . Ainsi, en mars 1963, la F.G.E.L. U.N.E.F. demande la participation de deux de ses membres à lassemblée de faculté avec voix consultative. De plus, lU.N.E.F. soppose alors au principe délections étudiantes libres au nom de lunicité de la représentation étudiante.
Imposée aux " mandarins " et aux professeurs conservateurs hostiles à lémancipation des maîtres-assistants, la réussite de la cogestion, et donc de la loi dorientation, dépend surtout de la réussite de cette greffe sur le monde étudiant. En effet, sans engagement massif des étudiants dans la gestion, la participation perd toute crédibilité et remet en cause lédifice universitaire issu de la loi dorientation.
Pour juger de la réussite ou non de ce pari, il faut sintéresser de prés à lévolution sur une longue période (1969-1993) de la participation étudiante aux différents scrutins universitaires.
Lélection des délégués, puis élus, étudiants a pris différentes formes depuis 1968. De 1969 à 1984, les étudiants aux conseils dU.E.R. sont élus au suffrage universel direct, cest à dire par lensemble des étudiants. En général, le scrutin se déroule sur une seule journée et les sièges sont répartis à la proportionnelle avec une prime au vainqueur. Létalement du scrutin sur une seule journée nencourage pas la participation massive des étudiants (nombreux sont les étudiants nayant cours que quelques jours) et certaines universités ou facultés se font gloire datteindre des taux dabstention records. Pour le conseil duniversité, le suffrage universel indirect est mis en place : les élus dU.E.R. élisent parmi eux les élus étudiants au conseil duniversité. Une interruption des élections a lieu entre 1984 et 1986 après le vote de la nouvelle loi dorientation, dite loi Savary. En effet, les universités devant adapter leurs statuts gardent provisoirement les conseils précédemment élus. De 1986 à 1994, tous les élus étudiants, aux conseils dU.F.R. et aux conseils centraux (Conseil dAdministration, Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire, Conseil Scientifique), sont élus au suffrage universel direct. Devant les taux de participation dérisoires, des universités tentent de provoquer au sein du milieu étudiant un regain de citoyenneté, une prise de conscience, en allongeant la durée du scrutin sur deux jours ou en favorisant linformation, la publicité des élections.
La participation des étudiants connaît, de 1969 à 1994, une évolution différenciée selon les disciplines, même si, sur le long terme, une désaffection croissante apparaît nettement. On peut différencier deux évolutions différentes : les Sciences exactes et les Sciences humaines et sociales dun coté, le Droit et la Médecine de lautre.
Les Sciences exactes et les Sciences humaines et sociales connaissent une évolution rapide vers une indifférence quasi-générale. En effet, les élections universitaires de 1969 montrent un incontestable intérêt des étudiants. Les taux de participation sont alors très importants : près de 50 % au niveau national. A Lyon, la participation est assez massive : 49,7 % à luniversité Lyon II, 44,59 % pour lU.E.R. de Mathématiques, 50,23 % en Physique, 55,1 % en Chimie et Biochimie, 73,09 % en Sciences de la Nature, 57,25 % en Biologie dynamique, 55,55 % en Physique nucléaire. Toutefois, les taux de participation décroissent rapidement et laissent la place à un désintérêt profond et massif de la part des étudiants. Ainsi, dés 1970, le taux de participation tombe à 25,6 % à luniversité Lyon II. Il demeure par la suite systématiquement inférieur à 20 %, quand ce nest pas moins. En 1992, la participation à lélection de lU.E.R. de Lettres à Lyon II devient pratiquement nulle : 2,7 % des étudiants se sont déplacés pour aller voter !. La désaffection des étudiants de Sciences Humaines et Sociales et de Sciences Exactes apparaît durable et profondément ancrée : les divers mouvements étudiants ne provoquent pas de sursauts de citoyenneté étudiante ou dintérêt pour les élections. Ainsi, en février 1974, seuls 13,4 % des étudiants se rendent aux urnes lors des élections dU.E.R. à Lyon II. Quelques mois auparavant se déroulait le mouvement contre la suppression des sursis étudiants et contre la création du D.E.U.G . De multiples raisons peuvent expliquer cette profonde désaffection : absence " desprit de corps " chez les étudiants de ces filières (faible intégration à luniversité, absence de vie étudiante dans des campus isolés et excentrés, faible perception des enjeux, indifférence du milieu étudiant, présence réduite des élus étudiants au sein des divers conseils ) . Linfluence des mouvements gauchistes prônant le boycott et refusant la participation ne semble pas jouer un rôle essentiel. Il nest certes pas possible de mesurer limpact de ces mouvements lorsquils prônent le boycott. Cependant, il est possible dobserver, dévaluer les conséquences dun changement dattitude. Or, au début des années 80, lU.N.E.F-ID décide de participer aux élections universitaires. Cette décision nengendre pas daugmentation systématique des taux de participation. Ainsi, lU.E.R. de Lettres de Lyon II enregistre un taux de participation de 7,7 % en janvier 1982 et de 7,12 % en décembre 1982, alors que lU.N.E.F-ID passe, dans le même temps, de 0 à 7 élus sur 10.
Lévolution est très différente pour les filières de Droit et de Médecine. La participation des étudiants est, certes, minoritaire, mais elle demeure importante avec un taux régulièrement supérieur à 30 % Jusquen 1984. LU.E.R. de Médecine de Lyon-Nord est une bonne illustration : le taux de participation est, hormis en janvier 1981, supérieur à 30 % : 34,8 % en novembre 1972, 41,8 en décembre 1974, 69,5 % en décembre 1976, 33,5 % en décembre 1977, 60,0 % en décembre 1979, 20,7 % en janvier 1981, 42,2 % en décembre 1982 et 51,0 % en janvier 1984. En Droit, la participation demeure importante, mais dun moindre niveau : autour de 30 %. Cependant, elle devient beaucoup plus faible et aléatoire à la fin des années 80 et au début des années 90. A cette participation soutenue sajoutent les effets des mouvements étudiants. En effet, ils peuvent entraîner ponctuellement des regains de participation. La corrélation est particulièrement forte en Médecine lors des mouvements doctobre 1975 et davril 1979, suivis tous deux de fortes hausses de la participation. Ainsi, le taux de participation à lU.E.R. de Médecine Lyon-Nord passe de 33,0 % en décembre 1978 à 60,0 % en décembre 1979. La plus forte participation des étudiants de Médecine et de Droit sexplique par une situation souvent opposée à celle des facultés de Sciences Exactes ou de Sciences Humaines et Sociales. En effet, une forte cohésion entre les étudiants sest maintenue au fil des années : les traditions " folkloriques " perdurent, des associations étudiantes à vocation corporatiste sont fermement implantées (ANEPF, CCEML, ACEML, AAEPL, AAPL, Corpo Lyon III), les effectifs sont réduits une fois passé lobstacle du numerus clausus ou du premier cycle, lintégration à lUniversité est forte, une relative satisfaction à légard de lInstitution existe, le milieu étudiant est très structuré, les inquiétudes sur lavenir sont faibles et la professionnalisation forte . Tous ces facteurs favorisent un taux de participation des étudiants aux élections universitaires plus élevé.
Une évolution différente selon les disciplines apparaît : lindifférence gagne vite les étudiants de Sciences Exactes ou de Sciences Humaines et Sociales, tandis que le Droit et la Médecine résistent plus longtemps. Cependant, une tendance de fond à une désaffection des étudiants vis à vis des différents scrutins universitaires se fait jour. Elle est accentuée par lattitude de ladministration, (peu encline souvent à faire de la publicité pour les élections ) et par linstauration de diverses mesures visant à réduire la représentation étudiante au sein des conseils. La cogestion savère donc, en ce qui concerne la participation des étudiants, un échec, puisquelle ne réussit pas à regrouper derrière elle la masse des étudiants. Une étude sur la participation qualitative des élus étudiants à la gestion de lUniversité et des facultés serait sans doute beaucoup plus nuancée.
En refusant de suivre la position adoptée par lU.N.E.F. au congrès de Marseille, lU.N.E.F.-Renouveau développe sur la cogestion une analyse originale au sein du mouvement étudiant. Ni collaboration avec ladministration, ni simple acte de représentation des étudiants, la cogestion est érigée comme un " instrument des luttes revendicatives ".
En effet, la participation est jugée utile aux étudiants. La cogestion nest pas vécue comme une résignation, un simple acte de présence. Au contraire, elle est action, lutte. Elle est jugée utile aux étudiants pour différentes raisons. Elle offre aux étudiants la possibilité dobtenir des informations. Elus à part entière, les délégués étudiants ont accès à tous les documents rendus publics pendant les conseils. Mais surtout, la cogestion ou participation est considérée comme un instant de lutte. LU.N.E.F.-Renouveau affirme la possibilité dobtenir de nouveaux droits et de lutter contre les réformes néfastes dans les conseils. Ainsi, en février 1969, lU.N.E.F.-Renouveau compte sur les conseils afin de lutter contre les aspects négatifs de la loi dorientation et de définir ou éclaircir certains aspects imprécis.
Toutefois, la cogestion nest pas considérée comme un moyen de lutte à part entière. Lutilisation de la cogestion par lU.N.E.F.-Renouveau se fait dans une démarche précise. Elle devient acceptable et utilisable si des conditions particulières sont réunies. Ainsi, la corrélation est établie entre cogestion/lutte syndicale/création dun " véritable syndicat ". Pour lU.N.E.F.-Renouveau, une corrélation doit sétablir entre laction des élus dans les conseils (vote, motion ), la mobilisation des étudiants afin de soutenir laction des élus (occupation de la salle du conseil, pétitions ), et le relais des ces actions dans les autres conseils et au niveau national. La cogestion devient un " instrument des luttes revendicatives " si ces 3 actions sont menées. Ainsi, lU.N.E.F-Renouveau affirme la possibilité de luttes à partir des conseils des universités. Cette position apparaît alors comme originale, à la fois éloignée des corpos et de lU.N.E.F., puis de lU.N.E.F.-Unité Syndicale.
c. Le rejet du boycott.
Composante de lU.N.E.F., la tendance Renouveau prône une position radicalement opposée à lanalyse de la cogestion développée et adoptée par lU.N.E.F. au congrès de Marseille, cest à dire le boycott des élections universitaires.
En effet, dés la parution de la loi Faure à la fin de lannée 1968, le B.N. et le C.N. rejettent la participation aux élections universitaires et appellent au boycott. Cette position, soutenue conjointement par le P.S.U. et lA.J.S., est réaffirmée au congrès de Marseille en décembre 1968. A la participation, considérée comme une intégration du mouvement étudiant à lEtat, lU.N.E.F. oppose le contrôle du système universitaire par le mouvement étudiant en lutte. Les formes de ce contrôle ne sont toutefois pas précisées. En effet, lU.N.E.F., étant donné son état de faiblesse, est dans lincapacité de tenir ce rôle, tandis que la mobilisation étudiante (dont lexpression la plus visible est lA.G.) ne dure que quelques jours ou semaines et demeure trop éphémère. Après la scission de 1971, cette analyse est partiellement reprise par lU.N.E.F.-Unité Syndicale.
Cette analyse est rejetée par lU.N.E.F.-Renouveau, même si un consensus sétablit sur la volonté de lEtat dintégrer le mouvement étudiant par lintermédiaire de la cogestion. Le boycott nest pas repoussé demblée par lU.N.E.F.-Renouveau. Bien au contraire, il est considéré comme un moyen daction acceptable, une " méthode bonne ", si il vise à court terme la destruction des institutions universitaires.Mais le contexte nest plus jugé comme favorable : le mouvement étudiant est désormais divisé, des acquis ont été obtenus après mai 1968 . Le boycott apparaît dés lors pour lU.N.E.F.-Renouveau comme une " absurdité ", puisquelle laisse les mains libres au gouvernement pour remettre en cause les acquis dans les conseils.
La participation aux élections universitaires est donc un pilier de la reconstruction de lU.N.E.F., la cogestion devient un des piliers de laction syndicale. Concluant à linverse du PSU et de lextrême-gauche, lU.N.E.F.-Renouveau rejette le boycott et affirme le rôle des conseils dans les luttes. Cette analyse se rapproche de celle des grandes centrales syndicales ouvrières et va constituer pendant 13 ans la ligne de scission " officielle ", puis de séparation entre les deux branches concurrentes issues de lU.N.E.F..
La scission de lU.N.E.F a donc deux réalités : une nationale et une locale. Au niveau national, la scission de lU.N.E.F est vécue comme une lutte interne, entre tendances dirigées par des appareils politiques, cest à dire lU.E.C, lA.J.S et le P.S.U. La situation de lU.N.E.F. est, depuis 1963, celle dune organisation en crise : le nombre de ses adhérents et de ses implantations diminue, les finances sont exsangues et le projet syndical en ruine . Pourtant, lU.N.E.F. devient un enjeu pour les partis politiques et leurs organisations de jeunesse. En effet, avec la normalisation des organisations de jeunesse comme lU.E.C. au milieu des années 60, les débats politiques ne peuvent plus se mener dans ses structures et de déplacent vers le seul lieu de confrontation possible : lU.N.E.F.. Laprès-mai 68 est très difficile pour lU.N.E.F., puisquelle échoue dans sa tentative de recomposition du mouvement étudiant et connaît une exacerbation sans précédent de ses tensions internes avec ladoption et lélaboration de la loi Faure. Les opposants et partisans de la cogestion saffrontent longuement et créent une nouvelle ligne de fracture au sein de lorganisation. Le départ du B.N. contrôlé par le P.S.U. en janvier 1971 laisse face à face les courants Renouveau et Unité Syndicale, qui tiennent très rapidement des congrès séparés. A travers lenchaînement des événements, il sagit donc bien dune scission entre deux tendances ayant des conceptions opposées du syndicalisme étudiant. Jusquau moment de la rupture, et en dépit des entorses répétées à la discipline syndicale par certaines tendances, le cadre des luttes reste lU.N.E.F. où cohabitent au sein des mêmes instances les diverses tendances.
Au niveau local, les faits offrent une vision différente des événements. En effet, au lieu de scission, le terme de fondation serait plus adéquat. La création de lU.N.E.F-Renouveau à Lyon se fait entre lappartenance revendiquée à lU.N.E.F et le rejet de lA.G.E.L.. Vague rassemblement dindividualités plus quorganisation structurée, lU.N.E.F-Renouveau tente, jusquen mai 1969, de faire fonctionner les différentes instances de lA.G.E.L., dont le bureau est aux mains du P.S.U.. Après léchec de lA.G. du 24 mai 1969, lU.N.E.F-Renouveau se structure progressivement et devient une organisation syndicale autonome avec son propre fonctionnement interne, ses propres initiatives et sans relations avec lA.G.E.L.. LA.G.E.L-U.N.E.F., crée en mai 1971 et concrétisation du renouveau à Lyon, nest donc pas issue dune scission, mais apparaît comme une véritable fondation reposant sur trois bases : un programme syndical, une conception des luttes et lacceptation de la cogestion.
Chapitre 2. Milieu étudiant et syndicalisme étudiant face à la " massification " de lEnseignement Supérieur et à la crise de lUniversité : 1971-1994.
I. Une Université en proie à la " massification " de lEnseignement Supérieur.
Au niveau national, on observe de toute évidence un changement dans la taille de lUniversité. Les effectifs étudiants passent dune base 100 à la rentrée 1959, à lindice 430 à la rentrée 1977 et à lindice 721 en 1993. En un peu plus de trente ans, le nombre détudiants a été multiplié par 7. De 186 101 en 1959, il passe à 615 326 en 1969, 858 085 en 1980, 1 036 600 en 1988 et 1 403 827 en 1993. Durant notre période détude, lUniversité double de volume et prend véritablement un caractère de masse. Elle a absorbé lessentiel de la demande de diplôme après le baccalauréat, puisque les effectifs des grandes écoles nont pas évolué dans les mêmes proportions. On peut distinguer différentes phases de croissance, chacune caractérisées par des rythmes et des moteurs différents. Jusquen 1968, on assiste à la poussée, croissance la plus importante. En effet, les effectifs sont multipliés par 3 en 10 ans. (1959-1969). Le rythme de croissance annuel demeure soutenu, puisquil dépasse constamment 10 % par an et atteint 15 % en 1962-1963, puis en 1963-1964. Elle doit accueillir chaque année entre 20 000 et 40 000 bacheliers supplémentaires. Le baby-boom explique en partie seulement cet accroissement. Dautres phénomènes méritent dêtre éclairés : laccroissement des taux de scolarisation et le désir croissant des bacheliers de poursuivre leurs études. Les taux de scolarisation, cest à dire " la proportion des jeunes qui, dans chaque classe dâge, fréquentent un établissement scolaire, et qui sont indépendants du volume démographique des cohortes démographiques ", progressent de façon continue de 1960 à 1970 pour les classes dâges au-dessus de 16 ans. Une part croissante de jeunes ont accès au baccalauréat, puis ensuite à lUniversité. Un véritable parallélisme sopère entre deux phénomènes : la démocratisation (même limitée) de lEnseignement Secondaire et laspiration dune part croissante des bacheliers à poursuivre leurs études.
De la rentrée universitaire 1968-1969 à 1987-1988, la croissance devient plus faible et plus régulière. Certes, luniversité doit encore absorber à chaque nouvelle rentrée universitaire des dizaines de milliers de nouveaux étudiants ( entre 3000 et 40 000), ce qui ne se produit pas sans heurts. Mais le plus gros de la vague est passé, et le taux de croissance demeure fort modeste : moins de 5 % par an. Une véritable " désinflation " du nombre détudiants se produit entre 1973-1974 et 1986-1987, puisque le taux de croissance annuel tombe la plupart du temps en-dessous de 2 %. La rentré 1986-1987 marque un extrême : les effectifs progressent de 0,3 %, cest à dire de 2888 nouveaux étudiants par rapport à la rentrée universitaire 1985-1986. Cette faible croissance résulte en partie de la baisse de la fécondité à partir de 1963-1964. Après 1964 et les années de baby-boom, la situation se renverse : la fécondité fléchit rapidement pour atteindre un minimum en 1976. Elle oscille ensuite entre 1,80 et 1,90 enfant par femme, tandis que le nombre des naissances tombe à 770 000 par an pendant les années 70. (au lieu de 881 000 en 1971). La corrélation apparaît ensuite évidente : des classes dâges moins nombreuses accèdent au secondaire, puis, éventuellement, au supérieur. Toutefois, cette explication nest valable que pour le milieu des années 80 : les lycéens accédant à luniversité en 1985 sont nés aux alentours de 1967 . .
Les véritables causes sont donc ailleurs. Les conditions daccueil favorisent sans doute la désaffection des nouveaux bacheliers pour les universités. Mais surtout, le ralentissement de la croissance économique et laffaiblissement des illusions sur une promotion sociale par les études universitaires apparaissent comme les principaux freins à la croissance numérique des étudiants.
La rentrée 1988-1989 marque une reprise nette de laccroissement des effectifs étudiants. Le nombre détudiants passe de 989 461 à 1 036 600 en 1988-1989, 1 236 934 en 1991-1992 et 1 403 827 en 1993-1994, ce qui correspond à une hausse de 42 % !. Désormais, prés dun jeune sur deux de 18 à 22 ans est étudiant. Ce bouleversement sexplique tout dabord par la généralisation progressive de laccès à lEnseignement Supérieur. De 30 % dune classe dâge au début des années 70, le taux daccès au baccalauréat explose au milieu des années 80 pour dépasser 50 % au début des années 90. En 1995, il atteint 67 %.
% de bacheliers par génération | |
1850 | 1,3a |
1900 | 1,8a |
1950 | 5,9 - 4,4b |
1970 | 18,5 - 21,5b |
1975 | 22,2 - 29,9b |
1983 | 27,9 |
1987 | 32,8 |
1988 | 36 |
1992 | 51,2 |
1994 | 58 |
Source : Quid 1995, p 1332. | |
a. Garçons seulement. | |
b. Garçons - Filles. |
Cet essor sexplique par le développement, à coté des bacs généraux, des bacs technologiques et professionnels, mais surtout par la volonté affichée des pouvoirs publics " damener 80 % dune classe dâge au niveau bac ". A cela sajoute le souhait massivement exprimé par les bacheliers de poursuivre des études. Dans un contexte de crise économique et de chômage massif, la réussite scolaire demeure " le meilleur passeport pour lascension sociale " et la meilleur protection contre le chômage. Cependant, luniversité nest plus la seule destination des bacheliers. La diversification de loffre denseignement supérieur : universités, IUT, STS, écoles dingénieur , a permis déviter un raz de marée de bacheliers sur luniversité.
Luniversité connaît donc, de 1969 à 1993, un changement de dimension engagé au début des années 60. Luniversité élitiste des années 50 et 60 cède la place à une université de masse par le nombre.
Lévolution de luniversité lyonnaise sinscrit dans ce contexte national de massification. Cependant, deux obstacles ne permettent pas une étude complète : les données lacunaires ou indisponibles pour certaines périodes comme 1968-1976, et lalternance irrégulière de deux unités de compte : le nombre dinscriptions ou le nombre détudiants. (un étudiant ayant la possibilité de prendre plusieurs inscriptions, ce qui modifie considérablement le nombre réel détudiants.). Lévolution nationale se reproduit à Lyon avec une croissance importante des effectifs : 57 000 étudiants en 1976, 78 000 en 1986, 102 000 en 1992, 110 000 en 1994. Elle se situe dans la moyenne nationale. Ainsi, pour une base 100 en 1976, les effectifs étudiants à Lyon atteignent 188 en 1993. ( au niveau national : 100 en 1975, 174 en 1993).
Contrairement au niveau national où deux nettes poussées peuvent être observées , la croissance des effectifs étudiants se fait à un rythme régulier, même si une légère accélération se produit de 1987 à 1994. La progression des années 1987-1994 reste néanmoins inférieure à laugmentation des effectifs au niveau national :
Les effectifs étudiants en France, 1959-1993
Date | Effectifs | Indice |
1959 | 186101 | 100 |
1963 | 326311 | 175 |
1967 | 509198 | 274 |
1969 | 615326 | 331 |
1970 | 647625 | 350 |
1975 | 807911 | 434 |
1980 | 858085 | 461 |
1981 | 883657 | 475 |
1982 | 905198 | 486 |
1983 | 930268 | 500 |
1984 | 949844 | 510 |
1985 | 967778 | 520 |
1986 | 970666 | 521 |
1987 | 989461 | 532 |
1988 | 1036600 | 557 |
1989 | 1080600 | 580 |
1990 | 1146900 | 616 |
1991 | 1236934 | 664 |
1992 | 1313208 | 706 |
1993 | 1403827 | 754 |
Source : FREMY (D., M.), Quid 1995, Robert Laffond, 1994, p.1329.
Elle apparaît même faible par rapport à dautres universités. Ainsi, les universités de Lille comptent 72 500 étudiants en 1987 et 118 000 environ en 1993, soit une augmentation de 62,7 % en 6 ans . Le cas est identique pour luniversité de Limoges, de taille pourtant radicalement différente. Pourtant, la progression du pourcentage de bacheliers par génération dans lAcadémie de Lyon est similaire à lévolution nationale. Une aire de recrutement moindre des universités lyonnaises peut expliquer cette croissance " modérée ". En effet, une ville universitaire exercent une attraction sur un territoire variable, dans lequel elle attire et draine vers elle la majorité des nouveaux bacheliers. Or, laire de recrutement des universités lyonnaises apparaît réduite, en raison de la concurrence dautres pôles universitaires : Grenoble à lest, Saint-Etienne et Clermont-Ferrand à louest et Dijon au nord.
Ainsi, luniversité évolue profondément de 1971 à 1994. Le processus de massification de lEnseignement Supérieur, et de luniversité en particulier, amorcé dans les années 60, sachève au milieu des années 90. A lUniversité délite des années 50 sest substituée une Université de masse par le nombre. A Lyon, une forte croissance des effectifs peut-être observée durant cette période, mais sans particularités notables. Elle fait cependant exploser les vieux campus du centre-ville hérités des premières années de la IIIe République. Afin dabsorber ces flots de nouveaux étudiants, de nouveaux campus sont aménagés de 1967 à 1994. Deux générations se succèdent : les campus éloignés du centre-ville durant les années 70 (Lyon I Doua débuté à la fin des années 60 et Lyon II Bron), puis réintégrés au début des années 90 (Lyon III Manufacture). Dés lors, une dichotomie apparaît entre ces deux générations de campus. Tandis que les campus intégrés au centre-ville connaissent peu de mouvements étudiants, les campus situés à Bron ou Villeurbanne, souvent construits rapidement, connaissent de multiples problèmes matériels et deviennent des zones sensibles pour la propagande et le développement des groupes gauchistes, des syndicats et des mouvements étudiants.
Luniversité connaît, de 1971 à 1994, un phénomène de massification par le nombre. Cependant, une véritable démocratisation se produit-elle ?. Il ne sagit pas de la démocratisation interne de lUniversité (dépérissement de la hiérarchie rigide des relations entre enseignants et étudiants ), mais de la démocratisation externe, cest à dire de son recrutement. En effet, laccroissement des effectifs na pas forcément pour corollaire laccès de toutes les classes sociales, de tous les sexes, à une formation universitaire.
La démocratisation se pose tout dabord pour les classes sociales. Des facteurs ont favorisé au cours des trois dernières décennies laccès de toutes les classes sociales à luniversité : absence de sélection pour les bacheliers postulant à lentrée des universités, hormis quelques filières, assouplissement du régime des examens . Toutefois, la démocratisation sociale du recrutement se heurte à la structure même des études universitaires : complexité du cursus universitaire, coût financier, allongement de la durée des études . La démocratisation du baccalauréat a fait sauter lobstacle social du lycée, réservé jusquaux années 70 aux enfants de la bourgeoisie. Cependant, la poursuite détudes, le type de bac différent selon les classes sociales.
Mais la démocratisation externe de lUniversité ne passe pas exclusivement par laccès de toutes les catégories sociales aux formations universitaires. Elle passe aussi par laccès des deux sexes à lUniversité. Très majoritairement composée détudiants dans les années 50, lUniversité change profondément durant les décennies suivantes. Linégalité entre filles et garçons se résorbe fortement durant la période 1960-1980. La population étudiante, composée de 40,0 % de filles en 1959-1960, séquilibre pour atteindre50,0 % de filles à la rentrée 1980-1981. Cette tendance saccentue de 1980 à 1994 et un renversement se produit. Désormais, les étudiantes sont majoritaires : 53,1 % en 1989.
Les étudiantes en France
(en % du total des étudiants)
1900 | 3,5 |
1929 | 22,9 |
1939 | 30 |
1949 | 33,1 |
1959 | 38,4 |
1967 | 43,5 |
1969 | 45,5 |
1975 | 47,6 |
1980 | 49,7 |
1981 | 50,5 |
1982 | 49,7 |
1983 | 50,5 |
1984 | 51 |
1985 | 51,2 |
1986 | 51,6 |
1987 | 52,2 |
1988 | 52,7 |
1989 | 53,1 |
Source : FREMY (D., M.), Quid 1995, Robert Laffont, 1994, p.1329.
Mais cette évolution cache mal la persistance de nombreuses inégalités. En effet, les filles font des études plus courtes et deviennent minoritaires au-delà du premier cycle et en particulier dans le troisième cycle. Elles se dirigent peu dans certaines disciplines comme certains IUT, les sciences exactes, la médecine, les sciences économiques et de gestion . Ainsi, à Lyon II, la filière de sciences économiques et de gestion compte, à la rentrée 1996-1997, 46,1 % détudiantes, contre 61,8 % en Histoire et 81,7 % dans la faculté des langues.
LUniversité connaît, de 1971 à 1994, une très légère démocratisation. En effet, la massification par le nombre a rendu possible un accès plus large des filières universitaires à des classes sociales défavorisées ou aux deux sexes. Cependant, des inégalités demeurent : une sélection sopère toujours dans le choix de la filière, dans la durée des études, dans les chances de réussite ( accès ne rimant pas avec obtention dun diplôme). Au final, lUniversité des années 70 à 90 est en mutation lente, mais elle garde de nombreux traits de continuité avec le passé.
II. Des réformes nombreuses sources de conflits et de mouvements étudiants.
Face à lafflux de nouveaux bacheliers et à son cortège de difficultés matérielles et pédagogiques, aux mutations de la société et du marché du travail , les ministres successifs de lEducation Nationale ont tenté, le plus souvent sans réussite, de réformer lEnseignement Supérieur. Souvent élaborées sans concertation avec les milieux enseignants et étudiants, elles deviennent des sources de conflits et de mouvements étudiants.
Un " mai rampant " persiste au début des années 70 et favorise, généralise la contestation à de nouveaux publics ou mécanismes du système scolaire : concours de recrutement des enseignants du secondaire en mai 1969, lycées techniques et généralistes de 1969 à 1974 où les C.A.L, objets dune lutte acharnée entre les communistes de la J.C. et les groupes dextrême-gauche, jouent un rôle de première place, fermeture provisoire de lE.N.S. en 1971. A luniversité, ce " mai rampant " apparaît tout dabord lors de la grève en lettres et sciences à Lyon en 1970. En Lettres, elle dure plus dun mois, puisquelle sétend du 20.01. au 25.02. Elle trouve son origine dans la circulaire Guichard sur les examens. Elle est votée à linitiative de lU.E.L. (Union des Etudiants Lyonnais, considérée comme très modérée par les R.G..), afin, semble til, de contrer les groupes gauchistes et de contrôler le mouvement. La grève, lancée par lU.E.L., obtient très rapidement le soutien de lA.G.E.L. et se généralise aux trois facultés lyonnaises, cest à dire lettres, sciences et droit. Cependant, le consensus contre la circulaire Guichard éclate rapidement et les différents acteurs adoptent des positions opposées. Les modérés, qui ont lancé la grève, développent des revendications corporatistes, propres à chaque faculté. Les groupes gauchistes dépassent le cadre étroit des revendications corporatistes et universitaires et, à la critique de la loi Faure, rajoutent des mots dordre politiques généraux. Enfin, les communistes, groupés au sein de lU.E.C. craignent, selon les R.G., dêtre dépassés et hésitent à sengager pleinement. A ces divisions entre les différents protagonistes sajoute le pourrissement de la grève, ce qui engendre durant le mois de février des situations diverses selon les facultés et des " alliances " peu conventionnelles. La reprise du travail se fait rapidement en droit puis en sciences où elle est favorisée par une opposition commune à la grève illimitée A.J.S./ U.E.C./Modérés. En lettres, la grève séternise jusquà la fin du mois de février, puis une reprise samorce à partir du 25.02. La fin de la grève ne signifie cependant pas la fin de lagitation. En effet, des mouvements étudiants multiples, mais de brève durée et de faible ampleur, éclatent jusquen mars 1970 à lI.N.S.A., en lettres, en sciences économiques, en médecine et en sciences.
Un second grand mouvement étudiant a lieu en mars 1973 avec la lutte contre la loi Debré sur les sursis étudiants et contre la création du D.E.U.G.. La loi Debré, du nom du ministre de lintérieur, vise à réduire, et parfois supprimer, les sursis militaires accordés aux étudiants afin de leur permettre dachever leur cursus. Elle se trouve en conjonction avec la loi instaurant le D.E.U.G. à la place du D.U.E.S. en premier cycle universitaire. Cette conjonction va favoriser la mobilisation au-delà du monde étudiant, puisque les lycéens participent activement à ce mouvement. Toutefois, le mouvement se divise rapidement entre organisations de la gauche traditionnelle (socialistes et communistes) et dextrême-gauche. Les manifestations des 23 et 24 mars sont à ce sujet éloquentes. En effet, une manifestation organisée par lUD-C.A.L., le M.J.C.F., lA.G.E.L.-U.N.E.F., lU.G.E. et le CDJ-C.G.T. a lieu le 23 mars 1973 et draine environ 500 étudiants et lycéens. Le 24 mars 1973, une autre manifestation préparée par lU.N.C.A.L. et lextrême-gauche rassemble plusieurs milliers de lycéens. Dans le même temps, le mouvement sorganise hors des syndicats étudiants et lycéens, puisque des comités divers se créent au niveau local et national : " comité de coordination lyonnaise étudiante ", " coordination des comités contre la loi Debré ", " commission de coordination " . Dautres mouvements revendicatifs nationaux ont lieu : réforme dOrnano en Architecture en septembre 1971, projet de création des CFPM en février 1972, plan Vedel en mai 1972, réforme Fontanet en février 1974.
A cette trame nationale et à ses répercussions locales, des mouvements essentiellement locaux se superposent. Ils se distinguent par leur soudaineté, leur caractère mobilisateur éventuellement important et par leur brièveté. Ainsi, un meeting organisé par le CA U.N.E.F. I.N.S.A. le 02 février 1971 afin de protester contre lexclusion de deux élèves regroupe 800 élèves. Il est suivi du vote dune motion concernant la pénurie matérielle et la sélection, et aboutit à la réintégration des deux étudiants. Toujours en février 1971, une grève éclate au Conservatoire de Musique et dArt Dramatique et a pour objectif une amélioration des conditions de vie et détudes. Soutenue par lU.N.E.F-Renouveau, elle aboutit à la création dun CA U.N.E.F.. De multiples autres mouvements ont lieu : incidents à la cité universitaire de Jussieu après lexclusion dun étudiant africain en avril 1970, partition de luniversité Lyon II et création de luniversité Lyon III en décembre 1973 . Aux mouvements purement universitaires se greffent des mobilisations sur la base dune révolte politique. Ainsi, lU.N.E.F-Renouveau lance une journée daction contre la guerre du Vietnam le 14 mai 1970 et organise des rassemblements, meetings, signatures de pétition, collectes .
Dans le contexte dune vie étudiante très instable, encore relativement politisée et militante, de nombreux conflits éclatent. Au quasi-traditionnel mouvement étudiant annuel de dimension nationale sajoutent de multiples conflits à enjeux locaux. Ils se greffent sur un même terreau : réformes universitaires ou concernant les étudiants, conditions de travail, autoritarisme de ladministration. Le rôle des groupes dextrême-gauche demeure important et leur audience dépasse souvent le cercle restreint des militants et sympathisants, comme lors des manifestations contre la suppression des sursis.
Contrairement à la réforme du IIIe cycle, un mouvement étudiant se dessine rapidement et prend de lampleur pour devenir national. Conformément aux conflits précédents, les groupes gauchistes encadrent fortement le mouvement lors de ses débuts. Une concurrence sétablit à Lyon entre lU.G.E.L-U.N.E.F., lA.G.E.L-U.N.E.F .et les mouvements gauchistes. Cependant, le conflit prend rapidement une nouvelle dimension : une coordination nationale est créée avec la participation des deux U.N.E.F.. A Lyon, une alliance de circonstance se noue entre lA.G.E.L-U.N.E.F. et la L.C.R. pour le contrôle de la coordination. Des comités de lutte gèrent le mouvement à la base avec les syndicats étudiants. Le mouvement atteint son apogée le 15 avril 1976 : les manifestations rassemblent dans toute la France 200 000 étudiants. Cependant , en dépit de ce nouveau climat, le mouvement traîne en longueur et senlise face à lintransigeance du nouveau secrétaire dEtat. Les mots dordre des groupes gauchistes trouvent de moins en moins déchos chez les étudiants et le mouvement sachève dans " un profond sentiment de lassitude " et sur quelques concessions du gouvernement.
Le mouvement étudiant contre la réforme du second cycle apparaît comme le " dernier remake dun scénario dagitation ". En effet, le démarrage du conflit sinscrit dans la tradition des mouvements du début des années 70 : mobilisation importante des étudiants, forte présence et contrôle des groupes gauchistes . En dépit de quelques concessions, le mouvement marque un tournant : stratégie de pourrissement jouée par le gouvernement, perte dinfluence des groupuscules gauchistes, lassitude des acteurs, réduction de la capacité mobilisatrice du monde étudiant .
Dans ce contexte, les rares mouvements étudiants nationaux demeurent de faible ampleur ou cantonnés dans des secteurs particuliers de lEnseignement Supérieur. En 1977, la réforme Haby, du nom du ministre de lEducation Nationale de mai 1975 à avril 1978, touche les grandes écoles. Le conflit porte principalement sur la constitution de deux conseils pédagogiques : un conseil des professeurs décidant de lorientation des élèves et un conseil de classe purement consultatif. En 1979, un nouveau secteur est concerné : les études médicales. La réforme, élaborée par le ministre de la Santé Mme Veil, provoque une forte mobilisation des étudiants en médecine. Ainsi, à Lyon, la journée dinformation et de manifestation du 21 mars place Bellecour regroupe 1000 étudiants. Une autre manifestation a lieu le 3 avril devant le Rectorat et la D.A.S.S.. Très rapidement, le mouvement se structure et se dote dune " coordination des étudiants ", plus ou moins proche de lA.G.E.L-U.N.E.F. Le seul mouvement dampleur national et " global " a lieu en décembre 1979 avec le vote par lAssemblée Nationale de lamendement Ruffenacht. Cette mesure apparaît rapidement comme antidémocratique, puisquelle réduit le nombre de sièges accordés aux étudiants et donne aux seuls professeurs de rang A, les fameux " mandarins ", le droit de candidature et délection au poste de président duniversité. Par conséquent, les enseignants, les assistants et les étudiants sont exclus de lélection des présidents duniversité. Dautres mesures avaient précédé lamendement Ruffenacht : application stricte du quorum pour les élections universitaires en 1975, nomination des directeurs dIUT par le gouvernement en 1978 . La première réaction provient des conseils duniversité : les conseils des trois universités lyonnaises votent la suspension des cours le mardi après-midi en signe de protestation. Une même unanimité se retrouve parmi les syndicats et associations étudiantes. Sans aller jusquà lunité daction, lA.G.E.L-U.N.E.F, la CERRA (C.L.E.F., étudiants modérés), la Corpo Lyon III, lUD-C.G.T., le S.N.E.Sup., le SNECS, le SNAU, le SNB, le SNEP, le SNPCEN, le SNPESB, le SNTRS et le Syndicat Autonome adoptent des positions proches et critiquent le projet. Seule lU.N.E.F-Unité Syndicale, au nom du refus de la cogestion, appelle les élus étudiants à démissionner et dénonce le " dernier carré de la participation Sauvage ". Mais, en dépit de ce contexte favorable, la mobilisation étudiante tarde à prendre et reste faible : la manifestation du 18 décembre 1979 organisée par lA.G.E.L-U.N.E.F ne rassemble que quelques centaines détudiants. Un dernier mouvement étudiant national a lieu en avril-mai 1983. Le déclencheur universitaire de ce conflit est la préparation dune nouvelle loi dorientation de lEnseignement Supérieur par le nouveau gouvernement de gauche. Profondément modifiée lors de son passage devant lAssemblée Nationale, la première ébauche propose une sélection entre les cycles, une réforme des premiers cycles, une première expérience de contractualisation Etat / Université et de nouveaux statuts aux facultés (création des U.F.R.). Le mouvement prend rapidement un tour politique. En effet, lU.N.I. (Syndicat de droite regroupant enseignants et étudiants) et les associations détudiants modérés (Corpo Lyon III) investissent rapidement le mouvement. Cependant, seuls les secteurs, filières réputées " conservatrices " adhérent rapidement au mouvement. Ainsi, à Lyon, le mouvement de grève touche essentiellement les facultés de droit et dAES de luniversité Lyon III. Les universités Lyon I et Lyon II demeurent à lécart du conflit. Ce mouvement se superpose à la lutte des étudiants en médecine contre le projet de réforme des études médicales. Les mobilisations étudiantes apparaissent donc, au niveau national, plus espacées dans le temps et dune ampleur relativement faible.
A linverse, de multiples conflits se développent en lien avec le contexte universitaire local. Ils ont souvent pour origine les conditions détude, la défense détudiants étrangers menacés dexpulsion ou linstauration par une université de droits dinscription supplémentaires. Ainsi, en décembre 1979, lA.G.E.L-U.N.E.F, lU.G.E. et le SNEP lancent une action, afin de protester contre linstauration à Lyon I dune cotisation pour le sport. Une manifestation dun genre un peu particulier a lieu le 13 décembre rue de la République : 200 étudiants jouent au ballon sur la voie publique, puis manifestent jusquau Rectorat où une délégation est reçue. Les conflits peuvent parfois prendre un caractère violent. Ainsi, en juin 1977, à la suite dune rocambolesque affaire d " admissibles-recalés " à Lyon I, un comité de défense, soutenu par lU.G.E.L-U.N.E.F., séquestre pendant toute une nuit une soixantaine de professeurs. Les mouvements locaux ont donc un cadre restreint : faculté, filière ou même année détude, amphithéâtre, et peuvent posséder un fort potentiel mobilisateur.
Le mouvement étudiant de 1976 inaugure donc une nouvelle période. Une conjonction entre une capacité de mobilisation plus faible du monde étudiant et un changement de tactique du pouvoir engendre une absence de mouvements nationaux et globaux. Désormais, le mouvement étudiant sexprime de façon plus ponctuelle et sattache davantage à la situation locale.
Au milieu des années 80, une nouvelle situation voit le jour avec le développement de mouvements étudiants marqués par des revendications strictement universitaires. Elle peut apparaître comme laboutissement dune longue évolution du monde étudiant. En effet, les mouvements des années 70 ont pour base la défense de grands principes, lengagement en faveur de projets de société alternatifs ou dune autre politique universitaire. Ces thèmes de mobilisation connaissent, à partir du milieu des années 70, un effacement progressif de leur audience. Dans le même temps, les étudiants prennent davantage de distance à légard des organisations politiques ou syndicales.
Cette évolution aboutit, dans les années 80 et 90, au développement de deux sentiments chez les étudiants : la peur de la récupération politique et limportance désormais conférée aux études, synonymes désormais de réussite sociale et surtout de protection ou déchappatoire face au chômage. Il se produit à la fois un rejet du politique et une forte capacité mobilisatrice du monde étudiant si les valeurs auxquelles il est attaché sont remises en cause, cest à dire la liberté et légalité daccès à lUniversité. La mobilisation étudiante se réalise désormais sur des revendications concrètes (locaux, droits dinscription, sélection, valeur des diplômes ) et rejette avec force le spectre de la politisation.
Les mobilisations étudiantes de la fin des années 80 et des années 90 reposent donc sur des revendications universitaires. Cet aspect apparaît clairement lors des mouvements étudiants de 1986, 1994 et 1995. La lutte des étudiants contre le projet Devaquet à la fin de lannée 1986 est à cet égard la plus significative. La mobilisation des étudiants a pour base lopposition au projet dAlain Devaquet, ministre de lEnseignement Supérieur du nouveau gouvernement de droite dirigé par J.Chirac. Elaborée en mai 1986, la loi Devaquet sinscrit dans lorientation libérale du gouvernement : instauration de la sélection, hausse des droits dinscription, élargissement de lautonomie des universités. Lors de son passage devant le Sénat, elle ne suscite pas de critiques ou doppositions particulièrement fortes. Les syndicats étudiants tentent alors de mobiliser, mais en vain . Tout change pourtant à lautomne 1986. Un appel à la grève lancé par une coordination nationale dirigée par lU.N.E.F-ID lors dEtats Généraux à la Sorbonne trouve rapidement un écho dans les universités. A Lyon, la grève débute à partir du 24 novembre 1986 dans les universités Lyon I et Lyon II, Lyon III restant hors du mouvement. Spontané, le mouvement prend rapidement de lampleur et se structure, sorganise sous limpulsion de militants syndicaux, en particulier de lU.N.E.F- ID. Ainsi, à Lyon I, lAssemblée Générale met en place un comité de grève auquel participe le président de lU.G.E.L-U.N.E.F- ID, Christophe Borgel. A Lyon II, des comités daction sont crées en fonction des filières et sont chapeautés par un " comité de coordination ". La mobilisation apparaît demblée extrêmement forte et se fonde presque essentiellement sur lopposition à toute tentative de sélection à lentrée de luniversité. Un seul objectif : le retrait du projet Devaquet, sans autre proposition ou revendication. Limité dans ses objectifs, le mouvement se distingue aussi par son rejet du politique. Il se traduit par la volonté des étudiants de se distancier du politique et par une exigence de démocratie au sein du mouvement. La grève est contrôlée par lAssemblée Générale des étudiants et un fort refus de toute récupération par une organisation politique ou syndicale se manifeste parmi les étudiants. Lors de la manifestation du 27 novembre 1986 à Lyon, qui réunit entre 20 000 et 40 000 étudiants, une consigne votée par les A.G interdit aux organisations syndicales de déployer leurs banderoles. Le mouvement étudiant de 1986 connaît en réalité deux phases : au début, la mobilisation contre le projet Devaquet est très forte et se résume au seul objectif de retrait. La mort de Malik Oussekine le 5 décembre à Paris lors de la terrible répression de la manifestation entraîne la démission dA. Devaquet le 6 décembre et le retrait du projet le 8 décembre. Le mouvement connaît alors une seconde phase où, sous limpulsion des syndicats étudiants, les mots dordre démocratiques et éthiques prennent le pas sur les revendications universitaires. Forte au début, véritable réaction émotionnelle, épidermique, la mobilisation saffaiblit très rapidement. Certes, la manifestation organisée pour protester contre les violences policières et en hommage à Malik Oussekine rassemble plus de 25 000 étudiants, lycéens et parents à Lyon. Mais dés le 11 décembre, les cours reprennent dans les lycées et les collèges. Le mouvement étudiant de 1986 conjugue les nouveaux aspects de la mobilisation étudiante rejet du politique, peur de la récupération, importance donnée aux études, forte capacité mobilisatrice sur les questions universitaires, rôle des médias à la fois relais des revendications étudiantes et facteur dinfluence sur les événements .
Les mouvements étudiants des années 86-94 apparaissent comme laboutissement dune longue évolution. Changement dans la forme tout dabord, avec une prise de distance très nette vis à vis du politique. Cette distanciation se traduit par la systématisation des nouvelles formes dorganisation apparues dans les années 70, et en particulier des coordinations. Seules structures reconnues comme légitimes par le mouvement, elles sont fondées sur la désignation de représentants " indépendants " des syndicats et élus en A.G. Les structures et lexpérience des militants syndicaux sont utilisées, mais sous le contrôle de lA.G. ou de la coordination. Les syndicats étudiants, écartés des feux de la rampe, demeurent tout de même présents. Ainsi, en 1995, la coordination étudiante élue à Lyon II comprend 3 militants de lU.N.E.F- ID, 2 de lU.N.E.F et 1 de Lutte Ouvrière. Les militants syndicaux, et en particulier les responsables, possèdent souvent seuls les capacités danalyse, dexpression et lexpérience nécessaires dans ces situations peu coutumières pour la plupart des étudiants. Cependant, ils ne contrôlent pas totalement le mouvement. Mais le mouvement étudiant a aussi évolué sur le fond. Les ressorts de la mobilisation ont changé : les revendications universitaires peuvent seules désormais susciter lintérêt des étudiants. " Laction collective étudiante des années 80/90 exprime la force de la demande sociale déducation de couches de plus en plus diversifiées de la population qui sopposent à tout ce qui viendrait entraver la liberté daccès à lUniversité ou mettre en cause les conditions de la réussite ".
III. La place de lA.G.E.L-U.N.E.F au sein du mouvement étudiant.
Les syndicats étudiants tiennent donc un rôle capital dans linformation des étudiants, en particulier au début de la mobilisation. Leur accès privilégié à linformation (représentation nationale, participation aux différents conseils universitaires, interlocuteurs des autorités universitaires ) les rendent inévitables dans le déclenchement dun mouvement. De plus, ils sont souvent les seuls à disposer des capacités nécessaires pour informer les étudiants : militants et adhérents, imprimerie pour lA.G.E.L-U.N.E.F, liens avec les grandes centrales syndicales, les partis politiques, expérience dans la rédaction dun tract, capacités dexpression .
Hors deux, la circulation de linformation à grande échelle devient extrêmement difficile. Lintervention de lA.G.E.L-U.N.E.F pour informer les étudiants se fait selon différentes modalités. Les Assemblées Générales ne sont pas, jusquau milieu des années 80, le moyen dinformation privilégié. En effet, ouvertes à tous, elles sont difficilement contrôlables et offrent aux groupes gauchistes la possibilité de sexprimer et de peser sur les débats. LA.G.E.L-U.N.E.F est donc réticente face aux A.G. : " on commençait à faire monter la pression dans les T.D. avec des interventions , et cela débouchait toujours sur une A.G. où se retrouvait tout le ramassis de crapules possibles [ ], et aussi des étudiants normaux [ ]. Elles ont toujours été la plaie ces A.G., parce quelles sont profondément antidémocratiques, dans la mesure où ne sexpriment là-dedans que les professionnels de la politique et de lagitation, et où létudiant de base ne peut pas parler. ".Mais elle a son rôle, son importance, dans la mesure où elle fait prendre conscience à un mouvement de sa force.
Un changement sopère pourtant progressivement. En 1992, lA.G.E.L-U.N.E.F prend linitiative de convoquer une A.G. pour informer les étudiants sur la réforme Jospin. Cette évolution provient avant tout du rôle, au sein du mouvement étudiant, dont lU.N.E.F. veut se doter. Dans les années 70, lU.N.E.F., même si elle nen est pas capable, revendique la direction des luttes. Au congrès de Toulouse en 1990, lU.N.E.F., considérablement affaiblie et à peine remise du mouvement étudiant de 1986, modifie la nature de son intervention au sein du mouvement étudiant : " (le mouvement étudiant de 1986) nous a amené à réfléchir sur notre orientation et à décider dinverser notre démarche. Jusque là, nous intervenions porteurs dun projet pour lEnseignement Supérieur et nous ne laissions aux étudiants que la possibilité de nous soutenir [ ]cest le débat qui a été au centre du congrès de Toulouse en 1990 et nous a amenés à redéfinir lU.N.E.F. comme un outil pour rassembler les étudiants ". LU.N.E.F. redéfinit donc sa place au sein du mouvement étudiant : elle se veut un outil, un instrument pour rassembler les étudiants au lieu de les contrôler, elle se met au service du mouvement étudiant en favorisant la circulation de linformation .
Outre les A.G., linformation se fait par les innombrables tracts ou par voie daffichage. La réforme Fontanet en 1974 est ainsi longuement disséquée et épluchée dans les tracts : situation de lUniversité, analyse de la réforme Fontanet, propositions de lA.G.E.L-U.N.E.F.
Enfin, lA.G.E.L-U.N.E.F informe les étudiants par lintermédiaire des interventions en amphis ou dans les T.D. Elle tente alors de privilégier la discussion avec les étudiants et dinstaurer un dialogue. Lintervention en amphi apparaît systématique : projet de réforme des études médicales en février 1980, licenciement des vacataires en novembre 1978 . Il existe une véritable volonté de discuter et dexpliquer aux étudiants. LA.G.E.L-U.N.E.F, mais aussi les autres syndicats et associations, assume un rôle essentiel dans linformation des étudiants.
Lincapacité de lA.G.E.L-U.N.E.F à contrôler les mouvements étudiants se traduit concrètement par lapparition de structures éphémères propres au mouvement : les coordinations étudiantes .Le conflit génère ses propres structures et responsables en dehors des organisations syndicales traditionnelles. Elles sont le plus souvent mises en place par les A.G. Ainsi, en avril 1979, une " coordination des étudiants " organise la lutte contre la loi Veil de réforme des études médicales. Bien que participant à la coordination, lA.G.E.L-U.N.E.F ne détient quun contrôle médiocre sur le mouvement en raison de son implantation incomplète dans les CHU. LU.N.E.F. des années 50 et 60 était capable de regrouper derrière elle les différentes sensibilités du monde étudiant et apparaissait comme la seule organisation capable de représenter les étudiants et le mouvement étudiant. Or, lU.N.E.F. issue de la scission de février 1971 ne représente plus quune fraction du monde étudiant. En concurrence avec dautres organisations et confrontée à un désir de diversité du monde étudiant, elle napparaît plus comme une structure apte à prendre en compte toutes les aspirations dun mouvement revendicatif.
Si lA.G.E.L-U.N.E.F analyse rapidement et avec lucidité son incapacité à faire démarrer et aboutir un mouvement étudiant, elle tarde à accepter la nouvelle donne. Elle garde son attitude rétive vis à vis des nouvelles formes dorganisation, attitude encore très influencée par le mythe de la " grande U.N.E.F. ", seule organisation représentative des étudiants. Jusquen 1975-1976, elle fait preuve dune très grande réticence et méfiance envers ces nouvelles formes dorganisation. Considérée comme un aveu de sa propre faiblesse, elle participe très rarement à leur mise en place. Cependant, elle modifie progressivement sa position à partir de 1973. A partir de 1975-1976, elle est beaucoup plus nuancée et pragmatique dans son attitude. Au niveau national, la grève contre la réforme du second cycle (1976) rassemble pour la première fois au sein dune coordination nationale lU.N.E.F. et lU.N.E.F.-Unité Syndicale. Toutefois, le gouvernement ne reconnaît aucune légitimité à la coordination et reçoit séparément les deux syndicats. Au niveau local, une attitude pragmatique prédomine. Certes, lA.G.E.L-U.N.E.F demeure méfiante, mais elle comprend rapidement que cest le seul moyen de faire démarrer un mouvement. Au lieu de se retrouver en concurrence avec les coordinations, elle investit désormais des militants au sein de ces structures éphémères. A la fin des années 80, lA.G.E.L-U.N.E.F sinscrit dans le cadre dune collaboration étroite avec les coordinations . En 1990, le congrès de Toulouse réaffirme cette position et lérige en orientation syndicale.
Avec lapparition de nouvelles formes dorganisation, lU.N.E.F. collabore et simplique de plus en plus auprès des différents acteurs du mouvement étudiant. Toutefois, lA.G.E.L-U.N.E.F garde son indépendance vis à vis du mouvement étudiant.
La logique unitaire ne lemporte jamais sur la logique propre du syndicat. Elle nhésite pas, lorsquelle juge un mouvement contraire aux intérêts des étudiants, à sopposer et à prôner dautres formes daction ou une autre orientation. Le mouvement étudiant de 1983 a particulièrement mis en exergue ce cas de figure. La grève des étudiants de la faculté de médecine en avril 1983 ne rencontre que son opposition et son hostilité. Tout en jugeant lévolution des discussions engagées à Paris comme " satisfaisante ", lA.G.E.L-U.N.E.F dénie au mouvement de grève toute légitimité et, au contraire, tente dorganiser les non-grévistes. Elle dénonce pêle-mêle les piquets de grève musclés devant les CHU, les A.G. non représentatives (elles rassemblent la plupart du temps 600 à 700 étudiants sur 3000), limpasse dans laquelle senfonce le mouvement .Elle réagit même en organisant une A.G. des non-grévistes et en demandant lintervention des autorités universitaires pour assurer le " droit de suivre les cours ". Face au mouvement dans les facultés de Droit et de Sciences Humaines et Sociales, lA.G.E.L-U.N.E.F sengage encore davantage, puisquelle soutient ouvertement la réforme Savary. A Lyon II, elle contre les partisants de la grève (U.N.E.F-ID, C.E.L.F ) en montant une réunion dinformation sur le projet de loi avec deux députés de la majorité P.S.-P.C.F. : J.J Queyranne et G Hage.
En dépit de son incapacité à lancer et à faire aboutir des mouvements étudiants, lA.G.E.L-U.N.E.F garde une certaine indépendance et développe ses propres thèmes, fait avancer ses idées lors dun conflit. Elle sait sopposer avec force face à des conflits quelle juge inopportuns.
De 1971 à 1994, lUniversité évolue considérablement et connaît une " massification ". La progression numérique du monde étudiant est constante avec une forte poussée de fièvre de 1988-1989 à 1994. Les effectifs passent de 615 326 étudiants en 1969 à 1 403 827 en 1993. Le même phénomène se produit à Lyon où les 2 puis 3 universités accueillent 110 000 étudiants en 1994, contre 57 000 en 1976. Durant notre période, lUniversité double de volume et absorbe lessentiel de la demande de diplômes après le baccalauréat. Cependant, au-delà de cette massification par le nombre, lUniversité sest encore peu démocratisée. Beaucoup plus que les classes sociales les plus défavorisées, ce sont les classes moyennes qui profitent de lamorce de démocratisation. De multiples inégalités persistent : salariat étudiant, poursuite détude selon lorigine sociale, selon le sexe . De plus, lUniversité remplit de plus en plus difficilement son rôle " dascenseur social " et ne garantit plus une éclatante trajectoire professionnelle ou une protection contre le chômage.
Le milieu étudiant change aussi durant cette période. Les thèmes de mobilisation du début des années 70, cest à dire la défense de grands principes et lengagement en faveur de projets alternatifs, laissent progressivement la place à deux sentiments : la peur de la récupération politique et la peur de ne pouvoir rentrer dans la vie active de façon satisfaisante. A partir du milieu des années 80, le monde étudiant développe une forte capacité mobilisatrice si les valeurs auxquelles il est attaché sont remises en cause, cest à dire la liberté et légalité daccès à lUniversité. le monde étudiant se mobilise désormais sur des revendications concrètes.
LUniversité et le milieu étudiant des années 70 et 90 apparaissent peu favorables au syndicalisme étudiant. Pourtant, celui-ci sadapte à ce nouveau contexte. Ainsi, lA.G.E.L-U.N.E.F trouve très rapidement sa place au sein du mouvement étudiant. Certes, elle doit vite abandonner ses velléités de contrôle du mouvement étudiant, mais elle garde néanmoins un rôle essentiel à travers linformation des étudiants, sa place dans les coordinations .