Un tŽmoignage de Michel Lemoine sur la crise de l'UNEF en 1970/71 (en 2015)

Le premier moment de la liquidation du mouvement Žtudiant est le fait des mao•stes. Il se situe en 1970 ˆ lĠuniversitŽ de Nanterre. On y voit lĠorganisation mao•ste la Gauche ProlŽtarienne faire ce que nĠauraient pas pu rŽussir les groupes dĠextrme droite. 

Voici les faits : nous sommes en 1970 ˆ la fac de Nanterre. A la rentrŽe de septembre, lĠuniversitŽ Žtait sous tension. Les halls Žtaient occupŽs par des tables tenues par une multitude dĠorganisations allant de lĠextrme droite ˆ la gauche la plus ŽcervelŽe. De violentes bagarres Žclataient rŽgulirement, des Ç tribunaux populaires È siŽgeaient, les cours Žtaient rŽgulirement interrompus par des Ç prises de parole È dictŽes par lĠurgence dĠune rŽvolution imminente. Des cars de CRS, toujours plus nombreux, stationnaient aux entrŽes ; leurs occupants nĠavaient pas le droit dĠen descendre. Ils enrageaient la journŽe entire sous les quolibets des Žtudiants qui passaient. LĠatmosphre Žtait explosive.

Au dŽbut dŽcembre le groupe mao•ste, la Gauche ProlŽtarienne, est arrivŽ avec toutes ses troupes pour organiser un meeting. Les leaders, entourŽs de leurs gardes, sont arrivŽs vers 14 heures. Sur la pelouse quatre individus masquŽs avaient posŽ une nappe et prŽparaient des cocktails Molotov en faisant semblant de ne pas voir une Žquipe de tŽlŽvision qui les filmait, cachŽe sur les toits. Il Žtait clair que quelque chose de grave se prŽparait. JĠŽtais alors membre du Conseil dĠAdministration de lĠUNEF mais non connu comme tel. Je suis donc parti aux nouvelles. Dans lĠamphi quĠils avaient investi les leaders gauchistes Žtaient ˆ la tribune. Geismar tenait un discours vŽhŽment et excitait ses troupes au combat. Il y avait un nombre invraisemblable de flics ; il Žtait impossible que les organisateurs ne le sachent pas. JĠai rapidement rendu compte de ce que jĠavais vu ; aprs une courte discussion nous avons dŽcidŽ dĠŽvacuer le campus de crainte que certains ne profitent de la confusion pour nous faire un sort. Pendant que les autres partaient je suis allŽ ˆ la fac de lettre o se trouvaient encore certains de nos militants. Je devais les avertir et leur demander de quitter le campus au plus vite. Je venais juste de les retrouver quand les premiers heurts ont ŽclatŽs. On entendait les clameurs et les explosions, de la fumŽe montait. Nous avons quittŽ prŽcipitamment le campus en allant ˆ lĠopposŽ, vers la bibliothque.

Le reste, je ne lĠai pas vu, je ne lĠai appris que les jours suivants par les Žtudiants qui se sont trouvŽs pris dans lĠaffrontement. Les CRS ont ŽtŽ l‰chŽs au moment o les participants au meeting sortaient en masse pour en dŽcoudre. LĠaffrontement a ŽtŽ bref mais extrmement violent. En ˆ peine un quart dĠheure les CRS ont balayŽ tout le campus. Les gauchistes, vrais et faux, se sont rŽfugiŽs dans les b‰timents. Des centaines dĠŽtudiants sĠy sont trouvŽs piŽgŽs avec eux. Les CRS ont alors ŽtŽ regroupŽs au centre du campus et formaient un carrŽ. Il sĠabattait sur eux une pluie de projectiles. Toutes les chaises, toutes les tables ont ŽtŽ cassŽes et leur Žtaient lancŽes des fentres. Cela a durŽ jusquĠau soir (trs prŽcisŽment jusquĠˆ lĠheure du journal tŽlŽvisŽ). A ce moment ils ont reus lĠordre de charger. Les portes ont volŽes en Žclat et a a ŽtŽ la curŽe. Les choses ont si mal tournŽ que les gardes mobiles ont ŽtŽ appelŽs pour sĠinterposer et calmer la fureur meurtrire des CRS.

On mĠa racontŽ que la rŽsidence universitaire a ŽtŽ investie. Un jeune qui avait ŽtŽ au lycŽe avec moi et qui nĠŽtait pour rien dans cette affaire a vu la porte de sa chambre dŽfoncŽe. Il a ŽtŽ rouŽ de coups et sĠest retrouvŽ avec le foie ŽclatŽ. Ses Žtudes se sont arrtŽes lˆ.

Le lendemain, la fac Žtait dŽserte. Il ne restait pas une chaise, pas une table pas un pupitre. Les portes et les fentres Žtaient brisŽes. La fac Žtait dŽserte, dŽvastŽe. On mĠa dit que quelquĠun avait ouvert des vannes dans les sous-sols et quĠun transformateur avait ŽtŽ inondŽ. Cela aurait pu provoquer un incendie. La prŽsidence a annoncŽ que tous les cours Žtaient suspendus jusquĠaux vacances de No‘l et que le rentrŽe de janvier Žtait retardŽe jusquĠˆ une date indŽterminŽe.

Notre rŽunion a ŽtŽ courte : sĠen Žtait fini des franchises universitaires, il Žtait inutile de tenter de sĠen rŽclamer. Depuis le moyen-‰ge lĠuniversitŽ Žtait lieu dĠasile, la police ne devait pas y pŽnŽtrer. Mais comment dŽfendre cela quand elle Žtait le lieu dĠune bataille rangŽe. Les cours ont repris ˆ la mi-janvier dans une atmosphre morne : plus de propagande, plus de tracs, plus dĠinterventions. Les Žtudiants ne voulaient plus rien en entendre. 

Il est clair que la malfaisance gauchiste ne sĠarrtait pas au domaine des idŽes. Ils ont contribuŽ trs fortement ˆ lĠaffaiblissement des organisations Žtudiantes et rendu ainsi un service remarquŽ au pouvoir. Aprs le saccage de la fac, les Žtudiants ne voulaient plus rien entendre. Ils avaient une aversion totale pour tout ce qui ressemblait ˆ une organisation politique ou syndicale. Ils voulaient de lĠordre, des vigiles, des contr™les. Chaque organisation Žtait victime de cela ˆ proportion de son audience. La plus affaiblie Žtait lĠUNEF mme si elle ne cessait de rŽpŽter quĠelle condamnait les violences et nĠy avait absolument pas participŽ.

Ainsi affaiblie, coupŽe de la masse des Žtudiants, lĠUnef Žtait prte pour la deuxime Žtape de sa liquidation : la scission organisŽe par les Trotskystes.

Cela sĠest passŽ en 1971. Pour le raconter je dois dĠabord camper le dŽcor : les diffŽrents groupuscules gauchistes et anarchistes qui sĠŽtaient disputŽ le contr™le de lĠUNEF perdaient toute influence. Les Žtudiants les supportaient de moins en moins. En janvier, les rocardiens sont mis en minoritŽ et quittent le syndicat (en laissant un Žnorme trou financier). Un congrs doit tre organisŽ pour Žlire un nouveau bureau. Deux listes sont en compŽtition : la tendance Ç renouveau È animŽe par lĠUEC et la tendance Ç unitŽ syndicale È dĠobŽdience trotskiste. Le rapport est dĠenviron 5 ˆ 1 cĠest-ˆ-dire que la tendance Ç renouveau È est cinq fois plus nombreuse que la tendance trotskiste. Elle devait donc lĠemporter et la question est celle de la place de la minoritŽ.

Une rŽunion est organisŽe dans le grand amphithŽ‰tre de la Sorbonne. Je revois la scne : je suis dans la salle. Un type avec des bŽquilles est assis ˆ c™tŽ de moi. Sur la tribune il y a Guy Konopnicki pour la tendance renouveau, entourŽ des deux leaders trotskistes : Serac et Berg. Les deux sont trs ŽlŽgants, ils ont des airs de cadres supŽrieurs : costumes anthracites et manteaux bleus, cravates et boutons de manchette brillants. Je mĠŽtonne quĠils puissent tre Žtudiants. Ils semblent plus proches de quarantaine que de leurs vingt ans.

Je ne sais rien de SŽrac. Mais Charles Berg continue ˆ faire parler de lui. Son vrai nom est Charles Stobnicer mais il se fait appeler aujourdĠhui Jacques Kisner ; il est rŽapparu vers 1980 comme producteur de cinŽma et scŽnariste. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez nulle part sa date de naissance, ni aucune biographie sŽrieuse le concernant. Il dirige alors lĠAJS qui est la reconstitution dĠune des organisations dissoutes en 68 pour sa particulire violence(le CLER). LĠAJS se prŽsente comme le mouvement de jeunesse de OCI (lequel se fait appeler aujourdĠhui le POI et se prŽtend la vŽritable IVme internationale). Le dirigeant suprme est un certain Lambert (mort en 2008, de son vrai nom Pierre Boussel). Ses partisans le prŽsentent comme un ancien compagnon de Trotski. En fait cĠest un permanent de FO, quĠil a reprŽsentŽ ˆ la direction de la SŽcuritŽ Sociale depuis sa crŽation. (FO a ŽtŽ crŽŽe sous lĠimpulsion de la CIA, il faut sĠen souvenir).

Berg est donc ˆ la tribune. CĠest un orateur extrmement brillant. Il se lance dans un long discours, commence doucement, puis hausse le ton ˆ chaque nouvelle stance pour finir sur un ton vŽhŽment, qui passe ˆ la fureur quand il se met ˆ hurler : Ç on tue, on tue È.

Konopnicki plonge aussit™t sous la table et se retrouve entre ses gardes du corps. Le type ˆ c™tŽ de moi se met ˆ faire tournoyer ses bŽquilles et frappe tous ceux qui sont ˆ sa portŽe. Des coups pleuvent de partout. Nous nous rŽfugions dans un coin de la salle car les portes sont barrŽes par le service dĠordre trotskiste. Un Žnorme malabar bloque ˆ lui tout seul la porte du fond. Cette situation pŽrilleuse mĠa paru durer un sicle.

Pendant ce temps, les trotskistes investissent le sige de lĠUNEF rue Soufflot. Ils font ouvrir le coffre par un serrurier (de leurs amis) et dŽtruisent les listes dĠadhŽrents et tous les documents qui pourraient Žtablir quĠils sont minoritaires, accessoirement ils sĠemparent des espces qui sĠy trouvaient. Ils font para”tre un communiquŽ dans la presse qui prŽtend que la direction du syndicat leur a ŽtŽ confiŽe

Pour complŽter son coup de force, lĠAJS a pris la contr™le de la MNEF de la mme faon et avec lĠaval, lˆ aussi de la justice. LĠaffaire a ŽtŽ encore plus simple. La rŽunion devait se tenir dans un gymnase de Nanterre. Le service dĠordre de lĠAJS nous en a interdit lĠaccs avec lĠappui des CRS (qui veillaient ˆ ce quĠaucune violence ne soit commise !). La suite on la conna”t et lĠon sait ce quĠils ont fait de la MNEF !

Extrait de La voie de passage du gauchisme au nŽo conservatisme, sur le blog de Michel Lemoine